Chapitre 4 - Le démon.
Il existe trois temps simples célèbres. Le passé, le présent et le futur.
Il existe un troisième qu'on appelle l'imparfait.
C'est le temps pour énoncer une action en voie d'accomplissement dans le passé ou conçue comme non achevée. Si vous ne savez dans quelle époque vous êtes...
Vivez dans l'imparfait. Car après tout les êtres humains sont tatoués de défauts.
En fait je me répète.
Ça ne veut définitivement rien dire.
J'ai de plus encore beaucoup de choses à fignoler.
Même lors de mes entretiens avec Mme Lorraine. Des couloirs jusqu'à mon bureau. Avec tous ces regards fusillant, ces murmures méprisants et ces oreilles incapables d'écouter.
Avec pour centre d'intérêt cette fille.
Blom Eastman.
— C'est pas croyable que M. Scnudert ait envoyé une incompétente et lui ait fait une confiance totale pour les qualifications du V.E.R.S.A.C.E !
Avec des longs cheveux noirs qui arrivaient jusqu'au dessus des cuisses.
— Je suis vraiment désolée Mme Lorraine.
De grands yeux verts émeraudes.
— Comment ça vous êtes désolée ?!
Une peau presque rose. Sans tâches.
— Je me demande bien ce qu'une petite ignorante fait dans notre école !
— J'ai payé de mon talent comme tous les autres Mme Lorraine.
Mais un visage en diamant dénué d'expressions.
— Comment oses-tu l'affirmer ?!
Elle me frappa. Tellement fort que je vacilla et alla me cogner contre le mur.
— C'est terminé pour aujourd'hui. Hors de ma vue.
Je relevai ma tête. Je fus éprise un violent mal de crâne. Je la regardai dans les yeux.
J'en avais marre. Prime le ressentait aussi. Elle me riait au nez. Elle le voulait aussi.
Qu'est ce que t'attends ?
Je pris appuis sur le mur et mis debout.
Il y avait certainement une nuée d'élèves à la porte qui avaient tout entendu.
Si je sortais, que des insultes pleuvraient. Alors je me laissai emporter.
Je renversa tout le meuble de bibliothèque à gauche. Ceci fit un gros bruit. Il manqua d'écraser Mme Lorraine.
Je la regardai dans les yeux avec une lueur de rage un court instant. Mais celle-ci disparue en un instant. Je pris peur.
Je mis un pas devant moi et aussitôt pris la fuite en ouvrant la porte, bousculant ceux dans les couloirs.
— MADEMOISELLE EASTMAN !!! REVENEZ ICI !!!
Dans ces longs couloirs je me revoyais dans les coulisses. Non... c'était pas ma faute.
C'était celle de Prime. C'est elle qui avait fait tout ça. C'était elle qu'il faut accuser. Pourquoi personne ne la voyait ?
Là encore elle me riait au nez. Elle prenait plaisir à me voir comme une proie. Un souffre douleur masochiste.
Non ça allait aller. J'avais l'enregistrement. Tout irait bien n'est ce pas ?
Je ne me rendais pas compte que je tombais en fait dans la démence.
Une démence profonde et sans limite.
INONE, cette école d'arts, était divisée en plusieurs blocs selon les classes et les filières. Un Lycée de riches, dans lequel j'avais réussi à entrer grâce aux petits boulots, refusant l'argent sale que gagnait ma mère.
J'aurais jamais pensé à y vivre le pire calvaire de ma vie. Vous avez dit "harcèlement scolaire" ? La personne qui a créé cette expression était un génie.
La première semaine on m'avait fait un croche pied, la deuxième on m'avait donné les mauvaises partitions. Une fois j'avais trouvé plein de clous rouillés dans mon casier. Et ma table est décorée d'insultes.
Ô l'adolescence. Ma très chère. Cette lumière. Que tel une éclipse on ne peut regarder. On en pourrait faire un livre entier, mais on arriverait jamais à exprimer ta tristesse suave.
On fait des choses sans réfléchir sous prétexte qu'on est adolescent. C'est un magnifique tableau.
Dans les couloirs aux classes, des classes aux regards. C'est cette adolescence, qui m'a poussé à courir au risque d'être renvoyé, à rester à l'infirmerie toute la journée parce que mon choc d'avant m'avait fait saigner de la tête. Et à ignorer les messages de Wayne.
***
16h42. C'était la fin des cours.
Il fallait que j'y sorte. Quitte à y laisser ma fierté.
Je n'étais pas une lâche. Non plus une incapable d'assumer ses responsabilités.
— Regarde la voilà.
— Cette sale bâtarde.
