Chapitre 27 : Rumeurs
Le mois de janvier s'était effacé, laissant place à un février encore timide. Quelques jours seulement s'étaient écoulés depuis l'incident de l'ascenseur, mais Hermann et son assistante faisaient déjà les frais des discussions enflammées qui parcouraient l'agence. Bien que peu de témoins aient été présents ce jour-là, l'histoire s'était répandue comme une traînée de poudre, alimentée par les rumeurs et les exagérations de chacun.
À cela venait s'ajouter un autre épisode marquant. Le moment où elle s'était précipitée dans ses bras, en larmes. Une scène suffisamment évocatrice pour nourrir les commérages. Une seule conclusion semblait faire l'unanimité. Le PDG et son assistante entretiendraient une liaison interdite. Sinon, comment expliquer son audace à courir vers lui ainsi ? Et surtout, comment ignorer le fait qu'il ne l'avait pas repoussée, mais qu'au contraire, il avait cherché à l'apaiser ?
- À ce qu'il paraît, il a annulé une réunion importante ce jour-là pour aller la rejoindre, murmura un employé avec un air conspirateur.
- Moi, j'ai entendu dire que les actionnaires les surprenaient parfois à échanger des regards pleins de sous-entendus, renchérit une autre, un sourire en coin.
- Vous savez qu'il a menacé de renvoyer le chef de sécurité après l'incident de l'ascenseur ? ajouta une troisième voix, visiblement excitée par le scandale.
- Incroyable ! Comme dans les films ! s'enthousiasma une employée, les yeux brillants. J'aimerais qu'un homme me protège comme ça... Monsieur Mensah est tellement charismatique !
Les bruits de couloir circulaient à une vitesse vertigineuse, infiltrant chaque département, jusqu'aux messageries internes de l'entreprise, où les conversations allaient bon train. L'affaire Hermann et son assistante était sur toutes les lèvres, un feuilleton à part entière dont chacun voulait s'approprier une part.
De fil en aiguille, la rumeur parvint aux oreilles des principaux concernés. Si Hermann restait de marbre face à la situation, Keyra quant à elle, en était profondément troublée. L'idée même que leur relation professionnelle soit déformée en une histoire de liaison la mettait mal à l'aise. Si les ragots ne concernaient qu'elle, elle aurait pu passer outre. Mais y mêler Hermann ? Insinuer une romance ? C'était insupportable.
Elle se mordit la lèvre, l'esprit tourmenté. Elle savait ce qu'Hermann ressentait pour Alice, et cette pensée ne faisait qu'accentuer son malaise. Ces rumeurs, même infondées, lui semblaient presqu'une trahison envers lui. Et pire encore, tout cela était de sa faute. Encore une fois.
- Les rumeurs circulent à toute vitesse... Qu'est-ce qu'on peut faire pour calmer la situation ? demanda-t-elle, la voix emplie d'une inquiétude qu'elle ne cherchait pas à masquer.
- Rien, répondit Hermann, d'un ton posé, presque désinvolte.
- Rien ?! Mais ils cassent du sucre sur ton dos ! Ça ne te fait rien ? s'étonna-t-elle, une indignation dans la voix.
- Ce ne serait pas la première fois, rétorqua-t-il calmement. Réagir ne ferait qu'alimenter leurs fantasmes. Laissons-les parler. Ils se lasseront dès qu'ils auront trouvé un autre sujet, plus chaud.
Son assurance la déstabilisa. Keyra soupira, secouant la tête. Il semblait tellement imperturbable, et sûr de lui. Pourtant, il avait raison. Chercher à se justifier ou à démentir ne ferait qu'attiser la curiosité malsaine des autres.
- Alors je devrais juste... faire comme si de rien n'était ? murmura-t-elle, presque pour elle-même en se laissant choir dans le siège en face de lui.
Hermann lui lança un regard, à la fois ferme et apaisant.
- Exactement.
Elle baissa les yeux, résignée. Elle n'avait pas d'autre choix. Il lui fallait avaler sa gêne et encaisser les regards en coin. Elle espérait simplement que cette tempête de ragots passerait rapidement, sans laisser trop de traces.
