Chapitre 12 Partie 3/3 : Quatre-quart à la pomme et à la cannelle.
Chapitre 12 Partie 3/3 : Quatre-quarts à la pomme et à la cannelle
C'était le matin de la nouvelle année. La famille Tancey, en dehors de leurs deux filles, s'était mise sur son trente-et-un. Pour cause, ils recevaient des invités. En effet, chaque année depuis le mariage de Patricia, ils avaient pris l'habitude de se réunir le jour du nouvel an afin de profiter du début de la nouvelle année tous ensemble. C'était leur petite tradition personnelle. Mais en plus de sa fille et son époux, Valérie avait aussi invité le petit-ami de sa cadette ainsi que la famille de ce dernier, Alice n'y faisant pas exception. Voilà pourquoi tante Marie avait été surprise de voir débarquer les deux frères Mensah à tour de rôle la veille. Malgré tout, elle avait décidé de taire ce qui pourrait être considéré comme un secret. Elle-même avait été jeune et passionnément amoureuse, elle comprenait parfaitement la raison de la visite nocturne du binoclard. Mais en ce qui concernait le patron de sa folle de nièce, elle n'arrivait pas à déceler clairement ses sentiments. Il semblait froid et indifférent à tout, sauf en ce qui concernait Keyra.
N'avait-elle pas déjà remarqué l'inquiétude qui se lisait dans son regard quand il était question de la benjamine de ses nièces ainsi que ce sourire qui étirait ses lèvres dès qu'il était en sa présence ? Tirée de son sommeil par les bruits de pétards ainsi que par ceux occasionnés par les sons des feux d'artifices, tante Marie s'était dirigée vers sa fenêtre pour admirer l'événement. Évidemment, la scène insolite qui s'était déroulée n'avait pas échappée à ses yeux de lynx. Pour elle, il était clair que quelque chose se tramait entre ces deux-là mais il lui fallait attendre de voir si l'avenir lui donnait raison ou pas. De plus, cette journée en famille était un excellent moyen d'analyser leurs attitudes respectives vis-à-vis de l'autre.
Pour l'occasion, ils avaient sortis leurs meilleurs vaisselles. La table à manger avait été remplacée par une plus longue. L'atmosphère de la fête se faisait ressentir dans tout le quartier. Des baffles diffusaient toutes sortes de musiques, l'odeur des mets provenant des différents ménages fusionnaient afin de créer un arôme agréable pour les appareils nasales, une délicieuse torture pour ceux qui comme Keyra, avaient l'odorat fin. Des bruits de verres s'entrechoquant dans la bonne humeur, se mélangeaient avec les rires radieux de ceux qui trinquaient. Les souhaits fusaient de toutes parts pour ceux qui avaient préférés dormir cette nuit. Certaines familles s'échangeaient des mets de leurs maisons. Les Tancey n'entendaient pas être de reste. Après tout, c'était le partage et la communion qui faisaient l'esprit du nouvel an.
Pour cette rencontre assez spéciale, plusieurs plats locaux étaient aux rendez-vous. La sauce pistache garnie de poissons frais et de gros morceaux de viande de bœuf, la sauce graine quant à elle contenant des poissons fumés, crabes et escargots avec pour accompagnement du riz blanc parfumé et du foutou à base de banane plantain mixé avec un peu de manioc. Voilà qui constituait les plats de résistances, bien sûr sans oublier le traditionnel met des festivités, le tchêp jaune lui aussi bien garni. Un plat de salade complet servait de plat d'entrée. Pour le dessert, Keyra s'était portée sur le choix des gâteaux au four, sa spécialité. Quant aux boissons, tante Marie avait misé sur le jus de bissap, gingembre ainsi que sur le jus de mil communément appelé zomcom. Étant donné que c'était le premier nouvel an qu'ils passaient tous ensemble, Jean-Yves tenait à mettre ses invités aussi à l'aise qu'il était possible d'être.
La première voiture qui se gara devant la demeure Tancey appartenait à leur fille aînée et son mari. C'était une Mercedes-Benz flambant neuve. Paulin avait acheté ce véhicule avec ses économies. Puisqu'il avait déjà sa propre maison, ce n'était pas un problème. En plus, avec l'état de son épouse, il préférait limiter ses déplacements dans les transports en commun. Après tout, son premier bébé était en route et il ne voulait pas prendre de risque. Surtout qu'il l'attendait depuis des années avec impatience. Il avait même obligé Patricia à prendre des congés anticipés à cause de sa grossesse.
