Chapitre 33 : Maxelia
Le lendemain, la princesse et l'assassin descendirent l'escalier pour prendre leur petit déjeuner et trouvèrent Bun assis seul à une table, en train de grignoter des tartines de confiture. Il lança un regard d'avertissement à Dayana, la défiant de lui dire quoi que ce soit sur les évènements de la veille. La jeune femme ne pipa mot et mangea rapidement.
Après avoir remercié Tylosus et sa femme pour leur hospitalité, la petite troupe se dirigèrent vers les écuries où les attendait le palefrenier.
Il présenta trois chevaux : une magnifique jument à la robe blanche et à la crinière d'or appelée Crème, un majestueux étalon entièrement noir nommé Foudre et une jument alezane à la crinière sombre appelée Noisette.
Freya alla immédiatement vers Foudre. Elle avait l'impression de revoir Ombre, son fidèle destrier qui l'avait accompagné dans tous ses déplacements. Malheureusement, elle avait dû mettre fin à ses jours, après qu'il se soit brisé les deux pattes avant dans une mauvaise chute.
Avec émotion, elle flatta l'encolure de l'animal, lui faisant la promesse silencieuse de prendre soin de lui.
Dayana choisit Crème et laissa la jument alezane à Bun.
Chacun montèrent sur leurs nouveaux compagnons de route, et s'élançèrent vers leur prochaine destination : Mythmore.
Dayana poussa sa monture au galop, heureuse de sentir à nouveau l'explosion de joie qui l'envahissait chaque fois qu'elle chevauchait avec sa mère. La vitesse, le vent dans ses cheveux, la complicité entre elle et la bête, tout cela lui avait manqué plus qu'elle ne l'avait imaginé. Malheureusement, aujourd'hui, ce n'était pas avec sa mère qu'elle faisait route, mais avec une assassin dont elle ne savait plus quoi penser, et un guerrier noryn en colère contre le monde entier. Elle qui pensait que sa vie était toute tracée depuis sa naissance, le destin lui avait prouvé le contraire.
Au bout de quelques minutes, elle ralentit et laissa les deux autres la rattraper. Elle ne voulait pas épuiser sa monture, il restait encore du chemin à parcourir.
En milieu d'après-midi, une ville érigée de doubles remparts majestueux se présenta à eux. Il s'étendait de part et d'autre du chemin sur plusieurs lieux. L'entrée principale, composée d'une portail en bois épais puis d'une herse, était protégée par deux gardes. Dès qu'ils s'en aperçurent, les deux femmes et le noryn descendirent de leurs chevaux et rabattirent leur capuches pour dissimuler leurs visages. Dayana veilla à ce qu'aucune mèche rebelle de ses cheveux blonds ne dépassa. Cachés par leurs montures et le flot de personnes qui passaient, ils entrèrent sans attirer l'attention des soldats.
Freya guida Bun et la princesse jusqu'à une auberge appelé "le canard borgne". Ils menèrent les chevaux aux écuries puis ils s'arrêtèrent devant la porte de l'auberge.
- Je vais aller explorer la ville. On se retrouve ici ce soir, annonça Dayana.
- Quoi ? Pourquoi ? s'exclama Freya, interloquée.
- Je veux voir de mes propres yeux.
L'assassin comprit immédiatement qu'elle faisait référence à sa conversation avec Artésia. Elle savait aussi qu'elle ne pourrait pas l'en empêcher.
- D'accord mais sois prudente.
Dayana hocha la tête et les laissa devant l'auberge. Ses sens en ébullition, elle observa attentivement tout ce qui présentait à elle. L'odeur du pain chaud, des épices et des fleurs emplissait ses narines, mais il fut occulté par ce qu'elle voyait. Les commerçants, de pâles sourires aux lèvres, des cernes jusqu'aux joues, semblaient avoir le poids du monde sur les épaules. Des mendiants, la main tendue et le regard vide, n'attendaient plus rien de la vie. Certaines maisons étaient crasseuses, d'autres miteuses et d'autres encore quasiment insalubres. Affligée par ce triste spectacle, elle poursuivit sa route jusqu'au quartier riche. Les demeures, plus grandes et majestueuses les unes que les autres, n'avaient pas l'air d'être trop touchées par le régime du nouveau monarque.
Une ombre entra soudainement dans son champ de vision. Sur ses gardes, la princesse se tourna vivement pour identifier l'étrangère. Une jeune femme, probablement du même âge qu'elle, lui souriait. Ses longs cheveux noirs de jais encadraient son visage fin. Sa robe bleu sarcelle et violette, piquetée de petits diamants, indiquait qu'elle vivait dans ce quartier.
