Chapitre 30 Partie 2/2 : Surprise de taille
Chapitre 30 Partie 2/2 : Surprise de taille
La 4×4 de monsieur Mensah se gara devant la bâtisse de l'agence. Keyra détacha sa ceinture et s'apprêtait à quitter le véhicule quand un détail surgit dans son esprit.
— Oh purée ! s'écria la demoiselle.
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'informa son patron.
— Avec ce que j'ai fais lors du gala, ils doivent tous penser maintenant qu'on sort ensemble. Ils vont recommencer à jaser, c'est sûr !
— Ce n'est pas une mauvaise chose en soit, intervint Hermann.
Keyra arqua un sourcil et le fixa, intriguée.
— Maintenant qu'ils pensent qu'on forme un couple, penses-tu qu'ils auront encore le courage de parler dans ton dos sachant qui je suis ?
— Tu ne comptes pas clarifier la situation ? s'étonna mademoiselle Tancey.
— Vu l'ampleur que les choses ont pris, il vaut mieux laisser les choses telles quelles. Allez, viens !
Décontenancée, Keyra sortit de la voiture, et tous deux pénétrèrent dans l'enceinte du bâtiment. Durant le court trajet qui les menait à l'intérieur, Keyra pesa le pour et contre pour savoir si elle devait oui ou non prendre les ascenseurs. Prendre les escaliers, en laissant monsieur Mensah monter tout seul dans l'ascenseur ne feraient qu'alimenter leurs soupçons. Finalement, elle décida de passer outre sa peur. Dans un soupir, elle précéda monsieur Mensah et grimpa dans l'appareil.
Elle serra fermement le pant de son haut. Il n'y aurait pas de seconde fois n'est-ce pas ? Pas de bruit strident, ni de lumière qui vacille. L'ascenseur arriverait bel et bien à destination. Ce qui s'était produit la dernière fois n'était qu'un accident. Elle en restait consciente. De plus, l'appareil avait bel et bien été réparé depuis lors. Sans compter que son ami était à ses côtés, au cas où quelque chose devait vraiment se produire.
Comme s'il avait senti son trouble intérieur, Hermann glissa lentement sa main dans la sienne dès l'instant où les portes se refermaient. Il se tourna légèrement vers elle. Bien que ses lèvres restèrent immobiles, Keyra su ce qu'il voulait dire. Je suis là, tout ira bien! Un sourire se dessina alors sur le visage de la jeune fille, en guise de réponse. Sourire qui s'effaça aussitôt lorsque les portes s'ouvrirent à un étage, afin de laisser entrer une personne de plus.
— Bonjour monsieur Mensah, Salut Keyra, lança-t-elle timidement.
Ses yeux s'attardant légèrement sur leurs mains liées, un sourire prit forme sur son visage, comme si elle venait de tomber sur les derniers potins d'une émission de téléréalité. Monsieur Mensah répondit par un signe de la tête, tandis que Keyra gênée, essayait de retirer sa main de celle de son ami. Peine perdue. Il resserra sa poigne, un air implacable sur le visage. Ce petit échange n'échappa pas à l'œil espiègle de la nouvelle arrivante. Se rendant compte qu'elle avait sûrement vu plus qu'elle ne le devrait, elle s'interessa à l'appareil, indiquant le numéro de l'étage où elle allait. Elle leur donna dos avant de sortir son téléphone, faisant mine de s'y intéresser. Ses tentatives indiscrètes de jeter quelques coups d'œil à l'arrière histoire de vérifier si leurs mains étaient toujours liées n'échappa pas à monsieur Mensah, qui s'en fichait royalement. Un gloussement s'échappa des lèvres de l'employée.
— Hum, une notification marrante.... sur mon téléphone, se justifia-t-elle.
Keyra lui répondit par un sourire penaud, ce qui eut pour effet d'accentuer la tension générale dans la cabine. L'intruse se hâta de sortir dès que l'ascenseur arriva à son étage. L'employée s'éclipsa aussi vite qu'elle était arrivée.
