Chapitre 30 : Zoriacs

De retour au campement, les deux femmes constatèrent que Bun dormait profondément, inconscient du drame qui se déroulait tout près de lui. Freya et Dayana mangèrent rapidement leurs rations, puis la princesse prit le premier tour de garde. Elle scrutait la forêt, espérant apercevoir l'homme avec qui l'assassin parlait... en vain. Elle n'avait aucun indice sur l'interlocuteur de Freya, excepté qu'il la recontacterait dans quatre jours. Elle ferait en sorte d'être présente au rendez-vous.

Le lendemain, le périple dans les montagnes débuta. Le petit groupe était heureux d'être bien couvert, car un vent glacial se leva et les frappa sans relâche au visage et sifflait bruyamment dans leurs oreilles. Ils avançaient difficilement dans la neige, tous leurs muscles tendus à l'extrême par le froid et l'effort. Aussi furent-ils soulagés de trouver une grotte où s'abriter pour la nuit. Bun la fouilla pour s'assurer qu'aucun danger ne rodait au fond, puis il revint et s'assit à même le sol, les jambes allongées devant lui. Il ignora les jeunes femmes et se mit, comme les jours précédents, à envisager tous les scénarios possibles afin d'accomplir sa vengeance et tuer Valkar. Dayana était sa carte d'entrée, mais aussi le caillou dans sa botte. Il devait trouver le moyen de se débarrasser d'elle au moment opportun, ni trop tôt, ni trop tard. Et surtout, il devait trouver comment. Il savait qu'elle ne lui faisait pas confiance, et sa magie allait rendre la tâche compliquée. Mais il réussirait. Depuis deux ans qu'il errait sans but, il avait enfin retrouvé l'envie de vivre.

De son côté, Dayana luttait. Elle luttait contre l'épuisement et la douleur, elle luttait pour ne rien laisser paraître, elle luttait pour ne pas laisser les problèmes s'accumuler et la détruire. Elle se sentait terriblement seule sans ses parents, sans Mena et Sinari, sans Zadana et les enfants chalins. Elle aurait aimé être entourée de personnes en qui elle pouvait avoir confiance et qui l'appréciaient. Au lieu de cela, elle devait constamment rester sur ses gardes, les sens en alerte. Elle ne dormait presque plus. Elle savait qu'elle ne pourrait pas continuer ainsi pendant longtemps, mais elle ne voyait pas comment faire autrement. Elle secoua la tête, autant pour se réveiller que pour chasser les idées sombres qui l'assaillaient. Dans quelques jours, elle serait de retour dans son royaume. Cette pensée la ragaillardi et l'effraya en même temps. Elle était terrifiée à l'idée de décevoir ses parents, son peuple, de ne pas être la reine qu'on attendait d'elle. Elle secoua la tête encore une fois et décida de se focaliser sur le moment présent.

Les deux jours qui suivirent furent aussi éreintant que le premier, à combattre le froid et le vent glacial, quand enfin le petit groupe sortit vainqueur des montagnes.

Dayana posa un pied sur l'herbe grasse et, depuis très longtemps, se sentit enfin à sa place, bien que la peur lui tiraillait toujours l'estomac.
Bun détestait déjà ce royaume et sa grotte et sa solitude lui manquait, mais il était déterminé à rendre justice à sa tribu, à son père.
Freya aurait préféré rester avec les chalins, loin de tout, mais elle avait une mission à accomplir.

C'est dans cet état d'esprit que nos héros traversèrent la frontière et s'engagèrent dans le royaume d'Akina. Ils marchèrent toute l'après-midi et s'arrêtèrent dans une petite clairière à la nuit tombée. Freya n'était pas très rassurée d'être ainsi à découvert mais ils n'avaient pas d'autres choix. Bun alluma un feu et ils mangèrent leurs dernières rations.

- Demain nous devrions atteindre un petit village nommé Boudou. Nous pourrons manger un vrai repas dans une auberge. Nous achèterons des chevaux là-bas, les informa l'assassin.