Quand Keyra les vit arriver par la fenêtre, elle délaissa ses occupations et courut dans leur direction. Elle sauta littéralement dans les bras de son beau-frère. Elle dû par contre calmer ses ardeurs avec son aînée compte tenu de son ventre arrondi. Elle en était à son septième mois. Et depuis tout ce temps, elles n'avaient pas eu l'occasion de se voir, même si elles s'appelaient régulièrement au téléphone. Sept mois d'absence, ce n'était pas rien. Ils lui avaient beaucoup manqué. C'est le sourire aux lèvres et accroché aux bras de son époux que Patricia franchit le seuil de sa maison paternelle pour la troisième fois depuis sa grossesse.
Les rires s'élevaient dans toute la maisonnée la rendant plus gaie que d'habitude. Tout en cuisinant, les quatre femmes de la famille Tancey discutaient de tout et de rien. Même si elle avait été exemptée de tout mouvement, Patricia s'évertuait à les aider subtilement. La professeure de mathématiques était habituée à être en mouvement. Se retrouver subitement à ne devoir rien faire était inconfortable pour elle. Tandis qu'elle les aidait, Paulin et son père bavardaient joyeusement autour d'une bouteille de bière. Alicia jetait régulièrement des coups d'œil discrets à la fenêtre mais Keyra le remarqua.
— Dis donc Alicia, tu me semble bien impatiente, commenta-t-elle.
— Enfin j'aurais l'occasion de rencontrer celui qui a su ravir le cœur de ma petite Alicia, ajouta son aînée.
Alicia piqua du fard malgré elle sous le regard moqueur de ses sœurs.
Enfin, des klaxons se firent entendre. Deux voitures stationnèrent successivement devant la maison, près de la première. Une Peugeot et une Mazda blanche 4×4.
— Ils sont enfin là ! s'exclama Keyra en tapant des mains, surexcitée.
— Voyez vous ça, j'ai l'impression que c'est toi qui avait plus envie de les voir que Lissi, la charria son aînée sur le même ton qu'elle avait adressée à Alicia.
La jeune fille lui tira la langue et s'empressa d'aller ouvrir la porte pour les accueillir. Alicia la rejoignit. Angela et Alice sortaient de la Peugeot de cette dernière. L'aînée des Mensah venait d'accompagner son époux à l'aéroport et n'ayant pas le moral pour conduire, elle avait fait appel à Alice. Durant tout le trajet, la mannequin s'était évertuée à la faire sortir de son mutisme mais ses efforts se soldèrent par un échec. Elle comptait dorénavant sur la vivacité de leur amie pour lui faire oublier sa mauvaise humeur. La jeune demoiselle s'approcha d'elles et leur fit la bise avant de leur souhaiter la bienvenue. Elle fit de même avec André mais monsieur Mensah dû se contenter d'une simple et polie poignée de main.
— Où est Alex ? Je ne l'ai pas vu, demanda-t-elle à André, ayant remarqué que les garçons étaient dans la même voiture.
— Il avait quelque chose à régler, il nous rejoindra plus tard, l'informa son beau-frère.
— Oh... okay, répondit-elle avec un brin de déception. Allez entrons !
Pendant que ses invités passaient le seuil de sa maison, Keyra remarqua des gamins qui s'amusaient à toucher les voitures, provocant une cacophonie sonore. La venue de ces invités distingués avait attisé la curiosité du voisinage, des enfants en particulier. Sur un ton ferme, la jeune fille leur ordonna d'arrêter avant d'entrer à son tour.
— Laissez-moi faire les présentations, entama la jeune fille mais sa sœur l'interrompit.
— Inutile, Patricia t'as devancé et il semble qu'avec Paulin ils se connaissent déjà, lui apprit la jeune styliste.
— Ah bon ? s'étonna-t-elle.
— Ma p'tite femme, viens me voir un instant, lui dit Paulin.
Un peu surprise, Keyra s'avança vers lui. Il passa son bras autour de son cou et ébouriffa ses cheveux.
— Hé ma coiffure, se plaignit-t-elle.
— Petite cachottière, tu ne m'avais pas dit que tu connaissais la bande des Mensah.
— C'est plutôt toi le cachottier. Je suis tout autant surprise que toi. Comment vous vous êtes connus ? demanda-t-elle en s'adressant aux Mensah.
— Avec Paulin, nous étions dans la même équipe de basket au campus. Il était le capitaine, lui apprit le petit ami de sa sœur en rehaussant sa paire de lunettes.
— Plus tard on a pris l'habitude de traîner ensemble après les matchs. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance des autres. Angela, Alice, Chelsea et Monique. On nous appelait...
— ... La bande des inséparables, dirent-ils en chœur avant de se mettre à rire.
Pendant que leurs invités étaient occupés à se remémorer leurs années universitaires, Keyra emmena ses deux sœurs dans la chambre. Alicia et elle étaient encore en mode vêtements quotidien. Les deux jeunes filles prirent rapidement une douche avant de rejoindre leur sœur dans la pièce à coucher. Elles la trouvèrent endormie sur le lit. Keyra marcha sur la pointe des pieds pour ne pas la réveiller. Elle choisit avec minutie ses vêtements dans l'armoire veillant à ne pas faire de bruit mais ce dernier ne semblait pas d'avis avec elle puisqu'il grinçait au moindre mouvement.