C'est fini ! Il n'y a rien de plus que je pourrais dire qui leur fera changer d'avis, se plaignit intérieurement Keyra. Dans peu de temps, l'agence toute entière serait tenue informée de cet incident, pourtant anodin. Keyra exhala un soupir, se demandant comment c'était possible d'enchaîner autant les malentendus.
— Comment tu fais pour être si serein ? Franchement, tu dois me donner ton secret, avança Keyra alors que l'ascenseur continuait son ascension.
— Le secret, c'est que je n'en ai absolument rien à foutre de ce qu'ils peuvent penser.
— C'est donc ça, le pouvoir de s'en foutre ! souffla-t-elle.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. La demoiselle et son patron en sortirent et traversèrent l'open space afin de se rendre au bureau de ce dernier. Keyra sentit le regard appuyé des quelques personnes présentes. C'était le matin, et déjà ils semblaient aux aguets, à la recherche de la moindre information pouvant confirmer leurs idées. La journée serait longue, elle le sentait.
Sentant la faim la tenailler, Keyra qui guettait impatiemment l'heure de la pause en fut grandement heureuse quand elle se pointa. Elle commença aussitôt à rassembler ses affaires. Hermann vérifia l'horaire sur le poignet à sa montre. Il leva enfin les yeux de son ordinateur et fixa son assistante.
— Tu descends avec moi ? demanda Keyra quand elle se rendit compte qu'il la regardait.
— Non, mais ramène moi un plat s'il te plaît. N'importe lequel.
Elle forma un ok avec ses doigts et le laissa seul dans le bureau. Elle descendit les escaliers afin de se rendre à la cantine de l'agence. Keyra passa d'abord à la caisse et passa la commande.
— Un plat de biékosseu, et un plat de Tchep, à emporter ! précisa-t-elle à la dame derrière la vitre.
Elle tendit l'argent par la suite. Quelques instants plus tard, Keyra reçut son ticket. Elle se mit dans la file devant le comptoir, attendant son tour. Pendant qu'elle patientait, la demoiselle sentit le regard de certains collègues, ainsi que de discrets chuchotements qui s'arrêtaient dès qu'elle tournait la tête pour vérifier.
— C'est à peine croyable, murmura quelqu'un derrière elle. Ils sont ensemble, c'est sûr !
Keyra roula des yeux et poussa un soupir, exaspérée. Elle se doutait bien que la scène de l'ascenseur ne passerait pas inaperçue. Hermann avait raison. Vu l'ampleur de la situation, elle ne pouvait plus vraiment changer grand-chose.
— Tu parles sérieusement ? Elle et Monsieur Mensah ?
— Mais puisque je te le dis ! C'est Christelle qui m'en a parlé, elle était avec eux dans l'ascenseur. Ils se tenaient la main avant qu'elle ne rentre !
— Oh mon Dieu ! J'aurais voulu voir ça !
Keyra secoua la tête, et avança de quelques pas, voyant la file avancer. La conversation derrière elle se poursuivait toujours.
— Ça n'a rien d'étonnant. Monsieur Mensah avait l'habitude de venir seul, mais regarde il l'a emmené cette fois-ci. J'ai tout de suite senti qu'il y avait anguille sous roche, reprit la première voix.
— En plus ils sont toujours fourrés ensemble tous les deux, renchérit la deuxième. Paraît qu'ils séjournent en ce moment sous le même toit. Tu penses qu'ils ont déjà... ?
— Chuuuut ! Moins fort, elle pourrait t'entendre !
Sans prêter attention à leurs âneries, Keyra s'avança lorsque son tour arriva.
Quand elle récupéra les plats, elle se retourna brusquement vers les deux commères.
— Si vous voulez des infos, venez me demander directement au lieu de faire des suppositions absurdes, lança-t-elle avec fermeté.
Les deux femmes se figèrent, mais l'une d'elles tenta une réplique.
— On ne fait que dire la vérité...
— Hermann et moi sommes ensemble. Et alors ? Qu'est-ce que ça change dans vos vies ? répliqua la jeune fille. Quant à toi, continua-t-elle en s'adressant à la deuxième. Qu'on soit déjà passé à l'acte ou non, je ne pense pas que cela te concerne. Vous ferez mieux d'apprendre à vous préoccuper de vos affaires au lieu de fouiner dans la vie des autres !
