Chapitre 4


 

Artemus Mac Callum, entre les échanges avec Lucas et Shelton, les avait entendus arriver depuis longtemps.

Il les attendait, calmement assis sur une chaise qu'il avait disposée devant la porte transparente percée de trous, et se leva lorsqu'ils apparurent.

Les cheveux coupés très courts, rasé de près, des yeux d'un vert étonnamment pâle, le visage émacié et un corps svelte, on lui donnait la cinquantaine, sans assurance.

- Bonjour M. Finch, bonjour M. Chessman, bonjour M. Vince, dit-il posément. Vous souffrirez que je ne vous serre pas la main mais l'administration que vous représentez a décidé que ce n'était pas possible. Je ne puis en être tenu pour responsable, pour une fois que l'on ne m'impute pas quelque chose...

- Bonjour, M. Mac Callum, dit Finch. Je ne vous présente pas M. Chessman puisque vous m'avez devancé.

- Ah ah ah, bienvenue au nouveau directeur. Ce n'est jamais évident de débuter cette fonction dans un tel centre et j'admire votre courage, M. Chessman.

- Merci, mais quelle raison peut vous faire dire que je débute dans la fonction de directeur ?

- Hum, il n'est pas bien difficile de le deviner : vous êtes très jeune, vous me semblez être dans vos petits souliers et vous ne sentez pas encore les choses, sinon vous n'auriez pas laissé commencer une telle conversation avec Lucas, mon psychopathe de voisin de gauche.

- Je vois... C'est une analyse plutôt pertinente, admit David.

Il était content de voir que Mac Callum était quelqu'un avec qui, semblait-il, on pouvait avoir une conversation. Cela pouvait peut-être augurer de bonnes choses pour son mémoire...

- Je pense que M. Finch vous dira qu'en général, mes analyses se tiennent, dit Mac Callum en riant.

- Je confirme votre sagacité et votre grande intelligence, M. Mac Callum, dit Finch. Vous étiez d'ailleurs un brillant chirurgien avant.

- Avant quoi, M. Finch ? demanda Mac Callum sur un ton doucereux.

John Finch eut un sourire ambigu. A force, il connaissait Mac Callum et savait ce que celui-ci voulait lui faire dire.

- Avant qu'on vous attrape et qu'on vous accuse d'avoir commis tous ces meurtres. Voyons... 98, c'est bien cela ?

- Oui, 98, c'est ce qu'on a présenté au jury. Mais celui-ci, composé d'honnêtes citoyens, a considéré que ce chiffre n'était pas suffisamment étayé et ne m'a finalement imputé que 62 victimes ce qui, vous en conviendrez, est déjà beaucoup, je veux dire bien assez pour m'envoyer faire un tour sur Old Sparky (*). En tout cas, contrairement à Lucas, je n'ai mangé personne.

- Quelle différence cela fait-il ? Vous les avez tués et découpés...

- Excusez moi de vous dire ceci M. Finch, mais vous n'êtes pas qualifié pour juger de la différence que cela fait. Votre rôle dans cette société consiste juste à veiller à ce que je reste ici jusqu'à ce qu'on m'électrocute. Cela vous confère une sorte de plein pouvoir, en réalité bien relatif mais ayant des répercussions directes sur mes conditions de détention. Aussi me félicité-je de votre départ, certain que votre remplaçant me fera oublier votre navrante outrecuidance doublée de l'imbécile certitude dans laquelle vous a conforté cette trop longue affectation. En d'autres termes, je ne vous regretterai pas.

- Toujours vos belles tirades, Mac Callum, n'est-ce-pas ? Eh bien confidence pour confidence, vous ne me manquerez pas non plus, dit Finch d'un air venimeux. Mais la différence entre nous, c'est que si Dieu me prête vie, d'ici quelques courtes années, une affectation ou deux tout au plus, j'irai couler des jours heureux avec la satisfaction du devoir accompli alors que selon toute vraisemblance, vous ne sortirez de ce trou à rats que pour aller vous assoir quelques instants dans la salle « E », aile nord...

Debout à 20 centimètres derrière sa prison transparente, Mac Callum le fixait de ses yeux si pâles d'où ne filtrait strictement aucune expression.

Les paroles de Finch, pourtant particulièrement cyniques, ne semblaient pas avoir la moindre prise sur lui.

Il détourna enfin son regard de Finch qui cherchait à partir et dit avec un sourire :

- A bientôt M. Chessman.

David ne répondit pas : Finch filait déjà d'un pas rapide, suivi sur ses talons par le gardien-chef.

Ils refirent sans prononcer un mot une partie du chemin à l'envers puis, juste après avoir quitté l'enceinte de détention, empruntèrent un couloir qui menait à une pièce fermée par une porte métallique sur laquelle était apposée une pancarte avec la lettre « E ».

Vince fouilla une nouvelle fois parmi son énorme trousseau de clés et ouvrit.

