THOMMY: CINQ

-  Vous êtes bien conscients que je n'ai jamais frappé personne et ne compte pas le faire, hein ? s'informa Bakari de sa belle voix grave et profonde.

— Relax, man ! Avec un peu de chance, tu n'auras qu'à croiser les bras, froncer les sourcils, et le mec sera à tes pieds..., ricana Jackson à côté de lui.

Thommy soupira en regardant ses deux acolytes. Il n'en revenait toujours pas de ce qu'il s'apprêtait à faire. Lui, Thomas Alexandre Castelli, le jeune homme le plus pacifiste et joyeux du monde, allait devoir menacer un homme de vingt ans son aîné, qui n'avait vraiment pas l'air d'un enfant de chœur. « Ça sonne comme le début d'une mauvaise blague », se dit-il sombrement. 

Marie-Edwige avait réussi à déterminer, deux jours auparavant, que l'inconnu de la ruelle était l'oncle d'Irène, qui était lui-même un des nombreux associés du père de Marge. De fil en aiguille, la jeune fille avait découvert que la petite blonde était l'héritière de la fortune de son père, décédé peu après sa naissance, à la place de son oncle. Celui-ci avait enchaîné tests ADN et recours sur le testament, mais rien n'avait fonctionné. Irène était définitivement la fille de son père et unique héritière de sa fortune. Thommy et son amie en avaient conclu que le frère du défunt devait exercer une menace psychologique sur sa nièce. Le jeune serveur frissonna, se remémorant ces sombres découvertes. En moins d'une semaine, il était passé du garçon blagueur au preux chevalier, sans passer par la case « réflexion ». Et maintenant, il ne pouvait plus reculer. « Mais le jeu en vaut la chandelle. » Il tenta de ralentir les battements de son cœur et annonça :

— Je suis prêt. On y va.

Bakari hocha la tête et Jackson lui fit un clin d'œil. Thommy sentit ses entrailles se décrisper légèrement. Si ça tournait mal, il pourrait au moins compter sur ses amis. Ils s'enfoncèrent dans le dédale de ruelles qui formaient les quartiers les plus pauvres de la ville. Jack, qui avait vécu plusieurs années dans cette partie-ci de la cité, ouvrait la marche. Thommy sentait bien que son meilleur ami était légèrement plus tendu qu'à l'ordinaire, mais il préféra ne pas poser de question. Le beau noiraud était un être qui tenait à ses secrets et même le curieux serveur avait fini par l'admettre. Ils marchèrent pendant une dizaine de minutes avant que Jack ne s'arrête.

— C'est là ; d'après Marge, il devrait passer par là pour rejoindre son travail.

— OK. Montez tous les deux. Je l'attends, dit Thommy d'une voix qu'il espérait ferme. Ses deux amis se hissèrent sur les rebords de fenêtre, puis sur les balcons, et enfin ils atteignirent les toits, prêts à redescendre dès qu'il le faudrait.

Thommy se tapit contre le mur et attendit. Il ferma les yeux, se rappelant mentalement ce qu'il devait dire. Il l'avait appris par cœur, comme une poésie, et il s'apprêtait à la jouer comme s'il était devant sa maîtresse d'école enfantine. Il devait se tenir à son rôle, sinon il n'y arriverait jamais. « Joue le méchant une fois dans ta vie, Thommy, et ensuite je m'arrangerai pour que tu puisses être toi-même le restant de tes jours », avait dit Jack. Cette idée réchauffa le cœur du jeune serveur. Il entendit des pas dans la ruelle et se prépara à bondir. « Je suis Thommy Castelli le mafieux, et tu vas regretter de t'être trouvé en travers de ma route... »

L'oncle d'Irène déboucha du coin de la rue et le jeune homme lui barra la route. Il était comme transformé, la petite lueur de malice qui brillait d'ordinaire dans ses yeux noirs avait disparu, son sourire avenant aussi. Il était froid et dangereux. Le lion était entré dans l'arène.

