Chapitre douze


« - Jubiaaaa ! », hurlais-je, impuissant, alors que mon amie s'écroulait au sol.

Qu'avait encore fait cette idiote ? La vieille bique avait parlé de pouvoirs... En quoi cela concernait-il Jubia ?

Je m'agenouille à ses côtés et saisit sa tête, la relevant seulement pour constater qu'elle est inconsciente. Je me tourne avec rage vers la femme aux cheveux étrangement semblables à ceux de Jubia.

« - Que lui avez vous fait ?

- Je ne lui ai rien fait. Elle vient juste de regagner son état initial.

- De quoi parlez vous ? »

Elle sourit sombrement et je retiens un mouvement de recul. Cette femme... Son aura menaçante n'annonce rien de bon.

« - Auparavant Jubia était la parfaite petite princesse. Elle mordait dans les meubles, arrachait les cheveux de ses serviteurs et ne respectait rien ni personne. Mais le plus effrayant était sans doute ses pouvoirs. Elle contrôlait l'eau comme un deuxième corps ; c'était sans doute la sorcière la plus puissante de son temps. Mais un jour elle a été enlevée et... » Elle secoua la tête avec dédain, l'air de ne pas vouloir se souvenir de cette époque. « Je suis sure que c'est un coup de ce sorcier de pacotille. Il a tout gâché. Mon bébé n'a plus jamais été pareil après ça. »

J'écarquille les yeux d'horreur. J'ai l'impression de me retrouver devant le diable incarné. Dans quel monde de fou sommes nous tombés ?

Elle jette un oeil au sac de Jubia, qui traine à côté d'elle.

« - Et dire qu'elle avait pour projet de faire ce ridicule philtre d'amour... Elle ! S'abaisser à ça ! »

J'ouvre la bouche, confus, prêt a demander des explications. Soudain, Jubia bat des paupières et ma salve de questions se transforme en soupir de soulagement.

« - Tu es réveillée ! Comment vas-tu ? », demandais-je avant de froncer les sourcils. Quelque chose ne va pas. Jubia me fixe sans sembler me reconnaitre. « Jubia ? »

A son tour, le moment de confusion passé, elle se renfrogne.

« - Que fait un faiblard d'homme aussi proche de mon visage ? », crache-elle en me repoussant d'un geste de la main. Je n'ai même pas la force de l'en empêcher, abasourdi.

« - Qu'est ce que... ?

- Mère ? », demande Jubia d'un ton atone qui ne lui est pas familier. « J'ai faim. »

La reine semble sur le point de fondre en larmes.

« - Toute suite ma bibiche d'amour adorée ! » , babille-elle, changeant totalement d'expression pour s'adresser aux gardes. « Allez me chercher à manger, et que ça saute. »

Les gardes ne se posent pas de questions, grand bien leur fasse, et disparaissent en moins de temps qu'il n'en faut pour dire « soupe de champignons ».

Pas si rapidement que ça en fait. Ce mot est très long.

Jubia se tourne ensuite vers moi. Ses yeux vides d'expression brillent d'une lueur rougeoyante.

« - Quand à toi, avorton insignifiant... »

Un flot de liquide clair s'échappe de sa main, s'enroulant comme un serpent autour de sa main avant de venir m'enserrer la gorge, me soulevant du sol.

« - Que vais-je faire de toi ? Tu es bien audacieux pour oser me toucher ainsi pendant un moment de faiblesse. »

Si jamais quelqu'un m'avait dit que Jubia prononcerait des mots tels qu'avorton ou audacieux, je lui aurais ri au nez avant de lui donner une bonne tape dans le dos pour la blague. Mais étrangement, en cet instant je n'ai pas envie de rire.

« - Ju... Bia... », m'étranglais-je, tentant d'enfoncer les doigts dans le filet d'eau qui m'étouffe. Jubia lève un sourcil.

« - Comment connais-tu mon nom ? »

Elle secoue ensuite la tête, un sourire au lèvres.

« - Peu importe. Je vais commencer par régler cette humiliation que je viens de subir. »

Elle me relâche et je tombe au sol.

« - Agenouille toi. Supplie mon pardon. »

Je tousse, posant les mains sur ma gorge meurtie. Qu'espère-elle ? Elle n'est plus la Jubia que je connais.

« - Alors ? J'attends », continue-elle en croisant les bras sans se départir de son sourire.

« - Rends moi... Jubia. », répondis-je simplement en la fusillant du regard.

Son sourire se fane et elle tape le pied au sol. Des geysers d'eau jaillissent de partout, inondant la salle, et la reine part se cacher derrière un pilier en couinant.

« - Toi ! Comment oses-tu... ? Je ne sais pas de quoi tu parles, mais tu as intérêt à m'obéir ! »

L'eau se dresse en une vague immense devant moi, menaçante. Les langues de vapeur qui s'en échappent m'indiquent qu'elle doit être bouillante.

Si cette vague s'abat sur moi, je suis cuit. Sans mauvais jeu de mot.

