Chapitre 2
Une demi-heure. C'est le temps de retard que Marguerite aura eu cette après-midi-là. Iris et moi avions attendu, debout comme dans le froid à attendre notre taxi, qui ne prit même pas la peine de s'excuser de son retard. Et bien que ce n'était pas la première fois, elle avait alors explosé son précédent qui était de quinze petites minutes, qui en plus, cette fois-ci, lui était pardonnable. Elle avait échappé de peu à un accident alors... À l'arrière, j'entendais par-dessus ma musique mes deux grandes sœurs parler fort. Impossible cependant de savoir si elles se disputaient à cause du retard ou si, juste, elles parlaient fort. Comme ce n'était pas l'habitude d'Iris, je votai pour la seconde option.
Le moteur n'était pas encore coupé que j'avais déjà quitté la voiture pour monter quatre à quatre les escaliers. Quand j'entendis les portières se fermer, j'étais déjà dans ma chambre, porte fermée. Tant que les parents n'étaient pas rentrés, il était rare de me voir à l'extérieur de ma pièce, mon refuge, mon antre, mon lieu d'hibernation. Ici, je savais que personne ne me dérangerait jamais, que c'était mon espace, et celui de personne d'autre. Je n'avais pas à partager. Dans une grande famille comme celle-ci, avoir un espace à soi est une aubaine, je suis toujours bien consciente. Je m'installai à mon bureau pour m'atteler à l'activité de tout élève, de l'apprentissage de la lecture à la fin des études supérieurs. Les devoirs sont, pour beaucoup, la pire des corvées. Et je ne peux qu'être en adéquation avec cela. Mais, pour moi, cela a surtout toujours été un moyen, une excuse, pour quelques instants de calme chez moi. Les devoirs, là où chez les uns c'est une torture, chez moi, c'était une immunité. Ce jour-ci cependant, je n'avais pas la tête au travail.
Quand je commençai à sortir mes affaires pour reprendre mes cours, une boule de papier blanc roula sur le sol, s'arrêtant à côté des plis de mon tapis. Nul besoin de l'ouvrir, mon instinct savait ce que c'était. Annabelle avait finalement réussi à glisser sa création dans mon sac, pendant un intercours sûrement. Je la dépliai légèrement, voulant être persuadé que ce n'était pas, par hasard, une vieille feuille de cours lancé à la hâte dans mon sac il y a quelques jours de cela. Mais non. La caricature abstraire qu'Annabelle avait fait le matin même était couché sur le papier froissé. Je la serrai avec force dans mon point avant de la balancer dans ma corbeille avec rage. La première fois j'étais passée outre. La fois d'avant également. Et les dizaines d'avant également. Et bien que je me disse que c'était trop, celle-ci, je ne savais, ne ferais pas exception à la règle. Et Annabelle, jamais, ne lâcherait l'affaire. Après tout, pourquoi arrêter en si bon chemin ce qu'elle avait si bien commencer des années auparavant.
D'aussi longtemps que mes souvenirs remontent, j'ai toujours connu Annabelle, bien qu'à l'époque rien n'était pareil à ce que nous étions à ce moment-ci. Avant l'école : elle était là. Pendant l'école : elle était là. Quand j'ai sauté une classe en primaire, elle en a sauté une l'année suivante. Le destin voulait que l'on reste ensemble. Et, durant ses quatorze dernières années, c'est ce que nous avons fait. De toutes les amitiés que j'avais pu avoir, aucunes n'avaient autant duré que celle entre Annabelle et moi. Et de toute mes amitiés, c'est celle qui a fait le plus de mal quand elle s'est terminée. Avant même qu'elle ne commence à en parler, des choses étranges c'étaient toujours produits.
Je n'ai jamais cru aux divinités, mais peut-être bien que celles-ci, durant tout ce temps, m'envoyaient des signes pour que je m'écarte de la furie blonde. Combien de fois ma porte de chambre s'est-elle verrouillée seule alors que Marguerite me criait dessus ? Combien de fois mon lecteur CD s'est allumé tout seul alors que j'avais besoin de me changer les idées ? En général, ces évènements sans explications se passaient à la maison, et n'étaient pas récurrents. Je n'avais donc pas senti le besoin d'en parler à qui que ce soit, même à Annabelle. Mais, un jour, au collège, je n'ai pas eu le choix. Les roues du bus scolaire avaient crevé sans raison alors que je me disputais avec la petite blonde. Me sentant coupable, je n'ai pas pu tenir ma langue. J'avais pris Annabelle à part pour lui que je pensais que c'était ma faute, parce qu'on s'était disputait, que, dès que mes émotions prenaient le dessus, il se passait des choses inexpliqués. Il ne lui fallut pas plus. Depuis ce jour, les seuls mots qu'elle avait le courage de prononcer à mon égard était des insultes ou encore des provocations. Mon amie avait disparu, pour laisser place à la pimbèche qui gentiment déposé son dessin dans mon sac, celle-là même qui avait fait en sorte que de plus en plus de choses étranges se passent autour de moi dans des lieux publics, notamment le collège. Mais, bien sûr, jamais je ne pouvais dire que c'était elle, car elle avait toujours un laquais pour faire le sale boulot. Comme quand Adam, un garçon de ma classe en troisième, s'est pris les pied dans une chaise qui avait bougé toute seule après qu'il soit venu me traiter de tous les noms. Ou encore cette fois au self où les plateaux de trois cinquième se sont retourner sur eux même après qu'ils aient insisté pour prendre ma table, au point de me pousser de ma place. Mes dernières années collège se sont donc résumé à éviter les bains de foule au maximum, à me faire discrète, à me faire appeler de tous les noms, Annabelle la première en tête de liste. C'en était même devenu son passe-temps préféré.
