SIMON: DEUX

Simon suait à grosses gouttes. L'équipe et lui venaient de finir un entraînement cardio afin de les muscler davantage. Enfin, certains d'entre eux, étant donné que Bakari, Yvan et Jackson n'avaient aucun problème à ce niveau-là. Marge, tentant de reprendre son souffle, déclara :

— Venez vers moi, j'ai quelque chose à vous annoncer...

Simon et les autres s'exécutèrent. Le jeune homme observa la noble avec attention. Elle se tordait les mains et se mordait la lèvre nerveusement, ce qui était très inhabituel chez elle. « Qu'est-ce qu'elle a ? »

— Je... Mon père désire vous voir ce soir..., expliqua-t-elle en bégayant.

 « Tu te mets dans des états pareils pour ça ? »

— Cool !, s'exclama Thommy à la grande surprise de tous les autres. 

Yvan s'étrangla, écarquillant ses grands yeux bleus :

— Tu trouver ça « cool » ?!

— Bah oui... S'il y a son père, il y a sa mère ! Et elle me fait bien marrer, celle-là !

 Simon crut que Marie-Edwige allait le remettre à sa place, mais elle se contenta de lever les yeux au ciel. Elle demanda :

— Vous êtes partants ?

— Oui, répondirent en chœur Thommy, Yvan et Bakari.

Le jeune roux observa Jack, espérant sincèrement qu'il refuse. Il ne sentait absolument pas cette invitation. Ils venaient tous de mondes trop différents, ça allait créer des étincelles. « S'il refuse, nous n'irons pas... Allez, Jackson, fais ton râleur ! Pour une fois que c'est utile ! » Mais le grand brun l'étonna une fois de plus en disant :

— C'est d'accord, la bourgeoise ! On va venir.

Simon vit les yeux de la jeune femme s'illuminer. Ça lui faisait tellement plaisir que le rouquin hocha la tête avec résignation. Pourtant il ne parvenait pas à chasser de son esprit un mauvais pressentiment.

— Merci beaucoup, murmura Marge.

Les cinq garçons la regardèrent bouche bée. « C'est la première fois qu'elle nous remercie... », réalisa Simon étrangement ému. Jack esquissa un sourire à fossettes :

— De rien.

Le jeune homme ne l'avait jamais vu si joyeux. Thommy se pencha pour chuchoter à son oreille :

— Tu vois, petit nouveau, ça, c'est mon pote. Il est comme ça quand il n'y a pas trop de bazars dans sa vie...

Simon hocha la tête en guise de réponse. Lui aussi, il le préférait comme ça.

***

Une fois n'est pas coutume, les cinq jeunes hommes marchaient de front dans la rue. « Une vraie bande de clowns », soupira Simon. Jackson râlait haut et fort à propos du fait qu'ils devaient bien s'habiller au dîner chez Marge, Thommy demandait à Yvan s'il le voyait mieux avec une chemise blanche ou une chemise noire et Bakari s'assurait qu'il allait bien chez un marchand qui avait des tailles XXL. Il leva les yeux au ciel. « Ils stressent comme des malades... » Étant donné qu'il avait un très mauvais pressentiment, il ne stressait pas. De toute façon, ça ne pouvait pas être pire que tout ce que sa vision pessimiste prévoyait. Ils s'approchèrent d'un magasin de vêtements et le cœur de Simon se serra. C'était celui des parents de Bakari. Il tourna la tête vers celui-ci et le vit plongé dans ses pensées. « Il ne faut pas qu'on aille là-dedans ! », réalisa-t-il. Il connaissait Bakari, il ne dirait rien, mais n'en souffrirait pas moins.

Avisant Jack à côté de lui, Simon prit une profonde inspiration. Pour la première fois depuis longtemps, il avait envie de parler. Alors il ouvrit la bouche. Mais les mots ne sortirent pas. Ils restèrent bloqués dans sa tête, dans sa gorge, dans son cœur. Il sentit les larmes lui monter aux yeux, impuissant. Mais il les ravala. « Il faut qu'il me comprenne ! » Il fouilla dans sa poche et découvrit qu'il avait perdu son calepin. Il jura intérieurement. « C'est bien le moment ! » Alors il tendit la main vers la manche du pull de Jackson et tira dessus.

— Quoi ?, demanda celui-ci sans tourner la tête vers lui.

Simon tira une deuxième fois. Cette fois-ci, le brun se retourna et cracha :

— Quoi ?!! Qu'est-ce qu'il y a ? Parle !

