Chapitre 24 : Retour

Petite fille devenue femme, Dayana se promenait sur la plage avec ses parents adoptifs, ses longs cheveux blonds flottant dans son dos. Sa tenue en cuir la protégeait parfaitement du vent marin.

La jeune femme appréciait beaucoup ses balades en fin de soirée, juste avant le dîner. Elle ne parlait pas forcément mais c'était agréable de passer un peu de temps avec ses parents chalins, elle les voyait si peu dans la journée.

Elle regarda la barrière de brouillard au loin. Elle se remémora le jour où elle était arrivée. Malgré les années qui s'étaient écoulées, elle pensait régulièrement à l'assassin qui l'avait sauvée. Elle savait qu'il était peu probable qu'elle revienne, mais elle espérait qu'elle allait bien. C'est à ce moment précis qu'une embarcation apparut. La jeune femme attendit que le voilier soit plus proche pour pouvoir enfin discerner la silhouette qui le naviguait. Il s'agissait d'une femme à l'allure féline, vêtue d'un pantalon et d'un haut en cuir noir et une veste pourpre. Ses cheveux bruns tressés descendaient jusque sous sa poitrine.. Ses yeux marrons pétillaient de détermination.

- Vous voyez ce que je vois ? demanda Dayana à Sinari et sa compagne. Elle n'en revenait pas.

- Oui, répondirent les chalins en chœur.

- Freya... souffla-t-elle.

Puis, elle cria.

- Freya !

La silhouette leva son bras pour la saluer.

- Dayana !

La navigatrice n'avait pas tout à fait fini de remonter son embarcation sur le sable que déjà ils avançaient à pas rapides vers elle.

- Je me suis inquiétée pour toi ! lança Dayana lorsqu'elle arriva à sa hauteur.

- Bonjour Freya, firent simplement Sinari et Mena, avec une pointe de tension dans leur voix.

- Bonjour à tous ! C'est gentil de t'être inquiétée Dayana, mais il ne fallait pas. Je me doute que deux ans ou presque a dû te paraître long.

- ça fait plutôt quatorze ans, dit la jeune femme en se demandant si l'assassin n'avait pas perdu la tête.

- Comment ça "ça fait plutôt quatorze ans" ? demanda Freya, interloquée.

Elle l'examina.

- Quel âge as-tu ?

- Je vais avoir vingt-quatre ans dans quelques mois.

- Tu veux dire que maintenant tu as presque mon âge ?

- le temps passe différemment ici, intervint Sinari. Les secondes sont beaucoup plus longues. C'est pourquoi un an dans votre royaume correspond à sept ans sur notre île.

- Quoi ? un an là-bas équivaut à sept ans ici ? s'étonna-t-elle.

Elle réfléchit quelques instants, puis son visage s'éclaira en prenant conscience d'un fait important.

- Quand mes parents et moi sommes retournés à Akina, nous pensions qu'il s'était écoulé 14 ans et que la guilde des assassins nous avait oubliés mais en réalité ça ne faisait même pas deux ans ?

- C'est ça.

Cette révélation fut un choc pour la jeune femme. Elle songea que ses parents auraient peut-être survécu s'ils avaient attendu quelques années de plus...

Elle chassa cette pensée du revers de la main. Elle voulait se concentrer sur le présent, et rien d'autre.

- Quelque part ce n'est pas une mauvaise chose. Il sera plus aisé pour toi de reprendre ta place dans ton royaume à vingt-quatre ans plutôt qu'à douze ans. Viens, je te raconterai tout ce que j'ai appris sur le chemin.

Dayana resta près de ses parents chalins, elle ne voulait pas partir aussi rapidement. En réalité, elle ne voulait pas partir du tout.

- Il est tard, intervint Mena. Tu pourras lui expliquer la situation en dînant à la maison et ensuite vous pourriez passer une dernière bonne nuit de sommeil. Vous partirez le lendemain matin.

Dayana remercia d'un léger hochement de tête la chaline. Elle supplia des yeux l'assassin pour qu'elle accepte.

