YVAN: DEUX

— Yvan !, cria Marge en le voyant arriver.

Le jeune homme sourit et regarda autour de lui. Il était devant une petite villa faite de pierres blanches qui, d'après ce qu'il avait compris, appartenait au grand-oncle de la jeune fille. À côté de la maisonnette trônait un magnifique mur de grimpe. « Voilà qui va être sympa à grimper », se réjouit le Russe. Marge arriva vers lui tout sourire et lui tendit un baudrier. Il l'enfila et le régla sans aucun souci. Puis, voyant que son amie s'emmêlait dans les diverses boucles, il s'approcha. Il réfléchit quelques secondes à comment formuler sa phrase et dit :

— Attends ! Tu faire faux, je te montre...

Il lui fit descendre les boucles et enlever le baudrier. Puis il le démêla et le lui présenta de sorte qu'elle puisse enfiler ses pieds dans les deux premières boucles et sa taille dans la plus grande. Il tritura ensuite les sangles afin de les resserrer. Ses doigts, habitués, frôlaient la taille de la jeune fille de temps à autre. Quand il eut terminé, il remonta le regard sur le visage de la noble et se sentit horriblement gêné en la découvrant la peau rougie et les yeux brillants. « Oh non, pas toi aussi ! », supplia Yvan intérieurement. Ce regard, qu'il avait vu tant de fois, ne présageait rien de bon. Car elle finirait par être déçue, et il se haïrait pour cela. « Mais bon, c'est peut-être mon imagination », tenta-t-il de se convaincre. Du moins, il l'espérait de tout cœur. Il aimait beaucoup la jeune fille, malgré le fait qu'il n'était absolument pas attiré par elle. Une voix grave les dérangea, alors que le jeune Russe se relevait.

— Alors, Marge... Comme ça on ne sait même pas mettre un baudrier?

« Et évidemment, il fallait que ce soit lui le témoin... »
Jackson les regardait, l'œil noir, la capuche rabattue sur la tête. Yvan ne détestait pas réellement le grand noiraud, mais à force de se sentir injurié à chaque fois qu'il apparaissait, il avait fini par ne plus le supporter. Heureusement pour lui, Marie-Edwige prenait la mouche à chaque attaque que prodiguait le jeune homme, dispensant à Yvan le devoir de se défendre. Ce qui lui plaisait bien. Non pas qu'il soit soumis, juste qu'il n'avait pas encore les capacités de français adéquates pour répliquer. Bref, une fois de plus Marge s'écria :

— Laisse-moi vivre, Jackson ! En plus tu n'as même pas mis le tien !

Le jeune homme enfila l'attirail en moins de deux, devant l'air ébahi de la jeune fille. Jackson eut un petit sourire canaille et, sentant que les deux allaient se rabibocher, Yvan s'éloigna vers le mur. Il toucha la première prise qu'il vit, une rose de la taille d'un poing, et sourit. Il avait hâte de commencer.

— Salut Yvan ! Alors tu t'es éloigné et tu les as laissés se disputer, je comprends. Ils s'adorent, ce deux, mais ils ne sont pas capables d'échanger plus de cinq minutes sans s'engueuler..., scanda la voix joyeuse de Thommy.

Honnêtement, Yvan n'avait pas tout compris, le serveur avait parlé trop vite et avec des mots trop compliqués. Mais le jeune Russe n'en avait fichtrement rien à faire pour l'instant. À côté de Thommy se tenait un jeune homme. Le jeune homme le plus beau que le blond n'eût jamais vu. Il avait une magnifique peau ébène et des yeux couleur chocolat aussi chauds que le soleil. « Il n'est pas vraiment beau, il dégage un charme incroyable », décida Yvan, le coeur battant anormalement vite. Mais soudain il se rendit compte de ce qu'il pensait et il eut honte. « Mais qu'est-ce qui me prend ? » Il devait admettre qu'il était émoustillé. Et ça le perturbait au plus haut point. Thommy, bien évidemment inconscient de la gêne que ressentait son ami, annonça en rigolant :

— Yvan, mon chéri, dit bonjour à mon nouveau garde du corps, Bakari.

— Je pas comprendre, Thommy, s'excusa le jeune homme.

— Oh, c'est vrai, excuse-moi. Je disais juste que lui, c'est Bakari, dit le serveur en montrant le grand Noir du doigt.

Yvan n'était pas sûr que Thommy ait exactement dit cela, mais comprenant qu'il ne lui avait juste pas traduit une de ses blagues quotidiennes, il ne lui en voulut pas.

— Tu as un accent intéressant, commenta Bakari.

— Merci.

« Même sa voix est magnifique. » Le jeune blond ne put s'empêcher de frissonner. Il secoua la tête pour tenter de chasser son trouble. Marie-Edwige revint vers eux en courant et annonça d'un ton grave :

— Mon grand-oncle veut vous voir...

— Super !, ricana Jackson. Le vieil homme acariâtre...

La jeune femme l'ignora superbement et s'approcha de Thommy.

— Pas de gags stupides, s'il te plaît, recommanda-t-elle.

— Oui, capitaine !

— Yvan, je suis désolée, mais ce serait mieux que tu ne parles pas trop...

 — Pourquoi ?, s'indigna-t-il.

— Parce que ça pourrait lui faire un choc.

Il n'était pas totalement convaincu, mais il se tut pour ne pas envenimer la situation. « Elle est déjà assez stressée comme ça... » Elle crut bon de ne pas faire de recommandation à Bakari, puis s'arrêta devant Jackson. Le jeune homme ne la laissa même pas commencer.

— OK, j'ai compris, je vais jouer le fils à papa friqué, puisque c'est ce que tu veux, railla-t-il.