Le sang du rouquin se glaça et il se figea. Jack semblant enfin remarquer à qui il avait affaire, se passa la main dans ses épais cheveux, gêné :

— Ah ouais, merde, j'avais oublié. Excuse..., marmonna-t-il.

« Il avait "oublié" ? » Ils approchaient de plus en plus de la boutique. Simon la désigna du doigt et fit non de la tête. Heureusement pour lui, Jackson pigea tout de suite.

— Tu ne veux pas aller là-bas ?

Simon confirma. « Bravo Einstein. » Il réfléchit trois secondes et désigna Yvan. Un éclair de compréhension passa dans les yeux noisette du brun.

— Eh, le Russkoff, tu dois avoir une méga garde-robe chez toi, non ? Tu pourrais nous prêter quelque chose !

L'intéressé commença par foudroyer son rival du regard, mais en voyant l'air éminemment soulagé de Bakari, il concéda à contrecœur :

— Da, oui, ça doit pouvoir se faire.


***

Le soir commençait à se coucher lorsque Simon sonna à l'interphone de la grille du parc de la maison de maître. La voix hautaine d'un homme s'éleva :

— Résidence de La Vallière, à qui ai-je l'honneur ?

Mais Simon avait pensé à tout, il présenta son calepin « Simon Berger » à la caméra de surveillance.

— Oh, où ai-je la tête ? Vous devez être l'ami muet de Mademoiselle ! Veuillez entrer...

 Le portail s'ouvrit et Simon traversa le parc en direction de la maison. Il flottait dans le costume que lui avait prêté Yvan, qui était bien trop grand pour lui, et ça le gênait. Il voulait faire la meilleure impression possible. Il arriva enfin devant la porte d'entrée. Le majordome l'attendait, l'air austère. Simon le salua d'un lent hochement de tête poli et l'homme s'effaça pour lui céder le passage.

— Mademoiselle vous attend dans le grand salon, troisième porte à gauche.
Le rouquin entra et se trouva tout de suite mal à l'aise dans le gigantesque hall d'entrée. Il vivait lui aussi dans une plutôt belle maison, mais celle-ci devait bien en faire le volume double. Il suivit les instructions du majordome et se retrouva dans le grand salon de la famille de La Vallière. Ébahi, il regarda autour de lui, ouvrant de grands yeux. La pièce était entièrement blanche et or. Blanche pour la moquette duveteuse, les canapés, les murs, les étagères et commodes. Or pour les rideaux, les coussins, les chaises, la table basse et les ornements des fenêtres. Tout n'était que luxe et raffinement. « On peut dire qu'ils ne manquent pas d'argent... » Son regard se posa sur l'un des fauteuils et il y découvrit Marie- Edwige. « Elle est super jolie ! » fut obligé d'admettre Simon, le coeur battant anormalement vite. Elle portait une longue robe jaune et ses fins cheveux bruns, habituellement relevés en chignon, tombaient en cascade le long de son dos. Il n'aurait jamais pensé qu'elle puisse avoir une telle longueur de cheveux cachée dans ses coiffures sophistiquées. La jeune femme posa sur lui son regard émeraude et un sourire illumina son visage. Il retourna aussi le ventre du rouquin par la même occasion. Elle s'écria :

— Simon ! Tu es le premier arrivé... Viens t'asseoir.

Cette demande réchauffa le cœur du jeune homme. Voilà tellement longtemps qu'on ne s'était pas adressé à lui de la sorte. Il s'assit à côté de Marge et sortit son carnet de sa poche. « Tu es très jolie », écrivit-il. Il ne rajouta pas le « ce soir » qu'il pensait, car il savait qu'elle se serait vexée. « Je ne suis pas jolie les autres jours ? »

— Merci beaucoup.

Simon sourit. Une autre fille que Marge lui aurait sans doute dit séance tenante qu'il était beau lui aussi, mais Marge était Marge. Elle était sincère. « Ça fait plaisir des gens comme ça. » Ils restèrent assis l'un à côté de l'autre en silence, quelques minutes. Pourtant, Simon ne ressentait aucune gêne. Ils étaient bien. Leur répit fut de courte durée.

— Marie-Edwige, mon petit cœur en sucre, où es-tu ? glapit une voix aiguë de l'autre côté de la porte.

« C'est quoi, ça ? » Il eut juste le temps de voir Marge lever les yeux au ciel avant que la porte s'ouvre sur une femme blonde, à la robe violette cintrée, juchée sur d'interminables talons aiguille. « La mère de Marge... », devina astucieusement Simon en se rappelant le commentaire de Thommy : elle est marrante.

