Chapitre 42 : Stratégie

- Votre Majesté ! s'écria la nouvelle venue.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda durement Dayana, qui avait la désagréable impression de perdre le contrôle de la situation.

- Attends, tu la connais ? s'étonna Freya.

- Bien sûr qu'on se connaît, s'exclama la jeune femme aux cheveux de jais. Nous nous sommes rencontrées à Mythmore et avons même pris le thé ensemble !

- Je répète, que fais-tu ici, Maxelia ?

- Vous allez rire, quelques jours après votre départ, je me suis rendue compte que l'inconnue que j'avais invitée chez moi était en réalité vous, la princesse ! Je me suis donc précipitée vers la capitale et j'ai fait escale ici. Au comptoir, la personne devant moi a demandé une chambre avec vue sur le port et a obtenu une chambre avec vue sur le jardin. Je ne savais pas à l'époque que c'était un code. Bref, quand vient mon tour, je demande une chambre avec vue sur jardin mais Gretta m'a dit qu'elle n'en avait pas d'autre et me donne une chambre normale, sauf que ce n'est pas ce que je voulais, donc je suis allée voir la personne qui avait piqué ma chambre, je suis entrée...

- Sans frapper, intervint La Salamandre, à la fois énervé et blasé.

- Et surprise ! Je tombe sur le chef des rebelles, reprit Maxelia en l'ignorant. Comme je suis une mage très puissante et célèbre, il m'a demandé de le rejoindre. j'ai accepté et voilà ! Ah je suis si contente de vous revoir, Votre Majesté !

- Tu as pris le thé avec elle et tu n'as pas pensé bon de le mentionner ? réprimanda Freya en fustigeant Dayana du regard. C'était là que tu te cachais quand tu as disparu pendant des heures !

- Ce que je fais ne te regarde pas.

- Hé mais elle n'est pas restée des heures chez moi. On a un peu discuté et puis elle est partie en trombe soudainement sans un au-revoir et sans explications.

- Bon, on est là pour détrôner Valkar ou pour parler ragots et potins ? s'énerva Dayana.

- C'est exactement ce que j'allais dire ! Nous sommes là parce que nous avons une mission importante, si vous voulez parler chiffon, allez-vous en, s'impatienta La Salamandre.

L'assassin et la magicienne se turent, un peu penaudes.

- Bien, reprit le chef des rebelles, qui a une idée ? Je pensais faire entrer la princesse par la porte des domestiques et la mener discrètement jusqu'à la salle du trône où elle reprendra le pouvoir, qu'en pensez-vous ?

- ça ne va pas, intervint Gretta qui n'avait pas pu en placer une jusqu'alors. Pour commencer, Votre Majesté, ravie de vous revoir. Ensuite, il faut que tout le monde puisse la voir. Toute la ville doit savoir que la princesse est de retour, pour plusieurs raisons. Cela apportera de l'espoir au peuple, que leur calvaire est bientôt terminé. La princesse sera alors soutenue et Valkar sera acculé, car s'il ne laisse pas le trône à l'héritière légitime, cela déclenchera une guerre civile.

- Mais elle sera à découvert et vulnérable aux attaques, désapprouva Bun.

- Ce n'est pas un problème, rétorqua Maxelia, je peux maintenir un bouclier magique pour la protéger. Même si je sais que vous en êtes parfaitement capable, Votre Majesté, ce serait un honneur pour moi et vous devez économiser vos forces pour après.

- Comment voulez-vous que toute la ville me voit ? demanda la princesse à Gretta.

- Une procession, répondit l'aubergiste. Vous arrivez dans la ville sur votre cheval, visage et cheveux découverts, avec Bun et La Salamandre à vos côtés, et vous remonterez toute la ville jusqu'au château. Vous montrerez ainsi que vous avez l'approbation des rebelles et la présence d'un noryn feront douter même les plus crédules quant à l'histoire qu'on leur a raconté.

- Dans ce cas, il lui faut une belle robe ! s'enthousiasma la mage.

- Pardon ? dit Dayana, interloquée.

- On n'a vraiment pas le même sens des priorités.... grogna Bun.

- C'est important de bien présenter ! affirma Maxelia. Non mais regardez-la, elle a l'air d'une voleuse avec sa tenue de cuir noire ! Et puis je ne parle pas de sa cape bas de gamme et de la broderie de chat, c'est d'un ridicule et qui ne sied guère à une princesse !

Dayana n'en revenait pas que Maxelia se permette de critiquer ainsi ses vêtements. Une colère noire enfla en elle. Mena avait toujours mis beaucoup de soin et d'amour dans la fabrication de ses vêtements, y compris lorsqu'elle avait demandé de s'habiller en cuir plutôt qu'en tissu, qui s'abîmait trop vite. De plus, sa mère adoptive lui avait confectionné cette magnifique cape comme souvenir d'eux, comme cadeau d'adieu....