Elle tourna les talons, laissant les deux collègues sans voix. Mais son cœur rata un battement lorsqu'elle aperçut Hermann, adossé contre le mur, un sourire en coin.
— Depuis combien de temps tu es là ? demanda-t-elle, un peu paniquée.
— Suffisamment longtemps pour entendre ton magnifique discours, répondit-il, amusé.
— Ne commence pas...
— Qu'on soit déjà passé à l'acte ou non..., imita-t-il malicieusement. Tu réalises que tu viens d'insinuer qu'il y a un nous ?
Keyra roula des yeux et le dépassa pour prendre les escaliers. Il la suivit en riant doucement, continuant de la taquiner tout le long du chemin. Une fois le bureau atteint, ils déjeunèrent tranquillement.
— Ne m'attends pas ce soir, l'informa Hermann dès qu'ils eurent fini de manger. J'ai quelque chose à faire avant de rentrer.
— Entendu !
***
— Je suis rentrée ! annonça Keyra en posant ses clés sur la table.
Louche en main, Michelle sortit la tête de la cuisine et lui jeta un coup d'œil. Elle lui répondit par un rapide salut, puis retourna à ses occupations. Keyra retira rapidement ses chaussures et la rejoignis.
— Qu'est-ce que tu prépares ? Ça sent hyper bon ! s'enquit-elle, le nez frémissant d'envie.
— Du ragoût de pomme de terre, répondit son amie en souriant.
Keyra ferma les yeux un instant, appréciant le délicieux parfum qui se dégageait de la marmite en ébullition. Son ventre réagit immédiatement avec un gargouillement sonore. Amusée, Michelle éclata de rire.
— Dis à ton ventre de se calmer, ce n'est pas pour maintenant.
Keyra fit une moue désabusée et se dirigea vers le frigidaire. Elle fouilla à la recherche d'un petit encas pour apaiser sa faim. Ses yeux s'attardèrent sur une boîte de chocolat. Elle s'en saisit et, à l'aide d'une cuillère, se mit à savourer la douceur du goûter
— Il est où Junior ? demanda-t-elle.
— Dans sa chambre, il faisait une sieste. Mais je ne sais pas s'il est réveillé ou non.
— Je vais le voir, répondit Keyra, emportant avec elle le pot de chocolat.
Au moment où elle tournait les talons, Michelle qui s'était rendue compte de l'absence de son ami lui cria
— Hé, mais où est monsieur Mensah ?
— Toujours au bureau, il a encore quelques trucs à gérer !
Keyra entama les escaliers et se dirigea vers la chambre de Junior. Elle frappa à la porte. Un cliquetis se fit entendre. Junior ouvrit doucement la porte, ses yeux encore lourds de sommeil. Keyra lui offrit un sourire chaleureux.
— Je peux entrer ?
Il se décala sur le côté, son regard exprimant un accueil silencieux. Keyra entra et s'assit sur le bord de son lit. Elle remarqua aussitôt son air morose, comme un nuage brumeux qui ne voulait pas se dissiper.
— Qu'est-ce qu'il y a? demanda-t-elle, son ton rassurant.
Junior baissa les yeux, jouant nerveusement avec ses doigts. Une larme solitaire roula sur sa joue avant qu'il ne l'essuie maladroitement.
— Ma maman me manque, murmura l'enfant de sa voix tremblante.
À ces mots, un poids s'installa dans la poitrine de Keyra. Elle se rappela soudainement que, depuis le jour où ils avaient trouvé Junior, ils n'avaient toujours pas eu de nouvelles de sa mère. Et avec tout ce qui s'était passé, elle en avait oublié cet aspect fondamental. Une réalité qu'elle ne pouvait plus ignorer. Elle posa son pot de chocolat sur la table de chevet et ouvrit les bras en un geste doux.
Junior se laissa prendre dans l'étreinte, et un instant, quelques larmes s'échappèrent de ses yeux. Keyra, sans hésiter, le berça tendrement.
