Chapitre 14
« Comment pourrait-il se battre par amour, s'il ne pouvait aimer ? »
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— Y a du monde ! s'enchanta Âlma en regardant la foule qui s'agitait.
Aussi ravie que mon amie, j'observai les Humains qui affichaient tous un air resplendissant, en cette journée ensoleillée. La majorité d'entre eux fabriquaient des décorations de Noël au sein de cet atelier en plein air. Les fêtes approchaient à grands pas, et ça se sentait, en vue de l'ambiance qui régnait dans notre ville depuis quelques jours. De plus, il avait neigé toute la journée, la veille, et également toute la nuit.
C'était magnifique de voir Téthys couverte de neige.
Si nous étions ici, Âlma et moi, ce n'était pas pour profiter de la chaleur dégagée par la bonne humeur des Hommes présents, mais pour poursuivre notre enquête. Après notre petite réunion dans l'appartement de Tyler, nous avions décidé qu'il fallait que certains d'entre nous gardent un œil sur les habitants de Téthys, quand d'autres continuaient de récolter des informations.
Et étant donné qu'en ce jour, il y avait de l'animation, chose assez rare, dans cette ville, nous avions convenu qu'il serait intéressant de nous fondre parmi la foule pour veiller sur ces âmes innocentes, tout en cherchant à voir s'il n'y avait pas des Démons parmi elles. Tyler et Eden, quant à eux, continuaient de chercher des indices au sujet des disparus.
Parmi ces Humains, je savais que n'importe qui pourrait être une future victime d'Eytan, néanmoins, comment savoir laquelle ?
— Tu sens une présence démoniaque, toi ? me souffla Âlma en s'attardant sur deux enfants qui passèrent devant nous, les yeux pétillants.
— Non...
Je scrutai ensuite les alentours, à la recherche d'un corps vaporeux. Le Fantôme que j'avais aperçu avant que je ne rencontre Frédérick, cette femme d'un certain âge, se manifestait de plus en plus souvent avant de se volatiliser sans que je ne puisse jamais l'interroger. Je me demandais ce qu'elle voulait, mais aussi pourquoi elle disparaissait toujours aussi rapidement. Manque d'énergie ? Peur ? J'étais incapable de le deviner, mais j'avais senti son désespoir. Elle cherchait à rejoindre le monde des Morts.
Quelque chose l'en empêchait, probablement un dernier objectif à atteindre...
Le fait était qu'elle n'était pas ici, aujourd'hui. Le monde ne devait pas aider.
— Elora !
J'aperçus Axel, le visage barbouillé de peintures, s'approcher de moi, un sourire resplendissant sur son visage. Âlma, plutôt réservée, recula d'un pas quand il se posta devant nous, sans pourtant qu'elle n'affiche une moue hostile. Au contraire, elle le couvrit d'un regard bienveillant, digne d'elle.
— Oh, bonjour, Axel, comment tu vas ? l'interrogeai-je. D'ailleurs, je te présente mon amie : Âlma.
— Enchantée, lui souffla mon amie.
Il lui répondit poliment avant qu'il ne se tourne vers moi sans se démunir de son sourire chaleureux et nous expliqua qu'il était ici pour aider à monter les décorations de Noël, mais qu'il peignait aussi lui-même certaines façades en ces fêtes qui approchaient. La passion qui le dévorait n'était pas feinte, au contraire, elle était si sincère que j'avais l'impression qu'il me la partageait sans aucune difficulté.
— D'ailleurs, les filles, n'hésitez pas à prendre des crêpes au stand, là-bas, elles sont superbes ! Je file, j'ai encore du travail ! On se croisera peut-être plus tard ?
— Oui, probablement ! lui lançai-je sur un ton léger. Amuse-toi bien !
Il nous fit un clin d'œil et s'éloigna. Âlma arqua un sourcil et me donna un petit coup de coude avant qu'elle ne me dise :
— J'ai un tas de questions. C'est quoi le problème avec... Avec ça ?
— Avec quoi ? demandai-je bêtement.
Elle me fit les gros yeux, observa les personnes autour de nous, et d'un geste de la main, elle s'enveloppa elle-même. Je compris de suite ce à quoi elle faisait allusion : l'aura d'Axel. Je m'empressai de lui répondre :
— Ce n'est pas le premier à la masquer. Pourquoi ? Est-ce que tu as senti une once de malveillance ?
