Episode HISTOIRE: Le frère d'Alzaïr

            Elle courut dans les escaliers et sauta les quatre dernières marches, en lançant son couteau, que l'on évita. Elle atterrit sans se faire mal et plaqua l'homme à terre. Un deuxième couteau en main, elle le planta à deux centimètres du visage de l'intrus.

« -Vous réalisez ce que vous venez de faire ?

-P...P...Princesse ?

-Essayer de venir me chercher alors que mon dragon est parti faire des courses ! Vous n'êtes qu'un lâche !

-C...Comment pouvais-je le savoir ? »

Assise à califourchon sur son dos, elle approcha son visage du sien, du côté où il n'y avait aucun couteau.

« -Il y avait une pancarte sur la porte. Vous avez été prévenu. Je ne fais qu'attaquer ceux qui ne se plient pas aux règles. Cependant, bravo. Vous êtes le premier à ne pas vous être enfuit après la première menace. Ou évanouit.

-Comment un simple couteau avec un message se plantant juste à deux doigts de ma tête pourrait me faire fuir ? Je suis un prince !

-Vous pourriez être étonné du nombre de princes qui fuient pour une sauterelle ou un grognement...

-Vous pouvez me lâcher ?

-Pas tant que Alzaïr ne sera pas là.

-Alzaïr ?

-Mon dragon, pauvre demeuré !

-Qui est-ce qui vient de me sauter dessus en criant comme une folle ?

-Et qui est-ce qui vient dans une tour réputée pour être une des plus dangereuses, rien que pour une Princesse ? Elle-même réputée pour avoir déjà atteint la vingtaine d'année ?!

-Alors vôtre âge n'était point un mensonge... Vous n'avez pas l'air d'être si vieille. »

Elle se retint d'étrangler l'homme et se répéta que c'était peut-être là un compliment. Mais quoiqu'elle fasse, cela l'avait tout de même blessée.

« -En quoi avoir vingt ans c'est être vieille ? Je suis encore toute jeune !

-Pour une princesse ? Vous auriez déjà due être mariée depuis des années.

-Et alors ? Vous pensez à la Belle au Bois dormants ? Hein ? Cent ans, qu'elle a attendu ! Alors ne venez pas vous plaindre !

-Techniquement, son temps à elle s'était arrêté durant ces cent années.

-Je ne pourrais plus vieillir après vingt-cinq ans, pauvre idiot !

-Elle, elle avait seize ans quand elle s'est endormie.

-Bon dieu, vous avez quel âge, vous, alors ? Pour choisir une princesse que vous trouvez si vieille ?

-Vingt-sept ans...

-Ah ! C'est vous qui êtes vieux ! Trente ans bientôt, et toujours pas de femme ?

-La ferme ! Moi, mon âge n'a pas d'importance ! Je suis un homme, je vous rappelle ! J'ai le droit d'être marié à une femme bien plus jeune sans jamais être mal vu !

-Ce sont les anciennes mœurs, aujourd'hui, vous seriez accusé de sexisme en disant ces mots !

-Nous sommes dans un conte de fée, nous vivons des anciennes mœurs, idiote !

-Qui vous appelez idiote ? »

L'erreur avait été commise. La pire insulte que l'on pouvait lui faire. Idiote. Elle. Qui avait étudié sept jours sur sept, confinée dans sa chambre. Elle, qui avait lu tous les livres de la bibliothèque royale concernant les activités intellectuelles. Elle. Qui avait appris tant de choses et avait souffert des punitions de sa marraine rien que pour cela.

Elle bouillonnait tant de rage que même les murs en tremblaient.

« -Hey, qu'est-ce que tu fais ? C'est brûlant !

-C'est juste mon aura, prince. Si tu veux survivre, excuse toi.

-Et pourquoi je m'excuserais ? Tu m'attaques sans raison, tu m'insultes de demeuré, et maintenant ça ?

-Tu ne tiens pas vraiment à la vie, pas vrai...

-Je ne céderai pas ! Je n'ai pas peur !

-Alors tu veux mourir ! »

La porte d'entrée s'ouvrit avec fracas. Un immense dragon entra dans la tour et hurla.

« -Qui ose entrer dans mon antre pendant mon absence ?

-Alzaïr ! Te voilà ! Laisse moi m'occuper de lui ! Il m'a insultée ! »

Le dragon regarda de plus près la scène, étonné.

« -Il n'a pas été effrayé par la première menace ?

-Vous n'avez vraiment que des fillettes pour venir chercher la princesse ? T'as pas vraiment de chance, à ce que je vois, Zïr...

-Zïr... Serait-ce... Alors tu es... Maunïr ! Relâche le, princesse ! C'est mon frère !

-Hein ? »

Dix minutes plus tard, ils se tenaient tous trois dans le salon. Alzaïr avait repris forme humaine. Morgane et le nouveau venu se regardaient, menaçants, prêts à se battre de nouveau.

« -Alzaïr. Tu as intérêt à tout m'expliquer. J'espère que tu as infusé du bon thé !