— Bonjour jeune homme. Je suis Rose-Marguerite de la Vallière, mère de Marie-Edwige Isabelle de la Vallière...

— Mère, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'être aussi pompeuse, marmonna Marge entre ses dents, juste assez fort pour que le jeune homme l'entende.

Il lui fit un petit sourire entendu. « Ce n'est pas grave. »

— Donc vous êtes ? demanda la maîtresse de lieux.

— Il ne parle pas, mère..., annonça la jeune fille, alors qu'une boule se formait dans la gorge de Simon.

« Comment va-t-elle réagir ? »

— Oh je suis confuse, absolument confuse, horriblement confuse !, piailla-t-elle. Loin de moi l'idée de vous importuner. Quand on y pense, c'est une aubaine de rencontrer des gens différents de nous de nos jours, ça...

La porte s'ouvrit, lui coupant la parole, et Simon poussa un soupir de soulagement. « A-t-elle seulement un cerveau ? » Rien n'était moins sûr. Bakari et Thommy entrèrent. Le jeune roux sourit intérieurement. « Au moins je ne suis pas le seul à avoir l'air d'un singe. ». Bakari était serré comme un saucisson dans un costume trop petit pour lui et Thommy flottait dans le sien, bien que les manches fussent trop courtes. La jeune noble les accueillit avec le même sourire qu'elle lui avait offert quelques minutes auparavant. Simon commençait à se détendre un peu. « Peut-être que ça va bien se passer, après tout. ». Il regarda Thommy esquisser un petit sourire malicieux tout en s'approchant de la mère de Marge. « Oh là, que va-t-il encore inventer ? »

— Vous êtes très en beauté ce soir, Madame..., déclara le serveur avant de lui faire un baisemain.

Simon leva les yeux au ciel, Bakari grimaça discrètement et Marge foudroya l'Italien du regard. Seule Rose-Marguerite ne sembla pas se rendre compte de la tournure comique que prenaient les événements. Simon se surprit à ressentir une pointe de pitié pour elle.

— Jeune homme, vous me flattez, vous allez me faire rougir !, gloussa la mère de Marie- Edwige.

La porte s'ouvrit de nouveau et le majordome entra.

— Que Madame veuille bien m'excuser de cette soudaine intrusion, mais il semblerait que Rocky souhaite rentrer...

— Oh mon Dieu, Sébastien ! Je l'avais complètement oublié ! Faites-le rentrer, je vous prie.

« Qui est Rocky ? Je croyais que le père de Marge s'appelait Charles-Albert... »

Il fut d'autant plus surpris lorsqu'un chihuahua apparut. Un chihuahua affublé d'un manteau jaune, qui plus est. Rose-Marguerite lui fit fête et un court instant Simon ne sut plus bien qui était le maître et qui était l'animal. « Marge doit vraiment tenir de son père. »

 Yvan et Jackson arrivèrent quelques minutes plus tard, escortés par Sébastien. Le brun ayant le même gabarit que le blond, le costume lui allait tout aussi bien. Simon vit Marge les détailler du regard, une pointe de rouge aux joues. Alors que Bakari, Thommy et lui passaient pour des poltrons en cravate, Jackson et Yvan auraient pu défiler chez Dior. La vie était injuste parfois.

— Tu être très jolie, Marge !, déclara Yvan.

Elle rougit de plus belle. « Évidemment, quand c'est lui qui le dit, ça fait tout de suite plus d'effet. Tu sais qu'il est gay ? », railla intérieurement Simon.

— Ouais, pas mal, mieux que d'habitude, ajouta Jackson avec un sourire en coin.

— Merci, Jack, pour ton soutien !, démarra-t-elle au quart de tour.

« C'est incroyable à quel point elle est susceptible ! Elle ne voit pas qu'il la taquine ? » Apparemment pas. Simon soupira, ces deux-là étaient trop compliqués. Le brun allait répliquer quelque chose, mais il fut interrompu par l'arrivée du père de Marie-Edwige, le propriétaire d'une des plus grandes entreprises du pays, Charles-Albert de La Vallière.