— Pardon, je t'ai réveillé, s'excusa la benjamine en voyant Patricia ouvrir les yeux.
— Je n'étais pas vraiment endormie donc ça va.
— Tu savais pour la bande des inséparables ?
— Oui, il m'a parlé d'eux tellement de fois que je me rappelle plus du nombre.
— Ah oui ? Ils devaient sacrément lui manquer. Vous avez remarqué comment il était heureux de les revoir ? Je l'avais jamais vu comme ça, intervint Alicia.
— Ça c'est sûr. Il avait les yeux pétillants de bonheur, un peu comme moi devant la nourriture, répondit Keyra.
Ses sœurs éclatèrent de rire.
— Non mais je suis sérieuse. Qui aurait pu penser qu'ils avaient un jour fréquenté ensemble. Ce monde est vraiment petit. Si ça se trouve, Simon est plus proche de moi que je ne le pense.
Voyant le regard de ses aînées changer, Keyra les rassura.
— Ne vous inquiétez pas, je vais bien. C'est juste... je me demande parfois comment il va, ce qu'il fait. Est-ce qu'il lui arrive de penser à moi ?
— Je suis sûre que oui. Comment pourrait-on oublier une emmerdeuse comme toi ? rétorqua Patty.
Toutes les trois se mirent à rire de nouveau avant de juger qu'il était temps de sortir rejoindre les autres. En arrivant au salon, elles découvrirent la bande des inséparables en train de rire, à l'exception d'un seul.
— C'était vraiment la belle époque. Dommage que Chelsea nous aient quittés, constata Paulin avec un soupçon de regret dans la voix.
— C'est qui Chelsea ? demanda Keyra, en se rapprochant d'eux.
Aussitôt, le regard de son patron se dirigea vers elle. Il était sévère et glacial en même temps. Elle en eu des frissons.
— Il vaut mieux éviter de parler d'elle en présence d'Hermann, lui chuchota Angela.
La question de savoir pourquoi lui brûlait les lèvres mais elle n'avait pas envie de gâcher l'atmosphère festive. Si personne ne lui en avait parlé auparavant, c'était sûrement pour une bonne raison. Pour une fois, Keyra dû ravaler sa curiosité. Enfin ce n'était que momentanément car elle comptait en savoir plus mais sans se mettre à dos monsieur Mensah. D'ailleurs en parlant de lui, ce dernier n'avait cessé de la regarder depuis qu'elles étaient revenues comme s'il cherchait à capter son attention. Non, ce n'était pas le regard sévère de tout à l'heure. C'en était un tout autre mais elle n'arrivait pas à mettre la main sur ce qu'il voulait signifier. Et pourtant, plus d'une fois, elle avait surpris ce regard sur elle.
Mal à l'aise, Keyra se leva et se dirigea vers la cuisine pour surveiller le repas mais sa tante et sa mère veillaient déjà au grain. Comme sa présence n'était pas nécessaire, elle retourna au salon. Mais de nouveau, elle se leva, cette fois pour se diriger vers la sortie. Dès qu'elle sortit de la cour, l'un des enfants surgit devant elle.
— Keyra, Keyra, à combien égal quatre fois quatre ? lui demanda-t-il sur un ton assez sérieux.
— Seize, pourquoi tu me dem...
Elle n'avait pas terminé sa phrase que le jeune garçon courut vers ses camarades tout fier, scandant que c'était lui qui avait la vraie réponse. Keyra s'approcha du petit groupe, qui curieusement était rassemblé près de la voiture de monsieur Mensah.
— Qu'est-ce que vous faites-là?
— Keyra, regarde. La maîtresse sera fière de moi, j'ai trouvé la réponse à l'opération.
En effet depuis quelques semaines, la mère de Keyra avait remplacé une enseignante malade dans l'école primaire du quartier et les enfants semblaient l'adorer. Avec appréhension, Keyra s'approcha de la voiture de son patron le cœur battant. Les enfants s'écartèrent et elle découvrit avec horreur le nombre seize marqué à l'aide d'une pointe juste en face de la marque quatre fois quatre. Sur le champ, elle commença à faire des séances d'inspiration. La connaissant, les enfants commencèrent à reculer.
— CHRIST-JOHAN !!! s'écria-t-elle.
Pris de panique, le responsable ainsi que ses complices détalèrent illico presto. Comment allait-elle s'y prendre pour expliquer la situation à son patron ? Il serait assurément fou de rage. Inquiète, Keyra commença à se ronger les ongles du pouce et de l'index simultanément. Comme s'il avait deviné que quelque chose n'allait pas, Keyra le vit arriver vers elle. Dans un geste d'impuissance, la jeune fille s'accouda à la voiture dans l'espoir de cacher la bêtise des enfants.
— Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ?
— Je... profite... du... paysage, bégaya-t-elle.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'enquit-il.
— Riendutout, répondit-elle d'une traite.
Hermann qui commençait à la connaître su automatiquement qu'il y avait anguille sous roche. Sans dire un mot, il se rapprocha d'elle et posa ses mains de parts et d'autres de ses épaules et la mit doucement de côté. Keyra en profita pour reculer afin de fuir en douce.
— QU'EST-CE QUE... T'AVISE SURTOUT PAS DE T'ENFUIR AVANT DE M'AVOIR EXPLIQUÉ CE QUI S'EST PASSÉ !!!
— Euh... apparemment ils ont crû bon de devoir résoudre ce qu'ils croyaient être une opération sur votre voiture. Mais voyons le bon côté des choses, ils ont réussi à trouver le résultat sans l'aide de personne. Dans le cas contraire, c'est tout le système scolaire qui devrait être remis en question.
— N'essaie pas de changer de sujet. Qu'est-ce qu'ils ont foutus à ma voiture ?
— Calmez-vous, c'est tout frais on peut encore le réparer. Je connais un garage, mais c'est assez loin d'ici.
— Qu'est-ce que tu attends ? On y va.
Keyra s'exécuta et monta dans la voiture.
— On n'a même pas prévenu les autres, constata Keyra peu de temps après qu'ils aient démarrés. Je préviens Alicia par message, elle en informera les autres.
***
— Tonton Vecho, s'exclama Keyra en entrant dans le garage.
Un homme avoisinant la quarantaine avec un début de calvitie sortit de dessous une voiture et lui offrit un sourire.
— Ma p'tite Keyra, ça faisait longtemps. Bonne année mon enfant, lui dit-il en retirant ses gangs pour lui tendre la main.
— Bonne année Super Vecho, répliqua Keyra en riant.
Ce dernier l'accompagna dans son rire. Mais un raclement de gorge lui rappela la raison de leur venue.
— Qui c'est derrière toi ? lui demanda-t-il.
— Oh c'est... hum... mon, commença à bégayer la jeune fille ne sachant si elle devait le présenter comme son patron ou son beau-frère, ou alors les deux.
— Beau-frère ! Je suis son beau-frère, répondit Hermann en s'avançant vers lui, se positionnant aux côtés de la jeune fille.
Keyra hocha la tête pour acquiescer avant de lui expliquer la situation. Le dénommé Hervé, de son surnom Super Vecho qui était aussi cupide que chaleureux vit là une occasion de se faire un peu de sous. Un coup d'œil d'expert lui avait suffit pour savoir que son nouveau client était pleins aux as. Il sourit, dévoilant ses dents jaunis par l'usage de la cigarette.
— Eh bien, ce ne sera pas un petit boulot. Je m'en occuperai moi-même mais ça vous fera cinquante mille.
— C'est Christ-Johan le responsable de l'état de sa voiture, lui apprit Keyra sur un ton neutre attendant de voir sa réaction.
Le dénommé Vecho blêmit.
— Bon, je vais voir ce que je peux faire, maugréa-t-il au bout d'un moment.
— C'est le père du bambin, murmura Keyra à son patron.
Celui-ci sembla comprendre enfin la réaction du mécanicien. Super Vecho revint vers eux et leur expliqua qu'il ferait mieux de partir et de revenir plus tard car le travail risquerait de prendre du temps. Keyra lui demanda de se dépêcher et proposa à monsieur Mensah qu'ils aillent se promener pour faire passer le temps. Hermann accepta. Cela leur évitera au moins de payer le transport inutilement. Hermann et son assistante marchaient silencieusement côte à côte. Il chercha un moyen d'engager la conversation mais aucune idée ne lui vint alors il abandonna. Keyra quant à elle saluait presque tout ceux qu'ils rencontraient et leur souhaitait une belle année.
— Je travaillais avec Super Vecho pendant les vacances scolaires pour me faire un peu d'argent, c'est pourquoi je connais la majorité des personnes ici, lui expliqua Keyra.
— C'est aussi pour ça que tu n'as pas broncher quand je t'ai demandé de réparer ma voiture, pensa Hermann à voix haute en faisant le rapprochement.
— Oui.
Hermann nota l'information dans un coin de sa tête et ils continuèrent à marcher. La rue où ils se trouvaient était une rue marchande mais à cause du nouvel an, il n'y en avait que quelques-uns qui étaient présents, parmi eux, une vendeuse de bijoux bon marché. Keyra s'approcha de son étal et demanda le prix de ses articles.
— C'est magnifique, s'exclama Keyra en contemplant un lot de bracelets argentés. Combien ça coûte ?