— T'en fais pas, on va la retrouver, murmura-t-elle, les yeux brillants. Je te le promets.
Il hocha la tête, s'efforçant de se calmer. Puis, après un moment, il se redressa, essuyant ses larmes.
— Ça te dit qu'on fasse une petite promenade au bord de la lagune, en attendant que le dîner soit prêt ? proposa Keyra, tentant de détendre l'atmosphère.
— D'accord ! répondit-il, un peu plus léger.
Après avoir prévenu Michelle, Keyra et son jeune ami sortirent de la maison. La nuit avait déjà jeté son manteau sur la ville. La lune, dans sa forme la plus absolue brillait intensément, faisant scintiller l'étendue d'eau calme devant eux. Ils marchèrent ensemble, loin de la maison, l'air frais de la soirée apportant une sensation de calme bienvenu.
Au fur et à mesure de leur marche, Keyra engagea la conversation, curieuse d'en savoir plus sur lui, mais surtout dans le but de le détendre. Se prêtant au jeu, le jeune garçon répondit à ses questions sans se plaindre une seule fois. Junior, avec l'enthousiasme et l'innocence caractéristiques des enfants de son âge, se mit à parler de sa vie. Il évoqua sa mère, son oncle Tony, son école, ses professeurs, et, avec une énergie palpable, son plus grand rêve. Celui de devenir joueur professionnel de basketball.
Cependant, deux éléments frappèrent immédiatement Keyra. D'abord, il n'avait pas mentionné son père. Ensuite, il ne parlait pas non plus de ses amis. Intriguée, elle ne tarda pas à poser la question qui lui brûlait les lèvres.
— Et ton père ? Tu m'as parlé de tout sauf de lui.
Junior la regarda un instant, son regard enfantin, mais franc.
— Je n'en ai pas, répondit-il simplement. Mais je considère Oncle Tony comme mon père.
Keyra, prise au dépourvu, s'arrêta un instant, ne s'attendant pas à cette réponse. Le silence qui suivit fut lourd de signification.
— Attends, quoi ?! Tu n'as pas de père ? s'étonna Keyra, surprise par la réponse de Junior.
— C'est pas compliqué à comprendre, reprit-il avec un air de sagesse surprenant pour son âge. Maman m'a dit qu'il ne savait même pas que j'existais, parce qu'elle n'a pas eu le temps de lui en parler avant qu'il ne déménage.
Keyra resta silencieuse un instant, prenant en pleine figure l'histoire du petit garçon. Elle avait bien entendu parler des familles brisées, mais entendre cela directement de la bouche d'un enfant était différent. Puis, elle reprit, hésitante.
— Mais tu n'as jamais eu envie de le rencontrer ? osa-t-elle finalement.
Junior haussa les épaules, mais ses yeux brillaient d'une tristesse qu'il tentait de dissimuler.
— Si, bien sûr. Mais maman refuse de m'en parler. La seule chose qu'elle m'ait dite, c'est que je lui ressemble beaucoup, à l'époque où il était jeune. Mais je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je sais juste que je suis allergique aux fruits de mer et au beurre de cacahuète, tout comme lui.
Un léger frisson parcourut Keyra à cet instant. Hermann aussi était allergique à ces aliments. Elle n'eut cependant pas le temps de se perdre dans ses pensées. Ce ne pouvait être qu'une pure coïncidence. Après tout, il y avait des millions de gens dans le monde qui étaient allergiques aux mêmes choses. Elle tenta de chasser cette idée de son esprit.
— Ton père doit te manquer, non ? demanda-t-elle doucement, malgré elle.
— Pas du tout ! répondit Junior avec un sérieux déconcertant.
— Comment ça ?
— Ce qu'on n'a jamais eu, ça ne peut pas nous manquer, non ?
La simplicité de sa réponse frappa Keyra. Mais dans ses mots, il y avait une vérité amère. Il avait raison, après tout. Comment quelqu'un pouvait-il ressentir un manque pour une personne qu'il n'avait jamais connu ? Pourtant, Keyra ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de tristesse pour lui. Elle savait à quel point une figure paternelle pouvait être importante, particulièrement à son âge.