Arrivée au lycée, j'avais espéré prendre un nouveau départ, sans elle et ses amis, sans les sorcières à tout va et les chaises et pieds d'élèves à éviter. Mais même là, elle était parvenue à me suivre. Heureusement, même les âmes les plus vides grandissent, sauf Annabelle bien sûr. Les histoires du collège ont été mises de côté, oubliées par tous. Ce n'est pas pour autant que j'ai gagné en une quelconque popularité. Je n'ai pas envie de rencontré de nouvelles personnes. Annabelle m'avait assez bien immunisé disons. Mais, quand j'ai rencontré Clémence, il y a eu une connexion, quelque chose qui a fait que nous sommes restés. Mon amie est devenue ma meilleure amie, pour finalement être la sœur que je n'ai jamais eue : celle qui ne me lâche jamais. Plusieurs fois elle a tenté de s'opposer à Annabelle et de savoir ce qui s'était passé entre nous. Mais la crainte de revivre ce qui s'était déjà produit était trop forte, alors elle ne l'a jamais su. Malgré tout, elle ne m'a jamais lâché. Et grâce à elle, j'ai pu, jusqu'au bout, tenir le coup, jusqu'à ce que ça ne me fasse plus rien.
Mes réflexions au sujet d'Annabelle m'avaient conduit à la conclusion que je ne travaillerais pas ce soir-là. Je n'avais pas la tête au travail et, de toute manière, quand on toqua à la porte, je su que je n'en aurais pas non plus le temps. Le grand sourire sur le visage de ma mère illumina la pièce quand elle passa la tête par l'encadrement de la porte. Je me tournai vers elle, lui rendant son sourire en l'autorisant à entrer. Elle s'assit sur mon lit sans jamais changer d'expression. Elle venait tout juste de rentrer, sa blouse de travail et ses yeux bleus fatigués parlait pour elle. Je me levai de mon bureau pour m'asseoir à côté d'elle. Chaque soir, quand elle rentre de l'hôpital, elle passe dans ma chambre et nous parlons un peu. En général, nous n'avons pas grand-chose à nous dire, dans la mesure où je ne veux pas trop en dire, mais c'était chaque fois un moment que j'attendais avec impatience. Parce que ça voulait dire que j'avais maman pour moi et moi seule. Après s'être échangé quelques questions basiques avant d'entamer le sujet que Rose préférait éviter.
-Comment ça va l'école, me demanda-t-elle.
-Toujours super. J'ai eu une quinze sur vingt en français aujourd'hui et j'ai tout déchiré au contrôle d'espagnol de Mme. Chavez.
-Et, avec les autres élèves ?
-Avec Clémence on a tout déchiré pour l'exposé d'histoire et je pense qu'on va se faire un tour au parc un de ses après-midi si tu veux bien, bien sûr.
-Tu sais que je ne te parle pas de ça ma chérie...
-Annabelle me fiche la paix Maman je te le promets. On a dépassé les querelles du collège. Maintenant on s'ignore voilà tout. Et c'est très bien ainsi moi je trouve.
-Tu sais que tu peux me dire si...
-Maman ! Tout va très bien au lycée ! Je te promets...
-Bon très bien... Ton père et moi allons diner ce soir. On n'a pas vingt-cinq ans de mariage tous les jours. Je mets Marguerite à la garde, ce qui veut dire...
-Ce qui veut dire que je suis de garde de Marguerite.
-ça c'est ma petite battante.
