THOMMY: UN

 Le garçon qui avait un rire comme le soleil.

Thommy se regarda dans le petit miroir de la salle de bain et soupira. 

Il avait encore grandi et son reflet laissait voir les manches trop courtes de sa chemise blanche. « Si ça continue, je ne pourrai plus emprunter les chemises de Balou », songea-t-il tristement. Son frère de vingt et un ans était aussi petit et enrobé que lui était grand et maigre.

Le jeune homme peignit ses fins cheveux noirs en arrière, se mit du gel puis, satisfait, il sortit de la salle de bain et dévala en courant l'escalier qui menait au restaurant de son père.

Une odeur de croissants emplit ses narines et Thommy sourit en regardant la petite salle qui s'étendait devant lui. Ce restaurant, avec ses dix petites tables rondes, son bar et surtout sa bonne ambiance, était sa maison. Dès son plus jeune âge, le jeune homme prenait un plaisir immense à aider ses parents pour le service. Il caressa d'une main distraite le pelage roux du chat qui avait élu domicile sur un tabouret du bar et partit chercher son tablier.

Avec son sourire communicatif et ses yeux noirs pleins de malice, Thommy plaisait aussi bien aux clients passagers qu'aux habitués. Il attrapa sa sacoche et l'accrocha à sa ceinture d'un geste fin et précis. Puis il chercha son père et le trouva derrière le bar, affairé par la préparation d'un cappuccino. C'était un homme rondouillard, aux cheveux noirs parsemés de mèches grises et à la barbe bien fournie. Voyant son fils, il s'égosilla :

- Hey ! Thommy ! Arrête de bayer aux corneilles et va plutôt servir la 8 !

Le jeune homme obéit et prit le cappuccino que son père lui tendait puis il s'en fut à travers les tables et les chaises. Il salua au passage quelques habitués, comme Madame Biba, toujours avec son caniche, Monsieur Nestor, qui venait tous les matins boire un café, ou encore l'homme au journal dont personne ne connaissait le nom, mais qui venait régulièrement lire le « Paris Match » en sirotant un verre de whisky.

« Tiens, Papy Macphy n'est pas là aujourd'hui, j'espère qu'il ne lui est rien arrivé de fâcheux... », s'inquiéta Thommy en remarquant qu'il manquait le plus fidèle de leurs habitués, un octogénaire aveugle, Monsieur Macphy. À peine eut-il pensé ces mots que le carillon de la petite porte sonna. Le jeune homme se précipita, le cappuccino à la main, pour aider Monsieur Macphy.

- Bonjour, Papy !, claironna Thommy, votre table est avancée !

Il tenta d'offrir son bras à l'aveugle, mais comme chaque jour, le vieil homme le refusa en bougonnant :

- Voyons Thommy, je suis aveugle, pas à l'article de la mort ! Je peux encore aller à ma table seul!

- Allez-y, alors, je vais vous apporter votre café le plus vite possible, sourit le jeune homme.

Il aimait beaucoup ce vieil homme bourru. Il le connaissait depuis toujours et avait appris à trouver la reconnaissance ou la joie dans les paroles âpres de l'aveugle.

Se rappelant soudainement qu'il portait une commande, Thommy repartit vers la table numéro 8.

Une jeune fille y était attablée. « Pas mal », sourit franchement le garçon. Elle avait les cheveux blond-roux et des yeux bleu marine que le jeune homme remarqua particulièrement, même à travers ses lunettes. Elle était un peu ronde, mais comme ses kilos en trop se répartissaient au bon endroit, ce n'était pas du tout gênant. Et surtout, elle avait l'air d'un ange. Thommy commit l'erreur de la sous-estimer et il en fut pour ses frais...

- Salut, toi ! Voilà ton cappuccino ! Tu es nouvelle ici ? Je ne t'ai jamais vue, d'ailleurs je m'en serais souvenu, dit-il avec un sourire charmeur.

« Une fille de mon âge attablée, rien de mieux pour bien commencer la journée. »

- Merci. Mais je suis désolée, je te vois venir ! Sache que tu n'auras pas plus de pourboire en essayant de me flatter avec des compliments qui ne sont ni sincères ni justifiés, annonça-t-elle d'un ton froid.

« Quoi ? » Thommy resta bouche bée. C'était bien la première fois que quelqu'un ne lui souriait pas en retour de ses compliments. Il était si habitué à susciter la joie de son entourage qu'il ne lui était jamais venu à l'idée qu'on puisse ne pas l'aimer d'emblée. Elle avait planté ses yeux dans les siens et il sentit son cœur s'accélérer. « Tu veux jouer à ça ? Je vais te prouver que je suis toujours sincère ! », jura-t-il intérieurement. Car il y avait bien une chose que Thommy avait en horreur, c'est qu'on lui reproche quelque chose d'injustifié.

- Loin de moi cette idée, Princesse, rétorqua-t-il le sourire aux lèvres.

- C'est ça... J'aimerais bien boire mon cappuccino seule maintenant...

- À ton service, Princesse !

Sur ce, il s'éloigna de la table sous le regard noir de la jeune fille. Elle l'intriguait : « Quel genre de fille refuse les compliments ? » Il avait dû se passer quelque chose de tragique dans sa vie pour qu'elle soit aussi méfiante. « Je trouverai ce qui ne va pas avec toi, ma belle, je te le promets. »

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