- Pourquoi pas, ce n'est pas de refus, répondit Freya.

Ils prirent le chemin traversant la forêt pour rejoindre le village. Dayana effleurait les arbres sur son passage. Cela l'amusait toujours de voir s'illuminer l'écorce d'un halo bleuté. Elle profita du trajet pour graver dans sa mémoire et dans son cœur les traits de ses parents chalins. Elle savait parfaitement qu'une fois dans le bateau, elle ne les reverrait jamais. Elle avait l'impression de perdre ses parents pour la deuxième fois. Elle en voulait presque à Freya d'être revenue éclater sa bulle de bonheur qu'elle avait mis tant de temps à construire. Ils arrivèrent enfin chez le couple. Ils entrèrent et les femmes se posèrent à table pendant que Sinari préparait le repas, tout en écoutant la conversation.

- Alors, dis-moi tout. Tu as trouvé l'assassin de mes parents ? demanda Dayana.

Elle allait enfin avoir la réponse à la question qui la tourmentait depuis tout ce temps. C'était l'unique raison pour laquelle elle était malgré tout contente que Freya soit revenue.

- Non, pas vraiment.

Ce fut la douche froide. Elle sentit la magie affluer dans ses doigts, prêts à lancer une boule de flammes sur l'assassin, source de contrariété à cet instant. Elle prit plusieurs grandes inspirations et expirations pour se calmer.

- Explique-toi, ordonna-t-elle d'une voix dure.

- Très bien, voilà ce que j'ai appris. Le meurtrier est soit un seigneur ou une Dame, car il ou elle est suffisamment riche pour pouvoir payer une si forte somme pour un tel contrat, ou un magicien.

- Pourquoi un magicien ?

- Lorsque je suis rentrée à ma guilde après notre petit voyage, j'ai retrouvé mes frères et mes sœurs d'armes morts. Aucun n'a été épargné, mais il n'y avait aucune trace de combat, aucune marque sur leur corps, j'en conclus donc qu'ils sont morts par la magie. Cependant, un noble aurait très bien pu engager un magicien pour faire le sale boulot, c'est pour cela que je n'écarte pas cette possibilité.

- Pourquoi les avoir tués ? intervint Sinari.

- Se débarrasser d'une guilde d'assassins, surtout celle qui a été mandatée pour tuer une tribu entière de noryns juste pour faire croire que la menace est éliminée est, je suppose, une raison valable, répondit-elle d'une voix glaciale.

- Comment ça ? interrogea Dayana, horrifiée.

- Les rumeurs vont vite. Avec les mouvements des patrouilles, tout le royaume savait que quelque chose se tramait, et qu'une tension régnait avec les noryns. Lorsque le roi et la reine sont morts, la princesse, disparue, Valkar est donc monté sur le trône. Je ne sais pas ce qui s'est passé, si le pouvoir lui est monté à la tête ou quoi, mais il a ordonné que nous, les assassins, tuons la tribu de noryns, pour faire croire au peuple que les meurtriers de la famille royale avaient été puni et la menace éliminée. Cependant, comme c'est également nous qui avons.... euh...

- tué mes parents, tu peux le dire, déclara froidement la jeune femme. Je ne suis plus une petite fille.

Freya marqua une pause, trop stupéfaite pour parler. Elle ne s'attendait pas à un tel changement de comportement, une telle assurance, comparé à la fillette frêle et fragile qu'elle avait sauvée. Elle allait devoir apprendre à l'apprivoiser pour la mener là où elle devait être. Elle allait devoir jouer subtilement, ce qui n'était malheureusement pas son fort.

- C'est ça, reprit-elle, légèrement mal à l'aise. Je pense que le traître a voulu couvrir ses traces et ne laisser aucun témoin, fusse-t-il un assassin dont la voix ne compte pas.

- Je ne comprends pas. Comment mon oncle a pu ordonner une chose pareille ? Le massacre d'une tribu entière juste pour apparaître en héros ? ça ne ressemble pas à l'homme bienveillant et affable que j'ai connu.

