10| Le sommeil de cerveau cache bien des choses.
LE LENDEMAIN, MARNIE ne se leva pas. Elle s'était couchée tard, trop tard, à une heure où il n'y a que les personnes étranges qui se couchent, où les premières pâleurs de l'aurore font ressentir leur souffle.
Marnie ne se réveillait pas.
Et lorsque ses yeux s'ouvrirent enfin, une scène pittoresque se dessinait devant ceux-ci : sa mère, ses boucles blondes courtes à quelques centimètres de son visage. Le plafond semblait étrange, presque décalé. C'est alors que la texture de son lit, ou plutôt l'absence de de celle-ci, la frappa.
Marnie s'était endormie sur son parquet glacé, mais à ses yeux beaucoup moins que son matelas crème, qui ne lui apportait rien sinon le souvenir du toucher d'une peau étrangère.
-Marnie?
La voix de sa mère était mielleuse, presque trop, comme un gâteau trop sucré, une texture trop collante qui nous enfermait tel un insecte enfermé dans de l'ambre. Mais, selon l'enfant, c'était plutôt ses oreilles qui étaient trop rugueuses, trop abîmées car elles avaient entendu trop de choses.
-MARNIE?
-Hmmm.
Elle sentit une main étrangère, encore, lui secouer l'épaule, puis soulever son corps tout entier à la manière d'un petit animal qu'on lèverait dans une étreinte.
-Hmmmmm.
-Marnie?"
La voix de sa mère était devenue plus doucereuse encore, était revenue à son timbre habituel, alors elle resta silencieuse, sachant parfaitement que rien ne se passerait si elle n'ouvrait pas les yeux.
-Je suis inquiète. Tu...j'ai vu...déjà...
La mère cherchait ses mots, dans un océan d'incompréhension de l'étrange personne qui avait remplacé son enfant, sa chair aux boucles blondes, cherchant une île, une explication, une personne à blâmer -mais pas elle et pas sa fille-, une solution à trouver, un coeur à réconforter.
-Maman?
-Oui?
-Je veux pas aller à l'école.
La mère laissa échapper un minuscule "ah", ses mains passants frénétiquement dans les cheveux de sa fille, un peu perdue alors un peu passive.
-Pourquoi? demanda-t-elle enfin.
-J'ai mal au ventre.
Ce qui était bien sûr faux, Marnie avait simplement mal, un mal qui vous coupe le souffle et le cœur, assourdissant, indicible. Un mal à la personne qu'elle était. Mais c'était bien trop compliqué à expliquer.
-Euh...tu as quoi aujourd'hui ?
-Rien.
Rien, c'était plutôt plusieurs examens, qu'elle pouvait rater dans tous les sens du terme. Qu'elle pouvait oublier.
Qu'est-ce qu'elle avait mal.
Elle voulait revoir cette fille aux yeux célestes, cette femme aux yeux néons, ces regards bienveillants dont elle manquait cruellement malgré elle.
-Bon....euh...alors...
A présent les cheveux bouffis de la mère de Marnie parcouraient son propre crâne bouclé, y cherchant une réponse qu'elle ne trouverait pas.
-Je vais...je vais...demander à Madame Desvilliers. Repose toi...Marnie.
Aussitôt sa mère partie, la fille se précipita sur son carnet azur, dissimulé avec précaution et précision sous une latte de son matelas crème, se munit d'un stylo et écrivit.
Peut-être que mes parents m'ont mal élevée.
Peut-être que mes parents m'ont bien élevée mais que je me suis empoisonnée.
Peut-être que je suis un poison.
Et toutes ces interrogations dansaient dans son esprit, valsaient, occupaient chaque parcelle de celui-ci. Elle replaça le carnet, perdu entre la familiarité et l'inconnu.
Elle n'avait pas faim, elle n'avait pas soif, elle était simplement sous l'emprise de Morphée, omnubilée par son souffle, étouffée dans un sommeil immense. Elle aurait voulu dormir, dormir des années et peut être ne jamais se réveiller.
Sa mère revint quelques minutes, le téléphone rouge à la main pâteuse.
-Tu es sûre que ça va aller?