Les jours suivants furent une véritable épreuve pour Keyra. Les chuchotements à son passage, les regards curieux ou malveillants, les sourires en coin... Tout semblait la désigner comme l'héroïne involontaire d'un mélodrame dont elle n'avait jamais voulu être le sujet.
Dans l'open space, elle pouvait sentir les conversations s'interrompre dès qu'elle approchait. Certains employés prenaient même un malin plaisir à murmurer plus fort, espérant qu'elle capte des bribes de leurs insinuations.
Malgré cet environnement, Hermann continuait d'agir comme si rien de tout cela n'existait. Avec sa prestance habituelle, il traversait les couloirs, complètement indifférent aux rumeurs. Parfois, elle se demandait s'il les entendait ou s'il avait simplement cette capacité surnaturelle de les ignorer.
Ce après-midi là, alors qu'elle retournait au bureau de son patron après avoir récupéré un document chez Madame Kouadio, une voix assez familière résonna derrière elle.
- Alors, Keyra, tu as prévu de nous inviter au mariage ou c'est encore un secret ? lança un collègue avec un ton faussement innocent.
Un éclat de rire général suivit, mais elle ne répondit pas. Serrant fermement le pan de sa robe d'une main, et le document de l'autre, elle tenta de maintenir un visage impassible. Elle savait que répondre ne ferait qu'aggraver les choses.
Quelques instants plus tard, monsieur Mensah sortit de son bureau et balaya l'open space d'un regard sévère.
- Keyra, dans le bureau. Maintenant !
Le silence tomba instantanément dans la pièce, l'autorité de sa voix dissipant toute légèreté. Les regards se tournèrent vers elle, curieux et un peu moqueurs. Elle autorisa enfin ses jambes à bouger. Le cœur battant, la jeune fille pénétra dans la pièce. Une fois la porte fermée derrière eux, il lui fit signe de s'asseoir.
- Je suppose qu'ils t'ont encore fait des réflexions ? demanda-t-il, croisant les bras.
- Ce n'est rien, répondit-elle en baissant les yeux.
- Ce n'est pas rien, répliqua-t-il fermement. Je refuse qu'ils se permettent de te manquer de respect sous prétexte de ces stupides rumeurs.
Elle releva les yeux, surprise par son ton.
- Mais c'est toi qui a affirmé que si on réagissait, on ne ferait que confirmer leurs idées, non ?
Il esquissa un sourire froid, quasiment glacial.
- Peut-être. Mais il y a une différence entre ignorer des rumeurs et tolérer un comportement déplacé. Et ça, je ne l'accepterai pas.
Hermann se pencha légèrement vers elle, son regard adouci cherchant le sien.
- Je vais leur rappeler qui est le patron ici.
Hermann quitta son bureau sans un mot de plus, laissant Keyra seule. Elle entendit ses pas résonner dans le couloir avant qu'il n'apparaisse dans l'open space.
Tous les employés relevèrent la tête, certains figés devant leur écran, d'autres soudainement absorbés par des tâches fictives. Hermann s'arrêta au centre de la pièce, dominant la scène de toute sa stature.
- Si vous avez autant d'énergie à gaspiller dans des commérages inutiles, je me ferai un plaisir de redistribuer vos charges de travail, annonça-t-il d'une voix froide et tranchante.
Un silence gênant s'installa, chaque mot s'écrasant comme un poids dans l'air.
- Je pensais que nous étions une équipe professionnelle, pas un cercle de commères. Mais ce n'est pas le cas apparemment. Je le redis une dernière fois, si j'entends encore une seule remarque déplacée, je n'hésiterai pas à prendre les mesures nécessaires. Est-ce clair ?
Un murmure d'approbation s'éleva, faible mais suffisant pour satisfaire monsieur Mensah, qui les fixa un instant avant de retourner dans son bureau. À l'intérieur, Keyra le regarda refermer la porte derrière lui, le cœur battant encore plus vite.
- Tu n'étais pas obligé de faire ça... murmura-t-elle. Maintenant ils vont...
Il posa son index sur ses lèvres, l'obligeant à se taire.
- Si, je l'étais, répondit-il, d'un ton doux. Ils doivent comprendre que tu n'es pas seule dans cette situation.
Elle le fixa un instant, touchée par ses paroles. Il avait beau prétendre que tout cela ne l'affectait pas, il n'était pas aussi indifférent qu'il le laissait paraître. Ses traits à présent adouci, Hermann repris place derrière son bureau.
