Jubia me mène dans le brouillard. Je ne sais pas si je peux lui faire confiance pour m'orienter, mais je n'ai pas vraiment le choix. Si je décide de la laisser se perdre "accidentellement", je me retrouverais juste seul, perdu et... Sans aucun endroit où aller. Pour quelqu'un de ma stature, ce serait un peu ridicule. Mais suivre une ramasseuse de champignons complètement folle l'est aussi.

Les jours de marche se suivent et me fatiguent. Je ne pensais pas qu'un chemin à pied puisse être si long. Pendant de courtes pauses nous nous restaurons de... -allez, devinez- Champignons ! Au hasard.

Qui plus est, mes habits ont mystérieusement disparu pendant le trajet. Purement et simplement. Un instant ils étaient là et l'autre... Plus rien. J'ai commencé à penser à un voleur extrêmement habile, mais il ne semblait pas s'attaquer à Jubia. Un voleur habile ET gentleman. Digne d'une histoire du soir.

Ce n'est que lorsque nous avons retrouvé mes habits sur la route que j'ai commencé à me douter qu'il se passait quelque chose d'étrange. Ils étaient négligemment abandonnés sur le sol, à intervalle régulier. La thèse du voleur était donc écartée. Cependant, la seconde explication à laquelle j'avais songé ne me plaisait pas du tout.

Le phénomène se répéta des jours encore. Je perdais mes vêtements avant de les retrouver sur la route. Le brouillard se dissipait peu à peu, mais pas assez vite à mon goût. Combien de temps ce manège allait-il durer ? Cela faisait déjà une semaine.

Puis, excédé, j'interpelais Jubia. Elle se retourna avec une moue émerveillée.

"- Oui, Gray-sama ?
- Jubia, je l'ai remarqué depuis plusieurs jours déjà, mais...
- Vous voulez m'épouser ? Oh, il ne fallait pas être timide ! Ce serait avec plaisir vous savez !
- Non. Ce n'est pas ca. Jubia... "

Je pris une profonde inspiration.

"- On tourne en rond, n'est ce pas ?
- ... "

Elle déglutit et détourna lentement les yeux vers l'horizon, me confortant dans ma théorie.

"- N-non... Jubia ne voit pas de quoi vous parlez...
  - Jubia, ca fait au moins cinq fois qu'on passe par ce chemin.
- Impossible.
- Si. "

Je désignais le sol. À quelques pas de nous, des croix étaient tracées dans la poussière. Cinq pour être exact.

"- J'en ai fait une à chaque passage. Au début c'était juste par hasard, en remarquant une empreinte qui ressemblait à la mienne. J'ai fait une trace à côté, sans vraiment y penser, parce que c'était étrange... Et j'ai revu la même trace le lendemain. Jubia, depuis quand faisons nous le même chemin en boucle ? "

Le soleil commençait peu à peu à chasser le fin brouillard restant. Le village se dressait au loin, à quelques heures de marche.

Jubia se mordit la lèvre et se trémoussa de manière presque comique.

"- Jubia est désolée... Elle ne savait pas où aller avec ce brouillard, mais elle ne voulait pas que vous la trouviez idiote...
- Ne t'inquiète pas. ", rassurais-je. " Je te trouve déjà idiote.
- Oh, non ! ", se plaint-elle en serrant son panier d'osier.

Je ricanais devant son air désespéré en lui ébouriffant les cheveux.

"- Laisse moi nous guider maintenant, ok ? Je ne voudrais pas me retrouver sur le continent voisin par erreur. "

Nous décidâmes de faire escale dans le premier village. Les jours de marche inutiles nous avaient épuisés, et nous allions être à court de champignons. Je partis en éclaireur observer les étalages, et finit par revendre une partie de la récolte de Jubia contre une miche de pain de taille respectable. J'allais rapporter mon prix à la jeune fille bleue quand un gosse me bouscula.

"- Pardon m'sieur ! ", s'écria-il en tendant la main pour attraper mon pain.

Oh, certainement pas, gamin. J'avais déjà vu cette manœuvre perfide dans certains livres et je ne comptais pas me laisser avoir.

"- Pas de problèmes. ", répondis-je en m'écartant pour lui faire un croche pied. Il s'étale au sol et des larmes se forment au coin de ses yeux.

"- Vous êtes méchant !
- Tu es un voleur. ", répliquais-je.

Il se mit à pleurer et je sentis une vague de culpabilité me submerger.

"- Attends ! Attends ! C'est pas grave ! Ne pleure pas !
- Grand frère ! ", hurla-il en déguerpissant.

Je restais quelques instants immobile, surpris, avant de hausser les épaules et me remettre en route. J'aurais dû me douter que ca n'allait pas être aussi simple...

