Chapitre quatorze

J'ouvre les yeux sur un étrange paysage qui me fait immédiatement paniquer. Je suis dans la forêt... À près de 50 mètres d'altitude.

J'ai plusieurs questions.

Déjà, qu'est ce que je fais à 50 mètre du sol ? Et ensuite, est ce qu'il n'y a pas un léger risque que je tombe pour finir en bolognaise dans l'herbe fraîche à chaque instant ?

Ces réponses arrivent aussi vite qu'un grognement grincheux à côté de moi.

« - Enfin réveillé, la Belle aux Bois dormant. », me dit Jubia, enfourchée sur son balais.

Je rêve. C'est pas possible que Jubia soit à côté de moi, je dois forcément rêver non ?

« - Ju-jubia ? », bégayais-je, incapable de dire quelque chose de plus intelligent sous le coup de la surprise.

La sorcière aux cheveux bleus ne répond pas. A la place elle plonge vers le sol a un angle inquiétant. Et je suis bien placé pour parler puisque j'étais sur la balais à ce moment là.

Je retiens le hurlement qui aurait causé beaucoup de tort a ma virilité pour finalement me retrouver propulsé au sol.

Quand à elle, elle s'arrête a quelque centimètre de l'herbe dans un atterrissage parfaitement contrôlé.

Fichue sorcière.

Mais alors que je m'apprête à pester sur l'injustice de ma situation, je remarque que sans un mot elle fait demi tour et s'apprête à repartir.

« - Attends ! », m'écriais-je en attrapant le bout de son balais. Elle se retourne.

« - Qu'est ce que tu fais ? Ne touche pas mon balais, l'homme ! »

Je raffermis ma prise.

« - Je n'y toucherais plus si tu restes ici !
- Je ne veux pas rester !
- Alors je toucherais ton balais et tu n'auras rien à y redire. », clamais-je.

Elle plisse les yeux en serrant les dents, signe évident que dans sa tête elle est en train d'envisager toutes les manières possibles de me tuer.

Mais après un temps elle se pose doucement au sol et vient se poster en face de moi.

« - Que veux tu, alors ? », fait-elle d'un ton hautain.
« - Te rendre tes vrais souvenirs. »

Elle reste un instant interdite avant de rire.

« - Mes souvenirs ? Mais je les ai déjà ! Qu'est ce que tu racontes ? »

Décidant qu'un exemple valait mieux qu'un long discours, je sors les fioles de ma sacoche. L'une d'entre elles, donnée par Polyussica, est remplie d'un liquide rose, alors que l'autre contient une substance dorée et lumineuse.

« - Ces deux fioles sont l'oeuvre de sorcières. », commençais-je. « La rose efface les faux souvenirs, et la dorée contient ta mémoire, Jubia.
- Pourquoi devrais-je te croire ? », fait-elle en se mettant sur la défensive.

Je pose les yeux sur elle, l'observant assez longtemps pour que le rouge lui monte aux joues.

« - Quoi ? Qu'est ce qu'il y a ?
- En fait, tu fais vraiment une bonne princesse. Je me demande pourquoi je ne l'ai jamais remarqué. »

Elle doit probablement se demander si c'est un compliment, et a vrai dire je ne sais pas moi même si c'en est un.

Secouant la tête, je continue.

« - Je fais ca pour te remercier. Parce que je te connais depuis un moment, et que j'aimerais rembourser la dette que j'ai envers toi... Non. Parce que tu es une amie chère, surtout. Mais je te l'ai déjà dit. Cette Jubia que je connais... Elle est toujours innocente à en faire peur. Les champignons sont son seul centre d'intérêt et elle est maladroite, naïve et a apparemment pour seul but de m'épouser. Même si je ne l'ai jamais vu comme une potentielle épouse jusqu'ici, je lui ai toujours porté une certaine confiance. Cette confiance n'a fait que grandir avec le temps, avant de se transformer en amour. » Je baisse les yeux.

Avant même que je m'en rende compte, elle avait déjà pris une place importante dans ma vie. Et jamais je ne pourrais abandonner cette petite paysanne aux cheveux bleus qui m'a accompagné sans faillir depuis notre rencontre.

« - Alors, je t'en prie... Même si tu ne le fais pas pour moi, fais le au moins pour toi. Reprends tes véritables souvenirs. »

Jubia, qui a écouté sans rien dire jusque là, pose le regard vers les deux fioles.

« - Je n'ai aucun moyen d'être sûre que ces potions ne sont pas empoisonnées. », fait-elle, mais une once de doute plane dans ses paroles.

Puis elle esquisse un sourire.

« - Je sais. Je vais te faire boire la potion de l'oubli avant moi. Si tu meurs, c'est que tu m'auras menti.
- Mais... »

J'ai peur qu'il y ait des effets secondaires si une personne dont la mémoire n'a pas été modifiée bois la potion.

D'un autre côté, dans cette situation je ne peux pas me permettre d'être difficile.

