Chapitre 2
Seule sur mon banc, je me mis à écrire à Christina, et à lui donner des nouvelles. Merde, pas de wifi à l'horizon. Liberté, égalité, fraternité bullshit ! Elle était où l'égalité quand les autres avaient la 5G ou un forfait de 50 Go ? Je me mets alors de la musique dans les oreilles. Oui je pense que les gens trouveraient le temps de m'approcher, ils sont simplement timides, ou bien intimidés devant mon incommensurable charisme. Pourtant, la pause passe, et personne n'est venu. La sonnerie retentit. Je me lève péniblement de mon cher banc, avec qui j'avais noué une relation plus solide que toutes mes prochaines relations en France.
*****
Un vieux kraken, aux lunettes rondes, aux chicots jaunâtres, portant une chemise violette à fleurs nous désigna enfin nos classes. Avec une voix haut perchée, il nous dit qu'il y avait un tableau dans le hall. Voilà. Après cette brève info, sa voix avait été noyée par les conversations et le bruit précipité des chaussures claquant dans le hall. Ici, le plus important n'était pas d'écouter pour mieux entendre Dieu, comme nous l'enseigne la religion catholique, mais bien de piaffer comme des oies et spéculer sur une classe qui avait été déterminée à l'avance. Je ne me pressais pas. Qui sait avec quel hippopotame, quel singe ou quelle panthère je me trouverais en classe ? Qui s'en souciait ? Vraiment, je n'étais pas pressée. Au bout d'un quart d'heure, les insectes avaient fini de regarder le tableau des classes avec des yeux béats et étaient partis dans les salles indiquées. OK, Rose Johnson, Rose Johnson, Rose John.. Ah ! Trouvée ! OK, j'étais dans la terminale E et en salle C217. J'ai pensé cette phrase tout haut. De part et d'autre, on me jeta des regards étranges. Pourtant, j'étais bien humaine. C'était eux le zoo, pas moi. Pff, je leur lançai un regard fier, circulaire et suffisant. Ceci servait à cacher mon désarroi. On m'avait adressé des regards auxquels je n'étais pas habituée. Que me voulait-on ? Est-ce-que la règle d'or ici était le silence ?
Je compris très vite pourquoi l'on me regarda mal...
En entrant dans la salle, je vis plus d'étrangers que d'ordinaire. Dans mon quartier aux États-Unis c'était à peine si je croisais une personne à la peau mate. Karim, qui tenait le tabac du coin, me connaissait bien et m'appelait souvent habibi. Il m'avait révélé un jour que ça voulait dire : belle française à l'eau de rose que j'aime tant, autant que mon pays. Impressionnant, autant de mots en un seul ! L'arabe était quelque chose d'extraordinaire. Dans la salle de classe, j'étais la dernière arrivée bien sûr. La professeure me réprimanda. D'accord, oui très bien madame, je vous ferais ce bon plaisir, qui est d'entrer en classe. Oui, oui, madame, je vous respecte incommensurablement. Charmée par la langue de Baudelaire, elle me laissa entrer. Je comptais 19 personnes d'origine maghrébine, pas un de plus pas un de moins. Et là, je fus étonnée : on ne m'avait pas dit qu'ils étaient aussi craquants ! Mon papa chéri, lui, m'a toujours abreuvée de clichés sur les personnes musulmanes. Karim n'allait pas à la mosquée, il était Juif. Ainsi mon père le tolérait. Je suis alors vivement perturbée par la confrontation entre les clichés et la réalité. Ah oui et après j'oublie de dire qu'il y a aussi 1 russe, 1 ougandais, 2 coréennes, 1 vietnamienne, 2 sénégalais, 1 congolais et 1 argentin. C'est-à-dire qu'il n'y avait que 3 français...et puis moi. Pas très à l'aise au milieu de tous ces clichés vivants. Alors déjà, je m'explique. Comment je connais les origines de chacun ? C'est bien simple. A mon ancien lycée, à Bismarck, j'avais choisi une drôle d'option. C'était pour rester en compagnie d'un certain Luis je crois. Enfin bref, j'avais choisi l'option Linguistics, Etymology and Customs, c'est-à-dire Linguistique, Etymologie et Coutumes. Ça sonnait bien et moi j'y étais allée sans savoir que ça allait réellement m'intéresser. J'avais pratiqué l'option pendant