— Mille francs.
Keyra hocha la tête mais elle se rendit compte d'un léger détail. Elle était sortie précipitamment de la maison et n'avait pas emmené son portefeuille avec elle.
— Une prochaine fois, répondit-elle à la vendeuse avec un regard assez tristounet avant de faire signe à son patron qu'ils pouvaient partir.
Son téléphone sonna alors elle s'éloigna. C'était Alexandre à l'appareil. Il lui apprit qu'il était arrivé depuis un moment mais qu'il ne l'avait pas vu. Elle lui expliqua la situation et lui apprit qu'ils ne risquaient pas de rentrer de si tôt. Quand elle raccrocha, Hermann se tenait derrière elle avec deux glaces à l'eau et un petit paquet enrubanné. Il lui tendit en premier le paquet.
— Tiens, c'est pour toi.
Keyra prit l'objet et le dépouilla de son emballage.
— Les bracelets ! s'exclama-t-elle tout sourire, les yeux irradiant de joie.
Elle les enfila sur le champ et les agita devant les yeux de monsieur Mensah.
— Regardez, ils tintent. Merci beaucoup monsieur.
— Ce n'est pas grand chose. Il y avait un problème de monnaie alors j'étais obligé de prendre ça aussi, lui dit-il en lui tendant les glaces.
— Tous les deux ? Vous n'en voulez pas ?
Il agita négativement la tête.
— Je n'aime pas les choses sucrées en général.
— Dommage.
— Je pense qu'il doit avoir fini, on y retourne ?
— Ok.
Effectivement, ils trouvèrent la voiture comme neuve à leur retour. Hermann inspecta la voiture des doigts. La peinture avait séché et le graffiti des enfants n'était plus visible. Il fut satisfait.
— Combien je vous dois ? demanda Hermann.
— C'est bon. Vous n'avez pas besoin de payer. Considérez cela comme un cadeau du nouvel an.
Keyra sourit discrètement et fit le tour afin de vérifier le travail. Hermann lui fit signe de monter et il démarra la voiture en direction de la maison de son hôte.
***
— Ah, vous voilà enfin. Vous étiez passés où ? la questionna sa tante. T'étais censée t'occuper du dessert. T'as oublié ?
— Les gâteaux au four !
Keyra se précipita en cuisine. Le temps de se laver les mains, elle préchauffa le four à quatre-vingt dix degré celsius. Comme elle avait déjà apprêté la pâte, à l'aide d'un pinceau, elle s'attela à enduire les moules de beurre fondue. Après quoi, elle se servit d'une cuillère à soupe afin de remplir les moules de la pâte. Elle les posa dans un plateau et les mit au four, oubliant d'activer le minuteur. Elle retourna au salon et s'assit près d'Alex, se mêlant à la conversation.
— Vous ne sentez pas cette odeur ? leur demanda Alice au bout d'un moment en humant l'air. Ça sent le brûlé.
Keyra huma l'air à son tour.
— Oh non ! Mes cakes !!! s'affola-t-elle.
Elle se précipita dans la cuisine mais c'était trop tard. Tout avait complètement brûlé. Déçue, elle ne put que regarder l'énorme gâchis de ses yeux larmoyants.
— Tout a cramé. Tout !
— Ce n'est pas bien grave, on peut en faire un autre, surgit une voix familière derrière elle.
Keyra se retourna et découvrit avec surprise monsieur Mensah. Il avait retiré sa veste et retroussé les manches de sa chemise blanche. D'un revers de la main, elle essuya ses larmes.
— Je ne peux pas vous laisser travailler, vous êtes notre invité.
— J'ai une idée de recette mais cela va prendre plus de temps que prévu, commença-t-il, ignorant sa réponse.
— Ce sera mieux que rien, répondit Keyra en se résignant.
— Dans ce cas attends-moi, je reviens.
Il la quitta un instant avant de revenir avec un panier contenant des pommes et un pot de cannelle en poudre.
— En arrivant j'ai vu ces pommes rouges et j'ai eu envie d'essayer la recette une fois de retour à la maison. Mais c'est un cas de force majeur qu'on a là.
Keyra sourit.
— Merci beaucoup pour votre aide monsieur.
— On va faire un quatre-quarts à la pomme et à la cannelle. Vous avez des œufs ?
— Ouep !
— De la farine ?
Elle agita un pot rempli de farine devant ses yeux en faisant un jeu de cils, ce qui arracha un mini sourire à son beau-frère.
— Il ne manque plus que le sucre, le beurre et le beurre salé.
— Pour les deux autres ça peut s'arranger mais nous n'avons pas de beurre salé, l'informa Keyra.
— Ce n'est pas un soucis. On peut en fabriquer.
Il se lava les mains en premier et enfila un tablier. Après quoi, lui demanda d'apporter le beurre. La jeune fille s'exécuta.