- Merci, souffla-t-elle finalement, sa voix à peine audible.
Il lui lança un regard qui semblait percer ses pensées.
- Tu n'as pas à me remercier. C'est mon devoir en tant qu'ami.
Keyra détourna les yeux, rougissant légèrement. Elle sentit son cœur se serrer, tiraillée entre la gratitude et un sentiment plus profond qu'elle connaissait parfaitement dorénavant.
Le reste de la journée fut étrangement calme. Les murmures avaient cessé. Les regards curieux s'étaient détournés, et l'open space avait retrouvé une certaine normalité. Mais Keyra savait que cela ne durerait pas éternellement.
Elle se promit d'être plus discrète, d'éviter toute situation qui pourrait prêter à de nouvelles interprétations. Mais malgré tous ses efforts, une pensée lui revenait sans cesse. Une fois de plus, Hermann avait pris sa défense avec une ferveur qu'elle n'attendait pas. Était-ce simplement son rôle d'ami, ou y avait-il autre chose derrière son geste ? Non. Il avait été bien clair. Elle n'était qu'une amie à ses yeux. Sa position dans son cœur, elle la connaissait parfaitement. Il fallait qu'elle cesse de se faire des illusions.
***
Les jours suivants, l'atmosphère au bureau sembla s'être apaisée. Hermann avait imposé un semblant de calme, mais Keyra sentait que ce silence n'était qu'une façade. Les regards furtifs n'avaient pas disparu, et certains chuchotements se poursuivaient, bien qu'ils soient désormais plus prudents.
Un après-midi, alors qu'elle était concentrée sur un dossier complexe, un email interne attira son attention. L'objet ? Soirée de gala annuelle de l'agence. Keyra cliqua dessus, découvrant une invitation officielle pour l'événement prévu dans une semaine.
- C'est vrai, c'est bientôt le gala, fit remarquer une collègue à voix basse. Tu crois que monsieur Mensah viendra avec elle ?
Keyra serra les dents. Elle savait parfaitement à qui ce elle faisait référence. La demoiselle agita la tête, comme pour tenter d'effacer leurs sottises.
Le soir venu, alors qu'elle était occupée à ranger leurs affaires, Hermann posa sa main sur la sienne, l'obligeant à s'arrêter un instant. Elle le fixa, un mélange d'appréhension et de curiosité.
- Tu as reçu l'invitation pour le gala ? demanda-t-il en s'appuyant contre son bureau.
- Oui, répondit-elle, un peu déconcertée.
- Alors tu sais qu'il est important que tu sois présente.
Elle haussa un sourcil.
- Moi ? Je pensais que ce genre d'événements était réservé à l'élite de l'agence.
- Tu fais partie de l'équipe dirigeante, et tu es mon assistante personnelle. Ta présence est attendue, expliqua-t-il d'un ton neutre.
Elle acquiesça, mais une question lui brûlait les lèvres.
- Et... tu sais que les rumeurs vont reprendre de plus belle si on nous voit ensemble là-bas, n'est-ce pas ?
Hermann la fixa, son regard indéchiffrable.
- Les rumeurs existeront toujours, que tu sois là ou non. Mais ce gala est une opportunité de montrer que nous n'avons rien à cacher.
Keyra resta silencieuse. Au fond, elle savait qu'il avait raison. Mais l'idée d'affronter encore une soirée pleine de sous-entendus et de jugements la mettait mal à l'aise.
- Détends-toi, ajouta-t-il avec un léger sourire. Ce n'est qu'une soirée.
Elle soupira, sentant déjà le stress monter.
- Une soirée, oui... mais sûrement pas anodine, mumura-t-elle pour elle-même.
- Inutile de préciser que c'est un évènement organisé par Monsieur Meney. Et il tient particulièrement à ce que tu sois là, rajouta le PDG. Au cas contraire, il risquerait de s'en offusquer.
- Je comprends, mais... Je n'ai rien à me mettre, lâcha-t-elle finalement, comme si cette excuse allait clore le débat.
Hermann la fixa un instant, son regard pénétrant.
- Tu n'as rien à te mettre ? répéta-t-il, sceptique.