Simon se figea. Autant sa femme inspirait une pitié teintée d'amusement, autant il dégageait quelque chose de plus sombre, de plus dur. Il se tenait droit, une main derrière le dos, l'autre posée négligemment sur le pommeau d'une canne noire. Ses cheveux, peignés en arrière avec soin, légèrement plus foncés que ceux de sa fille et plus clairs que ceux de Jackson, lui donnaient un air important. Il scruta tour à tour les personnes de la pièce d'un regard perçant, aussi vert que celui de Marge. Simon avait beau observer son visage avec attention, rien ne laissait deviner ce qu'il pensait. Après quelques minutes de cette minutieuse analyse, Charles- Albert annonça d'un ton froid et professionnel :

— Voici donc les « employés » de ma fille...

« Les employés ? On est réduit à ça ? » Simon observa Marie-Edwige, s'attendant à la voir réagir. Mais à son grand étonnement, elle baissa les yeux. Le jeune roux prit cette résignation comme un coup dans l'estomac. Son mauvais pressentiment revenait au galop.

— Alors..., reprit l'homme en fixant le grand Noir, Bakari M'Boa, je présume ?

— Oui, c'est ça.

Simon enviait son calme olympien.

— Votre père tient un magasin d'habits, annonça-t-il avec un petit sourire ironique.

Ce n'était pas une question. Le sang du jeune homme se glaça. « Il s'est renseigné sur nous ! » Bakari ne répondit rien, ce que Simon trouva sage. Un à un, Charles-Albert appela les garçons par leur prénom et débita la profession de leurs parents. Bistroquets pour Thommy, avocat pour Yvan, directeur d'une ONG pour Simon. Personne ne résista ou ne fit quoi que ce soit de déplacé, même si Simon vit bien à quel point Thomas se retenait de faire des blagues pour alléger l'atmosphère trop tendue du salon. « Heureusement qu'il tient sa langue... Ce serait très mal vu ! » Quant à lui, il s'était contenté de hochements de tête et Charles-Albert ne s'était pas préoccupé de son mutisme.

Le tour de Jackson arriva. Le père de Marge s'arrêta devant lui et Simon vit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Au lieu d'attendre le verdict du noble comme les autres, le grand brun le défia du regard, se redressant de toute sa hauteur. Une partie de Simon ne put s'empêcher d'admirer son courage. Une autre de redouter son impulsivité.

— Jackson Parker, un nom trop prestigieux pour le milieu dans lequel vous vivez, je me trompe ?

« Ne réponds pas à la provocation ! » supplia Simon intérieurement en voyant son camarade serrer les poings. Il soupçonna Marge de faire la même requête silencieuse de son côté.

— Je n'en sais rien. Peut-être..., marmonna Jack.

— Oui, peut-être..., reprit Charles-Albert avec mépris.
À cet instant, Sébastien entra, au grand soulagement de tous les invités.

— Avec votre permission, Monsieur, nous sommes prêts à vous servir le repas.

— Fort bien, n'hésitez pas à en profiter, chers invités, pour la plupart je doute que vous mangiez à une si bonne table de sitôt..., annonça dédaigneusement le père de Marge.

Cette remarque s'adressait à tous, sauf à Yvan. Un relent de bile remonta dans le ventre de Simon. « Ce type, c'est le diable en personne ! »

***

Simon découvrit bien vite que la salle à manger était tout aussi luxueuse, sinon plus, que le grand salon. Et même s'il se sentait barbouillé, il devait bien admettre que la nourriture qu'on leur proposait était succulente. Bon, Marge avait dû montrer discrètement à Thommy, Jackson et Bakari comment manger dignement les escargots de l'entrée, mais hormis ce petit détail, le jeune homme trouvait qu'ils s'en sortaient honorablement. Pourtant, la gêne était de mise et Rose-Marguerite entretenait à elle seule les huit dixièmes de la conversation, les autres personnes se bornant à répondre adéquatement si elle leur posait des questions. Après la « caille rôtie sur son lit de pommes de terre en robe des champs, accompagnée de ses haricots fins », le « plateau de fromages divers et son coulis de fruits rouges », et le « moelleux au chocolat parsemé d'éclats de coco et de fins morceaux de fraise », les ventres furent pleins et les esprits quelque peu ramollis par une envie grandissante d'une petite sieste digestive. La catastrophe que prévoyait Simon n'était pas arrivée et le rouquin s'accorda un instant de répit. Il n'aurait pas dû. Charles-Albert, qui s'était tù durant tout le dîner, déclara :

— Bien, passons, voulez-vous, à ce pourquoi nous sommes ici. Parlons « affaires ». Simon jeta un regard interrogateur à Marge et vit qu'elle était aussi perdue que lui. Elle releva la tête et demanda :

— Excusez-moi, Père, mais de quelle affaire parlez-vous ?