- Tu es éblouissante ! s'exclama-t-elle sans préambule.
- Euh, merci ? répondit Dayana, qui ne comprenait pas comment elle pouvait être éblouissante dans sa cape sombre et sa capuche rabattue sur son visage.
- Ton aura.... elle brille comme le soleil... reprit l'inconnue. Excuse-moi, je ne me suis même pas présentée. Je m'appelle Maxelia Malaspina. Je fais partie d'une grande famille de mages depuis des générations.
La princesse se souvint que son précepteur avait mentionné ce nom lors de ces leçons sur les familles importantes de son Royaume. Les Malaspina étaient des mages avec autant de puissance que d'influence.
- Je suis Diane. Qu'est-ce que tu entends par "aura" ?
- Quoi ? Tu ne sais pas ? Tu n'as pas fait d'école de magie ? s'offusqua la jeune femme.
Elle étudia la tenue de son interlocutrice.
- Ta famille était trop pauvre ? demanda-t-elle abruptement.
Dayana étouffa le rire qui lui montait à la gorge. Si elle savait à qui elle parlait ! pensa-t-elle. Elle décida de dire une partie de la vérité.
- J'ai vécu dans un petit village, éloigné de tout.
- Oh je vois. Viens chez moi, lui intima Maxelia en lui attrapant le bras, je vais tout expliquer.
C'était une opportunité en or pour Dayana d'en apprendre plus sur ses pouvoirs, aussi se laissa-t-elle faire.
Elle suivit la magicienne qui s'arrêta quelques minutes plus tard devant la grille de la plus somptueuse demeure. D'un blanc éclatant, les murs de la facade, composée d'une multitude de fenêtres, contrastaient avec les tuiles bleues foncés que formaient le toit. Deux tours encadraient la structure.
Maxelia fit un mouvement étrange de la main et la lourde grille en fer forgé s'ouvrit d'elle-même.
Tout en suivant la jeune femme dans l'allée, Dayana admira le jardin. Bien que minuscule comparé à celui du château, des fleurs qu'elle n'avait jamais vu auparavant s'épanouissaient sous le soleil. Elle remarqua un petit panneau de bois fixé sur l'une des colonnes de la marquise. Dessus étaient représentés quatre symboles : une main avec des traits ovales autour, formant une sorte de halo, une fiole, un grimoire et un animal moitié lion et moitié chèvre, avec une queue de serpent.
- Qu'est-ce que ça signifie ? demanda la princesse.
Maxelia suivit son regard.
- Oh ça ! C'est pour indiquer que nous sommes des mages et que nous maîtrisons certaines spécialités. Ainsi, les gens savent immédiatement à qui ils doivent s'adresser selon les spécialités dont ils ont besoin. Plus les mages sont puissants et plus il y a de symboles. Par exemple, nous en avons trois sur les quatre spécialités.
- Mais il y a quatre symboles, rétorqua Dayana.
- Le premier, celui de la main, signifie que nous sommes des mages, nous faisons de la magie. La fiole représente les potions que nous pouvons fabriquer, le grimoire correspond à tout ce qui est lié aux sorts et à l'étude des incantations. Enfin, la chimère veut dire que nous pouvons nous transformer et transformer d'autres créatures.
- Je ne suis pas sûre de tout comprendre.
- Entrons à l'intérieur, je vais t'expliquer.
Les deux jeunes femmes montèrent les marches du perron et la porte d'entrée s'ouvrit sur un domestique qui s'inclina au passage de la magicienne.
- Fais servir le thé dans le petit salon.
Maxelia avait lâché son ordre d'un ton condescendant, et sans même le regarder. Dayana sourit timidement au majordome, gênée par le comportement de la magicienne. En tant que princesse, elle avait toujours été choyée, les domestiques se pliant en quatre pour honorer ses exigences, mais elle les avait toujours traités avec respect.
Inconsciente du trouble de son invitée, Maxelia la guida jusqu'au petit salon.
Comme le reste de la maison, il témoignait d'une richesse exubérante. Les chaises, fauteuils et canapés, blancs et bleus rappelant la façade de la demeure étaient ornées de feuilles d'or et emplissaient la pièce. Plusieurs petites tables de marbre étaient posées ça et là. Les Malaspina devaient sûrement tenir régulièrement des réceptions ici. Le service à thé était d'une finesse qu'il semblait pouvoir se briser juste en le touchant. Même au château, elle n'avait jamais vu des coussins d'une soie aussi raffinée.
