Chapitre 8
- Mais enfin, où suis-je arrivé ? C'est impensable ! On sert de l'alcool à des détenus !
- C'est juste un verre de bière de 12 centilitres, Monsieur, de la bière qui titre 4 degrés.
- Il s'agit d'alcool. Et si je regarde les menus préparés par l'ordinaire, un verre est servi chaque midi pour qui le demande.
- Un verre de 12 centilitres de bière légère, uniquement le midi, accompagnant le repas en cellule. Parler d'alcool est un bien grand mot, Monsieur.
- Oh je connais d'avance votre argument : on l'a toujours fait. Je suis habitué à ces réponses désormais...
Vince était en train d'extraire son énorme carcasse du fauteuil club.
David le regarda, étonné : il n'avait pas signifié la fin de l'entretien et le gardien-chef prenait la liberté de se lever pour partir.
- Et concernant Lucas, Monsieur, maintenez-vous votre décision ?
- Vous la désapprouvez ? Comment pouvez-vous la désapprouver, Vince ? Il m'a menacé à deux reprises, ainsi que M. Finch.
- Oui, Monsieur. Néanmoins ce transfert au mitard pour 8 jours est lourd à mettre en place. De plus, le motif d'avoir fumé est nouveau et l'interdiction mal acceptée. Or cette punition sera connue de tous puisque matériellement on passera devant toutes les autres cellules....
- Mais tant mieux ! Cela constituera un exemple ! On croirait que vous avez peur des détenus, Vince. Ils sont enfermés et n'ont pas voix au chapitre : ici c'est moi qui commande.
- Très bien, je vais faire prendre les dispositions pour son transfert au mitard dès demain matin.
- J'y compte bien, et faites savoir qu'on ne servira plus d'alcool ici.
Vince quitta le bureau en jetant un coup d'oeil en coin au petit bar du directeur, qu'avait laissé Finch, et sur lequel trônait la bouteille à demi-pleine de ce cognac ayant servi de remontant à David lorsqu'il s'était senti mal à l'issue de la visite de la salle d'exécution.
Il se dit que ce nouveau directeur ne manquait décidément pas d'air.
La nouvelle de la suppression du verre de bière au repas de midi, après l'interdiction de fumer, rendit les détenus enragés.
Quant à annoncer à Lucas qu'il allait passer 8 jours au mitard dès le lendemain sur la simple décision du nouveau directeur...
Normalement, lorsqu'on envisageait de punir un détenu, on réunissait une sorte de petite commission composée du directeur, du gardien-chef, du gardien à qui le détenu avait manqué de respect ou qui avait assisté aux faits motivant la punition, du médecin et quelquefois d'autres membres.
Commission informelle et sans véritable valeur juridique, certes, mais qui avait au moins le mérite de décider collégialement du bien-fondé et du quantum de la punition, en l'occurrence du nombre de jours de mitard infligés.
Cela évitait de donner l'impression qu'un seul homme décidait. Exactement le contraire de ce qu'entendait faire David Chessman, en somme.
Vince se rendit personnellement à la cellule de Lucas juste avant le repas du soir :
- Tu as gagné, Lucas, à narguer le dirlos avec tes cigarettes : il a décidé de t'infliger 8 jours de mitard à compter de demain matin.
- Quoi ? Et la commission ? Il a réuni la commission ?
- La commission n'a pas de vraie valeur, tu le sais aussi bien que moi. M. Chessman a décidé de s'en passer.
- Interdiction de fumer, plus de bière, du mitard à ceux qui ne sont pas d'accord, pas de commission disciplinaire, je crois qu'on a touché le gros lot. Si on m'avait dit qu'un jour je regretterais ce salaud de Finch !
- Ne t'énerve pas, Bill. On va te transférer au bloc « B » demain matin. J'espère que tu ne vas pas nous causer de problèmes ? On en a déjà assez comme ça.
- Allons, gardien-chef, vous savez bien que je ne suis pas le genre de type à causer des problèmes. Je suis doux comme un agneau.
Vince regarda ses yeux. Ce qu'il y vit ne lui dit rien de bon et il décida qu'on se mettrait à quatre gardiens pour opérer le transfert au bloc « B ». Cela valait mieux, avec ce type.
- Ecoute, ça ne servirait à rien de causer du ramdam, sinon à te ramasser des coups de matraque. Fais tes 8 jours de mitard tranquille et point final : de toute façon tu n'as pas le choix et puis, entre nous, le mitard n'est guère pire qu'ici.