« - Je ne m'agenouillerais pas ! Je suis le prince du royaume de la glace... »

Je serre les poings. Finalement, je vais devoir l'utiliser. J'avais pourtant promis a Oul de ne pas le faire, mais je n'ai plus le choix.

« - ... Et je veux que tu me rendes mon amie ! », m'écriais-je en tendant les mains, envoyant un flot de cristaux de glace s'écraser dans la salle.

« - Qu'est ce que... ? », s'exclame Jubia alors que la salle se met à trembler. La chute du conduit d'aération, associée à nos attaques combinées, a fini par en fragiliser la structure.

Je me rends bien compte que je ne peux rien faire dans cette situation. Je suis seul contre tout un royaume ; les gardes ne vont pas tarder à revenir, alertés par nos cris, et d'un instant à l'autre Jubia peut choisir de m'écraser a nouveau. Mais cette fois, je ne pourrais plus compter sur l'effet de surprise pour me sauver.

Je n'ai pas d'autres choix. Je dois fuir.

Mon regard se pose sur une sacoche au fond, le sac de Jubia. Dedans, les ingrédients de la potion brillent doucement.

Serrant les dents, je me relève. Plus de temps a perdre. Le plafond menace de s'effondrer a chaque instant. Il va falloir profiter du chaos.

Sans prévenir je décolle, sprintant a travers la salle et les débris. Saisissant la sacoche, je passe devant une reine abasourdie et une Jubia non moins surprise.

Elles n'amorcent aucun mouvement pour m'arrêter, ne sachant probablement que faire dans ce genre de cas. Je rejoins la porte. Et juste avant de sortir, je lance :

« - Jubia ! Je reviendrais définitivement te sauver ! Attends moi ! »

Je ne me retourne même pas pour observer sa réaction avant de m'enfuir.

💙💙💙💙💙

Je me sens.. Puissante. J'ai l'impression d'être vraiment moi, mais aussi je ne comprends pas tout. C'est comme si j'avais oublié quelque chose de très important. Qu'importe. Je suis redevenue moi-même, princesse, sorcière, magnifique. Je suis Jubia.

Alors quand ce misérable homme était un peu trop proche de moi, comprenez que j'ai pu être légèrement choquée, surtout qu'il avait l'air de me connaître. C'est un homme. Les hommes sont mauvais, je me devais de me défendre. Je devais lui montrer ma puissance, ce que c'était de défier la princesse du royaume des sorcières. Mais cet homme a répliqué. Je ne savais pas que la sous-race masculine pouvait posséder des pouvoirs aussi. Il faudra que j'approfondisse mes recherches sur ces étrangetés que sont les hommes.

- Mère ! L'homme s'est enfuit !
- Je sais ma chérie. Laissons-le partir.
- Pourquoi ? Les hommes ne sont pas les bienvenus ici, il faut lui faire comprendre qu'il ne doit plus jamais revenir. Et je n'hésiterais pas à utiliser la manière faire pour qu'il comprenne !
Ma mère se met à rire.
- Tu n'as pas changé ma puce. Tu m'as manqué tu sais.
Je souris.
- Je sais.

On m'apporte à manger.
- Beurk ! Vous avez osé m'apporter de la soupe de champignons ? Vous me prenez pour qui ? Une paysanne ? Je suis une princesse ! Apportez-moi un plat de princesse, plus vite que ça !
Il faudra que je pense à virer cet idiot de garde. Mais je ne comprends pas pourquoi les regards dans la salle du trône sont tournés vers moi, tout le monde semble choqué. Quoi ? J'ai une mèche mal mise ? Pourquoi je me sens comme une étrangère ?

- Mère. Expliquez-moi. Pourquoi tout le monde me regarde ainsi ? C'est parce que ma beauté les éblouit ?
Ma mère m'indique de m'assoir sur le trône vide à côté d'elle. Nous sommes toutes les deux, mais les autres nous fixent. Elle a un regard grave. Que se passe-t-il ici ?
- Tu ne te rappelles pas de ton arrivée ici ?
Qu'est-ce que c'est que cette question ? Je suis perdue.
- De quoi parlez vous ? J'ai quitté le palais à un moment ?
Elle soupire.
- Parle-moi de ton enfance s'il te plait.
- Vous avez perdu la tête mère ? Vous ne vous en rappelez pas ?
Elle secoue la tête. Bon je vais devoir raconter ça.
- Par où voulez vous que je commence ?
- Raconte-moi ... Ton douzième anniversaire.
Le meilleur anniversaire de ma vie.

- On avait invité toutes les sorcières du village pour venir me voir. Elles étaient toutes bien habillés, et j'étais pas assez mise en avant par rapport à elle, alors je leur ai lancé un sortilège pour qu'elles s'enlaidissent. Et le seul moyen de redevenir comme avant était d'étreindre un des gardes. Pratiquement toutes les filles sont restées laides, alors j'étais la plus jolie de la soirée. Malheureusement je n'avais pas utilisé la formule définitive, mais uniquement quelque chose de temporaire. L'effet s'estompait au bout de quelques jours, mais c'était très amusant.
Quelle enfance merveilleuse. Et ça c'était quand j'avais douze ans, c'était vraiment sympa de faire ça car les filles ont eu peur de rester comme ça toute leur vie. Mais ce n'est pas le pire que j'ai pu faire. Quand j'avais quinze ans, j'ai invité seulement douze filles au hasard, que j'ai enfermé dans une pièce pendant longtemps. Elles cherchaient un moyen de s'enfuir, mais j'avais bloqué la magie à l'intérieur. Et si elles n'arrivaient pas à s'échapper en moins de 24 heures, elles se transformaient en poisson rouge. J'ai un très bel aquarium rempli de douze poissons rouges depuis ça.