— Elle va finir comme sa mère cette garce.
Je me figeai. Mais continua d'avancer.
— Elle est sans gênes vraiment !
— Et dire qu'elle a osé lever la main sur Mme Lorraine !
— Si elle n'était pas là notre école aurait eu un meilleur classement !
— On se demande comment elle est arrivée ici !
Tant que je les ignorais...tout allait pour le mieux. C'est comme cela que je fonctionnais et que j'allais fonctionner.
Ça peut paraitre étrange...
Mais cette journée...avait été mon plus beau souvenir dans cette école.
Pourquoi ? À vous de me répondre.
— Mlle Eastman...
Je me retournai. C'était M. Scnudert.
— Dans mon bureau tout de suite.
Il partit en avant. J'obéis maladroitement. Entre temps certains élèves jubilaient se disant qu'on allait me passer une tuile.
Bien sûr j'y croyais aussi. Malgré que ce soit M. Scnudert.
Un allemand, sans avoir l'accent. Moustachu. Notre professeur titulaire, un ancien élève du lycée et le plus grand musicien des environs.
Pendant très longtemps, je l'ai considéré comme mon mentor. Il m'avait donné les rôles principales et m'avait même laissé le choix du morceau à jouer.
Alors lorsqu'il a employé ce ton froid avec moi, j'ai déprimé.
Il ouvrit son bureau. À première vue je l'ai trouvé normal. Mais après je remarquai qu'il y'avait plein de cartons remplis de ses affaires.
Il souffla de soulagement et se retourna vers moi en souriant.
— Je suis navré d'avoir pris ce ton intimidant avec toi Blom. Mais c'était pour ton bien.
— ...?
Je baissa la tête. Puis après avoir longuement mâché mes mots :
— M... Monsieur Scnudert...je suis terriblement désolée d'avoir gâché votre confiance. Vous vous étiez trompé sur moi. Je ne suis pas si douée que ça.
— Comment peux-tu dire cela alors qu'on est dans le top 5 ?
— ...
Je serrai le poing.
— Monsieur Scnudert en fait...
— Je suis viré.
— Quoi ?
— Je pars aujourd'hui.
— Hein ? Attendez...
Je réalisai quelque chose.
— Vous voulez dire que c'est à cause de...
— De toi oui.
J'écarquillai les yeux un bref instant surpris, puis baissai la tête en resserrant mes mains sur ma jupe.
— Je suis...je suis...( mâche les mots )...
Malgré tout...je n'arrivais pas à m'excuser. Ce courage dont les plus altruistes possédaient, je l'avais pas.
— Pense-tu vraiment que je suis triste à l'image de quitter cette école ?
— ...Mais vous venez de perdre votre plus grande source de revenus !
— Un boulot rempli de racistes et de préjugés ?
— ...
— Je suis un très grand artiste ! Je gagnerai ma vie avec ou sans.
— ...
— Tu sais, j'étais là quand tu as fait ta représentation. Crois moi je ne suis pas déçu. Et je sais que je n'ai pas fait d'erreurs. Tu deviendra quelqu'un Blom.
À ce moment précis, au lieu de me réconforter, ces dernières paroles me donnèrent la nausée.
J'étais certes jeune. Mais réaliste.
Ce type de cliché m'horrifait. Il avait dit que je deviendrait quelqu'un ? Moi ? Qui avait reçu de la mayonnaise sur sa chaise ? Qui avait encaissé les antisémites parce qu'elle était juive ? Qui était accusé de vol à chaque fois qu'on cherchait un truc ? Qui avait perdu son seul espoir sur scène ? Et qui ne devait rien dire sous peine de recevoir des mauvaises notes à cause de la corruption ? Vraiment ?
Je me le résumai en une seule expression.
— La blague...
— ...
— Vous êtes un curieux blagueur M. Scnudert !
Il me lança un regard inexpressif.
— Je ne serai plus là Blom. Dorénavant, j'espère que tu trouveras ton salut.
— ( sourit )...Merci Monsieur...
Il prit ses derniers cartons et sorti du bureau. Me laissant là seule dans cette pièce obscure. Vide. Encourageant mes démons, peines et complexes.
Je me mis à rire. Très fort. Comme si ça estomperait ce sentiment misérable en moi.
Mais non.
Alors de la même façon qu'il se mit à pleuvoir dehors. Que ces gouttes tombaient une à une. Ces cristaux d'âmes appelés larmes affluèrent mes joues.
Et comme la pluie s'accompagne toujours du tonnerre. Ma voix brisée se mêla au reste.
L'impression de goûter au goût salée de la tristesse pour la première fois.