Quelques instants plus tard, sans que je comprenne vraiment comment, j'étais entouré de gros bras. Enfin, de mecs baraqués, plutôt. Je ne suis pas jaloux de leur musculature, mais plutôt inquiet du sort qui m'est réservé. Mourir étranglé par un gorille avec un tee-shirt "Macho Man", voilà un destin dont je me serais passé.

"- Alors comme ça on fait tomber mon petit frère sans s'excuser ? ", demande l'un d'entre eux en faisant craquer ses phalanges.
"- Pas de ma faute si ton petit frère est morveux malpoli. "

La remarque piquante m'a échappé sans que je puisse l'arrêter. Je vais sûrement regretter mon arrogance. On ne discute pas avec ce genre de personnes ; elle ne peuvent pas comprendre la diplomatie.

Une lueur rougeâtre passe dans le regard de macho man et une fumée de vapeur s'échappe de ses narines écartées. On dirait plus un taureau enragé. Comment un mec pareil peut il avoir un petit frère aussi frêle et minuscule ?

Il s'approche et je ferme les yeux, paré à recevoir le coup. Coup qui n'arrive jamais, alors qu'un grand cri me fait rouvrir les yeux.

"- Yaaaaah ! "

Tel un ninja sorti de nulle part, Jubia bondit, jambe tendue, et assène un puissant coup sur la nuque du géant. Il s'effondre dans un hoquet de surprise.

Sans surprise, une fois leur chef à terre, le reste du gang panique et se disperse. Quelques instants après, un homme au maquillage clownesque et aux longs cils efféminés revient pour prendre "macho man" inconscient sur son épaule.

"- Désolée du dérangement, mes bichons ", s'excuse-il avant de disparaître à nouveau.

Je cligne des yeux. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus. Que cet homme m'ait fait un clin d'œil ou que Jubia puisse se battre.

"- Est ce que Gray-sama va bien ? ", s'enquiert-elle.
"- Je... Ouais. "

Choqué à vie, mais en pleine forme.

💙💙💙💙💙

Je suis heureuse. J'ai pu sauver mon Grey chéri !! C'était la moindre des choses quand même, le gros géant voulait lui faire du mal, alors je suis là pour le sauver. (C'était aussi pour me faire pardonner de l'avoir fait tourner en rond pendant quelques jours.. Même si personnellement ça ne me dérange pas de tourner en rond pendant des jours et des jours si c'est avec mon Grey).

- Tu.. Tu sais te battre ?
Je hoche la tête en souriant.
- Dans la forêt il n'y a pas que des animaux sauvages ou des dragons, mais aussi d'autres ramasseurs de champignons. Mais je ne fais que me défendre, ou défendre les personnes que j'aime. C'est-à-dire vous, Monsieur Grey.
Il soupire et me tend un morceau de pain, que je prends joyeusement. C'est dommage que je n'ai pas de casserole avec moi, on aurait pu faire une bonne soupe de champignons au lieu de les vendre contre ce pain presque rassis.

- Tu penses qu'on peut passer la nuit dans ce village ?
- Malheureusement je pense qu'on a pas assez d'argent..
Ca m'énerve, car j'aurais voulu dormir avec lui, me serrer entre ses bras, qu'il me fasse des bisous dans le cou..
- Jubia, tu saignes du nez.
Je rougis. Oups. Mon imagination m'a encore emmenée trop loin. Grey va finir par me trouver bizarre à force. (À moins que ce ne soit déjà le cas..?)

- Et si on essayait de dormir chez l'habitant ?
Vu la tête que fait Grey, ma proposition ne lui plaît pas.
- C'est pas comme si on avait vraiment le choix... lâche le brun.
Il se lève, et me tends la main pour m'aider à me relever. À mon plus grand malheur, il lâche ma main quelques secondes plus tard.. Mais le contact de nos deux mains m'a rendue incroyablement heureuse. C'est fini, je ne me laverai plus jamais la main. Monsieur Grey m'a touché la main !!

Nous nous dirigeons vers la première maison que nous voyons.
- On peut vraiment sonner chez des gens et leur demander de nous loger ?
Je hoche la tête.
- Oui.
Je toque. Quelques secondes plus tard, un vieil homme vient nous ouvrir. Il est minuscule, avec des cheveux en pique et une grosse moustache.