- Exactement ! affirma-t-elle, essayant de paraître convaincante. Ce genre de soirées demande des robes hors de prix, et ce n'est pas vraiment dans mon budget. Tu le sais bien. Je n'ai pas envie que tu sois ridiculisé à cause de moi.
Un silence s'installa, durant lequel Hermann sembla réfléchir. Il arqua un sourcil, sans pour autant répliquer.
- Il se fait tard, on rentre, dit-il finalement.
Keyra l'observa, surprise. Il n'avait rien ajouté pour la convaincre. Le connaissant, elle savait pertinemment qu'il y avait anguille sous roche. Mais elle n'ajouta rien, ne voulant pas briser ce semblant de victoire qu'elle avait obtenu.
***
Très vite, le weekend pointa le bout de son nez. Affalée dans son lit, Keyra avait le nez plongé dans le bouquin qu'elle portait. Hermann n'avait pas reparlé du gala depuis. Et pourtant, il aurait lieu dans la soirée. Elle en conclut donc qu'elle n'était pas dans l'obligation d'y assister. Satisfaite, la demoiselle semblait ne pas se soucier de ce silence pour le moins inquiétant. Alors qu'elle tournait la énième page de son livre, on toqua à sa porte.
- C'est ouvert ! cria-t-elle.
Junior entra dans la pièce et s'approcha d'elle.
- Oui Junior ? s'enquit la jeune demoiselle en s'intéressant à lui.
- Monsieur Mensah t'attends.
Elle tiqua.
- Il m'attend ? répliqua-t-elle, sceptique. Tu sais pourquoi ?
Pour toute réponse, le garçonnet haussa les épaules.
- Il m'a demandé de te dire que tu disposes de dix minutes pour le rejoindre. Je n'en sais pas plus que toi, mais il a l'air pressé.
- J'ai compris ! répondit la demoiselle, en assimilant l'information.
Junior partit, elle se leva d'un bond de son lit et ouvrit son armoire à la recherche d'une tenue convenable pour sortir. Sacré Hermann. Il avait bien caché son jeu. Keyra vociféra intérieurement. Avant que le temps qui lui était imparti n'arrive à son terme, la demoiselle dévala rapidement les escaliers et se retrouva en face de son ami qui l'attendait au salon.
- On y va ! lança-t-il en ouvrant la porte.
Keyra le suivit sans mot dire et entra dans la voiture, ayant plus ou moins une idée de ce qu'il comptait faire. Mais l'idée d'être seule avec lui durant toute cette journée ne lui déplaisait guère. Elle sourit en attachant sa ceinture, tandis qu'il démarrait le véhicule en direction du lieu qui lui restait encore inconnu.
La voiture ralentit en entrant dans un quartier commerçant, et Hermann se gara devant une boutique chic au design minimaliste. Le nom de la boutique était gravé en lettres dorées sur la vitrine : Ndiaye Couture.
- Nous voilà arrivés, annonça Hermann, en coupant le moteur.
Keyra le regarda, surprise.
- Ndiaye Couture ? La styliste ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
Hermann hocha la tête, un léger sourire aux lèvres.
- Exactement. Madame Ndiaye a l'habitude de gérer ce genre de situations. Elle va te trouver la robe parfaite pour ce soir.
Keyra soupira, un mélange de frustration et de gêne s'emparant d'elle. Elle savait très bien que de telles boutiques n'étaient pas pour elle, et l'idée d'essayer des robes dans ce genre de lieux la mettait particulièrement mal à l'aise.
- Je... Je ne suis pas sûre d'être à l'aise ici, Hermann. Ce n'est vraiment pas nécessaire. Il y a sûrement une solution moins... ostentatoire, ajouta-t-elle en détournant le regard.
Hermann ne répondit pas immédiatement, mais lorsqu'il ouvrit la portière et sortit de la voiture, il lui fit un signe de la tête.
- Ne t'inquiètes pas, cette boutique fait partie des quelques filiales de M. Design, lui apprit-il. Tu n'es pas vraiment en position de discuter quoi que ce soit jeune fille. Sois tu me suis, ou je te porte jusqu'à la boutique.