Elle me sourit puis se leva en passant sa main dans mes cheveux. C'est très souvent comme cela que les Vendredi soirs se passaient. Maman et Papa se prévoyaient un truc, pour une raison ou une autre, Marguerite était de garde mais je devais garder Marguerite pour éviter qu'elle ne fasse quelque chose -comme une grosse fête non prévu- chez nous. Cependant, j'avais appris à mes dépens quelques années auparavant, que mon rôle ne pouvait pas empêcher grand-chose. La première fête que Marguerite avait préparée sans l'accord de nos parents étaient quand j'avais quatorze ans. J'avais bien évidemment dit la vérité aux parents, dans la mesure où, en plus, deux jeunes avaient passé un peu trop de temps dans leur chambre à mon gout et que le vase d'Espagne qu'ils avaient acheté pour leur mariage avait été cassé par un ado un peu trop bourré. Cela ne m'a apporté que des ennuis, un renforcement de la haine de Marguerite envers moi et, car quand quelque chose va mal, il y a toujours pire, j'ai vécu les péripéties Annabelle quelques mois plus tard. Depuis, je sais où est ma place : bien au chaud dans ma chambre, la plupart du temps à garder Capucine, ma petite sœur. Une fois, Iris s'était joint à nous par je ne sais quel miracle. Et c'était de très loin une des meilleurs soirées qu'on avait passé. De temps à autre, je regardais la porte en attente de la voir débarquer à nouveau. Mais ce n'était jamais le cas malheureusement.
Je ne quittai ma chambre que dans la fin d'après-midi pour saluer mes parents. Ma mère s'était apprêtée d'une belle robe noir que je mourrais d'envie de lui voler tandis que mon père avait sorti le costume et le nœud papillon. Chaque fois que je les voyais ainsi, je ne pouvais m'empêcher de sourire fortement. Non seulement leur amour se voyait dans leur regard, mais, ainsi vêtu, ils me faisaient pensé à une princesse avec son prince charmant. Et n'est-ce pas le rêve de chaque petite fille ? Rencontrer le prince charmant ? Par extension, je me sentais comme leur petite princesse. Mon conte de fées cependant pris fin quand le bruit du moteur de la voiture s'atténua dans la rue. Marguerite se tourna vers moi en me donnant Capucine qu'elle avait dans les bras.
-Je ne veux pas la voir ce soir, me dit-elle de son adorable voix. C'est nos un an et demi avec Max je compte bien fêter ça de manière grandiose. Je ne veux pas te voir non plus alors ouste.
Je ne pris même pas la peine de répondre. Ma petite sœur de six ans dans les bras, je monte dans ma chambre en lui proposant toutes sortes de jeux pour nous occuper pendant la soirée. Je savais d'ores et déjà comment la soirée allait se finir : la petite et moi dans mon lit devant un dessin-animé en train de manger des chips ou des bonbons jusqu'à ce qu'elle s'endorme et que je ne fasse de même peu de temps à la suite.
Cette soirée-ci ne fit pas exception à la règle. Après de nombreux coloriages et petits jeux en tout genre, je descendis à la cuisine chercher de quoi grignoter devant le dessin-animé fétiche du moment de ma jeune sœur. En une demi-heure, la naine rousse s'était endormie contre moi, laissant tombé sur mon lit son paquet de gâteaux vide. J'éteignis l'ordinateur et rangea rapidement notre petit bazar avant de venir me coucher à mon tour. Je m'allongeai à ses côtés. J'attrapai mon livre pour m'offrir un temps de calme avant de repartir dans mon rêve. Comme chaque soir, je savais où j'allais me retrouver, ce que j'allais voir. Alors je m'y préparai. Devrais-je tenter d'en changer quelque chose ? Je n'avais pas la tête à cela ce soir-là. Je me contenterais de laisser faire. C'était le plus sage à faire. J'avais besoin de calme, de laisser poser mon esprit le temps d'une nuit.
Je reposai mon lit sur ma table de chevet quand mes yeux commençaient à se fermer seuls. Je me blottis confortablement sous ma couette, au chaud, le bruit des adolescents du rez-de-chaussée résonnant comme un bourdonnement lointain dans les oreilles éteintes.
Je ne sus combien de temps je mis avant de m'endormir. Mais, une chose était certaine, ça n'avait pas été long. Je fus vite replongé dans mon rêve à la même continuelle fin décevante. Alors que celui-ci se finissait sur ma longue et douloureuse chute, je ne touchai pas le sol doux de mon tapis. Au contraire, le sol me parut rugueux, comme du béton. Et c'était exactement le cas. Je me relevai sur une route de goudron rosé, d'étendant de tout son long jusqu'à l'horizon devant et dernière moi. De grands et imposants arbres entouraient le chemin, empêchant quiconque de ne serait-ce que penser à passer hors du chemin tracé pour eux. Je ne pouvais dire si je rêvais ou si Marguerite avait décidé de me jouer un tour. Mais chose est-il que j'étais là, dans l'inconnu, et que le seul choix que j'avais était d'avancer. C'est donc ce que je fis. J'avançai en observant l'environnement. Quelque chose me faisait dire que c'était un rêve, mais l'air frais et doux me caressant le visage et cette odeur de verdure au petit matin me faisait espérer à une étonnante réalité. Avais-je réussi, en ne faisant rien, à changer la déboucher de mon rêve ? Ceci me semblait étonnant et peu réaliste. Mais, avais-je vécu quelque chose de réaliste dans un de mes rêves ?