-Morgane, voici Maunïr, mon grand-frère. Il est l'aîné de la famille. Mais cela m'étonne qu'il soit venu ici. Je pensais que tu ne viendrais visiter ton petit-frère que si tu ne trouvais aucune princesse avec qui te marier ? »

L'homme ne répondit rien.

« -Ne me dis pas que tu n'en n'as trouvé aucune ? »

Il se contenta de regarder son petit-frère en croisant les bras. Prenant une voix ridiculement aiguë, Alzaïr se moqua :

« -Si beau, si bien élevé ! Maunïr, le premier fils magnifique du grand Roi Dragon, héritier du trône, sera forcément marié dès ses vingt ans ! Il ne peut être qu'un prince charmant ! Il faisait chavirer déjà tant de cœurs, petit !

-Attends... Maunïr est vraiment un prince ?

-En effet. Je suis le prince héritier du royaume de Bordeterre.

-Ce ne serait pas plutôt Bordeciel ?

-Non. Je ne vois pas d'où tu sors ce nom.

-Moi non plus. Je trouvais juste ça plus classe. Skyrim...

-Tu insinues que Bordeterre n'est pas un nom classe ?

-C'est totalement nul.

-Répète un peu, princesse des contrées Deloin ?

-Un problème ? »

Alzaïr soupira.

« -Vous êtes faits pour vous entendre, à ce que je vois.

-Alzaïr ! Comment peux-tu garder cette fille ? Comment un garçon manqué comme elle peut être une princesse ? J'aurais été à ta place, je l'aurais mise dans les bras du premier prince venu !

-Fais attention à ce que tu dis, elle est un prodige dans ce qui est du lancer de couteaux et des armes en tout genre. Et puis, je ne vois pas ce que tu as contre Morgane. Elle est plutôt une bonne princesse, malgré ce que tu dis. Je vais chercher des gâteaux. »

Alors qu'il allait partir, un couteau se planta au bout de sa chaussure, l'empêchant de bouger. Il pouvait toujours enlever sa chaussure pour continuer sa route, mais il ne valait mieux pas bouger.

« -Attends une minute, dragon. Tu me dois encore quelques explications. »

Qu'elle l'appelle ainsi « dragon » n'était pas bon signe. Elle était en colère. Et son frère avec la langue bien pendue ne devait pas améliorer son humeur.

« -Que se passe-t-il, princesse ?

-Ton frère est le prince héritier d'un pays au nom étrange. Donc techniquement, tu es un prince aussi.

-Exactement.

-Tu peux m'expliquer ce que tu fais ici ?

-Pardon ?

-Tu es un prince, alors que fais-tu dans cette tour à me garder ?

-Oh, je ne suis pas le prince héritier. Je n'aurais pas le trône. Le mieux que je puisse faire, c'est devenir seigneur ou chevalier. Comme je suis aussi un dragon, et que je suis le seul parmi tous mes frères à pouvoir accomplir un rôle de gardien, me voilà.

-Tu as préféré devenir dragon gardien plutôt que seigneur ?

-Je n'avais pas vraiment le choix, en fait. Maunïr est aussi fort qu'un nouveau-né, tout comme mes autres frères. Ils peuvent à peine se transformer en dragon une fois par mois.

-Il a raison. Sur ces points, il est la fierté de la famille. Il aurait été le prince charmant parfait, s'il avait été le premier fils. Mais manque de chance, il est le troisième.

-C'est donc à lui de se marier au plus vite pour assurer la descendance. D'après mère, il est le plus beau de nous tous. Il aurait dû être marié, à son âge. Père compte sur lui, il aimerait partir en vacances au plus vite. »

Morgane regarda les deux hommes tour à tout en se grattant le menton.

« -Je trouve Alzaïr plus beau. »

Maunïr se tint le cœur en prononçant un « aïe » vexé devant le ton tellement honnête ne la princesse. Le jeune dragon rougit.

« -Je ne m'attendais pas à ce qu'une princesse complimente ainsi son dragon... Ce n'est pas comme si j'étais ton prétendant, après tout.

-Alors tu n'es vraiment pas venu pour moi ?

-En fait, j'y ai pensé. Mais en voyant ta personnalité, je me suis tout de suite résigné.

-Toi ! Tu vas voir !

-Du calme, Morgane. Mon frère n'a pas les qualifications nécessaires pour être ton prince charmant. Rappelle toi des conditions imposées par ta marraine Chourouge : Il doit être de sang royal et avoir le cœur pur. Il doit savoir protéger une princesse de sa vie sans aucune hésitation et être courageeux. Il doit avoir la fierté et l'âme d'un guerrier. Il doit être beau, tel un dieu. Mais par dessus tout, et le point pour lequel aucune exception ne peut être faite, il doit avoir la force égale ou supérieure à celle d'un dragon.

-En gros, à part cette histoire de fierté et d'âme de guerrier, tu viens de te décrire, Alzaïr.

-Quoi ? Eh, attends... J'en ai, de la fierté !