L'absence de discussion ne lui laissa pas d'autre option que de le suivre. Bien que réticente, Keyra se hâta de sortir de la voiture. Le connaissant, il était capable de mettre ses menaces à exécution. Ils se dirigèrent vers l'entrée de la boutique. Dès qu'ils franchirent la porte, l'air parfumé de cuir et de tissus raffiné envahit ses narines. Les chandeliers au plafond jetaient une lumière douce sur les étagères remplies de vêtements aussi somptueux les uns que les autres. Une silhouette s'approcha d'eux, une femme d'une prestance imposante, avec des cheveux grisonnants soigneusement coiffés en un chignon complexe, mais à l'allure maternelle.
- Monsieur Mensah, quel plaisir de vous revoir, sourit-elle. Et vous devez être la charmante assistante dont on m'a parlé. Madame Ndiaye, ajouta-t-elle en tendant la main vers Keyra.
Bien qu'intimidée, Keyra serra la main de la styliste, notant son regard scrutateur. La façon dont madame Ndiaye l'examinait n'échappa pas à la jeune demoiselle, mais elle se sentit immédiatement à l'aise grâce à la douceur émanant de la dame qui lui faisait face.
- Merci d'avoir accepté de m'aider, murmura-t-elle, tout en essayant de se décontracter. Mais, vraiment, je n'ai pas besoin de quelque chose de... trop extravagant.
Madame Ndiaye lui offrit un sourire, presque mystérieux.
- Soyez rassurée, mademoiselle Tancey. Ce n'est pas dans mon habitude de pousser à l'extravagance. Je préfère vous mettre en valeur, pas vous transformer en autre chose.
Elle se tourna vers monsieur Mensah qui la regardait d'un air calme et détaché.
- J'ai quelques idées, dit-elle simplement. Peut-être que nous devrions commencer par un petit essayage pour voir ce qui vous convient.
Keyra se retrouva un peu perdue dans cette atmosphère de luxe. Madame Ndiaye l'entraîna derrière un rideau, et elle se retrouva dans une petite cabine d'essayage, entourée de tissus somptueux.
- Choisissez quelques modèles, dit la styliste. Ne vous en faites pas, je suis là pour vous guider.
Keyra commença à feuilleter les robes qui lui furent proposées, hésitante. Des robes de soirée à la coupe impeccable, mais toutes semblaient bien trop sophistiquées pour elle. Au fond, elle se demandait si elle serait jamais à la hauteur de tout ça, ou si elle n'était qu'une simple spectatrice dans un monde qui n'était pas sien.
Après quelques essais de robes qui ne faisaient que la rendre plus nerveuse, Keyra commença à perdre espoir. Chaque pièce semblait trop clinquante, trop extravagante pour ce qu'elle voulait vraiment. C'est alors que Madame Ndiaye, qui observait silencieusement depuis le rideau, se pencha doucement.
- Laissez-moi vous montrer quelque chose, murmura-t-elle, son sourire rassurant scotché au visage.
Elle se dirigea vers un porte-manteau dans un coin et en sortit une robe qui, à première vue, paraissait plus simple. Même sans en avoir vu davantage, Keyra sentit qu'il y avait quelque chose d'élégant dans sa coupe.
Madame Ndiaye s'approcha et lui tendit la robe, un ton plus doux dans la voix.
- C'est un modèle qui a été fait récemment. Elle est conçue pour épouser la silhouette sans trop en faire. Cette couleur... un vert profond, riche... Je suis sûre qu'elle mettra en valeur votre teint.
Keyra prit la robe entre ses mains. La texture douce et soyeuse lui firent immédiatement bonne impression. Elle n'avait rien de tape-à-l'œil, mais elle dégageait une élégance discrète. Le vert émeraude de la robe était à la fois profond et lumineux, parfait pour faire ressortir la chaleur de sa peau tout en restant sobre.
- La coupe fluide est à la fois élégante et pratique. Vous verrez, elle soulignera votre silhouette sans en faire trop, expliqua Madame Ndiaye en l'observant.
Keyra était sceptique, mais en enfilant la robe, elle eut l'impression d'être une Cendrillon, essayant la robe de bal fabriquée par sa marraine la bonne fée. La matière glissait sur sa peau, caressant ses formes tout en laissant suffisamment de liberté pour ne pas la contraindre dans ses mouvements. Le décolleté discret en V accentuait la grâce de son cou sans être trop provocateur. Quand elle se regarda dans le miroir, elle se sentit enfin à sa place, dans cette robe qui respectait son désir de discrétion tout en la mettant en valeur.