Elle haussa les épaules avant de secouer la tête. Elle non plus n'avait pas réussi à lire dans l'aura d'Axel, mais elle n'avait pas aperçu de malveillance. Et ça me rassurait, car si je m'étais méfiée de mon jugement, je me sentais plus légitime à l'apprécier, maintenant qu'elle venait de me confirmer qu'il ne semblait pas être mauvais.
Bientôt, une odeur désagréable effleura mes narines. Je sentis mon visage perdre de ses couleurs avant de scruter les alentours, l'estomac retourné, déconcentrée par les nombreuses voix des Humains qui nous entouraient. Plus nauséeuse, je plissai les yeux en frissonnant.
— Dis donc... Tu sens ? s'enquit-elle en fronçant les sourcils.
— Oui, marmonnai-je.
L'odeur du soufre.
Cela signifiait qu'il y avait bien une présence démoniaque, ici. On se faufila parmi la foule en jouant des coudes et en nous attardant sur l'âme de chaque personne que l'on croisa, prêtes à se heurter à celle d'un Démon. Âlma poursuivit sa route avant que je ne heurte l'épaule de quelqu'un. Avant que je ne m'excuse, je croisai un regard brun qui m'observa avec attention, et sa bouche se tordit.
Et, pour une raison qui m'échappait, face à ses traits, mon cœur s'endiabla. J'entrouvris les lèvres, sonnée, avant de me concentrer sur son aura aussi trouble que celle d'Axel. Quelque chose, au fond de moi, s'agita, comme pour me prévenir.
Bon sang... Il me rappelait tant quelqu'un...
Je le dévisageai avant de me sentir honteuse de le toiser ainsi. Je me trompais sur la personne. Le pauvre homme devait se demander ce qui ne tournait pas rond, chez moi.
— Excusez-moi, soufflai-je.
Et, sans attendre, je poursuivis ma route pour retrouver Âlma qui observait toujours les alentours, les traits sombres. Encore sonnée par ma rencontre, je lui lançai un coup d'œil avant qu'elle ne siffle :
— Regarde la femme, là-bas...
D'un geste du menton, elle me montra une femme qui se tenait la tête, comme prise d'une atroce migraine. Je remarquai que ses membres tressautaient, son corps parcouru de spasmes. La douleur l'enveloppant était si vive, si forte, qu'elle me heurtait, et ce même si je me tenais loin d'elle. Mais ce n'était pas ça, le pire...
— Tu perçois son aura ? poursuivit Âlma. Regarde comme elle est rongée...
Oui. Oui, une tache noire semblait s'étendre autour de son aura, comme si elle espérait la dévorer toute entière. Comme si le mal cherchait à s'emparer d'elle. L'odeur du soufre s'amplifia encore avant que je ne remarque, parmi la foule, Ziv, accompagné de Nathan.
— Âlma, chuchotai-je. Ils en ont après elle... Il faut qu'on l'éloigne d'eux.
La fureur luisant dans son regard aurait pu faire frémir le plus effroyable des Démons. Elle opina avant qu'on ne s'approche de la femme qui titubait. Un homme, remarquant son état déplorable, l'interrogea, mais elle le repoussa et s'éloigna. On n'hésita pas à la suivre. Elle s'éloigna du lieu des festivités en se tenant le crâne, et face à sa souffrance, je me promis de me servir de mes dons pour lui retirer son mal.
Bientôt, elle emprunta un passage étroit entre deux bâtiments sinistres avant de trébucher. En remarquant qu'il n'y avait personne aux alentours, je fonçai vers elle pour la rattraper avant qu'elle ne s'écroule. Ses yeux fiévreux heurtèrent les miens avant qu'elle ne siffle :
— L... Lâchez-moi !
— Je ne vous veux aucun mal, tentai-je.
Elle gémit quand son mal s'intensifia jusqu'à ce qu'elle se torde de douleur. J'entendis un rire s'élever avant que des bruits de pas ne s'approchent et ne résonnent. Deux ombres se projetèrent contre les murs, et j'aperçus Âlma faire barrage des deux arrivants et de l'Humaine et moi.
En remarquant les deux Démons, je n'hésitai pas plus. Je laissai mon énergie se diffuser dans le corps de l'Humaine qui s'agitait toujours pour la sonner, tout en apaisant son mal m'étant encore inconnu. Elle sombra dans l'inconscience sans une seconde plus avant que je ne la repose contre la neige.
Il valait mieux qu'elle n'assiste pas à la suite.
— Décidément, vous êtes têtus, vous, les Anges, s'amusa Nathan. Allez, fini de jouer. Éloignez-vous d'elle.