— Allez c'est parti !
Il prit un morceau de beurre qu'il fit légèrement fondre avant d'y ajouter une pincée de sel. Après quoi, il malaxa le beurre. Keyra se surpris à l'admirer. Une fois fait, il mélangea le résultat obtenu avec le reste des ingrédients tandis que Keyra était chargée d'épulcher et découper les pommes en quartier.
— Une fois que tu auras fini, prends le beurre doux et beurre le moule, ça nous fera gagner en temps.
Keyra acquiseça et fit comme il lui avait demandé.
— Je ne savais pas que vous saviez cuisiner.
— Pourtant tu as déjà goûté à ma cuisine, la reprit-il en la fixant dans les yeux. En fait je cuisine depuis tout petit. Ma mère me l'as appris. Elle était une excellente cuisinière et elle a réussi à me communiquer son amour pour la cuisine. En grandissant je rêvais d'ouvrir mon propre restaurant où je pourrais faire goûter ma cuisine à tout le monde. Mais comme tu le vois, mes objectifs ont changés et avec mes responsabilités j'ai de moins en moins de temps pour cuisiner. Conséquence, rare sont les fois où je peux goûter à ma propre cuisine.
— Dois-je me sentir honorée dans ce cas ?
Il haussa les épaules.
— Je crois que oui. J'ai dû annulé certains rendez-vous juste pour pouvoir te préparer ce plat.
Keyra fit de gros yeux ronds face à cette révélation inattendue.
— Je plaisante, t'aurais dû voir ta tête. Ça été plutôt rapide en fait. En plus je devais trouver un moyen commode de te remercier pour ce que tu as fait pour l'agence. J'y tiens beaucoup.
Ne sachant quoi répondre, Keyra se contenta de sourire. Sous la directive de monsieur Mensah, elle plaça les morceaux de pomme dans le moule. Monsieur Mensah y ajouta la pâte. Ils placèrent le tour dans le four à 180° celsius sans oublier de mettre le minuteur à quarante cinq minutes.
— Il ne nous reste plus qu'à attendre, l'informa-t-il.
Le ventre de Keyra gargouilla.
— Je crois que je ne pourrais pas attendre, lâcha-t-elle un peu gênée.
Hermann sourit et se lava les mains. Il s'apprêtait à retirer le tablier quand Keyra l'en empêcha.
— C'est rare de vous voir ainsi, je peux prendre une photo s'il vous plaît ? supplia-t-elle avec le regard de chien battu dont elle seule avait le secret.
Il sembla hésiter un instant avant d'accepter. Keyra se plaça devant lui et prit un selfie en faisant un V avec sa main droite.
— Les chefs cuistots, on passe à table ! leur cria sa mère.
— Enfin ! s'exclama Keyra en tapant des mains.
Monsieur Mensah se débarrassa du tablier et ils se dirigèrent dans la salle à manger. Tout le monde était déjà assis. Ils n'attendaient plus qu'eux. Madame Tancey, le couple Blin ainsi qu'Angela et Alice avaient pris place du côté droit de la table. Sur la gauche, tante Marie qui faisait face à sa belle-sœur, Alicia, André et Alex. Il ne restait plus que deux places. L'une à côté d'Alex et l'autre qui faisait face à monsieur Tancey. Keyra s'assit près d'Alex qui lui offrit un sourire et Hermann ne put que s'asseoir dans la chaise restante. Monsieur Tancey leur informa qu'ils allaient rendre grâce pour le repas. Il tendit les mains vers son épouse et sa sœur qui à leur tour tendit l'autre main à leurs partenaires de table et ainsi de suite. Keyra se retrouva à devoir attraper la main de son ami et celle de son patron. Pour une raison inconnue, elle ressentit de nouveau son cœur tambouriner dans sa poitrine. Elle n'avait pas le temps de s'interroger là dessus. Keyra ferma les yeux avant que son père n'entame la prière.
— Seigneur Jésus nous te rendons grâce pour ces mets sur la table. Père bénis les mains de ceux qui ont pourvus à ce repas, bénis aussi les mains de ceux qui les ont préparés. Souviens-toi des nécessiteux et ne les laisse pas dormir dans la faim. C'est en ton nom Jésus que j'ai prié, Amen.
— Amen ! répondit le reste de la famille.
Ils se souhaitèrent un bon appétit et s'apprêtaient à manger quand Keyra se leva subitement, son verre à la main.
— Excusez-moi, je voudrais d'abord portez un toast. Je suis vraiment reconnaissante pour cette année qui s'est écoulée. Tant de choses se sont passées mais je ne retiendrais que les évènements positifs. Comme par exemple la grossesse de Patricia, l'opération de Papa, le nouveau job d'Alicia et sa nouvelle vie de couple. Je suis vraiment heureuse des rencontres que j'ai faite, même si j'aurais voulu rencontrer certains dans d'autres circonstances, dit-elle en glissant un coup d'œil à monsieur Mensah. Je nous souhaite à tous une belle et heureuse année deux mille dix neuf.