Lorsqu'elle sortit de la cabine d'essayage, Hermann resta figé un instant, le regard captif de la silhouette qui se dessinait devant lui. Keyra se tenait là, dans cette robe vert émeraude, qui semblait faite sur mesure pour elle. Il avait vu des centaines de robes dans sa vie, mais celle-ci était différente. Elle la mettait en valeur. La manière dont la robe épousait sa taille fine, soulignant la grâce naturelle de ses mouvements, le fit retenir son souffle. Il y avait quelque chose de magique dans la façon dont elle semblait éclater sans chercher à briller.
Ses yeux s'attardèrent d'abord sur son visage. Son regard scrutant les traits de Keyra, absorbés dans l'intensité du moment. Elle n'était plus l'assistante qu'il avait côtoyé ces derniers jours, mais une femme qu'il voyait sous un autre jour. Sa beauté époustouflante transcendait la froideur du cadre professionnel. Le vert de la robe s'harmonisait parfaitement avec son teint, et soulignait son regard perçant. Hermann sentit son cœur s'emballer un instant, comme un rappel brutal de la distance qui les séparait encore.
Lorsqu'elle tourna légèrement le dos pour ajuster sa posture, il nota comment les manches de la robe masquaient parfaitement la cicatrice sur son bras, dans une délicatesse subtile. Elles n'étaient ni trop longues, ni trop courtes. Cette attention qu'elle portait à son apparence, cet effort qu'elle faisait, même dans les plus petits détails, éveilla en lui une sensation de fierté mêlée de tendresse.
Il hésita un moment avant de s'avancer, comme s'il avait peur de briser la magie de cet instant. Puis il s'approcha lentement, son regard toujours fixé sur elle.
- Tu es... sublime, lui murmura-t-il à l'oreille, la voix rauque, trahissant l'émotion qui le prenait de court.
Il n'en dit pas plus. Mais la manière dont il la regardait, sans pouvoir détourner les yeux, disait tout. Une lueur d'admiration, de respect, et peut-être même de quelque chose de plus, dans la façon dont il scrutait sa silhouette dans cette robe. Il était difficile de dire s'il était plus ému par la beauté de la robe, par la femme qui se tenait devant lui, ou par un mélange des deux. Mais une chose était sûre, l'émotion qu'il ressentait était indéniable. Peut-être était-ce dû aux sentiments qu'il ressentait vis-à-vis de la jeune fille.
Keyra, qui l'avait remarqué, détourna les yeux, gênée par cette attention intense qu'il lui portait. Son visage avait revêtu une couleur rosée qu'elle ne reconnaissait que trop bien. Elle sentit ses joues se chauffer au même moment. Mais plus encore, elle percevait quelque chose d'assez différent dans l'air, une sorte de changement. Un frisson d'incertitude parcourut son corps. Elle avait l'impression que ce regard, celui qu'il lui portait à cet instant, n'était pas le même qu'auparavant. Ce n'était plus simplement son patron ou son ami qui la scrutait, mais un homme, qui la voyait enfin dans toute sa splendeur, pour la première fois.
- Vous êtes magnifique ! Cette robe vous va à ravir mademoiselle Tancey.
La voix admirative de madame Ndiaye les ramena brusquement à la réalité. Hermann recula, lui laissant un peu de liberté. Keyra s'autorisa un léger sourire.
- Eh bien, je dois avouer que je l'aime bien... souffla-t-elle. Elle est simple, mais élégante. Je ne pensais pas trouver une tenue pareille.
Madame Ndiaye hocha la tête, satisfaite.
- Je vous l'avais bien dit. L'élégance ne réside pas dans l'extravagance, mais dans la simplicité. Cette robe vous met en valeur. Vous serez impeccable dans cette tenue. Je peux vous l'assurer !
Keyra se sentit beaucoup plus sereine. Elle n'avait plus à craindre de se retrouver dans un vêtement qui l'écraserait sous une masse de tissus inutiles. Ce modèle respectait son style et sa personnalité. Une robe qui la faisait se sentir belle, sans avoir l'air de chercher à plaire à tout prix. Elle se tourna une dernière fois vers le miroir, ajustant une mèche de cheveux tombée sur son visage.