Marie-Edwige fit tout pour ne rien laisser paraître, mais Yvan vit bien qu'elle était peinée. Alors il s'approcha d'elle et murmura :

— Allons voir l'oncle à toi...

Ils s'avancèrent tous ensemble vers la maison, mais avant qu'ils puissent toquer, Bertrand- Louis apparut, dans son pyjama écossais, la pipe à la bouche, et l'air plus de mauvaise humeur que jamais. La jeune noble se raidit lorsqu'il bougonna :

— Je n'ai pas que ça à faire, alors si vous voulez des conseils, il va falloir bouger vos royaux fessiers et vous sortir les mains des poches !

« Royaux quoi ? » Le vieil homme continua sur sa lancée, imperturbable. 

— Bon, maintenant allez vous encorder. Sauf vous...

Il tendit le doigt pour désigner Bakari. Celui-ci haussa les sourcils en une question muette. Bertrand-Louis le remarqua et expliqua :

— Vous m'assurerez...

Bakari hocha la tête. Yvan finit par comprendre que le grand-oncle allait grimper et se dit : « À son âge ? ». Il s'avança vers Thommy et demanda :

— Tu ou je monter ?

— Tu montes, j'assure.

Le jeune Russe fit donc un double nœud de huit, puis voyant que Jack se démenait avec sa corde, expliqua rapidement à Marge comment faire le nœud de son coéquipier. « De toute façon, il n'aurait pas accepté que je l'aide. » Et en y pensant bien, il ne l'avait fait que pour éviter des réprimandes de la jeune fille. Il s'inquiéta tout de même un peu en remarquant que Thommy peinait à faire son nœud d'assurage. Le vieil homme les regarda sans faire un commentaire. Lorsqu'ils furent tous attachés, Bertrand-Louis grimpa d'un mètre sur le mur, puis se cala confortablement, corde tendue, retenue par un Bakari attentif. « Ah, tout s'explique, il voulait juste se poser tranquillement... » Le contraire l'aurait tout de même étonné.

— Bon, déjà je ne sais pas ce qui s'est passé dans vos têtes, mais quand on a un esprit logique et envie de rester en vie, on met les plus petits et maigres ensembles, et les costauds ensemble. Donc Boucle d'Or et Calimero, vous allez ensemble !

— Boucle d'Or c'est toi et Calimero, c'est Jack, chuchota Thommy à Yvan.

— Non !, tonna alors le Russe en même temps que son rival.

— Vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus, ricana le vieillard. Maintenant, grimpez !

Yvan se jeta littéralement sur la paroi. C'était la première fois qu'il refaisait de la grimpe depuis qu'il avait quitté la Russie, et il s'en donnait à cœur joie. Ses muscles se déplaçaient avec vivacité sur le mur, enchaînant rapidité et précision. Quand il fut à la moitié de la paroi, l'oncle de Marge clama :

— Stop !

Yvan se cala sur deux prises avec ses pieds et en profita pour détendre les muscles de ses bras. Sur la piste d'à côté, Jackson fit de même. Le blond sentit le regard du vieil homme scruter les moindres détails de sa posture.

— Les deux en l'air, c'est pas mal. Par contre, Marie-Edwige, vous avez autant de muscles qu'une asperge, et encore cuite, l'asperge ! Si vous voulez y arriver, il vous faut faire de l'exercice, cracha Bertrand-Louis.

La jeune noble rougit de colère et, heureusement pour elle, ne répliqua rien. Yvan savait bien que si elle l'avait fait, la journée aurait tourné au vinaigre. Puis le vieil homme se tourna vers Thommy et déclara :

— Toi, tu as des bras de serveur, mais des jambes de grand-mère poussant un tintébin.

— C'est normal, je suis serveur, rigola le jeune homme.

Yvan, qui commençait à s'impatienter, comme il ne comprenait pas tout, demanda :

— On pouvoir monter ?

— Oh, un Russe ! Où l'avez-vous trouvé, celui-là, chère petite nièce ? 

— Je ne l'ai pas trouvé, c'est un ami d'école, clama la jeune fille.

Le jeune homme en fut soulagé.

— Ne vous sentez pas obligée de vous justifier pour tout, Marie-Edwige, je n'y accorde pas plus d'attention qu'à mon dernier caleçon propre. De plus, il est doué et c'est toutce qui compte.

« Je rêve ou il m'a fait un compliment ? », sourit Yvan. Puis, obtenant l'approbation du vieil homme, il continua à grimper. Il échangea un regard avec Jackson et, d'un commun accord, ils se mirent à escalader la paroi le plus vite possible. S'il y avait bien une chose qu'ils avaient en commun, c'était bien l'envie de gagner, se dit le Russe en redoublant d'efforts. Mais l'autre ne se laissa pas distancer. Tentant le tout pour le tout, Yvan se propulsa de toutes ses forces vers la dernière prise et toucha le bout du mur une demi-seconde avant son adversaire. Il offrit un sourire rayonnant à Jackson, qui ragea :

— C'est partie remise, le Russkoff...

Plus loin, Yvan entendit Bertrand-Louis dire à Marge :

— Ils sont bien, vos gars, et avec de l'entraînement, je pense que vous arriverez à quelque chose. Par contre, il y a deux problèmes. Le premier est qu'il vous manque quelqu'un. Le deuxième est que vous n'êtes pas assez soudés. Marie-Edwige, ce que je vais vous dire est d'une importance capitale. Vous aurez beau avoir les meilleurs grimpeurs de la terre dans votre équipe, s'il n'y a aucune alchimie entre vous, vous échouerez à coup sûr, lamentablement.

« Il n'a pas tort », se dit Yvan.

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