— Mais bien sûr, on va s'éloigner gentiment pour te laisser l'occasion de lui faire du mal, répliquai-je avec véhémence. Que lui voulez-vous ?
— Ne vois-tu pas qu'elle souffre ? Nous sommes prêts à lui montrer notre bonté d'âme en lui abrégeant ses souffrances.
Furieuse, je les toisai avant qu'Âlma ne laisse son aura l'envelopper, brûlante et menaçante. Je rejoignis mon amie, prête à en découdre. Les deux Démons nous toisèrent et furent bientôt armés, les traits assombris. L'odeur stagnante se mêlait au soufre, j'en avais la nausée.
— Je répète ma question : que lui voulez-vous ? demandai-je avec froideur.
Nathan, impatient, s'élança vers nous. Son arme manqua d'atteindre Âlma qui se protégea de son épée, et j'aperçus Ziv fondre dans ma direction. Je pivotai pour éviter son assaut et, bientôt, je frappai le bas de son dos pour le faire tituber, en espérant qu'il glisse à cause de la neige. En vain. Rapide, il se tourna vers moi et usa de l'un de ses pouvoirs. Le sol trembla un instant avant que des petites pierres ne s'élèvent autour de lui, tranchantes comme des lames.
Elles foncèrent vers moi à toute allure. Mon corps glissa comme par automatisme pour glisser entre les projectiles avant que je ne roule contre le sol couvert, les yeux écarquillés. Âlma, avec une grâce féline, fit tournoyer son épée et l'abattit sur l'épaule de Nathan qui poussa un gémissement de douleur avant qu'il ne la repousse sans mal, sa blessure, bien que superficielle, le lancinant, en vue de son regard luisant.
Les yeux de Ziv flamboyèrent avant qu'il ne lance :
— Vous commettez une belle erreur.
En protégeant une Humaine ? Quelle vaste blague...
Avec détermination, Ziv invoqua encore son pouvoir pour que le sol autour de lui ne s'élève encore afin de former à nouveau des pointes acérées. Dans un grondement, il les lança de part et d'autre. En remarquant que certaines d'entre elles se dirigeaient vers l'Humaine, je me précipitai devant elle pour m'interposer, et d'un geste maladroit, je fis jaillir de l'eau entre lui et moi pour faire un mur liquide.
Un projectile égaré parvint tout de même à m'atteindre au niveau du flanc. Malgré la douleur, je tins bon et maintins mon pouvoir qui sembla vaciller, mais je savais que ce n'était pas à cause du mal qui me rongeait. C'était à cause de la peur qui me glaçait.
Âlma profita de cet instant pour assaillir Ziv, mais Nathan hurla son prénom. Le Démon aux yeux verts se détourna, et son pouvoir s'éteignit. Comme le mien. Haletante, je regardai mon mur d'eau imploser en une multitude de gouttes, la vue troublée.
— Laisse tomber, Ziv ! On manque de temps.
Nathan riva ses yeux dans ceux de l'Humaine qui tremblait dans son inconscience, et il cracha :
— On n'en a pas fini avec elle !
— Oh, tu rêves, si tu penses pouvoir l'atteindre ! cracha Âlma en fonçant vers lui.
Mais il se dématérialisa sans plus de cérémonie. Ziv me toisa avec froideur et, avant qu'il ne disparaisse à son tour, il me lâcha :
— Je vous assure que vous allez regretter votre acte irréfléchi.
Et, comme son coéquipier, il se volatilisa sans un bruit. Aela se tourna vers moi avant de s'approcher, le bruit de ses pas s'enfonçant dans la neige faisant écho entre les murs étroits. Ses yeux se posèrent sur l'Humaine, avant de s'attarder sur moi. Une grimace finit par tordre mes traits avant que je ne plaque ma main contre mon flanc, et quand j'aperçus mes doigts imbibés de sang, un juron manqua de m'échapper.
Heureusement, la blessure était superficielle...
On s'agenouilla face à la femme qui voyait ses paupières tressauter avant qu'elle ne se redresse en plaquant encore ses mains contre son crâne en gémissant. Cette image me rappela Frédérick, lorsque nous avions essayé de l'interroger. C'était comme si elle souffrait du même mal que lui...
Frédérick avait fini par être tué par les Démons. Et elle, elle en était leur proie...