— Celle dont vous n'avez pas mesuré la conséquence et dont je dois comme toujours régler les frais, harangua-t-il sans même la regarder dans les yeux.

Un éclair de douleur passa dans le vert des yeux de Marge et Simon sentit son estomac se serrer. « Quel genre de père inhumain faut-il être pour traiter sa fille comme ça ? » Une vieille tristesse, tenace comme une écharde, lui étreignit le cœur. « Le même que le mien. »

— Comme j'imagine que ma fille vous a fait part sans la moindre prudence de ce qui l'amène à faire appel à vous, je vais devoir vous sommer de signer une clause de confidentialité.

Simon écrivit frénétiquement sur son carnet :
« Mais de toute façon, la Porte du ciel est une course qui se fait au milieu de la ville, au milieu de tous. C'est connu, beaucoup de gens viennent voir. Il n'est pas possible de cacher le fait que nous faisons partie de la même équipe. »
Il tendit le papier à Charles-Albert qui le lut avec une attention amusée qui hérissa le jeune homme.

— Oh, le fait que le milieu populaire ait vent de cette histoire ne m'enchante guère, mais je n'y vois pas de conséquence dramatique. En revanche, ce qui poserait problème serait que d'autres personnes de notre milieu soient au courant.

Bakari et Simon échangèrent un regard entendu. Ils n'aimaient pas du tout la tournure que prenait la conversation. Thommy fronça ostensiblement les sourcils, -ce qui était assez rare pour être remarqué- montrant qu'il était d'accord avec eux. Simon vit qu'Yvan serrait les dents. Quant à Jack, il était calme. Anormalement calme. « Ça ne présage jamais rien de bon, ça ! » Thommy lui avait expliqué que le grand brun était comme un volcan, il finissait toujours par exploser. Sourd à ces avertissements muets, l'homme de la maison reprit :

— N'y voyez surtout pas une affaire personnelle. Les gens comme nous ne se mêlent pas aux gens comme vous. Il en est ainsi depuis toujours. Au bénéfice de chacun, d'ailleurs. Ce qui n'engendrera chez vous que de simples moqueries peut se traduire par un immense déshonneur pour nous. Si nos amis nobles découvrent que Marie- Edwige a un quelconque lien avec vous, le déshonneur serait immédiat. Pour elle, mais surtout pour nous.

Il regarda Yvan avec un sourire désabusé et continua :

— Cette requête ne s'applique pas à vous, bien entendu.

Simon eut envie de vomir, jamais au cours de sa vie on ne l'avait traité avec autant d'irrespect. Il se sentait souillé, piétiné. De plus, il n'était pas d'un milieu aussi pauvre que Jack. Il était de la classe moyenne. Yvan foudroya Charles-Albert du regard.

— Si ça pas appliquer à moi, ça pas appliquer à eux !, gronda-t-il.

— Je comprends bien votre point de vue, je suis désolé de vous l'apprendre ainsi, mais la vie est parfois injuste.

Le jeune roux eut un haut-le-cœur. Marie-Edwige tenta doucement, d'une voix beaucoup trop faible pour son caractère fier :

— Père...

— Ne m'importune pas, il est important qu'ils connaissent la vérité, là où est leur place. Dans leur propre intérêt.

C'est là que la tornade qu'était Jackson explosa. Et cette fois-ci, même Simon ne la vit pas venir. Le beau brun se releva d'un bond, repoussant sa chaise qui tomba à la renverse. Ses yeux, habituellement brun doré, étaient noirs de rage. Il se pencha en direction du père de Marge et cracha les poings serrés :

— Dans notre intérêt ? Dans NOTRE intérêt ? C'est à cause de vous que les choses ne changent pas ! à vous les nobles hypocrites jusqu'à l'os, ce n'est pas dans notre intérêt que vous séparez les classes, c'est dans le vôtre ! Vous êtes tous plus pourris les uns que les autres, pendant que vous vous nourrissez de votre supériorité et de vos escargots, cailles ou je ne sais quoi d'autre, les gens crèvent de faim dans les banlieues. Je vous hais de toute mon âme et croyez-moi, je suis de loin pas le seul. Alors votre clause de confidentialité, vous pouvez vous étouffer avec. Un jour cette affaire éclatera au grand jour et vous ramperez au sol, comme vous nous avez toujours obligés à le faire !