Ma marche, petit à petit, se transforma en marche rapide, puis en course. Plus j'avançai, moins je ne bougeai. Ces arbres semblaient être toujours les mêmes. Cette route ne me donnait pas l'impression de changer. Je courais sur place. Je tentai alors de passer à travers les trônes puissants des arbres m'entourant. Mais je me sentais bloquée. Impossible de m'y frayer un quelconque chemin. Je me reculai vers le béton cherchant une idée. Plus loin, à ma droite, je remarquai alors un arbre différent. En apparence, il était similaire à tous les autres. Mais, sur son tronc, un ovale semblait se former, incolore, apparaissant et disparaissant à sa guise, toujours à même endroit. Instinctivement, je m'en approchai pour me persuader que je n'avais pas imaginer ce que je venais de voir. Tel une lumière clignotant, l'ovale faisait des vas et viens sans suites logiques et disparaissait des fois de longues secondes. Je posai ma main dessus. Mauvaise idée. Je sentis mon corps se lever du sol et ma main doucement s'enfoncer dans le bois. Je tentai de m'en extraire mais, même en tirant de toute la force dont je disposais, me retrouvai englouti par cet arbre étrange.
Je fis une roulade en ressortant d'un autre arbre, lui plus petit et plus seul. Il n'y en avait que deux autres de la sorte devant une immense bâtisse que je n'avais jamais vue, mais que j'avais l'impression de connaitre depuis toujours. Je poussai les feuilles basses de l'arbre face à moi pour passer de l'autre côté et voir, le voir. Bien que je n'en fusse pas persuadé, j'avais envie d'y croire, comme jamais encore je n'avais eu envie de croire à quelque chose. Un immense château muni de cinq grandes tours s'élevait devant mes yeux émerveillés. Durant des années, j'avais passé tous mes rêves à l'intérieur, sans jamais pouvoir en voir l'extérieur autre part que dans ma propre imagination. Mais je le voyais enfin, pour de vrai -du moins aussi vrai qu'un rêve peut l'être- devant moi brillant à la lumière rangé d'un soleil couchant. Plus je m'en approchai, plus il me semblait grand. Bientôt, il m'oppressait presque. Les fenêtres étaient tellement nombreuses que je ne m'aventurai pas à les compter. Les murs clairs brillaient comme enveloppé de satin. Arrivée devant la porte, mon cœur se serra légèrement. L'ouverture close faisait près du triple de ma taille actuelle, serti de gravure formant des notes de musiques en tout genre. Elles étaient belles. Tout était beau ici. On ne pouvait qu'être émerveillé par ce que l'on voyait. Le regard braquée sur la porte, j'attendis un moment avant de prendre mon courage à deux mains et te taper à trois reprises sur le bois doux. Au troisième coup, la dalle blanche sous mes pieds disparue, me laissant tomber sur plusieurs mètres. Je me mis à crier, sentant mon cœur me monter dans la gorge.
J'eus l'impression de ne jamais atterrir. Pourtant, j'entendais quelqu'un. Une voix féminine, inconnue, me résonnait à la tête comme un brise lointain, se rapprochant doucement. Ces quatre phrases chantés se répétaient, encore et encore, jusqu'à s'enfoncé dans le plus profond de mon crâne.
-De ton aide nous avons besoin, pour y arriver il ne faut pas aller loin. Le monde de la musique t'ouvrira ses bras, tant que ton cœur te le permettra.
La voix le dit un nombre de fois que je ne comptai pas. Cependant, je savais qu'elle ne quitterait pas mon esprit de sitôt. Alors que je me sentais prête du rêve, que mon dos semblait s'enfoncer dans le matelas mou de mon lit, la voix me murmura une dernière phrase dans le creux de l'oreille.
-Écoute ma voix les tiens ont besoin de toi, la famille a besoin de toi.
Quand, finalement, j'ouvris les yeux dans mon lit, aveuglée par les rayons du soleil traversant mes rideaux, je ne bougeai pas. Je regardai le plafond, l'esprit embourbé dans des questions et réflexions sans réponses. Jamais encore ma chambre ne m'avait semblé si silencieuse. Le seul son que je percevais était celui de mon cœur battant à la chamade dans ma poitrine. Je jetai un œil vers ma petite sœur qui ne me ressemblait en rien endormi à mes côtés.
En général je n'y pense pas, car je n'ai pas de raison d'y penser... mais j'ai été adopté.
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