Chapitre cinq

Je suis perdu. À ce stade de la situation, deux choix s'offrent à moi :

Premièrement, aider un chien-lapin atrocement grossier ( je l'imagine parfaitement fumer des clopes, et normalement ce n'est pas la première chose qui nous vient à l'esprit en voyant un adorable lapin ) et pardonner à Jubia de m'avoir fait croire qu'on était pas de misérables sans abris.

Deuxièmement... Me lancer dans les spectacles de rues et espérer que ça accroche.

Les deux options me paraissent tellement déprimantes que ça me ferais presque regretter d'avoir quitté ma tour.

Je erre sans but dans la forêt, shootant dans un caillou dès que l'occasion se présente. Que faire... ? Je repense à Jubia, si innocente et si stupide. Si je la laisse avec ce lapin antipathique, que va-il lui arriver ?

Avec un long soupir, je secoue la tête et fais demi tour. Tant pis. Je regretterais plus tard de ne pas être parti quand j'en avais l'occasion.

Quelques minutes plus tard, j'arrive enfin à notre lieu de séparation. Plue, tranquillement allongé sur une racine, les pattes derrière la nuque, m'interpelle :

"- J'espère que t'es content de toi, crétin. Elle pleure maintenant.
- Ce n'est pas à toi de me faire la leçon, Bugs Bunny. Retourne manger tes carottes et fiche moi la paix. "

Le lapin semble offusqué et son nez se trémousse frénétiquement. Comment un être si adorable peut il avoir un caractère aussi déplaisant ? Ça me dépasse.

Je retourne voir Jubia, roulée en boule dans un buisson.

"- Tu vas te salir ", dis-je doucement en l'approchant.

Elle se retourne lentement et une feuille se pose sur son nez. Elle a l'air pathétique. Ses yeux sont gonflés et rouges, des larmes coulent à flot le long de ses joues, ses vêtements sont tachés de terre et ses cheveux parsemés de brindilles.

Un étrange sentiment fait manquer un battement à mon cœur et je me demande brièvement si c'est de la culpabilité.

"- Tu sais, tu ne trouveras pas de champignons dans ce buisson.
- Mon-monsieur G-Grayy ", pleurniche-elle.

Elle se frotte les yeux.

"- Ju-jubia est dés-déso...
- Ce n'est pas grave, Jubia. ", l'interrompis-je. " J'ai moi aussi agi comme un idiot. On ne devrait pas se disputer pour ce genre de choses. Que dirais tu qu'on oublie cette histoire ? "

Je tends la main pour la relever, mais au lieu de la saisir elle me saute au cou. Je me raidis instinctivement avant de me détendre peu à peu, la laissant sangloter sur ma poitrine. Un jour, peut être, je m'habituerais aux réactions étranges de cette fille.

Depuis l'endroit où il est posté, Plue me jette un coup d'œil. "Bien joué, gamin", semble-t-il dire. Je le déteste tellement. Peut être faudra-il revenir sur ma décision de ne pas le cuisiner, le moment venu.

Une fois Jubia calmée, nous revenons vers le lapin.

"- Alors, que doit-on faire ? "

Je n'arrive pas à croire que je m'apprête à suivre les directives d'un lapin. C'est tellement surréaliste.

"- Ben déjà, retrouver la sorcière qui m'a jeté un sort.
- Je pensais que c'était un sorcier ? "

Plue me jette un regard sans intérêt.

"- Je disais ça en général. C'est une sorcière, mais ca reste un sorcier. Pour un prince à l'éducation parfaite t'es pas très fute fute, hein ? "

Il relève le museau, provocateur. J'hésite de plus en plus à l'étrangler. Quel petit... !

"- Elle doit habiter pas loin ", continue-il. " Vous vous doutez bien que sous cette forme j'ai pas pu voyager beaucoup récemment.
- Et c'est quoi le plan ? Arriver et lui demander de te rendre ton apparence, puis repartir après avoir pris le thé avec elle ?
- Plus ou moins.
- Tu es vraiment fou ", m'énervais-je. " Elle va juste nous transformer en crapauds, ou pire, en lapins, puis nous envoyer nous faire voir. " J'insiste sur le 'lapin' pour l'énerver, et je vois sa queue se trémousser d'irritation. " Je refuse de risquer mon humanité pour un chien patibulaire comme toi ! "

Jubia reste à l'écart de la conversation, perdue.

"- Hum... Vous ne seriez pas en train de vous disputer ?
- Non, je suis juste en train de réfléchir à un moyen de mettre fin à sa vie discrètement. ", répondis-je. " Malheureusement pour l'instant je n'en ai pas trouvé, donc il va falloir suivre le plan de la boule de poils.
- Je t'emmerde ! ", grogne Plue.
"- Un problème, mon mignon ?
- Fais gaffe, un jour ou l'autre tu te réveilleras avec une chaussure à moitié bouffée. "

Je déglutis. C'est un vrai psychopathe.