— Vous me reconnaissez ?, questionna-t-il d'un ton rude, bien qu'il sache déjà la réponse.

L'homme en face de lui avait blêmi. Il se passa la main dans les cheveux et répondit :

— Non. À qui ai-je l'honneur ?

— Mon nom ne t'intéresse pas, sale fumier, pas plus que je ne m'intéresse au tien. Nous savons tous les deux ce qui nous a réunis aujourd'hui, mais j'ai bien peur que le bilan de cette entrevue ne tourne pas en votre faveur, annonça le jeune homme en s'approchant lentement, forçant l'autre à reculer.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez !, paniqua-t-il.

— Moi je crois qu'au contraire vous savez très bien, si vous étiez vraiment ignorant, vous ne seriez pas en train de flipper comme ça.

Sentant qu'il perdait à ce jeu-là, l'oncle d'Irène changea radicalement de tactique. Il serra les poings et gronda, menaçant :

— Oui, je sais que tu es un sale petit merdeux, et je sais aussi qui a eu le dessus la dernière fois que tu t'es opposé à moi ! Dégage de là et je ne te ferai pas de mal...

Thommy ricana et ne fit même pas mine de bouger.

 — Vous ne savez pas à qui vous avez à faire...

Sur ce, il claqua des doigts. Boum ! Jackson tomba du ciel (ou plutôt du balcon) derrière l'homme. Bam ! Bakari atterrit à côté de Thomas. Devant cette montagne de muscles, leur proie tressaillit. Le jeune serveur s'autorisa un petit rictus avant de continuer :

— Voici mes amis, j'espère que ça ne vous dérange pas qu'ils se joignent à nous.

 Derrière l'homme, Jack ramassa une barre en fer qui traînait par terre et donna un léger coup sur l'épaule de l'oncle d'Irène. Celui-ci écarquilla les yeux et se plaqua contre le mur, pétrifié. Il est vrai qu'à ce moment précis, le jeune homme faisait vraiment peur. Même Thommy s'en aperçut. « Heureusement que je suis son ami, et pas le contraire. » Il se dégageait de lui une aura sombre et il était à cet instant précis bien plus terrifiant que la musculature imposante du grand Noir. Thommy bomba le torse et s'approcha de l'homme si près qu'il lui toucha presque le menton. Il planta son regard dans le sien et chuchota d'une voix glaciale :

— Écoutez bien, car je ne le redirai pas deux fois. Ne vous approchez plus d'Irène. Posez, ne serait-ce qu'une seule fois, à nouveau votre regard sur elle et vous le regretterez. Je vous suivrai, je vous trouverai et je m'arrangerai pour que vous n'ayez plus jamais le moyen de regarder les jolies filles. Je ne vous tuerai pas, je me contenterai de vous crever les yeux. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Oui... Je... oui..., bégaya l'oncle de la jeune fille, le teins livide.

Thommy se recula et fit un signe de tête froid à Jack qui, pour faire bonne mesure, décocha un violent crochet du droit à son adversaire. L'homme s'éloigna en titubant, le plus rapidement possible.

Une fois qu'il eut tourné au coin de la rue, le jeune serveur s'effondra, la tête dans ses mains, les larmes aux yeux. Toute la peur qu'il avait barricadée au fond de lui resurgissant d'un coup. Le jeune serveur tremblait de tout son corps. Les jambes flageolantes, il du s'assoir. Il n'était vraiment pas fait pour cela. « C'est le pire rôle de toute ma vie... » Il haïssait du plus profond ce son être celui qu'il avait du incarné, mais une grande partie de lui était soulagée. Irène serait en sécurité et c'était tout ce qui comptait. Bakari s'accroupit à côté de lui et posa sa grande main noire sur son épaule.

— C'est fini, dit-il.

— Ouaip. C'est la première et j'espère la dernière fois que je fais ça.

 — Sage décision.

Sur ce, le géant s'éloigna d'un pas tranquille en direction de chez lui. Jack resta aux côtés de son ami jusqu'à ce qu'il se calme. Thommy s'essuya les joues et finit par se relever en disant :

— Tu sais, Jacky, j'ai hâte de retrouver ma vie tranquille et de servir son steak à M. Macphy.