Âlma, avec douceur, attrapa le bras de l'Humaine et, avant qu'elle ne puisse s'agiter, elle l'enveloppa d'un halo violacé. L'Humaine serra les dents et ferma les paupières.
— Doucement, murmura mon amie. Dites-moi quel mal vous ronge...
Seul un long gémissement lui répondit. Âlma fronça les sourcils et se concentra davantage, lui apportant un peu plus de sa chaleur. De sa douceur. L'Humaine, haletante, se débattit un peu avant qu'elle ne murmure :
— Je... J'ai l'impression que tout mon corps va exploser...
Ses yeux fiévreux se rouvrirent et je fus déstabilisée en remarquant que la tache d'encre, dans son aura, semblait plus grande encore. Était-ce là la représentation du mal qui la rongeait ? Cette douleur qui la dévorait noircissait son âme avec une rapidité déconcertante...
— Depuis quand souffrez-vous tant ? demandai-je doucement.
— Je ne sais plus... C'est si flou, dans ma tête..., avoua-t-elle.
J'aperçus ses épaules se détendre quand Âlma intensifia son pouvoir. Inquiète quant à l'énergie qu'elle utilisait, je lui lançai un coup d'œil sans qu'elle ne me prête attention, un sourire tendre étirant ses lèvres.
— Soigne-toi, Elora, se contenta-t-elle de me dire.
La bouche obstinément close, je hochai la tête et m'éloignai de quelques pas pour poser mes paumes contre mon flanc. Bientôt, un halo enveloppa mes mains avant qu'une douce chaleur ne se propage dans mon corps entier, dans mes veines. J'aperçus la blessure se refermer, avant que mon attention ne se pose sur le début de mes cicatrices laissées par l'Ovirse. Je m'en détournai avec hâte, recouvris mon haut légèrement déchiré de ma veste, et rejoignis Âlma qui avait reculé, la nuque raidie par l'accablement.
L'Humaine ne semblait plus trop souffrir, du moins, la douleur persistait, de ce que je ressentais, mais moins vive.
— Thianna ?
On se retourna en même temps et, bien vite, Axel, accompagné de deux autres personnes, fonça vers la jeune femme qui l'observait d'un œil vide, le teint cadavérique.
— On te cherchait partout. Est-ce que ça va ? s'inquiéta-t-il.
La prénommée Thianna opina avant de sourire. Mais ce sourire... Il sonna si faux. Si amer. Elle se releva avec l'aide d'Axel et lui dit :
— Oui, je vais bien. J'ai eu un petit coup de chaud.
Et elle se dégagea de sa poigne pour nous observer.
— Je vais rentrer me reposer.
— Je vais vous accompagner, la prévint Âlma.
L'Humaine se contenta de hausser les épaules avant qu'Axel n'insiste pour savoir si elle allait bien, mais mon amie la rassura en lui confiant qu'elle s'en occupait. On s'éloigna tous de ce lieu sombre pour se retrouver sur la place, où l'ambiance chaleureuse régnait encore.
— On se retrouve plus tard ? me demanda Âlma.
J'opinai et lui murmurai :
— Veille bien sur elle.
Ses yeux pétillèrent avant qu'elle ne parte avec Thianna. Les deux autres personnes accompagnant Axel nous apprirent qu'ils avaient encore des décorations à finir, et l'Humain leur dit qu'il allait bientôt les rejoindre.
— Je m'inquiète pour Thianna, me confia-t-il alors qu'on marchait. Elle était avec moi à décorer les stands et je l'ai soudainement perdu de vue. Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
— Je ne sais pas trop, lui avouai-je. Nous l'avons croisé par hasard avec Âlma. Elle a fait une sorte de malaise. Est-ce que ça lui arrive souvent ?
Il haussa les épaules, perdu. Son aura se troubla davantage, peut-être à cause de l'inquiétude qu'il ressentait, et il répondit :
— Pas que je sache. Je ne la connais pas depuis très longtemps, pour être honnête.
Je me pinçai les lèvres, déçue de ne pas avoir plus de réponses que je l'aurais voulu. Axel sourit à un enfant qui lui montra une guirlande rosée avec fierté, et il courut joyeusement, sous le regard plus nostalgique de l'Humain. Face au trouble peignant ses traits, je lui proposai avec légèreté :
— On va faire un tour ?
Son visage s'illumina un instant avant qu'il ne hoche la tête. Cette petite promenade nous changerait les idées à tous les deux. Impossible pour moi d'oublier le mal rongeant Thianna.