- Oh des visages inconnus ! Qu'est-ce que vous voulez ?
Il empeste l'alcool.
- Bonsoir monsieur le vieux.. Mon chéri et moi recherchons une maison pour la nuit. Vous pouvez nous loger ?
Le vieux hoche la tête. Monsieur Grey s'apprête à démentir ce que j'ai dit, mais je l'en empêche.
- Oh vous êtes en couple ? Ah la jeunesse ! Toujours pressée de se caser.. Vous savez que vous êtes trop rapide, vous devez profiter de la vigueur que vous avez maintenant, ainsi que de votre beauté hein ..!
- Excusez-moi monsieur, je serais ravi de vous écouter plus longtemps, mais répondez-nous, pouvons-nous loger chez vous ce soir ? coupe monsieur Grey.
Le vieux se met à rire.
- Oui avec plaisir ! C'est pas tous les jours qu'on a des invités ! Rentrez les jeunes ! Vous avez de la chance on a encore du saké !

Nous rentrons dans la maison du vieil homme. Il nous sert deux grands verres de saké, et un bon repas chaud.
- Alors dites-moi les jeunes, qu'est-ce que vous faites dans ce petit village ?
Je mange rapidement, contente de manger enfin quelque chose de chaud. Enfin, si on avait mangé ma soupe elle aurait été chaud aussi hein..
Monsieur Grey lève les petits doigts quand il mange. Il est si beau, même s'il n'a pas prit de douches depuis presque une semaine, je le trouve absolument magnifique. Oups, ce n'est pas le moment de me faire des films.

- Nous nous rendons chez elle.
- Oh je vois. Vous ne m'avez d'ailleurs pas dit vos prénoms. Moi c'est Makarof ! dit-il en posant bruyamment sa bouteille.
- Je m'appelle Jubia !
- Grey.
Makarof sourit.
- Vous formez un beau petit couple tous les deux ! Ah ces jeunes décidément !
Grey soupire. Ça faisait longtemps.

La soirée se passe tranquillement, le vieux pose beaucoup de questions et je rigole bien avec. Grey fait la tête, sans raisons particulière. Il devrait s'amuser lui aussi ! C'est pas tous les jours qu'on voit un papy aussi sympa, en plus il accepte de nous loger pour la nuit c'est plutôt gentil. Il n'a même pas touché au saké... Du coup j'ai bu son verre ..!

- Au fait si vous voulez prendre une douche vous pouvez ! nous indique le vieux.
Grey hoche la tête, et se lève.
- Merci beaucoup monsieur Makarof.
Monsieur Grey quitte la pièce principale.

- Dites moi monsieur le vieux.. Vous faisiez quoi comme métier ?
Il sourit et se sert un nouveau verre de saké. Il a bu plus de verres que je comptais de champignons dans mon panier.
- J'étais chasseur de légendes !
Je souris.
- Ca a l'air trop cool ! Vous faisiez quoi exactement ?
- Ca claque hein ?
Je hoche vivement la tête.
- Oui ! Ça consiste en quoi ?
- Je devais vérifier la véracité des légendes des différents villages du royaume. C'était super cool. Je dormais souvent chez l'habitant, comme vous ce soir.
J'ai pas compris tous les lots, mais c'est pas grave.
- Je suis certaine que c'était amusant !
Il hoche la tête.

- Et toi petite tu fais quoi ?
- En automne, je ramasse des champignons ! Mais ca a l'air moins amusant que ce que vous faisiez vous...
Le vieux se met à rire.
- Et ton chéri il fait quoi ?
- Oh  ! Monsieur Grey est un prince.
Makarof se met à froncer les sourcils.
- Une union entre une paysanne et un prince ? C'est pas courant ca.
Je hoche la tête.
- On s'aime malgré nos différents statuts sociaux.
Je sais qu'au fond, Monsieur Grey m'aime. Il est bien obligé, je lui ai sauvé la vie après tout non mais oh. C'est la moindre des choses quand on sauve quelqu'un de l'aimer en retour, non ?

- Dis-moi petite, tu voudrais être une princesse ?
- Pourquoi faire ?
- Tu pourrais enfin épouser ton prince !
Je souris, des étoiles pleins les yeux.
- Je ferais n'importe quoi pour lui !
Le vieux sourit à son tour.

- Il y a une vielle légende dans un village à deux semaines de marche au Sud, comme quoi un artefact magique permettrait de transformer n'importe quelle jeune fille au cœur pur en belle princesse. Tu voudrais bien aller chasser cette légende pour moi ? Je ne peux plus le faire, vu mon grand âge.
- Si à la fin je me marie avec Monsieur Grey alors avec plaisir ! Merci monsieur le vieil alcoolo !
Il se met à rire.

Je suis contente, j'ai enfin trouvé le moyen de faire en sorte que monsieur Grey tombe encore plus amoureux de moi, et qu'on puisse faire toutes les choses qui me font tant saigner du nez.