Marnie ne pouvait pas répondre qu'elle ne savait pas, qu'elle ne voulait pas, non, parce qu'elle ne savait pas dans quel univers où quel monde parallèle, elle pourrait s'habituer à la douleur qui criblait sa poitrine de trous.
-Je pense.
Penser que oui, penser que non, elle ne précisa pas.
-Bon...euh...alors. Reste. Je vais te préparer une soupe.
La silhouette ronde sortit maladroitement de la chambre, trébuchant deux fois, émettant un faible pardon.
FLORA TREBUCHAIT À TRAVERS UNE PIÈCE, qui hier encore avait vibré, mouvant aux rythmes des ferveurs des adolescents, brillant sous les lumières d'une orbe multicolore. La musique avait été forte, trop forte, les emmenant, les perdant, leur faisant tourner la tête jusqu'au plafond. Elle ne savait plus vraiment ce qu'elle avait fait, ou n'avait pas fait, l'éthanol faisait taire ses souvenirs, lui explosait le crâne, mais elle avait l'habitude. Il lui semblait qu'elle était dans la chambre de Léopold, au vu des posters de série télé et équipement sportifs qui pendaient aux murs, des meubles au même titre que le canapé gris, le lit rouge, le bureau brun. Trouver ses clés, son téléphone, Léopold, les questions s'accumulaient comme de l'eau dans un verre trop plein. Les raisons pour lesquelles elle avait été là, pour se mouvoir dans les battements de coeur de ses pairs, lui étaient inconnues. L'obligation avait pris le dessus, la peur d'être seule, malgré tout ce qu'elle se répétait, aussi.
Deux autres adolescents, une fille aux longs cheveux roux, et un garçon avec une énorme doudoune électrique malgré le mois de mars, formaient un chemin jusqu'au viking. Léopold était difficile à réveiller, étendu sur le ventre, son corps affalé sur un canapé gris, ses cheveux blonds empestant l'alcool, son tee-shirt bleu à moitié enlevé sur le bas de son dos, émettant un occasionnel ronflement, mais ce n'était pas grave, il n'était pas une source de désir, ou n'avait pas besoin d'essayer d'en être une.
Flora le réveilla sans grande empathie, sans petit ménagement, sans grand chose.
-Léopold?
-Hmmm.
-Léopold?
Tout semblait sorti d'un univers parallèle, où les couleurs étaient plus colorées, la lumière plus lumineuse, le monde plus monde.
Sa voix restait monotone. le garçon endormi, les choses aussi.
-Léo?
L'adolescent se retourna, sourit faiblement, et fit signe à flora de la rejoindre. Si c'était possible, il était encore plus sous l'effet de l'alcool.
A contre-coeur, ou plutôt sans une envie particulière, Flora se glissa entre ses bras, qu'il serra doucement.
-C'était sympa hier soir.
Le visage, tout le corps de Flora se raidit. Hier soir, mais hier soir qu'avait-elle fait, et pourquoi?
-Quand? elle essaya d'éteindre son inquiétude comme un secouriste.
-Tu sais bien...
Un sourire se dessina sur ses lèvres satisfaites, que Flora avait à la fois envie d'embrasser et de blesser, perdue entre les différents cris de colère et d'indifférence qui l'envahissait.
-T'inquiètes, on s'est protégés.
Flora se glaca, sentit chaque parcelle de son corps meurtri se mettre sur pause, mais le rejoint dans un sourire, ne préférant pas rentrer dans l'abysse de tout ce que cela impliquait, de toutes les choses qui l'avaient amenée ici, et pourquoi elle était ici et non chez elle, dans sa chambre bordeaux, mais peut-être que c'était ici sa chambre, les bras, celui d'un être sans visage, changeant, éphémère, parce qu'elle voulait être forte, voulait pouvoir enchainer, ne pas être timide, mais en même temps ne pas être une fille facile, être un mystère, être sans le vouloir, sans essayer, au final être elle mais elle ne savait pas qui c'était.
Fermer l'abîme. S'amuser, et jeter la clé. Ouvrir ses lèvres. Parler. Être écoutée. Être désirée. Être crainte.
-T'as aimé, Léo?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top