On s'éloigna de la place pour nous enfoncer dans la forêt environnante, toujours accompagnés par le soleil qui resplendissait. Je contemplai la neige qui recouvrait le sol pour s'opposer au ciel bleu, le bruit de nos pas contre l'épaisse couverture blanche accompagnant nos paroles, mais aussi le chant des oiseaux. Axel me parla sur un ton plus détendu alors que des flocons commençaient à s'échouer sur nous, formant parfois des petites bourrasques.
La neige était si pure, si douce, et pourtant, elle cachait une froideur ô combien vicieuse. Son aspect était si trompeur. Comme certaines personnes, au fond. Elles pouvaient paraître bienveillantes à première vue et, pourtant, elles étaient froides, cruelles, et mauvaises.
Malgré moi, je comparai la neige à Eytan.
Sa beauté froide était trompeuse. La chaleur intense et la force brute émanant de lui prouvaient à n'importe qui que son être brûlait d'une dangerosité sans pareille.
Il était un corps brûlant qui recouvrait un cœur de glace.
— Et du coup, de ce qu'elle m'a raconté, elle voudrait quitter la ville quelques temps pour s'éloigner de sa famille, m'apprit Axel. Je pense que ça pourrait lui faire du bien.
Il m'avait raconté que, du peu qu'il en savait au sujet de Thianna, elle avait pas mal de problèmes familiaux. Il pensait qu'elle se mettait dans de telles états pour cette raison. Lui qui était Humain ne pouvait pas se douter que c'était plus profond. La tache d'encre sur son âme prouvait que c'était autre chose qu'une simple querelle familiale.
Il y avait un mal qui la rongeait, oui, mais quoi ? D'où provenait-il ?
— Et toi, que penses-tu de l'amour, d'ailleurs ? As-tu déjà été amoureuse, Elora ? m'interrogea Axel après un long débat au sujet des sentiments.
L'amour... Drôle de concept pour un sentiment ô combien complexe. Si j'avais fui ce sentiment comme la peste par principe céleste, les dires prétendaient que l'amour était semblable à une fresque où on y dessinait nos bassesses, nos allégresses et nos désirs funestes, pour au final voir notre cœur finir en pièces. Je n'avais jamais été amoureuse, et même si je voulais l'être, il m'était impossible de pouvoir goûter à ce sentiment.
L'amour chez les Anges Guerriers était un péché. Goûter à cette pomme ensorcelante si charnelle était un risque. Hors de question de subir une sentence pour une erreur aussi stupide. La luxure faisait partie des sept péchés capitaux pour une raison, et le sentiment amoureux, de près ou de loin, en était étroitement lié. Les célestes n'avaient pas le droit d'aimer amoureusement, plutôt ironique pour des êtres symbolisant l'amour. Si nous devions apporter de la chaleur, selon les légendes, il nous était pourtant impossible de voir notre cœur s'embraser.
Pas en tant que Guerriers.
Même si je trouvais cette règle assez cruelle, je ne m'en plaignais pas, car l'amour, sous toutes ses formes, apportait bien souvent du malheur. Le cœur assurait la survie, la vie, mais aussi la mort frappant sans préavis. J'avais aimé à ma façon, et si certains prétendaient que le fait de ressentir une émotion aussi forte nous rendait vivants, j'avais pourtant eu l'impression de mourir tant de fois.
Alors le fait de tomber amoureuse était inconcevable, à mes yeux. C'était un luxe que je ne pouvais pas me permettre.
Et même si j'avais souffert d'avoir trop aimé, cela me suffisait. Éprouver de l'amour pour mes amis et mes proches me convenait. Ainsi, aucun risque que je sois sanctionnée. Heureusement que les Guerriers avaient le droit d'éprouver de l'amour pour leur entourage, leur famille.
Sinon, à quoi serait réduite la vie d'un Guerrier s'il lui était impossible d'aimer ses proches ? Comment pourrait-il se battre par amour, s'il ne pouvait aimer ?
— Non, jamais, finis-je par répondre à Axel en souriant tristement. Mais je dois avouer que ça me convient parfaitement !
Face à son regard insistant, brillant de curiosité, je m'empressai de l'interroger :
— Et toi ? Qu'en penses-tu ? Es-tu déjà tombé amoureux ?
Axel se détourna en se pinçant les lèvres, et lorsque j'aperçus ses yeux s'assombrir, voilé par des émotions impossibles à discerner, je me sentis peinée.
— Oui, je suis déjà tombé amoureux, me confia-t-il dans un murmure.