- Bien des choses ont changé, Dayana. Depuis que Valkar est roi... Comment te dire... Il règne en tyran, il n'y a pas d'autres mots. Il est en train de mener ton royaume à la ruine et à la désolation. Je ne le connais pas aussi bien que toi, mais je peux t'assurer qu'il n'est plus le même homme.

Un silence pesant suivit cette déclaration, mais Freya avait une dernière chose à ajouter.

- Dayana, tu es la princesse, tu es l'héritière légitime. Tu dois reprendre ta place sur le trône et arranger la situation, affirma-t-elle.

Dayana la regarda dans les yeux. Cela faisait très longtemps qu'on ne l'avait pas appelé par son titre. Elle avait besoin de réfléchir.

Elle se leva.

- Je vais prendre l'air.

Elle sortit sans même prendre sa veste. Elle marcha à pas rapides vers la forêt et lorsqu'elle fut hors de vue de la maison, elle se mit à courir. Elle ne savait pas si elle voulait fuir ou rattraper son passé. Elle trébucha, tomba, se releva et continua à courir. Les branches lui fouettait le visage et les épaules mais elle les ignora. Elle finit par arriver sur la plage, où elle dû s'arrêter. Alors elle hurla. Elle hurla sa colère, sa frustration, sa confusion, sa tristesse. Elle hurla à ses parents de revenir pour lui dire quoi faire. Elle hurla au traître, peu importe qui il était, de mourir dans d'atroces souffrances.

Enfin, elle s'effrondra à genoux sur le sable blanc, tête baissée, la gorge en feu.

Que faire ? Elle voulait rester avec ses parents adoptifs et vivre sereinement, insouciante du reste du monde et de ses problèmes. Elle était bien ici, elle se sentait chez elle. Elle aimait sa vie parmi les chalins.

D'un autre côté...

Elle leva la tête vers la myriade d'étoiles scintillantes.

Ses parents... Elle pensait à eux tous les jours, particulièrement le jour où ils sont morts. Elle préparait toujours un gâteau, comme pour fêter un anniversaire funeste. Cependant, cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas désiré se venger, et elle en avait honte. Elle avait l'impression d'avoir laissé tomber ses parents.

Aujourd'hui, elle avait une chance d'enfin obtenir réparation. Elle avait une chance de trouver l'ordure qui avait osé commettre un tel crime, et le lui faire payer au centuple. Car maintenant, Dayana était forte, elle était capable de se défendre et de riposter. Si elle laissait Freya partir sans elle... Elle le regretterait toute sa vie, elle le savait. Elle regretterait de ne pas s'être vengée, elle penserait à son peuple qui souffre chaque jour sous le règne de son oncle à cause de son égoïsme et sa lâcheté.

Elle avait pris sa décision. Apaisée, certaine de faire le bon choix, elle prit une grande respiration. Enfin, elle reprit la route vers la maison. Cette fois-ci, elle marcha d'un pas tranquille, serein.

Elle entra et la conversation entre ses parents adoptifs et Freya mourut. Tous la regardait.
Le visage de l'assassin était indéchiffrable. Mena semblait sur le point de pleurer, mais elle tint bon. Sinari lui offrit un timide sourire, comme s'il comprenait, mais elle savait que son départ l'attristerait.

Le cœur de Dayana se serra. Elle ne voulait pas les faire souffrir, mais elle ne pouvait pas rester.

- Mena, Sinari... commença-t-elle. Un sanglot se coinça dans sa gorge, mais elle se força à poursuivre. Je ne vous serais jamais assez reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vous m'avez hébergée, élevée et aimée comme votre propre fille. Je vous aime.

Elle marqua une pause. Les deux chalins avaient posé leurs mains sur leur cœur. Dayana fit de même. Les mots ne suffisaient pas pour exprimer ce qu'elle ressentait.