- Cette tenue est très bien, gronda-t-elle.

- Mais une robe vous irait mieux et assoirait votre statut de reine ! Une belle robe bleue comme vous en portiez avant, comme sur le portrait que j'ai vu, ça vous allait si bien ! Vous aurez vraiment l'air d'une princesse là-dedans.

- Il en est hors de question. J'ai changé et cette époque est révolue. Je ne peux pas m'habiller "comme avant", comme si rien ne s'était passé.

- Mais....

- de toute façon, intervint Gretta en lançant un regard appuyé à Maxelia, si ça dégénère, il vaut mieux que vous puissiez bouger librement plutôt que de vous empêtrer dans les froufrous de votre robe.

- Gretta a raison, approuva La Salamandre. On n'organise pas un défilé de mode mais un renversement de pouvoir. D'ailleurs, Princesse, je tiens à vous prévenir, il n'y a qu'une seule manière dont les choses peuvent se terminer, et c'est par la mort de Valkar. Je sais que c'est votre oncle, mais il a fait trop de mal à trop de personnes, et il ne lâchera jamais le pouvoir. C'est vous ou lui.

Bun saisit l'opportunité pour dire ce qui lui pesait sur le cœur.

- Je suis d'accord avec lui. Je suis sincèrement désolée Dayana, mais ma tribu passe avant tout, et je me dois de les venger.

- Je dois admettre que je redoutais un peu que vous me disiez ça... avoua la jeune femme avec un sourire triste. Sachez que je comprends, je comprends vraiment, mais je vous demande malgré tout de réfréner vos ardeurs et de lui laisser une chance de s'expliquer et d'abdiquer. Juste... laissez-lui une chance. S'il ne la saisit pas alors....

Elle ne put terminer sa phrase. Elle savait que Valkar était un tyran, mais il était aussi la seule famille qui lui restait. En son for intérieur, elle espérait qu'il avait une bonne explication justifiant les atrocités qu'il avait commises, mais elle n'y croyait pas vraiment. En revanche, si elle apprenait que c'était lui qui avait tué ses parents, alors il n'y aurait plus de famille qui tienne, et elle déverserait sa haine sur lui.

- C'est d'accord, répondit La Salamandre. Bon, puisque nous avons un plan, je suggère que nous allions tous nous reposer. Nous partons demain à l'aube pour la capitale.

***

Dayana était assise, les genoux sous son menton, devant la cheminée du rez-de-chaussée. Elle avait dédaigné les chaises derrière elle au profit du tapis. Elle pouvait ainsi prétendre qu'elle était chez elle, avec Mena et Sinari dans la cuisine en train de préparer le repas. Elle avait laissé La Salamandre et Gretta peaufiner les détails du plan et les autres étaient parties se restaurer. Un peu de calme et de solitude lui faisait le plus grand bien. Maxelia l'avait vraiment énervée avec ses commentaires désobligeants. Elle secoua la tête et préféra se concentrer sur sa confrontation avec son oncle. Elle appréhendait sa réaction, de découvrir qu'il était responsable de la mort de ses parents. Elle redoutait de devoir le tuer, mais en même temps, elle y était résignée.

Elle soupira. Elle avait hâte que demain soit passé.

- ça va ? fit une voix rauque derrière elle.

Bun s'assit à côté d'elle. C'était la deuxième fois qu'il faisait ça et qu'il semblait sincèrement inquiet pour elle. Dayana ne comprenait pas pourquoi il avait changé de comportement et cela la travaillait.

- Ce ne devait pas être une conversation très agréable pour toi, reprit-il.

- Je vais bien.

- Arrête de dire ça, c'est insupportable à la fin ! explosa soudainement Bun en se relevant.

- Pardon ?

- Pourquoi tu ne veux jamais dire quand ça ne va pas ? Tu crois que je vais aller raconter au monde entier tes problèmes ?

- Mais pas du tout ! s'irrita Dayana en se levant également pour lui faire face. Pourquoi tu t'énerves comme ça ?

- Je m'inquiète pour toi et tu mens tellement que ça en devient ridicule.

- Pardon ? gronda-t-elle. Et depuis quand tu t'inquiètes pour moi ?

- Depuis que j'ai appris à te connaître et que j'ai eu peur de te perdre ! Tu m'as dit que tu voulais me sauver, et bien peut-être que moi aussi je veux te sauver. Alors maintenant, dis-moi ce qui ne va pas.

- Je t'ai dit que j'allais bien, siffla-t-elle en lui tournant le dos.

- Tu ne me fais pas confiance c'est ça ?

- Ce n'est pas ça....