Après un moment de silence, Keyra choisit de ne pas poser d'autres questions. Elle sentait que Junior n'avait pas besoin d'être poussé davantage à se confier. Ils continuèrent leur marche, appréciant la tranquillité de l'eau, laissant la fraîcheur de la nuit les envelopper. Lorsqu'ils retournèrent à la maison, Hermann était déjà rentré. Le dîner étant prêt, Michelle et Keyra s'occupèrent de dresser la table. Ils mangèrent dans un silence respectueux, chacun perdu dans ses pensées. Ce n'était pas un mauvais silence, juste un moment d'introspection.
Après avoir pris son bain, Keyra sortit de sa chambre et toqua à la porte de son ami.
— Entre ! entendit-elle de l'autre côté de la porte.
Keyra tourna la poignée et entra dans la pièce.
— Je voulais te dire... commença-t-elle.
Mais son regard tomba sur Hermann, qui était en train de se préparer pour la nuit, à moitié vêtu. Elle se tourna aussitôt, rouge de gêne.
— Eh, tu pouvais quand même me prévenir, grogna-t-elle.
Elle entendit un rire venant de l'autre côté de la pièce. Il s'avança lentement, une étincelle de malice dans les yeux. Keyra sentit son souffle court et son cœur battre un peu trop vite. Elle savait qu'il jouait avec elle, mais cela ne rendait pas la situation moins troublante.
— Me dis pas que tu as honte maintenant ? Qui est-ce qui clamait avec assurance cet après-midi qu'on avait une relation intime ? répliqua Hermann, les bras croisés sur la poitrine.
— Ce n'est pas pareil, protesta la demoiselle.
Il arqua un sourcil et se baissa légèrement à son niveau, avançant son visage vers elle. Keyra sentit son cœur s'accélérer face à cette soudaine proximité.
— Elle est où la différence ? demanda-t-il, plongeant son regard dans le sien.
Keyra soutint son regard un moment avant de le repousser légèrement, arrachant un autre sourire à son ami.
— Ce n'est pas le sujet. Je voulais te parler de Junior. Est-ce que tu as réussi à avoir des nouvelles de sa mère ?
— C’est pour ça que j'ai mis du temps aujourd'hui. Le commissaire m’a appelé. Ils ont réussi à joindre son oncle. Le problème, c'est qu'il est à l’étranger. Il a dit qu’il allait informer sa mère dès qu'il le pourrait.
Keyra hocha la tête, assimilant les informations qu'il venait de lâcher.
— Sa mère lui manque, confia-t-elle doucement. J’avais oublié qu’on devait encore la retrouver. Heureusement que tu es là pour tout gérer.
Il la fixa un moment, avant de répondre avec un léger sourire, mais son ton restait empreint de vérité.
— Je sais que tu t'es attachée à lui, mais n’oublie pas pourquoi il est avec nous. Un jour, il faudra qu’il parte.
— Je sais, soupira Keyra. On a un peu discuté aujourd'hui. Quand je lui ai demandé où était son père, il m'a répondu avec un air décontracté qu'il n'en avait pas.
— Ça, il l'avait mentionné dès notre premier rencontre. Quand je lui ai demandé le numéro de son père pour l'appeler, il a dit qu'il ne vivait pas avec eux.
— Ah bon ? Je n'ai pas dû faire attention. Mais tu sais quoi ? Quand je lui ai demandé s'il ne ressentait pas le manque de son père, il m’a répondu qu’on ne pouvait pas regretter ce qu’on n’a jamais eu.
— Il a raison. Un père absent ne pèse pas autant qu’un père irresponsable, répondit-il après un court silence, le regard durcit.
Keyra se laissa tomber dans le canapé, pensive La conversation s'étira un peu plus, mais la fatigue finit par avoir raison d'elle. Elle se leva finalement, son corps réclamant du repos.
— Je vais me coucher, annonça-t-elle en se levant. Bonne nuit.