-Hem... Et tu viens de dire qu'il avait la force d'un nouveau-né.

-Exactement.

-Donc ce prince ne vaut rien.

-Qu'est-ce que tu dis ? Comment ça, je ne vaux rien ? Princesse masculine !

-Tu veux vraiment mourir ! Qu'est-ce que tu fais ici si tu n'es même pas digne d'être un prince ?

-Je suis digne d'être un prince ! Je suis juste venu te demander de l'aide !

-Et agir comme ça rien que pour demander de l'aide ? Tu peux poser tes fesses dessus !

-Morgane, ne sois pas si vulgaire ! Écoute un peu ce qu'il a à dire ! Maintenant, je vais aller chercher des gâteaux. Ne me retiens pas, cette fois. »

Le prince héritier et la princesse regardèrent Alzaïr débarrasser les plateaux et s'éloigner.

« -Tu as réussi à transformer mon frère en une femme de chambre. Incroyable.

-Il n'a pas toujours été comme ça, c'est vrai. Il agit comme ça depuis mes quatorze ans...Oh. Je crois qu'il a peur de moi depuis tout ce temps.

-Je peux comprendre pourquoi.

-Répète un peu ce que tu dis !

-Enfin, je suis juste venu te demander si tu ne connaissais pas des princesses célibataires pour qui je remplirais les conditions.

-La seule princesse avec qui je parle, c'est Blanche-Neige. Mais elle m'a dit que Cendrillon avait une fille, maintenant. Elle doit avoir quinze ans, quelque chose comme ça. Tu devrais te dépêcher avant qu'on te la prenne. Je doute qu'elle ait un dragon, à mon avis, il doit encore y avoir une histoire de bal... Renseigne toi.

-Merci, j'irais voir de ce côté... C'est tout ?

-Comme je te l'ai dit, je ne parle qu'à Blanche-Neige. Je suis incapable de m'entendre avec les autres. Il n'y a rien d'intéressant à parler de cosmétiques et de couture. Je préfère parler d'armes ou d'oiseaux.

-Le point sur les oiseaux m'étonne, mais le reste correspond à l'idée que je me fais de toi. Tu n'es pas une princesse comme les autres.

-Que je sois damnée si je le deviens! J'aime être comme je suis ! Cela convient à Alzaïr, alors ça me va aussi. Ça signifie qu'il y a bien un prince, quelque part, qui pourra devenir mon prince charmant !

-Tu es vraiment aveugle, hein ?

-Pardon ?

-Je n'ai rien dit... »

Il passèrent la fin d'après-midi à se disputer, devant un Alzaïr qui essayait de tout faire pour que personne ne blesse l'autre. Épuisé, il s'affala sur un siège lorsque son frère fut parti.

« -Ton frère est un idiot. Il me fait beaucoup penser à toi.

-Hey, Morgane !

-Je me suis bien amusée. Tu pourras lui dire qu'il est libre de venir quand il veut !

-Vous avez passé la journée à vous crier dessus !

-Ce n'était pas méchant...

-Tu as simplement faillit l'étrangler à trois reprises, l'écorcher deux fois, l'éborgner une bonne dizaine de fois, et lui planter un couteau dans le cœur six fois.

-Si j'avais été vraiment sérieuse, tu penses que j'aurais simplement « faillis » ?

-Ma chère princesse, vous êtes cruelle.

-Et vous mon cher dragon, vous êtes trop gentil. C'en est presque idiot. »

Il leva les yeux vers elle. Elle s'assit sur l'accoudoir du fauteuil où il était assis.

« -Cela te convient vraiment d'être ici ? Tu es un prince. Tu es fait pour la vie de noble, pas de dragon à moitié esclave.

-Je ne suis pas à moitié esclave. Je le suis totalement.

-Alzaïr... Ou devrais-je dire, mon prince ? Je suis sérieuse. Tu as le droit de révoquer ton statut de dragon, alors pourquoi tu continues d'être ici ? Tu pourrais être libre ! Avoir une vie de seigneur, ce n'est pas si mal !

-Mais je préfère être avec toi. Je préfère être ici qu'être libre, mais seul.

-Tu ne serais pas seul, si tu devenais seigneur.

-Si je ne suis pas avec toi, je serais comme incroyablement seul. Ne pense pas que je pourrais te quitter si facilement, Morgane. Et puis, qui te garderait, si je partais ?

-Probablement un vieux dragon qui piquerait toute l'argenterie pour s'endormir dessus.

-Mais si je partais, je viendrais te chercher. Après tout, c'est moi, ton prince charmant ! »

Elle rit.

« -J'attends votre arrivée, alors, mon prince. Mais si tu restes ici, ça n'arrivera pas !

-Un autre prince viendra. Un qui saura t'apporter une vraie vie de princesse. Un qui aura une vraie fierté de guerrier, puisqu'apparemment ce n'est pas mon cas.

-Je t'ai vexé, mais c'est vrai ! Si tu en avais, tu ne serais pas ici en train de jouer les esclaves !

-Tu n'as pas tort... »

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