De mal à l'aise, elle devint outrée. Elle se souvint du jour où elle avait demandé à ses parents une robe majestueuse, faite de soie et de diamants, avec une cape en zibeline. Ils avaient refusé catégoriquement. Ils lui avaient expliqué qu'ils préféraient éviter les dépenses inconsidérées, au profit du peuple. Il était inutile de faire étalage de leurs richesses. Son père avait dit que c'était ridicule, et une insulte envers le royaume.
La famille Malaspina faisait exactement le contraire. Un tel contraste entre la vie misérable des passants qu'elle avait croisés dans la ville basse et cette pièce où l'opulence se voyait jusqu'aux chandelles sculptées, la scandalisait. Elle prit une grande inspiration pour se calmer. Elle était là pour obtenir des réponses sur ses pouvoirs, pas pour juger le train de vie des mages.
Dayana déposa son sac près de la table que lui désignait Maxelia et s'assit en face de la jeune femme. Le thé fut servi.
- Pour commencer, sache que je suis allée à Stravin, l'école de mages la plus prestigieuse d'Akina, se rengorgea Maxelia. Elle n'accepte que les meilleurs et seule l'élite réussit toutes les épreuves. Par ailleurs, je suis arrivée troisième de ma promotion, donc tu peux avoir confiance en mes connaissances. Donc, pour répondre à ta question, une aura est le halo présent autour des personnes magiques. Elle représente leur force. Plus elle est étendue et lumineuse, plus la personne est puissante. Ah, et les gens ordinaires, sans pouvoir, ne peuvent pas voir les auras, seules les personnes magiques le peuvent. Ne vois-tu pas la mienne ?
- Non.
- ça demande un peu de concentration pour voir une aura, ce n'est pas inné. Essaye donc, concentre toi sur moi.
Dayana plissa légèrement les yeux et tâcha de regarder par delà les apparences, au-delà de ce qu'elle voyait. Peu à peu, elle aperçut une lumière blanche qui semblait émaner de la jeune femme et qui s'étendait sur plusieurs pouces autour d'elle.
- ça y est je la vois !
- Bravo ! Comme ça tu as la preuve de ma puissance, sourit la mage.
- Si je me regarde dans un miroir, je peux voir mon aura ? Ça veut dire que si l'aura de mon adversaire est plus puissante que la mienne, le combat est perdu d'avance ? Y-a-t-il un moyen de la cacher ?
- Que de questions ! ria Maxelia. Petite curieuse va ! Alors, oui, tu peux regarder ta propre aura dans un miroir, tu peux ainsi avoir une idée de ta puissance. Ceux qui ont des petites auras savent qu'il est inutile de s'inscrire dans une école de mages, ils auront en revanche toutes leurs chances dans une école de sorciers. Ensuite, même si ton adversaire est plus fort que toi, ça ne veut pas forcément dire que tu perdras. Tu peux être très puissant mais ne pas maîtriser ta magie, ou ne pas être assez créatif et malin pour vaincre quelqu'un qui t'es inférieur. Enfin, oui, tu peux cacher ton aura grâce à un pendentif enchanté. C'est assez commun en vérité, tu peux en trouver d'en n'importe quelle boutique de sorcier. Il y en a quelques unes en ville, tu les trouveras facilement. Guette le symbole de la main comme tu l'as vu sur le panneau à l'entrée.
- Quelle est la différence entre un sorcier et un mage ?
- La puissance et la richesse. Les personnes puissantes et riches deviennent des mages influents qui servent la noblesse ou même la Cour Royale. Les pauvres, qu'ils soient forts ou non, finissent sorciers au service des paysans, expliqua-t-elle avec dédain.
Dayana avait très envie de montrer à cette mégère condescendante ce qu'était la richesse et le pouvoir mais elle se retint. Elle avait encore des questions à poser et lui rabattre le caquet n'aurait servi à rien.
- Comment obtient-on nos pouvoirs ? Qu'est-ce qui les déclenche ? demanda-t-elle à la place d'une réplique cinglante.
- Les personnes sont magiques dès la naissance.
- C'est héréditaire ?
- Oui et non. Un enfant né de parents magiciens a plus de chance d'être lui aussi magique qu'un enfant de parents... normaux. C'est rare mais ça arrive.
Dayana se demanda si son père et sa mère avaient des pouvoirs. Elle ne les avait jamais vus en user en tout cas. Faisait-elle partie des enfants magiques nés de parents sans pouvoirs ?