- On voit bien que vous n'y avez jamais passé ne serait-ce qu'une heure, gardien-chef, siffla Lucas en martelant le mot « gardien-chef » à la manière de David. Ca pue et ça caille, dans ce trou à rats. Chessman est une petite merde et vous pouvez me croire, Vince, je vous le promets : si j'en ai l'occasion, je lui arracherai les yeux, la langue et les oreilles. Je lui ouvrirai aussi le ventre et j'en retirerai son foie avec mes mains pour le dévorer. Et je ferai pareil à Finch.
Vince essaya de réprimer un frisson qui, partant de sa nuque, lui parcourut le dos : il savait que ce n'étaient pas des paroles en l'air dans la bouche de Bill Lucas et il suffisait de le regarder pour se rendre compte qu'il vivait la scène.
Quand il se mettait dans cet état, même à travers l'épaisse cloison de plexiglas, il y avait de quoi épouvanter n'importe qui, surtout lorsqu'on savait pourquoi il était là.
Vince tourna les talons. Cela promettait pour le lendemain...
La soirée se déroula cependant sans ennuis, Lucas prenant son repas normalement.
Il paraissait s'être calmé aussi vite qu'il s'était mis en colère : une chose habituelle chez ce véritable caméléon psychopathe.
******
Ils étaient quatre, dont Vince, à se présenter devant la cellule de Lucas le lendemain matin à 9 heures.
La cloison transparente de la cellule comportait une sorte de sas, comme un tiroir à travers lequel on passait les plateaux repas et d'autres choses, qui s'ouvrait et se fermait uniquement par l'extérieur.
- Bonjour, Bill, dit Vince. Tu sais pourquoi nous venons, je te l'ai expliqué hier soir. Ne crée pas de problèmes, mets tes mains jointes dans ton dos et passe les à travers le sas, on va te menotter.
- Bonjour, gardien-chef, je vois que vous êtes venu avec des renforts. Ferais-je si peur que cela ?
- Mets tes mains comme j'ai dit, Bill. Si tu ne nous compliques pas la tâche, je me débrouillerai pour que tu aies ton crayon et tes papiers dans le mitard, ok ?
Lucas sembla hésiter un court instant puis se tourna, joignit ses mains dans son dos et les présenta devant le sas que Vince ouvrit aussitôt.
Lucas passa docilement ses mains dans l'ouverture.
- Ouvre bien grand les mains et écarte tes doigts, Bill, que je vérifie que tu ne caches rien.
Lucas s'exécuta et l'un des gardiens lui ajusta des menottes reliées par une solide chaînette d'une vingtaine de centimètres en travers de laquelle on passa une matraque, de sorte que le prisonnier ne puisse plus s'éloigner du sas.
- Ouvrez la cellule, Mick, dit Vince.
Mick ouvrit la porte et pénétra dans la cellule avec un des deux autres gardiens.
Lucas n'avait aucune réaction hostile.
Ils s'approchèrent et lui entravèrent rapidement les jambes à l'aide du même genre de menottes, adaptées aux chevilles, et reliées elles aussi par une chaînette.
Puis ils saisirent Lucas par les coudes et l'entraînèrent à l'extérieur.
Un gardien devant, Vince derrière, et les deux autres le tenant fermement par les avant-bras, dûment menotté et chevillé ainsi, Lucas commença sa marche à travers le couloir de la mort, à petits pas limités par l'entrave.
Direction le mitard.
Arrivés au coude du couloir séparant les cellules vitrées des autres, le tintamarre se déclencha soudain : de toutes les cellules les détenus se mirent à hurler et à taper sur tout ce qui pouvait faire du bruit.
L'étrange cortège passa ainsi, lentement, devant chacune des cellules où l'on s'en donnait à cœur joie dans la protestation.
Les gardiens en faction de part et d'autre du couloir tentèrent mollement de calmer le tohu-bohu, ce qui n'eut pour autre effet que de le faire redoubler.
Bill Lucas, un grand sourire de satisfaction aux lèvres, échappa aux mains des gardiens qui lui tenaient les avant-bras pour lever les mains au ciel, les joignant en signe de victoire à la manière d'un sportif qui vient de remporter une épreuve.
Les gardiens lui agrippèrent les manches afin de lui faire rabaisser les bras.
Sans cesser de sourire, Lucas rabaissa ses bras vers l'avant.
Mais soudain, avec une vitesse inouïe, il enserra de sa chaînette le cou du gardien qui ouvrait la marche et, par derrière, lui enfonça l'intégralité de ses pouces dans les deux yeux.
Puis, pivotant à gauche, il ramena brusquement ses mains entravées et, saisissant par la tête le gardien qui se trouvait de ce côté, il s'approcha et referma ses dents, lui arrachant l'oreille qu'il recracha aussitôt dans un flot de sang.
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