— Oh que non, mon vieux, tu vas aller de ce pas retrouver Irène et lui faire le grand jeu, ou je te botte les fesses !

Le jeune homme hocha la tête et se rengorgea.

***

Thommy essuyait les tables du bistrot sous l'oeil attentif de Patapouf qui l'observait depuis son tabouret, lorsqu'Irène passa devant la porte d'entrée grande ouverte. Ni une ni deux, le serveur se précipita dehors.

— Irène !

— Quoi ? Qu'est-ce que tu me veux ?, répondit-elle agacée. 

« Ça va être plus compliqué que prévu... »

— Je te paie un cappuccino ?

 — Dans ton propre bistrot ?

 — Ou ailleurs...

— Non, ici c'est bien.

Elle entra sans lui accorder le moindre regard. Le garçon en fut légèrement blessé, mais il ne le montra pas et fit ce qu'il savait faire le mieux : flatter.

— Tu as un port de tête magnifique...

Sa remarque lui valut un regard noir. Quelques instants plus tard, ils s'assirent à une table. L'un devant un cappuccino, l'autre en face d'un chocolat chaud. L'ambiance était tendue. On entendait les mouches voler. « Oh, mais ça ne peut pas continuer comme ça ! »

— Écoute, je suis désolé pour notre dispute, je ne suis pas très bon pour comprendre les filles, soupira-t-il, se passant la main dans les cheveux.

— C'est clair. Mais je te pardonne, tu n'es pas méchant, juste un peu stupide.

Elle avait une petite étincelle dans le regard et Thommy comprit que c'était sa manière de faire la paix avec lui. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. « Elle n'est plus fâchée. » Puis il se sentit bête à être tout émoustillé pour un simple regard.

— Tu sais, j'ai eu peur pour toi, alors je t'ai engueulé, mais ce n'était pas vraiment contre toi..., avoua la jeune fille.

Un immense sourire naquit sur les lèvres du serveur. « Alors comme ça, on a peur pour moi ? » C'était une très bonne nouvelle. Il regarda Irène, ses beaux yeux bleus et ses lèvres pleines et son cœur s'emballa. Il avait envie de l'embrasser. « Je suis amoureux », comprit-il soudainement. La jeune blonde le fixait toujours, avec une certaine douceur, lui sembla-t-il.

— Tu sais, une amie m'a dit un jour que je devais cesser de tourner autour du pot...

— Oui, ce serait une bonne idée, le coupa-t-elle.

— Laisse-moi finir ! Ce que je veux dire, c'est que tu comptes beaucoup pour moi et que, comme je suis quelqu'un de rapide, j'aimerais sortir avec toi !

Il se tut, le cœur battant, attendant que la bombe qu'il venait de lancer fasse son effet. Irène rougit et répondit, plongeant son regard bleu dans le sien :

— Je ne sais pas quoi dire... 

— Alors, ne dis rien.

Il se pencha au-dessus de la table, tentant le tout pour le tout, et posa ses lèvres sur les siennes. Un éclair lui foudroya le ventre et la chaleur emplit son corps. C'était un petit baiser fugace, à peine plus long qu'un battement de coeur, mais déjà le jeune homme planait. C'était trop bon. Quand ils se séparèrent, elle lui sourit et rougissante, l'embrassa à son tour. Et ce fut magique. Il était si heureux qu'il aurait pu exploser. « Ça, c'était du baiser ! »

— Je prends ça pour un oui, sourit-il.

— Bravo Einstein...

— Trouvez-vous une chambre !, beugla M. Macphy qui venait d'entrer, je suis aveugle, mais pas sourd.

Irène rougit et Thommy éclata de rire. Il était avec la fille qu'il aimait et rien n'aurait pu ternir son bonheur. Il eut une petite pensée pour Jack. « T'as vu, vieux, tu n'auras pas besoin de me botter les fesses. »

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