Après ce qui semble une éternité de disputes, nous nous remettons en route. La forêt est peu dense, donc assez pratique à parcourir, mais Jubia parvient quand même à trébucher plusieurs fois sur l'humus. C'est assez drôle, mais ca implique aussi la quasi destruction de la robe que je lui avais donnée. Elle était rose, certes, mais elle coûtait cher.

La prochaine fois je lui donnerais des vêtements plus résistants. S'il y a une prochaine fois.

"- C'est là ", indique Plue en se levant sur deux pattes pour mieux voir.

On dirait une maison de nains. Perdue dans la forêt, un peu sous terre, un peu recluse. Généralement le "recluse" n'est pas bon signe. J'ai déjà entendu trop d'histoire sur des chevaliers tombant sur des grottes d'ours ou de trolls en se perdant dans la forêt. La plupart revenaient avec quelques séquelles de leurs charmantes rencontres.

"- À toi d'y aller ", me demande Plue.
"- Pourquoi moi ?
- Tu vas pas laisser la demoiselle risquer sa vie pour toi ? "

Il a l'air outré, mais je sais bien que ce n'est que de la comédie. Ce petit bâtard sait comment m'avoir.

"- J'ai pas signé pour ca, moi ! ", protestais-je, mais je m'avance quand même vers la porte.

Ce sera comme un remboursement pour qu'elle m'ait sauvé la vie, en ville. On va dire ça.

Je toque à la porte et patiente alors qu'un grondement s'élève.

"- Deux secondes, j'arrive ! "

La porte s'ouvre brutalement sur une vieille femme aigrie aux cheveux roses pâles. Sa tignasse est relevée sur sa tête en un chignon sévère, retenue par deux broches dorées. Elle porte une cape d'un rouge vif et sa grimace est loin d'être amicale.

"- Je déteste les humains. Qu'est ce que tu veux ?! "

Alors que je cherche désespérément une justification qui refuse de quitter mes lèvres, son regard est attiré vers l'endroit où se trouvent Jubia et Plue.

Je me crispe, m'attendant au pire.

"- Jubia ? ", demande finalement la vieille dame, surprise.

La jeune fille répond d'un signe.

"- Bonjour, madame Polyusica ! "

💙💙💙💙💙

Je suis triste, j'ai abîmé ma jolie robe. C'est rare que j'ai de beaux vêtements, et surtout qu'on me les ai offerts. Mes robes précédentes étaient toutes mes créations, faites à partir des tissus que je trouvais (ou qui se retrouvaient comme par hasard chez moi sans que je comprenne pourquoi...) lors de mes expéditions. Je ne voulais pas l'abîmer, c'est un cadeau de Grey. Il est si gentil avec moi.. Même s'il est parti tout à l'heure, il est revenu (parce qu'il est amoureux de moi, évidemment) et m'a laissé le prendre dans ses bras. Après ca, j'ai dû camoufler mon saignement de nez extrême. Imaginez s'il l'avait remarqué... En fait non je n'ose pas imaginer !

Résultat, nous aidons le gentil Plue, et en fait la personne qui l'a transformé est Polyusica. Je suis heureuse de la revoir.

- Vous vous connaissez toutes les deux ?! demandent mon Grey et l'autre truc qui parle en même temps.
Polyusica soupire.
- Fermez-la vous deux. Vous êtes humains, et en plus de ça vous êtes des hommes ! J'aime pas les humains.
- Et vous êtes quoi vous alors ? Et Jubia ?
Je fixe Grey. Il ne fallait pas lui dire ça ! Polyusica est très sensible en réalité, elle ne supporte pas qu'on lui rappelle qu'elle est elle aussi humaine.
- Jubia est un cas à part. Elle n'est pas aussi manipulatrice que vous autres. Et elle est pure et innocente.
Grey se met à rire.
- Vous êtes sures de savoir ce qu'est "être innocente" ? Parce que Jubia n'est absolument pas innocente !
Polyusica se tourne vers lui.
- Je dis ce que je veux ! Et tu te tais, prince ou non, ici tu es chez moi et tu me dois le respect. Jubia est une jeune fille innocente dans le sens où elle ne fait pas de distinction entre le bien et le mal, et ne porte pas d'avis sur les choses. Chose qui diffère avec le reste des humains. Et pour ta gouverne je ne suis pas humaine !
Son visage se met à changer. Elle se transforme. Elle me fait peur. Je me rappelle que dans mes cauchemars, surtout quand j'étais petite, c'était elle le méchant monstre qu'on devait combattre. Sauf que ma seule arme était soit des champignons, soit je n'avais pas d'armes. D'ailleurs je ne sais pas si c'était vraiment un rêve...
- Madame Polyusica.. Calmez-vous.
- Ouais surtout qu'on est là pour moi à la base, parce que je suis devenu un putain de lapin ! pas pour vos histoires de merde de famille ou d'amour, je veux juste redevenir un être humain !
Polyusica soupire.
- Je ne pensais pas te revoir un jour. Et je ne pensais pas t'avoir donné la parole quand je t'ai transformé.
Plue soupire. Grey me regarde en fronçant les sourcils, et je lui fais signe de ne pas s'interposer. Ce qui va suivre pourrait le mettre en danger. Et je ne veux pas que Grey soit en danger. Ce serait vraiment dommage...