- Avec quel argent ? demanda Dayana.

- J'en ai, ne te tracasse pas.

- Très bien. Je vais monter la garde.

La jeune femme se leva et s'installa sur un gros rocher qui lui permettait d'avoir une vue surélevée et ainsi repérer de loin un quelconque danger. Elle appréciait prendre le premier tour de garde, car elle pouvait se reposer sans interruption par la suite, et c'était son moment de solitude. Même si ses compagnons n'étaient pas loin, elle se sentait libre d'être elle-même, de laisser tomber quelques instants son masque, et aussi bizarre que cela puisse paraître pendant un tour de garde, de se détendre un peu. Les heures défilèrent et Dayana se leva, descendit de son promontoir et allait réveiller Freya lorsqu'un coup de vent soudain éteignit le feu de camp. Une silhouette plus noire que la nuit émergea des ombres et se tint immobile, semblant attendre quelque chose.

Un frisson parcourut l'échine de la princesse. Elle se hâta de secouer Freya et Bun, qui se levèrent en sursaut, arme à la main.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? grogna Bun.

- Quelque chose rôde dans la nuit.

- C'est sûrement un renard, il n'y a pas de quoi s'inquiéter, grommela le noryn, prêt à retourner se coucher.

Dayana fit apparaître une petite boule de feu dans sa main, ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention de Freya et Bun, mais aussi de la créature qui se tapissait dans le ténèbres. Enfin, les créatures, car à présent elles étaient trois. Elles se ruèrent immédiatement vers la princesse. Freya lança ses dagues, Bun donna un grand coup de hache transversale... sans aucun effet. Avec indifférence, les ombres les ignorèrent et continuèrent leur course vers leur cible. Celle-ci, passée le premier choc, lança sa boule de feu, qui désintégra l'une des créatures, qui disparut dans un cri aussi strident qu'inhumain. Les deux jeunes femmes et le noryn se plaquèrent immédiatement les mains sur les oreilles tant le bruit était insoutenable, ce qui permirent à leurs adversaires d'attaquer. Dayana n'eut pas le temps de se défendre qu'elle se retrouva projeter trois mètres plus loin, et retomba lourdement sur le dos. Elle se releva difficilement, avec trois entailles, comme une marque de griffes, sur le bras.

Pendant ce temps, Freya et Bun étaient au prise avec les créatures. Ils tailladaient, tranchaient, mutilaient... dans le vide. Rien ne semblait les atteindre. En revanche, ils étaient griffés et malmenés par leurs ennemis avec violence et cruauté. Du sang coulait de leurs nombreuses blessures et ils ne savaient pas combien de temps ils pourraient encore tenir ainsi.

- C'est impossible de les toucher ! Mes coups de hache ne leur font rien ! ragea Bun, qui continuait à attaquer sans relâche, même si cela ne servait à rien.

Heureusement pour lui et l'assassin, Dayana s'était remise de sa chute et lança deux boules de feu simultanément, qui détruisirent les ombres dans un cri aussi odieux que le précédent. Elle en lança une dernière afin de rallumer le feu de camp, puis elle prit soin de s'asseoir avec le plus de contrôle possible, car ses jambes ne la portaient plus. Elle attendit que les étoiles devant ses yeux rejoignent le ciel, et enfin releva la tête et aperçut ses deux compagnons également assis par terre, en piteux état.

Au prix d'un immense effort, elle se leva en grimaçant de douleur, s'approcha d'eux et entreprit de les soigner. Un bien-être et un soulagement s'empara immédiatement d'eux alors que la magie de la princesse opérait.

- Qu'est-ce que c'était que ça ? s'écria Bun, qui avait l'impression d'avoir dormi pendant une journée entière et était prêt à en découdre avec les ombres.

- Je n'en ai aucune idée... Freya ? interrogea la princesse dans un murmure à peine perceptible.