- Alors c'est quoi ? Pourquoi tu ne veux pas me dire ?

Dayana ne répondit pas. Les bras croisés sur sa poitrine, elle tentait désespérément de faire cesser les tremblements de son corps et de ravaler le flot de larmes qui montait. Elle ferma les yeux. Elle voulait juste qu'il parte. Elle voulait juste être tranquille, seule. Si elle l'ignorait, peut-être qu'il abandonnerait et qu'il partirait.

- Pourquoi tu dois toujours être forte ? continua le noryn. Pourquoi tu ne veux jamais rien montrer ? Pourquoi tu te renfermes constamment ?

Silence.

- POURQUOI ? hurla Bun.

- PARCE QUE ! rugit Dayana en se retournant brusquement, les yeux brillants de larmes. Parce que j'ai fait une promesse. J'ai promis à ma mère, juste avant qu'elle ne se fasse tuer, que je serais courageuse. Parce que ça ne sert à rien de dire ce qui ne va pas, parce que personne ne peut m'aider. Parce que je ne veux pas que mes proches s'inquiètent pour moi, je refuse qu'ils portent mon fardeau. Parce que je ne veux pas de la pitié des gens.

Elle prit une profonde inspiration, se calma et rétablit sa façade.

- Parce que je suis la princesse, je suis courageuse, et je vais bien, conclut-elle.

Elle s'attendait à ce que le noryn quitte la pièce, satisfait d'avoir obtenu des réponses, mais au lieu de ça, il s'approcha d'elle, passa un bras autour de sa taille, l'autre autour de ses épaules et la serra contre lui.

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle, complètement abasourdie.

- Un calin.

- J'ai dit que je ne voulais pas de ta pitié, rétorqua-t-elle.

Elle tenta de le repousser mais il serra plus fort.

- Ce n'est pas de la pitié, c'est du réconfort.

Dayana était raide comme un piquet et se battait contre les sensations de bien-être qui affluaient. Elle se sentait atrocement en sécurité dans ses bras musclés, et son odeur, un mélange de forêt, d'herbe et d'air frais, lui rappelait à la fois l'île des chalins et les jardins du château.

- Je vais te dire un secret, murmura Bun dans son oreille. ça se voit, quand tu ne vas pas bien. Tu auras beau sourire et prétendre le contraire, on voit la douleur et l'épuisement dans tes yeux. En tout cas, moi je les vois, et ça me fait de la peine que tu n'en parles pas, parce que tu as tort. Je suis certain que tes proches s'inquiètent encore plus lorsque tu leur caches la vérité sur ton état, car ils imagineront forcément le pire.

Dayana entendit sa façade se craqueler au fur et à mesure que les mots du jeune homme perçaient ses défenses et atteignaient son coeur meurtri.

- Peut-être qu'on ne peut pas t'aider à porter ton fardeau, continua Bun, mais on peut toujours te soutenir et te réconforter. Je vais me répéter, mais admettre que tu ne vas pas bien ne changera rien au fait que tu es la personne la plus courageuse que je connaisse.

Le dernier barrage céda. Un tsunami de perles scintillantes immergea ses yeux et se déversa sur son visage et sur la chemise du noryn.

Bun lui caressait doucement les cheveux pendant que Dayana laissait sortir tout ce qu'elle retenait depuis toutes ces années, et surtout ces dernières semaines. Elle détestait montrer sa détresse, mais à cet instant, elle était parfaitement incapable de s'arrêter de pleurer.

Ils restèrent enlacés jusqu'à ce que les larmes de la princesse se tarissent. Elle soupira un grand coup, inspira et se détacha délicatement de lui en passant rapidement ses manches sur son visage.

- Hum... Désolée pour ta chemise, s'excusa-t-elle, embarrassée.

- Ce n'est rien, ça va sécher, sourit Bun.

- Alors comme ça tu veux me sauver ?

- Je pense qu'on peut se sauver mutuellement, répondit-il en haussant les épaules.

- Pourquoi pas.... Après tout, rien ne nous empêche d'essayer.

- Bien d'accord avec toi, approuva Bun.

Ils se sourirent et pour la première fois, ils s'entendaient vraiment.

- Tu veux aller manger un bout ? proposa le jeune homme.

- J'aimerais éviter la compagnie de certaines personnes si tu vois ce que je veux dire, alors je pense que je vais plutôt aller me coucher. Une longue journée nous attend demain.

- Je comprends, bonne nuit alors.

- Bonne nuit, Bun.

Dayana sortit et fila aussi discrètement que possible jusqu'à sa chambre. Elle n'avait pas envie de justifier ses yeux rougis et gonflés à qui que ce soit. Elle s'enroula sous sa couette et à peine avait-elle posé la tête sur l'oreiller qu'elle sombra dans un profond sommeil.

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