Hochant la tête, je débouche le flacon avant d'en avaler une petite gorgée, voulant en laisser un maximum pour Jubia. Cette dernière observe attentivement chacun de mes mouvements.

Je ferme les yeux, prêt au pire. Puis, après quelques secondes de silence tendu, je les rouvre. S'il s'est passé quelque chose, ce n'est pas remarquable.

Jubia finit par s'avancer en tendant la main.

« - Je veux bien te croire alors. Sur le fait que ce n'est pas empoisonné seulement », ajoute elle quand mon espoir parait un peu trop évident sur mon visage.

Elle saisit la verrerie et la vide d'un trait. Je l'observe, intérieurement impatient de voir si la potion a fonctionné.

Elle tousse, crache et s'étouffe. Je cours vers elle pour la maintenir alors qu'elle hurle, recrachant un nuage de fumée noire. Dedans de petits éléments flottent, et quand je les observe de plus près je me rends compte qu'ils contiennent des scènes toutes plus atroces les unes que les autres. Jubia enfant, courant après des animaux avec un baton. Plus tard, transformant ses camarades en poissons rouges. Faisant tremper le lit d'une de ses servantes avec ses pouvoirs.

Jubia s'effondre au sol et je la retiens dans mes bras.

Polyussica ne m'avait pas dit que ce serait aussi épuisant pour elle d'évacuer tous ses souvenirs.

Comment pourrait-elle avoir la force d'avaler la fiole d'or maintenant ?

Je jette un coup d'œil à l'objet incriminé, tombé dans l'herbe pendant ma tentative de rattrapage.

Peut être... Pourrais-je essayer quelque chose.

💙💙💙💙💙
 

Je savais que c'était une mauvaise idée de l'avoir sauvé. J'aurais dû le laisse s'écraser par terre, au lieu de l'avoir sauvé. C'est un signe de faiblesse si j'ai de la pitié pour les hommes. Je ne devrais pas. Ce n'est pas comme ça que je serais une bonne reine capable de surpasser ma mère.

Cet homme idiot m'a convaincu de rester avec lui, et il m'a fait comprendre qu'on se connaissait bien, tellement bien qu'il m'a dit qu'il m'aimait. Enfin non, il aime une autre moi, stupide et naïve. Qui pourrait aimer une fille comme ça ?
Mais bref. Il a usé d'un stratagème pour me convaincre de boire une maudite fiole qui m'a fait tomber dans les pommes. Maintenant je me vois m'en aller de mon propre corps.. C'est possible ça ? Maman ne m'a jamais parlé d'un tel sortilège, ou d'une sorcière suffisamment puissante pour qu'elle puisse préparer ce genre de potion.

L'homme saisit l'autre potion, et m'ouvre délicatement la bouche.
- Ne me touche pas !
Il ne m'entend pas ? Il ne m'entend pas. Putain. Il verse le contenu de la potion dans ma bouche, et me penche en avant de façon à ce que je ne m'étouffe pas avec. C'est peut-être un incapable mais au moins il fait en sorte que je ne meurs pas, ce qui est déjà pas mal.

Bon c'est pas que cette expérience me déplaît, mais j'aimerai bien regagner mon corps. Sauf que plus je me rapproche, et plus j'ai l'impression qu'il s'éloigne. Mais.. Mon corps !

- Monsieur.. Monsieur Grey ?
Je me sens toute bizarre. J'ai ouvert les yeux, mais je vois tout flou. Je reconnais Grey.. Je crois. J'ai l'impression de ne plus être moi-même. Grey me sourit.
- Tu es la vraie Jubia ?
Quoi ? La vraie Jubia ? Je ne comprends pas. Mais je me sens mal.
- J'ai.. Besoin de dormir.

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après ça, mais je me suis réveillée dans mon lit, dans ma chambre au palais. J'ai l'impression d'avoir raté quelque chose. Je ne comprends pas tout .. Déjà.. Pourquoi le palais est vide ? Je décide de faire le tour, à la recherche de quelqu'un. Ou est ma mère ?

Sur la route, je croise un des gardes. Il est seul.. Ou sont tous les autres ?
- Excusez-moi.. Vous sauriez où est ma mère ?
Le garde me fixe, l'air éberlué. J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Il ne me répond même pas. Ce n'est pas très poli.. Tant pis. Je vais devoir me débrouiller sans son aide.

Je décide d'aller voir dans la cour intérieure. Et j'assiste à un spectacle horrible : tout le monde est transformé en pierre. Comment c'est possible ? Qui a fait ça ? Je m'approche de ma mère, même elle, une sorcière si puissante, est devenue une statue de pierre. Je dois aller chercher ma baguette.. Quoi ? J'ai une baguette ?

Mais oui, je l'ai reçu hier, lors de la cérémonie. J'étais .. Différente. Oh. Je comprends. Tout me revient maintenant. Mes souvenirs, tout ce que j'ai vécu depuis mon enfance, de l'effacement de ma mémoire par ma mère, puis le fait que j'ai été recueillie par Polyussica, je suis partie et tout ma vie en tant que paysanne, ma rencontre avec Grey, mon retour au village et mon nouveau-moi. Rien ne m'échappe. Et Grey ? Ou est-il ? Comment suis-je revenue ici ?

