9| Dormir peu et penser trop.
MARNIE DORMIT PEU, CETTE NUIT. Même après avoir lavé son drap deux fois cette semaine, il continuait à sembler sale contre sa peau. Pendant longtemps ses yeux bleus fixaient le plafond, une occasionnelle larme venant troubler le tableau qu’elle créait. Ses parents n'avaient jamais voulu que leur fille ait un verrou, mais elle en avait à la fois maladivement besoin, et, se sentant déjà enfermée, doutait de l'utilité de celui-ci.
Une frêle cacophonie déchirait la nuit : la pluie qui battait à présent sur le carreau de sa petite fenêtre en percussions, le ronflement occasionnel de son frère Christian, dont la chambre avoisinait celle de Marnie en trompette, et, en violon, le doux chant des criquets.
A travers la musique, Marnie profilait une certaine poésie aux choses, mais c'était davantage une distraction qu'une beauté.
Pluie.
Ronflements.
Criquets.
Pluie.
Bref, Marnie ne dormait pas.
Elle aurait voulu se jeter sur son violon, mais il était au conservatoire, et elle n'oserait jamais en jouer à cette heure-ci, même s'il se trouvait entre ses doigts.
La texture du lit dans l'esprit de Marnie devenait peu à peu insupportable, et, par réflexe, comme lorsqu'on touche une surface brûlante, elle se leva.
Ne pas faire de bruit.
Ne surtout pas déranger quiconque parce qu'elle n'arrivait pas à être calme.
Son regard se promena sur les murs jaunes-obscurs avec la peinture de la nuit, le plafond blanc brisé, le sol brun tâché par la lumière nuptiale, une copie de sa chambre plus sombre, telle qu'elle la voyait rarement car à cette heure ci le genre de fille qu'elle était dormait à poings fermés.
Le genre de fille qu'elle était.
Avec le cocktail de l'adolescence, de ce qu'ils avaient fait, de la Bible et de ses ennemis, Marnie ne savait plus trop quel genre ça pouvait être.
Alors, un objet azur attira son attention, posé sur son bureau blanc brisé.
En y accordant un second regard, elle vit que c'était un rectangle, avec d'autres petits bouts rayés qui dépassaient.
Un carnet. C'était un carnet azur, presque en équilibre sur le coin gauche de sa chambre, qui l'attendait.
Lentement, pour ne faire de bruit, de dérangement, de perturbations, de vagues, ou d'orage, Marnie s'en approcha, plaça ses doigts fatigués sur la couverture, et l'ouvrit. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait, il devait sûrement appartenir à son frère, et ses parents l'avaient sûrement mal placé, et elle devait sûrement ne pas l'ouvrir.
Marnie tourna la première page.
Il était à peine rempli, un occasionnel gribouillis, une liste de course, et des révisions pour une interrogation de première.
Lentement, presque machinalement, elle tira sa chaise, s'assit, se munir d'un crayon dont l'utilité était incertaine mais sûre.
Marnie ouvrit le carnet azur en son milieu, dirigea la pointe grise obscure du crayon sur une page rayée, et appuya, appuya dans le vide qu'elle ressentait malgré un besoin de noircir la feuille, appuya dans un réflexe de destruction qui prenait naissance au sein de sa culpabilité.
Avant qu'elle puisse s'en rendre compte, elle avait formulé une phrase.
Peut-être…
Et, sa conscience à peine derrière, devancée par le détachement entre les rayures de la ligne et les pensées de son esprit, uniquement reliées par une vulgaire mine de graphite, un torrent sorti de Marnie. Un torrent de toutes les choses qui la traversaient toutes à la fois comme des voitures impatientes sur un carrefour. Toutes les éventualités d'un “moi” qui n'était sûrement pas elle, non.
Peut-être que si j'avais porté une jupe moins courte il ne me serait rien arrivé.
Peut-être que c'était pas ma jupe.
Peut-être que c'était moi.
Peut-être que c'était pas moi.
Peut-être que c'était lui.
Peut-être être que c'était nous.
Peut-être que c'était tout le monde, ma jupe, mes parents, mon frère, la Bible, Jésus, et lui.
Peut-être que c'est pas de ma faute.
Peut-être que j'accuse les autres pour mes erreurs.
Peut-être que c'est moi qui fait que j'arrive plus à sourire.
Peut-être que c'est pas de ma faute.
Peut-être que c'est pas de ma faute.
Peut-être que je me trompe.
Et Marnie, aidée de sa mine graphite, de la folie que provoque la douleur étrangère et la pâleur de lune et l'obscurité du jour, repassa toutes les phrases d'un épais trait, ferma le carnet, le cala sous son matelas alors qu'elle ne devrait pas, et s'allongea sur celui-ci, une nouvelle fois se noyant dans les lignes d'eau coulant sur ses joues.
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