Murmure bientôt emporté par le souffle du vent. Je gardai le silence, la gorge asséchée. Mais pour quelle raison me mettais-je dans un tel état ? Mon cœur, ce traître, n'était-il pas las de souffrir en chœur avec les autres ?
— Et j'aurais été prêt à tout pour cette personne, ajouta-t-il d'une voix sourde.
Même s'il m'était impossible de lire son aura, je pus clairement ressentir l'émotion vive brûlante dans sa poitrine. Oh oui, je n'en doutais pas. Il avait bien été amoureux. D'un amour inconditionnel.
Et si l'amour m'effrayait, j'en étais d'autant plus terrorisée maintenant que je voyais cet homme en souffrir tant. Parce qu'il était évident qu'il avait mal. Mal à un point inimaginable. Qu'avait-il vécu pour être ainsi ?
— Mais bon, la vie fait que, parfois, même si on aime éperdument, il nous est impossible d'être heureux avec une personne qui nous aime en retour, acheva-t-il en affichant un sourire lointain.
Oui, ce sourire nostalgique semblait le renvoyer à des années, voire des siècles en arrière, là où le temps semblait être à l'arrêt pour lui laisser la possibilité d'aimer à jamais.
Mais l'éternité n'existait pas. Axel en était la preuve. Il n'était qu'un Homme de la vingtaine qui avait goûté à l'amour en prenant le risque de voir son venin se déverser dans ses veines.
— C'est vrai, affirmai-je avec douceur. Mais ça ne signifie pas qu'il est impossible d'aimer à nouveau. Je ne sais pas ce que tu as vécu, Axel, mais ça ne signifie pas que tu ne verras pas une seconde chance s'ouvrir. Peut-être qu'un jour tu tomberas à nouveau amoureux, et cette fois, la vie te permettra d'être heureux.
Son regard brun se posa sur moi avant qu'il ne fronce les sourcils. Je m'attardai sur les flocons s'égarant dans ses cheveux blonds avant de balayer la peine qui me rongeait depuis un miment, et j'étirai mes lèvres pour l'apaiser.
— Laisse seulement le temps au temps. Si la vie t'a brisé le cœur une première fois en t'empêchant d'être avec la personne que tu aimais, c'est peut-être parce qu'elle te réserve quelque chose de mieux.
Et c'était ça qu'on appelait le destin. Les Anges s'accrochaient bien souvent à cette croyance. Dieu n'était-il pas derrière la destinée ? N'écrivait-il pas chacune de nos histoires ? Ne nous menait-il pas à sa manière sans que l'on ne puisse rien changer ? Je n'en savais rien. Si ce principe me rassurait parfois, il m'effrayait souvent. N'était-ce pas triste de nous dire que nous n'étions pas les auteurs de nos vies ?
— Le temps, hein ? répéta-t-il dans un souffle douloureux. Mais si le temps est éternel, nous, nous ne le sommes pas.
Mon cœur s'enserra encore plus lorsqu'il prononça ces paroles criantes de douleur. Il se détournant en affichant pourtant un air resplendissant, le regard lointain. Son téléphona vibra ensuite. Il lança un coup d'œil au nom de son interlocuteur, et ses traits s'assombrirent.
— Je dois y aller. Excuse-moi d'écourter notre promenade. Merci pour ce moment, Elora, et rentre bien !
Je lui fis un sourire pour le saluer, et il tourna les talons pour s'éloigner en silence. Je le regardai partir, rongée par ce sentiment pesant. Qu'avait-il pu vivre pour tenir ce discours ? Pourquoi les Humains souffraient-ils tant au sujet de l'amour ? Ils ne méritaient pas de voir leur cœur se fendre ainsi, ni de pleurer tant lorsque l'on savait que leur vie était si courte. C'était cruel de leur faire subir tant de souffrances. De les faire tomber pour qu'ils prennent tant de temps à récupérer.
Je tournai à mon tour les talons pour me diriger à nouveau sur les lieux de festivités, pressée qu'Âlma me rejoigne. J'avais tant de questions à lui poser. Peut-être avait-elle réussi à avoir davantage de réponses en étant seule avec Thianna ?
En tout cas, il fallait que l'on veille sur elle, car les Démons ne risquaient pas de la laisser tranquilles. Il était hors de question qu'ils parviennent à tuer encore une âme innocente.
Hello ! Voici un chapitre qui a été rajouté, il n'était pas dans l'ancienne version ! J'espère qu'il vous plaira !
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