Hurlant plusieurs fois que j'étais désolée puisque les murs étaient insonorisés.
Alors je vous repose la question.
À votre avis pourquoi était-ce mon plus beau souvenir dans cette école ?
***
— Je te déteste.
— Sympa de me dire ça.
— Je te hais toujours.
— Cimer.
— T'as ignoré tout mes messages !
— Comment oserais-je ?
— Je vais te faire payer.
— Vraiment ?
— Vrai.
— Attends...lâche moi...Arwête ça youp fuite ! Ze wais te huer ! Sale prou du wule !
— Me voilà défoulé !
— Espèce de crétin tu veux mourir ?
— Pas de tes mains tu ne te les laves pas après les toilettes.
Je soupirai.
— Espèce de racaille.
— C'est toi la racaille alcoolique.
— C'est à 0,3 % d'abord !
— J'en ai putain de rien à faire.
Wayne se décida à en parler.
— C'est quoi ce bandage ?
— Un bandage.
— Qu'est ce que t'as foutu encore ?
— ( boude ) Pourquoi ça serait encore ma faute d'abord ?
— Il t'as foutu ce bordel ?
— Scadouche.
— Hein ?
— J'ai dit scadouche j'ai le putain de droit de garder le secret.
— Ta gueule.
— Quel méchant.
— Tu vas finir par mourrir un jour.
— Au fait je voulais te dire, ton petit frère n'est pas du tout cool.
— Ah ?
— Gave lui encore un peu avec les Power Rangers parce que là tu lui as refilé tes idées impurs.
— T'inquiète je t'aurais supprimé de mes contacts avant qu'il reprenne mon portable.
— Ça c'est méchant.
J'aimais et détestais ce moment de la journée.
— Ah ouais ? Ce que c'est mignon !
Je le chérissait car il me permettait d'échapper à la réalité. Je pouvais noyer tout ce que j'ai sur le cœur dans les mots que nous échangions.
— C'est ton blème je ne te parle plus.
— Quelle gamine tu fais.
Mais le détestais parce que je faisais toujours un revenu brutal à la réalité.
On s'arrêta tous les deux. C'était le moment de se séparer.
Wayne venait au lycée me chercher chaque jour. Puis on faisait la route ensemble jusqu'au terrain de basket. Moi ne voulant pas le faire savoir où je vis.
Ce studio crasseux me servant de "maison".
Avec la pute qui me servait de mère.
Contrairement à ce que vous pourriez penser elle ne m'a jamais frappée. Jamais injuré.
Même pas une seule fois.
D'une certaine manière on pourrait considérer ce qu'elle faisait un moyen pour elle de subvenir à nos besoins.
Alors pourquoi je la détestais tant ?
Peut être parce qu'elle trompait indirectement mon père ?
Ah mon père.
Il est mort. Quand j'avais dix ans.
Il m'avait tout appris. Et tout donné. Mais j'avais tout perdu. Subitement.
Sauf peut être ce magnifique violon blanc en bois d'ébène, un modèle unique de couleur blanche, il ne restait plus rien.
Cet homme dont le visage restait toujours flou dans ma mémoire m'avait hanté à en devenir folle.
Bien qu'étant la cause de mes origines juives. Je l'avais toujours aimé...ce père.
Alors pourquoi a t-il fallu qu'il devienne passé ? Et que le passé devienne imparfait ?
Peut être que c'est à cette époque là que j'ai commencé à la voir.
Prime.
Cette créature imaginaire qui était apparue à mon enfance.
À Lizeaux, cette ville incarnant la pluie, elle était apparue, alors que j'avais attaché cette corde si dure à mon cou.
Elle était apparue et m'avait sourit en m'encourageant à sauter de la chaise.
Qu'est ce que t'attends ?
Je l'ai pas fait. J'ai pleuré. Beaucoup. Dans les bras de cet être que moi seule pouvais voir.
Prime.
Prime était ma double personnalité. Un être imaginaire qui me dominait totalement.
Dans le silence absolu.
Elle était gentille au début. Elle me tenait compagnie en classe. Puis lorsque j'eus ouvert la bouche pour engager une kyrielle avec une camarade en primaire ; elle a changé.
Prime, oui toi tu as changé. Moi j'étais restée la même. Tu t'en languissais de le savoir. Te délectant du plaisir suave que te procurait mon humiliation.
Que ce soit le jour de la mort de mon père. Ou toutes les fois où j'étais chez le psychiatre parce qu'on me trouvait folle de m'exprimer seule, c'était Prime mon démon angélique.
Ma drogue, mon paradis, mon enfer.
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