Jackson débita ces derniers mots à bout de souffle, le visage rouge de fureur. Le cœur de Simon battait à un rythme effréné, il se reconnaissait dans les paroles de son acolyte, il les pensait aussi, même s'il n'aurait jamais osé en dire le quart. Mais par-dessus tout, il avait très peur de ce qui allait se passer maintenant.

Bakari fixa Jack d'un air apparemment calme, mais Simon ne s'y trompa pas, il savait que son ami évaluait ses chances de contrer le brun s'il devenait violent. Thommy chuchota quelque chose à l'oreille de son meilleur ami, mais rien ne se passa. De l'autre côté de la table, Rose-Marguerite ouvrait et refermait la bouche comme un poisson hors de l'eau. Marge, quant à elle, fixait à tour de rôle son père et Jackson, complètement paniquée. « Elle ne doit pas savoir de quel côté se ranger », comprit Simon. Dans un sens, il la comprenait un peu. C'était son père, après tout. Aussi horrible fut-il. Il espéra tout de même qu'elle les choisisse eux, car s'il était capable de se mettre à sa place et d'essayer de la comprendre, rien n'était moins sûr des autres membres de l'équipe. « Allez, Marge, je sais que tu n'es pas comme lui, prouve-le ! » Charles-Albert eut un rictus contrarié.

— Eh bien, vous manquez de courtoisie, jeune homme, vous...

Il n'eu pas le temps de finir sa phrase, le grand brun se jeta sur lui. Simon réalisa qu'il l'aurait frappé si Bakari n'avait pas dressé son imposante musculature entre eux.

— Calme-toi, ordonna-t-il de sa puissante voix grave. 

Mais Jackson était comme fou. Il tenta d'éviter le grand Noir.

— JACK, NON !, hurla Marge terrifiée.

Elle avait les larmes aux yeux et les bras écartés. Le jeune homme se figea et Simon reprit sa respiration qu'il avait retenue jusqu'alors. Jackson se calma, toute sa fureur retombant aussi vite qu'elle était montée. Il tourna les talons en marmonnant en direction de Marge :

— OK, je sais maintenant de quel côté tu es.

Simon se leva à son tour et le suivit d'un pas précipité. Yvan, Thommy et Bakari firent de même. Un silence de mort s'abattit sur la salle à manger. Lorsqu'ils quittèrent la pièce, Simon tendit l'oreille et entendit :

— Sébastien ?

— Oui, Monsieur ?

— À partir de maintenant et durant toute la durée de l'entraînement et de la course, vous veillerez à ce qu'aucun de ces jeunes gens ne mette un pied chez nous. Et lorsque l'affaire sera terminée et classée, je ne veux plus que Marie-Edwige ait de contact avec eux...

— Bien, Monsieur.

Le cœur du rouquin se serra. « Pour une fois que j'avais un semblant d'amitié avec quelqu'un. » Soudain, il eut très envie de fuir, de grimper en hauteur sur un toit, de danser avec le vide. Il avait presque atteint la porte d'entrée lorsqu'une voix s'écria :

— Attendez !

Marie-Edwige accourait vers eux, s'emmêlant dans les nombreux jupons de sa robe, le souffle court.
« Elle nous court après ! Elle tient donc à nous ! » Une bouffée de chaleur l'envahit.

— Je... Je suis désolée que ça se soit si mal passé... Il ne le pensait pas...

— Si, il le pensait, rétorqua froidement Jack, lui tournant résolument le dos.

Simon vit les yeux de la noble se remplir de larmes. Il ne put s'empêcher d'avoir mal pour elle.

— Je suis désolée qu'il t'ait blessé, qu'il vous ait blessé. Je...

— Arrêtez ! Je me fous de ce que tu peux dire. Oui, il m'a blessé, mais toi aussi, figure-toi !

Marge baissa la tête, honteuse

— Je croyais qu'on était amis. Je croyais que tu étais de mon côté, cracha-t-il. 

— Mais, mais je suis ton amie !, bégaya-t-elle.

— Non. Plus maintenant.

Il s'éloigna, les autres sur ses talons. Seul Simon ne bougea pas, indécis.

— Oh et ne t'inquiète pas pour les entraînements, j'y serai, vu qu'il n'y a que ça qui t'intéresses, cria de loin Jackson.

Yvan lança un regard triste à la jeune femme, Thommy un petit signe de la main et Bakari une moue désolée.

— Non, ce n'est pas vrai ça... Je tiens à toi, Jack, chuchota Marge, une larme coulant le long de sa joue.

Simon fut le seul à l'entendre. Il se détourna lentement. « Tu ne sais pas ce que tu perds, Jackson. »

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