***
Les jours se succédaient à une vitesse vertigineuse, comme un fleuve tranquille qui poursuivait inexorablement son cour. Depuis la confrontation de Keyra avec les deux employés, les rumeurs s'étaient dissipées, comme un feu mal alimenté. Les regards insistants avaient disparu, remplacés par des salutations polies mais distantes. Plus de murmures dans les couloirs, plus d'échos de conversations étouffées derrière son dos. Pourtant, elle devinait que, dans leurs pensées, l'histoire avec Hermann vivait encore. Mais elle préférait cette paix fragile au chaos précédent. Parfois, l'ombre d'un sourire moqueur ou d'une œillade curieuse venait trahir ceux qui y croyaient encore. Cela ne l'atteignait plus. Après tout, la vérité, seule elle la connaissait. Enfin... du moins, elle essayait de s'en convaincre.
En un clignement d'oeil, la Saint Valentin était déjà arrivée. Habituellement, Keyra attendait cette journée avec enthousiasme. Cette année cependant, loin de sa famille et de ses repères, cette fête avait perdu tout son éclat. La ville, pourtant, semblait vouloir la narguer. Les vitrines se paraient de rouge et de blanc, exposant cadeaux et fleurs pour célébrer l’amour. Keyra, elle, n’y prêtait qu’un regard distrait. Elle n’avait qu’un seul souhait, être auprès de sa famille. Mais elle le savait, ce vœu ne pourrait s'exaucer.
Après une longue journée de travail, Keyra s’affala sur son lit, exténuée. Elle n’avait ni l’énergie ni l’envie de parler à qui que ce soit. Allongée en étoile de mer, elle fixa le plafond. Petit à petit, elle vida son esprit et laissa ses paupières s’alourdir.
Pendant ce temps, dans son bureau, Hermann était plongé dans ses dossiers. Une affaire en cours accaparait toute son attention. Son téléphone vibra, mais il laissa sonner plusieurs fois avant de décrocher.
— Qu’est-ce que tu veux ? lança-t-il, d’un ton dur.
— Wow ! Doucement, frangin. Pas besoin d’être aussi agressif, répondit une voix enjouée.
— Ne pense pas que j’ai oublié ce que tu as fait, rétorqua Hermann, toujours aussi acerbe.
— Je me suis déjà excusé, soupira Alex.
— Alex, tu avais promis que tu n’en parlerais à personne. Et qu'est-ce que tu as fait ? Tu t’es empressé de créer un groupe pour tout raconter, rappela Hermann, exaspéré.
— Techniquement, j’ai respecté ma promesse. Je ne l’ai pas dit à voix haute, je l’ai écrit. C’est différent, plaisanta Alex.
— Si c’est pour tes gamineries que tu m’appelles, raccroche. Je n’ai pas la patience pour les écouter aujourd'hui.
— Mes gamineries ? reprit Alex, l'air outré. Enfin bref ! Je voulais juste savoir ce que tu comptais offrir comme cadeau à Keyra demain pour son anniversaire.
— Tu le sauras quand le soleil se lèvera à l'ouest.
— Rancunier, va ! Tu devrais apprendre à....
Sans laisser le temps à son cadet de poursuivre sa phrase, Hermann lui raccrocha au nez. Il avait encore des tâches importantes à boucler. Son téléphone vibra de nouveau, signalant deux notifications. Il les ignora pour se concentrer sur son travail. Une fois terminé, il ouvrit ses messages.
Alexandre
J'allais te proposer de lui organiser une surprise de taille pour la Saint-Valentin, un dîner surprise par exemple. Ensuite tu pourrais tenter de lui révéler tes sentiments. Ça marchera du tonnerre j'en suis sûr.
Ps: Je dois être l'invité d'honneur à votre mariage, bisous ton frère adoré.
Encore désolé d'avoir manqué ma promesse. Ça ne se reproduira plus, promis !
Agacé, Hermann rangea son téléphone. Il éteignit son ordinateur et se dirigea vers sa chambre, fatigué mais étrangement satisfait. Concernant l’anniversaire de Keyra, il avait déjà son idée pour la surprendre.