- Cependant, reprit Maxelia, la puissance du mage dépend de ses parents. Prenons comme exemple ma famille. Mes parents sont tous deux très puissants, je le suis donc également, voire plus. Chaque génération est plus forte que la précédente. Pour les enfants nés de parents normaux, c'est un peu aléatoire.
- Donc, si j'ai bien compris, la magie est présente dès la naissance. Mais un bébé n'utilise pas ses pouvoirs, si ?
- Non, je te rassure, ce serait un cauchemar pour les parents ! C'est à l'adolescence que les pouvoirs commencent à se manifester. Dans ce cas, le garçon ou la fille est envoyé dans une école de magie, où il ou elle apprendra à maîtriser ses pouvoirs.
- Qu'apprend-on exactement ?
- Tu te souviens des symboles sur le panneau ?
- Oui.
- ils correspondent aux enseignements principaux. On les appelle les spécialités. Il y a la création de potions...
- Potions de quoi ? l'interrompit la princesse.
- de tout, ça peut être des philtres d'amour, des potions pour être plus beau, pour savoir parler aux animaux pendant quelques heures.... Ensuite, il y a les sorts et l'étude des incantations. Nous en avons besoin pour enchanter des objets, qui deviennent alors des artefacts, comme le pendentif que tu cherches pour cacher ton aura par exemple. Enfin, il y a les transformations, généralement en un animal. C'est parfois dangereux. Des mages faibles ont perdu leur conscience d'eux-même en se transformant et sont devenus des animaux sauvages. Les professeurs commencent toujours par nous faire transformer en animaux inoffensifs, ou du moins herbivores avant de passer aux carnivores.
- Je vois.
- Pour finir, il y a les soins. C'est une magie difficile à maîtriser. La plupart réussissent seulement à soigner des blessures peu profondes, ou des os cassés, à la rigueur. Le problème majeur avec ce type de magie, c'est qu'il ne puise pas uniquement dans la magie qui nous entoure, mais également dans la force vital du mage soigneur. Il faut donc être très puissant pour éviter de s'évanouir à chaque fois qu'on referme une plaie. Ceux qui excellent en la matière arrivent à purifier le sang d'une personne empoisonnée et même de guérir de la peste !
- Et qu'en est-il des rêves prémonitoires ?
- Tu ne taris pas de questions dis donc ! Pour les rêves prémonitoires, je t'avouerai qu'on a plutôt survolé le sujet en cours. Tout ce que je sais, c'est qu'il faut être prudent. Ces visions sont souvent très difficiles à déchiffrer, il est donc conseillé de les ignorer. Certains mages sont devenus fous à force de leur chercher un sens.
- Je vois, répondit Dayana, un peu déçue de ne pas avoir plus de précisions.
- A ton tour de répondre à mes questions ! Qu'est-ce qu'il s'est passé le jour où tu as découvert tes pouvoirs ?
- Ma mère adoptive a eu un... accident. Sa jambe a été broyée et je l'ai soignée.
- Waouh, je suis impressionnée ! Réussir à soigner des os brisés n'est pas chose aisée, surtout pour une première fois.
- Merci, sourit timidement la princesse.
- Et tes vrais parents, où sont-ils ?
- Ils sont morts.
- Oh. Je suis désolée. Que s'est-il passé ?
- Je... Ils...
Les souvenirs la frappèrent de plein fouet. Des larmes montèrent mais elle les refoula. Elle ne voulait pas répondre à cette question. Elle ne voulait pas revivre une énième fois cette journée. Elle ne voulait pas revoir les cadavres des gardes, son père, transpercé par la lame d'un assassin. La dernière étreinte de sa mère. Son cri d'agonie.
Dayana balaya la pièce du regard, à la recherche de n'importe quelle distraction qui pourrait la sauver. Ses yeux tombèrent sur un buffet blanc. Il se trouvait juste à côté de la porte, c'est pourquoi elle ne l'avait pas remarqué en entrant. Un échiquier en pierre de jade trônait en son centre. Un échiquier. En pierre de jade. Sa vision se troubla et d'autres souvenirs la submergèrent. Elle était assise face à son père, en pleine partie d'échecs. Elle venait de perdre, et sa mère, en robe verte comme le jade, l'avait embrassée sur le front. C'en était trop.
- Je dois partir, annonça la princesse, en se levant rapidement et en attrapant son sac.
- Quoi ?
- JE DOIS PARTIR !
Elle se rua en dehors de la pièce, heurta le domestique et sortit en trombe.
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