- Je vois ..
- Qu'est-ce que vous voyez mère ?
Elle n'a pas l'air convaincue par ce que je lui dis. C'est pourtant la vérité.
- Rien ma puce. Monte dans ta chambre. Je veux organiser un bal en ton honneur ce soir.
- D'accord.
Il vaut mieux lui obéir.

Je quitte la salle du trône, repensant à cet homme. Il avait l'air de me connaître, et plutôt bien. Comment c'est possible ? Pourquoi je ne me souviens de rien ?
"Je veux que tu me rendes mon amie !"
Amie ? Quel mot dégoûtant. Comment un homme et une femme peuvent être amis ? Les hommes ne sont là que pour accompagner les femmes dans la création d'un enfant. Il ne peut pas y avoir d'amitié. Mais au fond de moi, je sens quelque chose de différent. Depuis ma plus tendre enfance, on m'a toujours enseigné que les hommes représentent la pire faiblesse de l'humanité, et qu'il ne faut pas s'en approcher sinon nous, sorcières, perdront de notre suprématie.

Une fois dans ma chambre, je regarde par ma fenêtre. Pourquoi alors que je suis dans ma chambre, tout me semble inconnu ? Qu'est que c'est que ce sentiment bizarre ?

Je vois une silhouette au loin. Une silhouette que je reconnais. Je saute de ma tour, j'ai besoin de sortir. Je veux monter mon balai et dominer le monde.

Sauf que je n'arrive pas à mettre la main sur mon balais.
- Où est ce balais ?
- Mademoiselle ? Voici votre robe pour ce soir, me ramène un domestique.
C'est un nouveau ? Je ne l'ai jamais vu par ici ?
- Vous n'auriez pas vu mon balais ?
- Votre mère vous interdit de sortir. Vous devez rester ici.
- Pourquoi ?
- Ordre de la reine.
Je soupire.
- Je vois. Vous pouvez disposez.
Le domestique s'en va en me laissant la robe.

Il serait temps que je mette mon plan au point. Ma mère n'a pas l'air décidée à me laisser le trône, alors il faut que j'emploie la force. Je sais qu'elle se méfie de moi et de mes idées farfelues, surtout après avoir assister d'aussi près aux événements que je mettais en œuvre lors des soirées organisées au palais.
Je fouille ma poche, à la recherche de mon carnet, celui où je note toutes mes idées pour enfin accéder au trône. Mais rien. Ma poche est vide.
Tout est si bizarre aujourd'hui. Tant pis.

Cela fait deux jours que je suis là. Enfin pourquoi est-ce que je dis que cela fait deux jours ? J'ai toujours été ici. Je ne sais pas. Mais je suis sure d'une chose : ma mère me cache quelque chose. Et je veux découvrir ce que c'est.
Je vais la voir dans sa chambre.

- Mère ?
- Oh tu es là Jubia. Entre.
Parfait. Nous sommes seules dans sa chambre. Le moment parfait pour qu'elle ait un malencontreux accident.
- De quoi voulais-tu me parler ? demande la Reine.
- Je repensais à cet homme. Pourquoi avait-il l'air de me connaître ?
- Tu es encore sur cette histoire d'homme ? C'était un prisonnier. Il ne te connaissait pas.
- Mais il a dit qu'on était amis.
Elle pouffe.
- Tu crois vraiment que l'amitié existe ? Ce n'est pas comme ça que je t'ai élevé ma fille. L'amitié n'est qu'un tissu de mensonges. Une sorcière n'a pas besoin d'amis.
- En parlant de m'élever, j'ai l'impression d'être la seule à me rappeler des souvenirs de mon enfance, pourquoi ? Expliquez-moi mère.
Elle soupire.
- Ne pose pas de questions stupides. Va dans la cour, je te rejoins.
- La cour ?
- Tu ne te rappelles pas ? C'est aujourd'hui que tu passes ton examen final de sorcière. Celui qui te permettra enfin d'accéder à toute ta puissance.
Oh. J'avais oublié.
- D'accord. N'oubliez pas de venir mère.

Je quitte sa chambre, déçue de n'avoir rien pu faire. Mais maintenant c'est une certitude : ma mère me cache quelque chose. Et je dois découvrir ce que c'est, alors mon examen final me servira à ça. Même si je ne sais pas en quoi consiste cet examen, et que je n'ai absolument pas travaillé ma magie ces derniers jours. Enfin, je suis talentueuse alors je devrais réussir à me débrouiller.

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