- Cependant... reprit-elle. Je dois partir. Je ne peux pas laisser mon peuple souffrir sans que j'agisse. Par ailleurs, je tiens toujours à punir le meurtrier de mes parents, et c'est l'occasion ou jamais. Je suis désolée.

- Nous comprenons, lui assura Sinari. Fais ce que tu as à faire. Sache que j'ai été très heureux d'avoir passé ces années avec toi.

- Je suis sûre que tu feras une merveilleuse reine, ajouta Mena. Tu resteras dans nos cœurs pour toujours.

- Et vous dans le mien, affirma Dayana avant de les prendre dans ses bras. Elle n'était pas sûre qu'elle serait une bonne reine, mais elle ferait de son mieux.

Ils lui rendirent son étreinte chaleureuse. Enfin, ils se séparèrent. Mena reprit sa place dans le fauteuil à bascule qu'elle aimait tant et ouvrit son nécessaire de couture pour continuer son ouvrage. Sinari s'assit sur le fauteuil d'à côté et entreprit de se tailler de nouvelles flèches. Tous les deux étaient plongés dans leurs pensées.

Freya n'avait pas bougé de place, c'est-à-dire à côté de la fenêtre, depuis le retour de la princesse. Elle avait observé leur échange, le cœur serré. Elle aussi avait vécu parmi les chalins pendant quatorze ans, mais les adieux n'avaient pas été aussi déchirants. Après il faut dire qu'elle partait avec ses deux parents, c'était différent.

- Nous partirons demain à l'aube, lui annonça Dayana. Je suis désolée pour ta guilde. Nous les vengerons aussi.

Freya écarquilla les yeux. C'était la première fois qu'une personne offrait ses condoléances à un assassin. Surtout concernant la mort d'autres assassins.

- Merci, souffla-t-elle. Je suis également désolée de t'arracher à ta vie ici, mais ta place est sur le trône. Beaucoup de gens comptent sur toi.

- Je sais, répondit-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.

Dayana appréhendait depuis toujours le moment où elle monterait sur le trône, car elle savait qu'elle serait alors seule à prendre ses responsabilités, sans personne pour la guider. Elle n'avait nullement besoin qu'on lui rappelle le poids qu'elle portait sur ses épaules.

La jeune femme s'assit, comme tous les soirs, sur l'épais tapis beige, en face du couple. Habituellement, elle profitait de ce moment pour leur parler de tout et de rien, mais ce soir, elle voulait simplement se gorger de leur présence, aussi resta-t-elle silencieuse, contemplant les flammes danser dans la cheminée en face d'elle.

Freya, se sentant de trop, annonça qu'elle allait se coucher. Dayana lui indiqua sa chambre, car il n'y avait pas d'autres endroits où l'assassin pouvait dormir. Celle-ci leur souhaita une bonne nuit en refermant la porte derrière elle.

Un silence pesant s'installa. Le silence des adieux. Le silence des derniers moments passés ensemble, avant qu'ils ne deviennent des souvenirs.

Une heure passa ainsi. Parfois, Dayana et ses parents adoptifs se regardaient quelques instants, se souriaient, puis se replongeaient chacun dans leurs activités, avant que les larmes ne roulent sur leurs joues.

- Tu devrais aller te coucher, fit Mena. Tu te lèves tôt demain et je doute que ton voyage soit de tout repos.

- J'aimerai rester encore un peu avec vous, implora la jeune femme.

- Mena a raison, appuya Sinari. Nous serons encore là demain. Vas dormir.

Dayana ne voulait pas l'admettre, mais elle était épuisée par cette soirée des plus éprouvantes. Elle les embrassa sur le front. Leurs poils lui chatouillaient toujours autant le nez. Cela aussi, ça lui manquerait.

Elle entra dans sa chambre, se mit en chemise de nuit et se coula silencieusement dans le lit. Freya lui tournait le dos et sa respiration, profonde et calme, lui indiquait qu'elle dormait. Dayana ferma les yeux et s'endormit bien plus rapidement qu'elle ne l'escomptait.

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