Chapitre 25 : Bûcher
Brouke se tenait devant une foule enragée, faisant barrage de son corps. Lui et les autres soldats formaient une chaîne empêchant quiconque de passer.
Je les empêche de se faire tuer, je les empêche de se faire tuer, je les empêche de se faire tuer, se répétait Brouke pour se rassurer. Mais qui va les sauver, eux ?
En effet, il tournait le dos à l'immense échafaud qui avait été érigé en quelques heures non loin des grandes portes du château. Une vingtaine de soldats, dont ses frères d'armes, étaient attachés à des poteaux, attendant le bourreau qui mettrait fin à leur vie.
Le roi apparut à l'estrade, d'où il toisait le peuple, les soldats et surtout, les prisonniers.
Avec un sourire sadique, il se présenta à la foule :
- Voyez, mon cher peuple, ce qui arrive aux traîtres ! Les noryns ont tué mon frère, sa femme et ma nièce, j'ai éradiqué leur tribu ! Les hommes que vous voyez là ont attenté à ma vie, et ils sont mis à mort ! Je suis un roi d'action, j'élimine les menaces ! C'est un avertissement pour tous ceux qui tenteraient de me faire du tort à l'avenir... Brouke !
D'ordinaire, le jeune homme aurait été flatté qu'un roi connaisse son nom, mais à cet instant il était mortifié. Lentement, il se détacha de la chaîne de soldats anonymes, avança jusqu'à l'estrade et fit la révérence.
- Tu es le seul de ta division à ne pas avoir essayé de me tuer. Je ne peux que te féliciter pour ton intégrité et ta droiture. Pour te récompenser, tu as l'honneur de punir les traîtres, car ils t'ont trahi aussi !
Abasourdi, Brouke prit machinalement la torche qu'on lui tendait, avant de se rendre compte de ce que le roi lui ordonnait de faire. Il leva la tête vers lui et vit son sourire malveillant. Il semblait le défier de se révolter. Pire, il voulait qu'il se révolte. Brouke le voyait dans ses yeux vide de compassion.
Il se dirigea vers l'échafaud, résolu de ne pas lui donner cette satisfaction. Mais sa volonté s'effondra lorsqu'il s'approcha et aperçut parmi les rangées de soldats attachés, un poteau vide, avec un "B" de gravé dessus. Il aurait dû être là, sur ce poteau, avec les autres, et il le savait. Tout le monde le savait. Un faux pas et il les rejoindrait. Il hésitait très sérieusement et comme à son habitude, il se tourna vers ses frères d'armes pour savoir quelle conduite adopter. La vue qu'ils lui donnèrent le figèrent sur place.
Ils souriaient.
Certains articulaient silencieusement "Tout va bien", d'autres "venge-nous" mais aucun ne lui en voulait de l'acte atroce qu'il s'apprêtait à commettre. En réalité, aucun soldat, prisonnier ou non, ne lui hurlait sa haine.
- Je suis sincèrement désolé, pleura Brouke, juste avant de lancer la torche dans la paille sèche.
Le crépitement des flammes qui embrasa l'échafaud faisait écho à son cœur qui se brisait en mille morceaux.
Valkar partit dans un rire hystérique, comme si la folie l'avait soudainement rattrapé. Il semblait accompagner les cris du peuple et les lamentations des victimes dans une dysharmonie infernale.
***
De retour dans le dortoir, les yeux rougis et les joues creusées de chagrin, Brouke contempla un instant les lits vides de ses frères d'armes , avant de s'effondrer dans le sien. Il plaqua ses mains contre ses oreilles pour faire taire les cris de ses frères d'armes, mais ceux-ci s'étaient éteints depuis longtemps. A présent, ils résonnaient à l'intérieur de son corps.
Brouke se mit à hurler, pour couvrir les cris, ou les accompagner, il ne savait pas exactement. Il hurla jusqu'à ce que sa voix se cassa et éclata en sanglots.
Il ne savait pas quoi faire et se sentait atrocement seul. Un vide béant l'emplissait et menaçait de le faire chavirer.
Cependant, une petite lueur rougeoyante, telle une braise incandescente, naquit dans son cœur.
Il souffla doucement dessus, l'alimenta, la laissa prendre de l'ampleur jusqu'à l'envahir complètement.
Les flammes de la colère consumèrent sa peine et son désespoir, et embrasèrent son corps.
Brouke se leva, mu par le désir ardent de nuire à Valkar de toutes les manières possibles. Il prit une résolution qui l'attristait, mais il n'avait pas le choix. Il ne ferait rien de bon en restant ici, dans l'armée d'un roi tyrannique.
Il allait déserter.
Il attrapa son sac et y fourra les quelques possessions qu'il avait. Il fit un tour aux cuisines. Heureusement, au milieu de la nuit, il ne rencontra personne et pu prendre des provisions sans aucune difficulté.
En revanche, sortir du château serait plus compliqué avec les soldats qui montaient la garde, mais comme il connaissait leur chemin de ronde, il n'hésita pas une seule seconde.
Il rasa les murs, se cacha dans les ombres, aussi furtif qu'un voleur expérimenté. Il se félicita de sa discrétion lorsqu'au dernier tournant, il se retrouva nez à nez avec le chef des armées.
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