- Je n'en sais pas plus que toi, malheureusement. Je n'avais jamais vu de créatures comme ça auparavant, ni même entendu parler. Le feu semble être leur unique faiblesse, nos armes ne leur ont absolument rien fait.... Dayana, ça va ? Tu es livide...

- Ça va, je vais bien, assura-t-elle en serrant les dents.

- Mais... tu es blessée ! s'écria Freya en remarquant la blessure sur son bras. Tu ne peux pas te soigner avec ta magie ?

- Non, ça ne fonctionne pas quand je le fais sur moi.

Bun nota cette information fort intéressante dans un coin de sa tête et retourna se coucher sans se soucier davantage de la princesse.

L'assassin entreprit de nettoyer la plaie avec de l'eau claire et de la bander avec un linge propre. Dayana la remercia d'un signe de tête, s'allongea sur ses couvertures et s'endormit aussitôt. Freya prit le tour de garde et s'assura que le feu brûlait avec force.

***

Zambara sirotait un thé noir dans son petit salon, lorsqu'on toqua à la porte.

- Entrez.

- Excusez-moi de vous déranger ma Dame, dit la servante avec une révérence, mais la magicienne Delfia demande à vous voir.

Zambara soupira. Cela faisait presque deux ans qu'elle avait contacté la mage pour qu'elle retrouve la princesse, mais elle n'a jamais vu l'ombre d'un cheveu blond. Le temps s'était écoulé et elle avait perdu espoir, convaincue que Delfia n'était en fait qu'une amatrice.

- Faites-la entrer, merci.

Mais Delfia avait pris les devant et surgit dans la pièce telle une tornade.

- Ma Dame ! Ma Dame ! ça y'est ! cria–t-elle.

- Expliquez-vous calmement, et sans crier je vous prie.

- Les Zoriacs se sont activés ! Ils l'ont trouvé !

- Pardon ? s'interloqua la noble femme en se redressant.

- Oui ! La nuit dernière, ils sont venus me voir, j'ai d'ailleurs eu la frayeur de ma vie de les voir jaillir des ombres, mais bref, ils m'ont fait signe qu'ils avaient trouvé la jeune fille que vous cherchez !

- Où est-elle ? Elle est avec vous ?

- Alors, c'est assez confus, je n'ai pas très bien compris ce qu'ils ont essayé de me dire. Je crois qu'ils ont rencontré un problème.

- Un problème ?

- Oui, je crois qu'elle s'est défendue et qu'ils n'ont pas réussi à l'attraper.

Zambara n'était pas certaine d'avoir saisi les explications de la magicienne, mais elle avait très bien compris qu'elle ne pouvait pas compter sur elle ni sur ses créatures. Elle allait devoir tenter une nouvelle approche.

- Je vous remercie d'être venue m'annoncer les nouvelles. Je vous souhaite une bonne journée. Anna, raccompagnez notre invitée s'il-vous-plaît.

La servante fit signe à Delfia de passer mais celle-ci ne bougea pas d'un pouce.

- Qu'y-a-t-il ? soupira la maîtresse des lieux.

- Et bien, vous n'avez toujours pas réglé la somme que vous me devez.

- Je ne vous dois rien, siffla Zambara en se levant et s'approchant de la magicienne telle une panthère fondant sur sa proie. Je ne vous donnerai vos pièces d'or uniquement lorsque la jeune fille que je recherche sera ici. A moins que mes yeux me fassent défaut, je ne la vois pas dans cette pièce.

- Mais... tenta la magicienne.

- Partez.

Dépitée, Delfia se laissa conduire par la servante et sortit.

Zambara termina son thé et appela Anna.

- Envoyez dix servantes dans les villes où la princesse serait le plus susceptible de faire escale pour rejoindre la capitale. Dites-leur de chercher une jeune fille blonde. Elle doit probablement se couvrir les cheveux avec une capuche alors ouvrez-bien l'œil. Lorsque vous l'aurez repérée, utilisez tous les moyens possibles pour l'amener jusqu'ici.

- Comptez sur nous ma Dame.

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