Le lendemain matin, Keyra se réveilla pleine d’entrain. C’était une journée de travail comme les autres, mais elle restait spéciale. C’était son anniversaire tout de même. Elle fouilla dans ses affaires et opta finalement pour une robe bleue, celle qu’elle avait portée pour son dîner imprévu avec monsieur Mensah. Un sourire nostalgique se dessina sur ses lèvres en repensant à ce moment. Elle se coiffa rapidement, formant deux nattes qui retombaient sur son épaule gauche, et appliqua un maquillage discret. Prête à affronter la journée, elle se sentit confiante.
Lorsqu’Hermann la vit descendre, un sourire illumina son visage.
— C’est la robe que tu portais pour notre premier dîner, non ? demanda-t-il, les yeux pétillants.
Keyra hocha la tête en souriant. Elle savait qu’il s’en souviendrait. Il démarra la voiture en direction de l'agence, tandis que dans l'esprit de Keyra, une douce excitation flottait.
L’après-midi s’étira doucement, mais Keyra était absorbée par son travail, concentrée sur les tâches en cours. Peu avant quinze heures, Hermann annonça qu’il devait s’absenter, évoquant une urgence. Keyra, bien que surprise, n’y prêta pas grande attention, habituée à son agenda souvent imprévisible.
Vers seize heures, son téléphone vibra. Elle décrocha immédiatement en voyant le nom d’Hilda s’afficher.
— Allô, Hilda ? Tout va bien ? demanda-t-elle, alertée par le ton agité de la voix au bout du fil.
— Keyra ! Dieu merci tu as décroché. Je suis désolée de te déranger, mais il s’est passé quelque chose de grave au refuge. J’ai essayé d’appeler Hermann, mais il ne répond pas. Tu peux venir s’il te plaît ? C’est vraiment urgent !
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Les enfants vont bien ?
— Non, mais… c’est compliqué à expliquer au téléphone. Dépêche-toi, c'est assez urgent !
Keyra sentit ses battements de cœur s'accélérer. Elle se leva précipitamment, rangeant ses affaires en toute hâte et se dirigea d’un pas rapide vers la sortie, son esprit envahi par des sombres scénarios.
Durant le trajet pour le refuge, Keyra n'arrivait pas à calmer les pulsations de son cœur. Son esprit la torturait en imaginant mille et un scénarios tragiques. Lorsque le taxi se gara enfin devant la maison, la demoiselle en sortit rapidement et frappa de toutes ses forces au grand portail. Le gardien vint lui ouvrir. Keyra se précipita dans la cour. Tout semblait calme, beaucoup trop calme. Le cœur battant, elle poussa lentement la porte d'entrée.
— Hilda ? Que se passe-t-il ? lança-t-elle, la voix tremblante.
Avant qu'elle n'ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, des voix, en parfaite harmonie s'élevèrent dans le grandiose salon.
— SURPRISE !!!
Keyra fronça les sourcils, et prit le temps d'observer attentivement. Le salon était décoré de ballons et de guirlandes aux couleurs chatoyantes. Au plafond, une grande bannière trônait avec pour inscription en lettres dorées "JOYEUX ANNIVERSAIRE". Les enfants du refuge, Junior et Michelle compris, étaient tous rassemblés, souriant de toutes leurs dents. Hermann et Hilda se tenaient au centre, un large sourire peint sur le visage de cette dernière, tandis que son ami affichait un sourire à peine visible.
— Joyeux anniversaire, Joyeux anniversaire Keyra ! chantèrent-ils en chœur, leurs rires emplissant le salon.
— C’est… c’est une surprise ? murmura Keyra, les yeux écarquillés.
Hilda s’approcha, un regard amusé.
— Oui, une surprise rien que pour toi. Joyeux anniversaire, mon enfant !
Les enfants accoururent, brandissant les cadeaux qu'ils lui avaient préparés avec soin. Des dessins, en passant aux colliers jusqu'aux bracelets qu'ils avaient confectionnés, tous étaient faits à la main.
— Pour toi, Keyra ! dirent-ils en chœur, fiers de leurs créations.
Keyra sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle cligna rapidement des paupières, refusant de céder à l’émotion.