- Voici la salle de préparation et la salle d'exécution, dit Finch en entrant. Les seules personnes détenant la clé de cette porte sont le gardien-chef, son adjoint et vous-même.

- Très bien, dit David.

L'entrée par laquelle ils venaient de pénétrer formait une petite pièce carrée meublée d'une armoire métallique, d'une table et de trois chaises. On voyait au mur comme une armoire de toilette sans miroir, au-dessus d'un lavabo. Divers flacons en plastique et d'autres ustensiles traînaient sur la table.

Cette sorte d'antichambre comportait une porte donnant, par l'arrière, sur une pièce rectangulaire de 7 ou 8 mètres de long et environ 3 mètres de large au milieu de laquelle trônait la chaise électrique.

Elle était en bois et comprenait trois pieds visiblement ancrés dans le sol d'une petite estrade : deux à l'avant et un seul, large et plat, à l'arrière. Des fils pendaient depuis une installation sur le mur du fond et traînaient au sol, auxquels étaient reliés une sorte de casque et une électrode. Sur les accoudoirs, à mi hauteur du dossier et le long des pieds de l'avant se trouvaient des sangles de cuir.

David vit, accrochés sur le mur se trouvant immédiatement à leur gauche et donc derrière la chaise, la manette servant à délivrer le courant mortel et, un peu plus loin, un téléphone en bakélite.

En face d'eux, la pièce était vitrée et l'on discernait derrière le verre, malgré la pénombre dans laquelle elles se trouvaient actuellement plongées, deux pièces distinctes desquelles, assis sur des sièges, on avait vue sur la chaise.

- Voici « Old Sparky », comme la surnomment les détenus. Le condamné est assis, maintenu par ces sangles. On lui applique sur la tête ce casque contenant une électrode, et une autre électrode sur la jambe gauche, humidifiés par des éponges imbibées d'électrolyte qui restent en place pendant l'opération. Une première décharge de 2000 volts est envoyée par l'intermédiaire de cette manette pendant 10 secondes puis, après quelques secondes d'attente, une deuxième décharge de 500 volts est délivrée, pendant 20 secondes cette fois. Ensuite, le médecin vérifie que le condamné est bien mort. A travers ces vitres que vous voyez là, répartis en deux pièces séparées, les proches du condamné d'un côté et la famille de la victime de l'autre peuvent assister à l'exécution. Avez-vous des questions M. Chessman ?

- Eh bien je... hum, c'est assez impressionnant. Qui officie ? Je veux dire... qui abaisse la manette ?

- On nous envoie un « agent » pour chaque exécution.

- Vous voulez dire un bourreau ?

- C'est ainsi que l'appellent les français. Le terme exact chez nous est « Electricien d'Etat » (**).

- Et, y-a-t-il des assistants ?

- L'agent est accompagné d'un suppléant qui l'assiste mais peut le remplacer en cas de problème. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de cas de suppléance depuis que je suis là. Les autres assistants, au sens où vous semblez l'entendre, sont des gens de chez nous, comme Vince ou d'autres gardiens. Bien entendu vous devez être personnellement présent, en votre qualité de garant de l'exécution.

- Je vois, dit David.

Il était pâle comme un spectre.

Jusqu'à présent, même devant tous ces détenus coupables des pires méfaits, même face aux menaces de Lucas, il n'avait pas vraiment réalisé où il se trouvait.

Mais là, la vue de cette terrible chaise... Ce fut comme si on tirait soudain un rideau qui aurait caché une scène, la dévoilant brutalement à ses yeux. Une scène lugubre, macabre, effroyablement implacable.

Il comprit qu'en venant ici, il avait pénétré dans une cage, une immense cage enfermant des êtres humains et dont l'unique porte de sortie, inéluctable, était cette chaise létale.

L'espace d'un instant il imagina un homme terrorisé assis et sanglé sur l'engin, avec l'espèce de casque grotesque sur la tête. L'exécuteur abaissait la manette, délivrant la décharge crépitante pendant que le supplicié agrippait les accoudoirs, tressautant, le visage affreusement déformé par la douleur.

Il crut sentir une insupportable odeur, mélange de chair grillée, de fumée âcre et d'excréments pendant que derrière les vitres les spectateurs d'un côté applaudissaient l'insoutenable et que ceux de l'autre côté baissaient les yeux.

- Chessman, ça va ?

Il sursauta.

- Chessman, vous allez bien ?

Quelqu'un avait posé la main sur son avant-bras tremblant. C'était Finch.

- Je... oui, ça va, pardonnez-moi, je suis un peu las, ce doit être ce long voyage et...

- Je comprends, dit Finch en désignant d'un regard appuyé la sortie à Vince. Venez, retournons dans le bureau, un petit cognac va nous remonter. Vous aurez tout le loisir de visiter plus tard le côté intendance, dont les cuisines, et l'infirmerie.

 

(*) Surnom que donnaient les détenus à la chaise électrique, littéralement « la vieille qui fait des étincelles »

(**) Terme authentique à l'époque

 

 

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