- Ouais ouais c'est bon. J'suis allé voir un autre sorcier pour qu'il me retransforme mais c'est tout ce qu'il a pu faire ce con. Putain j'suis dégouté quand même, j'suis devenu un putain de lapin et tu vas pas trop vouloir me faire changer encore, hein Mamie ?
- Attends t'es en train de dire qu'on est venu jusqu'ici pour rien ? dit Grey.
Polyusica éloigne Grey qui comme à s'enerver d'un revers de la main. En tant normal, j'aurais accouru vers Grey pour l'aider, mais pas cette fois. Je ne peux pas.
- Jubia. Je t'ai toujours promis de t'apprendre un sort n'est-ce pas ? Alors regarde bien. Je vais t'apprendre comment on transforme un petit animal avec un tout petit cerveau en un objet de notre choix.
Je souris. C'est super cool qu'on puisse transformer un animal en un objet, je pourrais avoir un lit ! Et même une maison ! Vous vous rendez compte ? Une maison ! Que je pourrais partager avec monsieur Grey évidemment ....
- Attends.. t'es sérieuse mamie ? tu vas me transformer ..? lâche Plue.
- Oui.

Polyusica lance son sort après m'avoir montré tout ce qu'il allait faire. Et Plue se transforme en papier toilette. Grey pouffe de rire en voyant ce qu'est devenu Plue. Je regarde Grey, sans comprendre pourquoi il trouve ca drôle. Peut-être que les princes ont un humour différent des paysans ? Je ne comprendrais jamais.
- Voilà. J'espère que tu as compris comment on fait Jubia, cela pourrait t'être utile, me dit la femme.
Je fixe Polyusica. Je n'ai absolument rien compris.
- Mais ! Vous venez de transformer un être vivant ! C'est interdit par la loi ça ! hurle Grey.
- Je n'en ai rien à faire de la loi. Elle est applicable uniquement sur les humains. Et crois-moi que cette chose ne manquera à personne, cher prince, ajoute Polyusica.
- Jubia, pourquoi tu ne réagis pas ? demande le brun.
- Je.. J'ai pas tout compris.
Polyusica se met à rire.
- Bon, maintenant que cette affaire est réglée, je vous invite à partir.
Je m'approche de Polyusica. J'ai quelque chose à lui demander.
- Monsieur Grey, pouvez-vous nous laisser quelques minutes ?
Il fronce les sourcils, mais m'écoute et quitte la pièce.

- Dites-moi, je recherche un artefact qui fera en sorte que Grey tombe amoureux de moi. Vous savez où je peux le trouver ?
Elle soupire. J'ai dit quelque chose de mal vu sa tête. Enfin elle a tout le temps une tête bizarre mais la c'est pire. A moins qu'elle ait envie de vomir ? Ah bah visiblement oui vu ce qu'elle fait. Oups. J'espère que ce n'est pas grave. Au moins je suis sûre que ce ne sont pas mes champignons qui l'ont rendu malade, puisque beaucoup ne les digère pas (ou ils sont peut-être pas comestible... Si c'est le bon mot).
Après avoir vomi, et utilisé le papier toilette qu'elle vient d'avoir pour nettoyer tout ça (adieu Plue... Tu étais si mignon....), Polyusica s'approche de moi.
- Jubia... Tu ne devrais pas penser à l'amour... Cela ne t'apportera que du malheur ! En plus ce n'est pas avec cet idiot que tu pourras être heureuse. Crois en mon expérience ma petite.
Je fronce les sourcils.
- Vous avez de l'expérience ? Quelqu'un a bien voulu de vous un jour ?
Elle soupire. Je crois que j'ai dit quelque chose de mal.
- Tu pourras trouver l'artefact de l'amour uniquement grâce à quelques conditions : premièrement tu dois trouver une fleur blanche à sept pétales, dont un rouge. Ensuite, tu dois réunir les sept boules de cristal.. Ah non pardon c'est pas pour ca. Bon enfin bref, je vais te noter tout ce qu'il te faut.
Je souris.
- Merci beaucoup !
Elle se tourne vers moi.
- Dis-moi, tu sais lire au moins Jubia ..?
- Oui.
Enfin quelques mots. "Champignon" je le lis bien.
- A la bonne heure ! Tout est marqué sur ce papier. Ne le perds pas si tu veux que ça se réalise.
Je hoche la tête.
- Merci Mamie.
- Maintenant va-t-en d'ici ! Je ne veux plus te revoir !

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