Je verrais ça après. Je dois d'abord retransformer tout le monde. Je cours dans ma chambre récupérer ma baguette, ainsi que mon balai. Je monte sur mon balai, pour aller plus vite. Une fois dans la cour, je me rends compte que je n'ai pas mon grimoire... Heureusement que celui de ma mère est là. Je fouille dedans à la recherche d'un sortilège qui retransformera tout le monde.
Je tombe rapidement dessus, et le lance.

Un boule lumineuse apparaît au bout de ma baguette, et illumine les environs. Quand la boule disparaît, tout le monde est redevenu comme avant. Je m'approche de ma mère.
- Jubia ! Que s'est-il passé ?
- Je ne sais pas.
Elle fronce les sourcils.
- Pourquoi tu as changé de vêtements ?
- Les autres étaient sales.
Elle n'est pas dupe, elle a bien compris que j'étais différente.
- Jubia.. Tu..
Je lui coupe la parole.
- Votre attention s'il vous plaît ! J'ai une annonce à faire !
Je ne pensais pas vraiment avoir l'attention de tout le monde en faisant ça.

- Vous le savez, je suis Jubia, une sorcière, une princesse mais qui a vécu beaucoup de choses en moins de dix huit ans. Je ne vais pas vous raconter en détails, mais en gros je ne suis pas la fille rêvée par ma mère, la reine Julia. Alors j'ai décidé de partir. Même si en temps normal, les sorcières ne vivent pas en dehors du village, je ne peux pas rester ici sachant que je ne suis pas la bienvenue parce que je suis trop gentille.
Je fixe ma mère, qui tombe des nues.
- Je t'en prie ! Ne m'abandonne pas !
- Désolée, tant que tu es au pouvoir, je ne suis pas la bienvenue ici.
- Je te laisse tout, sauf la couronne si tu restes ! Jubia, tu es ma fille, tu ne peux pas faire ça.
Je soupire.
- Tu es ma mère et tu m'as fait bien pire.

Elle a les larmes aux yeux.
- J'ai fait tout ça pour ton bien.. Pour pas que tu sois moquée par les autres ...
- Tu as fait ça pour toi. Pas pour moi. Tu as brisé ma vie, et je ne peux plus rester ici.
- Et où est-ce que tu vas vivre ? Tu n'as nul part ou aller !
- Je vais aller voir Grand-mère.
Elle fronce les sourcils.
- Tu n'as pas de grand-mère ! Elle est morte.
- C'est parce qu'elle m'a recueilli que je suis en vie.
Ma mère se met à pleurer. Elle s'accroche désespérément à ma robe.
- Tu ne peux pas faire ça Jubia ...

Je saisis la couronne qu'elle porte sur sa tête, avant de la mettre sur la mienne. Au moment où je baisse les yeux vers ma mère, je me rends compte qu'il n'y a plus rien. Juste un tas de poussière. Quoi ? Je ne comprends pas... Et toutes les sorcières présentes ici sont devenues de vieilles femmes, ou sont tombées en poussière. L'une d'elle s'approche de moi.

- Jubia .. Nous devons t'expliquer quelque chose.. Quand ta mère a essayé de transformer ta mémoire, ta personnalité pour la première fois, ça n'a pas fonctionné. Tu es tombée dans le coma pendant une centaine d'années, et elle a essayé de préserver ton corps au maximum en cherchant un moyen de réussir son objectif. Mais il fallait bien qu'elle survive elle aussi, alors elle a utilisé toute sa magie pour te réveiller, et faire en sorte que tu vois tout comme si rien n'avait changé, comme si tu t'étais endormie la veille. Et en retirant sa couronne, tu as brisé ce sortilège.
- Donc.. Tout était faux ?
La vieille dame hoche la tête.
- Tu n'as tué personne, la plupart d'entre nous étaient déjà mortes, y compris ta mère. La seule qui était contre tout ça était Polyussica, sa jeune sœur. Mais maintenant, tu es la seule sorcière encore en âge de prospérer notre lignée. Et tu es la plus puissante de nous toutes ...
Je la vois commencer à se briser aussi. Non..

- N'y a-t-il pas un moyen de faire en sorte que vous viviez ?
Elle secoue la tête, qui s'effrite au fur et à mesure.
- Il n'y en a aucun. La mort est inévitable et irréversible.
J'ai les larmes aux yeux. Tout le monde autour de moi devient poussière au fur et à mesure. Je suis donc vraiment seule ?
- Occupe-toi bien de ce village, ma Reine, Jubia, dit la vieille femme avant de mourir à son tour.

Un coup de vent fait s'envoler toutes les poussières, toutes les sorcières. Je suis la dernière qui reste ..

Je suis la Reine d'un royaume vide.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top