Où que tu sois je te souhaite un joyeux anniversaire et une heureuse année Happy.
— Bonne et heureuse année tout le monde, reprirent-ils en faisant s'entrechoquer leurs verres.
Chacun se servit et ils commencèrent à manger dans la bonne humeur, discutant de bonne foi. Le minuteur sonna quelques temps plus tard.
— C'est prêt ! s'exclamèrent simultanément Keyra et son patron.
— On revient tout de suite, informa Keyra avant qu'ils ne prennent la direction de la cuisine.
— Hum, comme ça sent bon. J'ai hâte d'y goûter.
Hermann ouvrit le four et retira le plat encore fumant. À l'aide d'un couteau, il retira délicatement le quatre-quart du moule. Il découpa de sorte à ce que soit équitable en veillant à laisser un morceau en plus pour que Keyra puisse en goûter.
— C'est tellement délicieux, je vous le dis vous avez raté votre vocation, le complimenta Keyra la bouche pleine.
Hermann sourit à son tour, satisfait de sa réaction.
— T'as la recette, tu pourras t'en faire d'autres à l'avenir.
— Mouais.
Keyra avança sa main dans le plateau pour prendre une autre part mais il l'arrêta à temps en lui donnant une tape sur la main.
— Ce n'est pas assez. Tu ne peux plus en prendre.
Keyra hocha la tête avec un air faussement innocent pour dire qu'elle avait compris et promis de ne pas recommencer. Pourtant quand il lui donna dos pour prendre des couverts, Keyra en profita pour prendre une tranche. Suivant son instinct, Hermann se retourna vivement et vit le gâteau dans sa bouche. Sans crier gare, il l'attira à lui, posa sa main dans sa chute de reins et l'autre tenant son bras, il s'empara de l'autre moitié restante avec sa bouche, effleurant ses lèvres au passage. Keyra se raidit et s'éloigna de lui, les joues rosies. Tout s'était passé tellement rapidement qu'elle n'avait pas eu le temps de réagir.
— Je t'avais prévenu. La prochaine fois je ferais pire.
Keyra se racla la gorge et inventa un prétexte pour s'éloigner de lui. Il termina d'apprêter le dessert. De son côté, Keyra s'était réfugié dans la salle de bains afin de reprendre ses esprits. Tout comme pendant la prière, elle sentait ces chevaux galoper dans sa poitrine. Autrement ce n'était pas possible qu'il batte autant. Pourquoi est-ce qu'à chaque fois qu'il initiait une action, elle se retrouvait toujours dans cet état ? Pourtant elle était sûre et certaine que la personne dont elle était amoureuse était Alex et elle comptait le lui faire savoir avant qu'il ne reparte pour les États-Unis. Keyra se calma et sortit les rejoindre dans la salle à manger.
— Je vous présente le quatre-quarts à la pomme et à la cannelle, leur annonça monsieur Mensah en posant le plateau sur la table. Il devrait en avoir plus mais je n'ai pas pu empêcher les souris d'emporter un morceau, continua-t-il en lui jetant un coup d'œil.
Keyra sentit ses joues se chauffer et rougit malgré en elle en se rappellant du contact de ses lèvres sur les siennes. De nouveau mal à l'aise, elle s'assit timidement dans son siège. Keyra les laissa se servir en premier se sachant en tort mais il ne restait plus rien dans le plateau.
Je le mérite, pensa-t-elle.
— Partageons le mien !
Les deux hommes échangèrent un regard de défi sur le coup. Keyra regarda d'un air malaisé les deux plats devant elle.
— Merci monsieur, mais je vais partager celui d'Alex.
— Tu peux le prendre, je n'en ai plus envie, répondit-il.
Il s'excusa avant de quitter la table. Keyra jeta un discret coup d'œil dans sa direction par dessus son épaule.
— Le problème est réglé, tu peux prendre celui d'Hermann, lui conseilla Alice faisant signe à Alex de retirer son plat devant Keyra.
— Oui, approuva le benjamin des Mensah. Bon appétit tout le monde.
— C'est bon, je n'en ai plus envie non plus, répondit-elle à son tour. Tu peux manger le tien Alex, je vais rendre celui-ci à monsieur Mensah.
Sans qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit, Keyra prit l'assiette et partit rejoindre monsieur Mensah dans l'arrière-cour sous le regard ébahi des autres.
— Je m'excuse si je vous ai offensé tout à l'heure monsieur. Vous avez été super gentil et patient envers moi toute la journée, je...
— Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas en colère. J'ai senti mon téléphone vibrer tout à l'heure alors j'en ai profité pour sortir. Finalement ce n'était rien d'important.
— Alors vous n'êtes pas fâché ?
— Pourquoi le serais-je ? demanda-t-il en arquant un sourcil.
— Votre part, répondit-elle après un sourire en mettant le gâteau en évidence.
— Par contre j'étais sérieux, je n'en veux plus.
— Pourquoi ?
— Je ne veux pas effacer le goût que tes lèvres ont laissé sur les miennes, déclara-t-il le plus sérieusement possible en la fixant ardemment.
Keyra rougit. Elle agita la tête nerveusement, comme pour effacer les mots qu'il venait de prononcer de sa mémoire.
— Vous devriez faire attention à vos mots, quelqu'un pourrait vous entendre et se méprendre. Nous savons tous les deux que c'était un accident.
— Que dirais-tu si je te disais que je l'avais fait exprès et que peut-être j'en avais souvent rêvé ?
Déboussolée, Keyra qui ne savait pas quoi répondre trouva un intérêt subite pour le gâteau dans sa main. Monsieur Mensah continua imperturbable.
— Si tu veux vraiment que je goûte à ce dessert, je ne serais pas contre de reproduire l'incident de tout à l'heure, dit-il en clignant simultanément ses index et majeurs.
Troublée par ses propos, Keyra crû bon de retourner dans la maison. À peine lui avait-elle tourné le dos qu'il la saisit par le bras, l'obligeant à faire volte-face. Voyant qu'elle s'évertuait à éviter son regard, il posa ses doigts sous son menton et releva son visage. Lorsqu'enfin son regard perçant se posa sur lui, il en fut électrisé. Maintenant le contact visuel, Hermann mordit lentement dans le gâteau et lui tendit la moitié restante, l'incitant à la prendre du regard. Veillant à ne pas toucher ses lèvres, Keyra accepta de manger l'autre part. Monsieur Mensah lui sourit.
— Le goût est encore meilleur comme ça, tu ne trouves pas ?
Avant qu'elle n'ait le temps de se libérer de son emprise, Hermann en profita pour caresser ses joues. Du bout des doigts, il dessina le contour de ses lèvres. Keyra le supplia intérieurement de mettre fin à cette torture. Sa respiration devint irrégulière. Elle avait l'impression qu'il avait le total contrôle sur elle.
Alternant le regard entre ses yeux et ses lèvres, Hermann se pencha vers elle et posa délicatement ses lèvres sur les siennes. Keyra cligna des yeux plusieurs fois. De nouveau, elle ressentit ce frisson qui l'avait parcourue plus tôt mais aussi une sorte de retenue chez monsieur Mensah. Comme s'il voulait lui donner la chance de revenir en arrière. Mais la tentation était trop forte. La machine était déjà lancée. Elle n'avait aucune envie de faire machine-arrière. Bien que sa raison lui criait de le repousser, son corps refusait de lui obéir.
Décidée, elle ferma lentement les yeux et se laissa aller. Elle voulait expérimenter ce que ça faisait de se sentir désirée, même si ce n'était que pour un quart de seconde. Il titilla ses lèvres, lui demandant l'accès. Depuis le temps qu'il se retenait. Il lui semblait que le temps s'était arrêté, juste pour eux. Il glissa sa main sur sa taille pour accentuer le baiser. Hermann la sentit se cambrer au contact de ses doigts.
Timidement, la jeune fille posa sa main libre sur son torse et l'estomac noué par cette vague d'émotion qui l'emplissait, elle répondit à son baiser. Hermann avait l'impression de découvrir ce qu'était le désir pour la première fois. Il avait pensé qu'une fois ce fantasme réalisé, il passerait à autre chose. Mais au contraire, il avait envie d'explorer chaque centimètre carré de sa peau. Il l'attira un peu plus vers lui, laissant sa poitrine s'écraser contre son torse.
Lentement, son baiser se fit plus profond, plus dominateur mais sans être bestial. Keyra se hissa sur la pointe des pieds afin de s'abandonner totalement à lui. Ce sentiment de sécurité qu'elle ressentait la mettait en confiance. Un peu à contrecoeur, il mit fin au baiser quand le souffle commença à leur manquer, leur deux cœurs tambourinant au même rythme. Hermann posa sa main sur ses joues rosies et les caressa. Le regard ancré dans les yeux de l'autre, aucun des deux n'osaient parler, de peur de gâcher ce moment aussi agréable qu'insolite.
— Qu'est-ce que vous faites ?
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5946 mots !
Salut salut les amis !!! Après une pause (indépendante de ma volonté ,😖) me voici de retour avec un chapitre fort en émotion (ou pas ! 🤔) Comme toujours, j'espère que vous vous êtes régalez. Portez vous bien, bisous et à la prochaine😘😘😘
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