- Vous avez raison, murmura-t-elle, en se sentant enfin à l'aise. Cette robe me correspond parfaitement.
- C'est parfait, on la prend ! trancha Hermann.
Après avoir réglé la note, monsieur Mensah traîna Keyra hors de la boutique, non sans avoir amplement remercier madame Ndiaye pour son superbe travail.
- On peut rentrer maintenant ? se risqua à demander Keyra.
- Tu plaisantes j'espère ? On a la robe, il nous faut les accessoires qui vont avec.
Keyra soupira et s'engouffra dans son siège, laissant Hermann l'entraîner pour cette journée de shopping improvisé.
Après avoir parcouru quelques magasins, ils avaient finalement réussi à rassembler les accessoires qu'il fallait. Rectification, Hermann était celui qui les avait trouvés. Elle s'était juste contenter de le suivre, émettant de temps à autres des objections ou approbations.
Les courses achevées, Hermann la sentant un peu fatiguée après cette aventure shopping, lui proposa de se détendre un peu avant de rentrer.
- Ça te dirait de déjeuner ? On a encore un peu de temps avant ce soir, et je pensais qu'on pourrait tous les deux profiter d'un moment tranquille.
Keyra, qui finalement avait bien apprécié cette excursion surprise, accepta avec un sourire. Elle appréciait ces petits moments où ils pouvaient se retrouver, loin de l'agitation du travail, et des regards de Junior ou de sa baby-sitter. Elle les aimaient bien. Mais elle en était arrivée à la conclusion qu'elle ne pourrait pas lutter contre ses sentiments. Et même si la bataille semblait perdue d'avance, elle comptait savourer chaque instant passé en sa compagnie. Du moins, le temps que cette escapade à Bouaké durait. Ils se rendirent donc dans un petit restaurant cosy, un endroit calme où ils pouvaient discuter sans interruption. L'atmosphère était chaleureuse, avec des touches modernes. Le décor était simple, mais cela restait un endroit parfait pour se détendre.
Une fois installés à une table près d'une grande fenêtre, Hermann entama la discussion, le temps que l'on vienne prendre leurs commandes.
- Alors, comment tu te sens après cette virée ? Tu t'y attendais ?
Keyra haussait les épaules, souriant.
- Honnêtement ? Pas du tout, mais je crois que c'était une bonne idée. On n'a pas souvent l'occasion de faire des choses comme ça. Et puis, je dois admettre que j'ai trouvé ça assez amusant, même si je n'étais pas particulièrement à l'aise au début.
Hermann rit doucement.
- Je t'ai un peu poussée, je l'avoue. Mais c'est bien, tu vois ? Parfois, il faut savoir se lâcher un peu, et pas seulement être dans le cadre du travail.
- Dit celui qui passe tout son temps libre, le nez fourré dans son ordinateur, répliqua Keyra le sourcil arqué, les lèvres en proie à un fou rire.
Ils éclatèrent tous deux de rire.
- Fait ce que je dis, mais ne fait pas ce que je fais, se défendit Hermann, son sourire scotché aux lèvres.
- Mais je dois t'avouer que j'ai un peu le trac quand je pense au gala de ce soir. Je n'avais pas l'intention d'y aller, et donc je ne m'y suis pas préparée mentalement.
Hermann s'appuya sur la table, et lui fit signe d'approcher son visage. La demoiselle s'exécuta.
- Il n'y a pas de recettes magiques. Soit juste toi, ne te soucie de rien d'autre, lui conseilla-t-il, d'un ton plus doux.
- Je vais essayer, répondit Keyra, un rire nerveux prenant possession de son visage.
Mais en songeant au fait qu'elle ne serait pas seule ce soir, elle se sentait revigorée. Un serveur vint enfin à leur rencontre, afin de prendre leur commande.
Tout en déjeunant, ils continuaient à discuter joyeusement. Le temps semblait s'étirer, et pour un moment, le stress de la journée disparut dans la simplicité de leur échange. Keyra se sentait plus légère, comme si cette courte pause avec Hermann avait suffi à la préparer pour la soirée à venir.
____
4456 mots
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top