— Merci… Merci à tous, murmura-t-elle, la voix tremblante.
La jeune fille se baissa à leur niveau et ouvrit ses bras. Ayant compris l'invitation, ils se jetèrent tous sur elle. Keyra s'écroula sous leur poids, un rire contagieux s'emparant d'elle.
— C'est bon, ça suffit. Laissez la respirer !
La voix grave de monsieur Mensah retentit. Aussitôt, ils lui donnèrent l'espace dont elle avait besoin. Hermann se rapprocha d'elle et lui tendit la main, afin de l'aider à se relever. Elle l'accepta.
— Tu m'as fichue une de ces peurs bleues, gronda-t-elle dès qu'elle se mit debout.
— Désolé, ce n'était pas mon intention, s'excusa l'homme, le ton sincère.
— Le coup de l'appel, c'était mon idée, intervint Hilda comme pour venir en aide à son neveu. Ne lui en veut pas s'il te plaît.
— Comment pourrais-je me fâcher en voyant cette magnifique surprise que vous m'avez préparée ? s'exclama Keyra, réellement émue.
Michelle lui prit doucement la main et l’attira devant une grande table. Au centre, un énorme gâteau au chocolat, visiblement fait maison, trônait fièrement, entouré d’une multitude d’encas appétissants. Une bougie allumée scintillait au sommet du gâteau. Keyra joignit les mains, ferma les yeux et, dans le silence de son cœur, formula un vœu. Lorsqu’elle les rouvrit, elle souffla doucement sur la bougie, qui s’éteignit d’un seul coup. Un tonnerre d’applaudissements joyeux résonna dans la pièce, accompagnant sa découpe du gâteau.
K
eyra se sentait réellement heureuse. Loin de sa famille, elle retrouvait pourtant ici une chaleur familiale qu’elle n’aurait jamais imaginé. Ce refuge, rempli des rires des enfants et d’amour sincère, était tout ce dont elle avait besoin. Un énième sourire éclaira son visage.
— Je te souhaite encore un joyeux anniversaire Keyra.
La voix d'Hermann, douce et suave surgit de derrière elle. La jeune fille se tourna vers lui et l'enlaça.
— Merci, murmura-t-elle en relevant son regard perçant vers lui.
Il posa sa main sur sa tête et caressa doucement ses cheveux. La sonnerie d'un téléphone se fit entendre. C'était celui de la jeune fille. À contre cœur, elle se sépara de son ami et vérifia l'appareil. Un message d'Alicia, lui demandant de se connecter. Aussitôt fait, une multitude de notifications s'afficha sur son écran. Des messages de ses amis, lui ayant souhaité un joyeux anniversaire. Son sourire toujours scotché aux lèvres, elle rentra dans la messagerie avec sa sœur. Une vidéo lui avait été envoyé. Curieuse, elle telechargea la vidéo afin de la regarder. Derrière l'écran, elle reconnut avec joie les visages de chaque membre de sa famille.
— Marie, viens t'asseoir ça tourne déjà.
La voix de sa mère fut la première qu'elle entendit.
— Il faut que je m'assure de sortir sous mon meilleur profil, avait répliqué la concernée.
Réplique qui arracha un sourire à la demoiselle qui était mise à l'honneur en ce jour. Dans les instants qui suivirent, Alicia ainsi que la famille Blin au grand complet apparurent à l'écran.
— Joyeux anniversaire ! crièrent-ils en chœur.
— Bel anniversaire ma puce, tu nous manques beaucoup ajouta son père.
La vidéo s'étendit sur les présentations des enfants Blin, suivies de quelques chamailleries entre eux.
— C'est la Saint Valentin, profites-en pour nous ramener un gendre, lança tante Marie avant que la vidéo ne se termine.
Elle visionna la vidéo à plusieurs reprises. Ses parents lui manquaient énormément. Mais de ce qu'elle avait vu, ils semblaient aller bien. C'était l'essentiel. De toutes façons, il ne restait plus que deux semaines avant qu'elle ne retourne à Abidjan. Elle allait juste prendre son mal en patience.
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