cinq ans environ, achetant des drôles de livres pour me renseigner sur les choses du monde. L'option abordait non seulement les origines de la langue et des coutumes américaines mais aussi celle du monde entier. J'étais devenue tellement forte que maintenant j'étais capable de reconnaître une origine rien qu'en analysant le nom de famille. La liste d'appel est affichée au tableau. Voilà, vois-tu, c'est tout simple. La professeure s'appelait Giorgia Petrovicktich. Là, ça ne me posait pas trop de difficultés. La présence du ch démontre que le nom de famille a une origine slave. Puis le prénom a une connotation italienne, ce qui montre un attrait pour l'Italie propre aux classes dominantes, fans de la Renaissance Italienne. Donc, Madame Petrovicktich, professeure principale de notre classe mais aussi prof d'histoire, est une immigrée issue de la noblesse russe ou bien ukrainienne. Vu son aspect, je pencherais plutôt pour l'Ukraine. Elle a cette posture que donne une misère longtemps soufferte, et un regard allumé, intelligent, avide de changements. Sa chevelure blonde perdait de son éclat. Avant tout, c'était sa fierté de coq qui la caractérisait, comme si, pour elle, enseigner c'était sacré. L'histoire semblait avoir dicté sa vie. En effet, j'avais comme l'impression qu'enseigner l'histoire dans les alentours de la Russie ça n'était pas toujours simple. Je me suis assise à une table, sans m'en rendre compte, prise dans ma rêverie. Je devais avoir l'air un peu perdue parce qu'un garçon me colla tout de suite l'étiquette de nouvelle sur la tête. Il s'adressa à moi, ainsi :
« T'es qui toi ? Tu fais quoi ici ? Je t'ai jamais vu au lycée. Et tu viens d'où ?
-Des États–Unis d'Amérique.
-Beh on sait que c'est en Amérique putain ! Tu nous prends pour qui en fait ? Eh crois pas qu'on est bête comme toi en fait !»
Oulala, je n'étais vraiment pas habituée à ce genre de réplique et à ce genre de comportement complètement illogique. Pourquoi m'adresser la parole si c'était pour se moquer de moi ensuite ? Je me résignai à jeter mon fameux regard méprisant. Normalement, après cela, on se jetait à mes pieds et le charme triomphait sur les plus durs. Cela ne fut pas le cas. Strange... le garçon me méprisait, me critiquait alors qu'il ne me connaissait même pas. Il ne s'était même pas présenté à moi, ni moi à lui. C'était assez gênant. Je pense que je ne lui reparlerai plus. Mais l'importun en rajouta une couche :
« Je répète ce que j'ai dit : tu te prends pour qui en fait ? »
Bien heureusement la professeure arrive dans les rangs et tout le monde se tait. A mon avis -je prends des pincettes hein -, le garçon cherchait simplement à me tester, voir comment je réagirais. Y a-t-il vraiment de la haine en lui ? De l'agressivité, oui c'est sûr ! Mais chose étrange, le garçon est beau gosse, amical avec ses amis et puis populaire. Pourquoi me recaler ainsi ? Sait-il à qui il a affaire ? Comme je l'ai déjà dit, ça n'est pas la peine de vouloir me connaître.
Maintenant assise, j'en profite pour observer ce qui sera mon nouvel environnement scolaire. Nous sommes dans une salle assez petite, plutôt propre, avec de petits radiateurs blancs. La France n'est pas si mal finalement. On s'y sent presque chez soi, tout est propre en plus. Mon regard rêveur s'arrête alors sur ma table beige.
Quel carnage ! Des croix, des traits, des dessins obscènes, des dessins saugrenus étaient dessinés ou gravés dessus. Quelle horreur ! Décidément ça ne valait pas les tables d'Amérique ! La professeure s'est mise à nous distribuer des emplois du temps orange fluo. La professeure nous abreuve d'explications et d'informations, de façon interminable. Rah qu'est-ce que je m'ennuie! C'est mon interlocuteur de tout à l'heure qui vient à mon secours, pour me tirer de l'ennui. En effet, depuis tout à l'heure, il ne fait que m'adresser des regards furtifs. Aaah, enfin ! Mes charmes ont opérés...
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