MARIE-EDWIGE: DEUX

Marie-Edwige sortit de la Rolls-Royce et resta figée devant le spectacle qui s'offrait à elle. Devant elle se dressait un mur de grimpe d'une dizaine de mètres de haut. À côté de l'édifice, une petite villa faite de pierre blanche se dressait fièrement. Marie-Edwige fut étonnée. « Comment un homme aussi riche que son grand-oncle pouvait-il vivre dans une demeure aussi ridiculement petite ? », s'interrogea-t-elle.

Son père sortit à son tour et lissa vers l'arrière ses cheveux châtains de la main avant d'épousseter la manche de son costard.

- Ça n'a pas beaucoup changé depuis notre dernière visite, dit-il jetant un coup d'œil autour de lui.

- Oui, c'est toujours aussi pittoresque, rajouta Rose-Marguerite.

Discrètement, Marie-Edwige leva les yeux au ciel. Pour elle, ce mur n'avait rien de pittoresque. Au contraire ! Elle se sentait irrémédiablement attirée par ses prises de couleur vive et ses cordes de rappel, sans qu'elle ne sache exactement pourquoi. Charles-Albert congédia le chauffeur et s'avança vers la porte d'un pas conquérant, sa femme sur ses talons. Quant à Marie-Edwige, elle ne pouvait détacher ses yeux du mur. « La grimpe doit sûrement engendrer plus d'accidents que le tennis », remarqua-t-elle non sans amertume. Mais pourtant, une petite voix au fond d'elle lui cria d'essayer. La jeune fille la fit taire sans remords. Une fille comme elle ne pouvait pas s'abaisser à avoir de tels loisirs.

- Marie-Edwige, trésor, dépêche-toi ! Nous allons être en retard, scanda sa mère la tirant de ses pensées.

- J'arrive, mère...

Enfin la famille fut au complet devant la porte de la demeure. Charles-Albert chercha la sonnette puis soupira : il n'y en avait pas. Vaincu, il toqua à la porte.

- Entrez, c'est ouvert !, leur cria une voix grave de l'intérieur.

Marie-Edwige obéit la première, bien que stupéfaite. « Quel genre de milliardaire fait rentrer ses invités par la porte sans qu'un serviteur ne leur ouvre ? » se questionna-t-elle en poussant le battant. La réponse se trouvait à l'intérieur : le genre fou. Le hall d'entrée était encombré de toute part par des crochets, mousquetons, harnais, cordes et autre matériel de grimpe. Une fois de plus, Marie-Edwige regretta amèrement d'avoir mis la robe rose. Elle se prenait dans les mousquetons rendant le couloir aussi retors qu'un parcours du combattant.

Ils débouchèrent enfin dans une pièce spacieuse et lumineuse. Au centre de celle-ci trônait, tel un monarque, Bertrand-Louis de La Vallière, assis dans un fauteuil en train de fumer la pipe. Il avait le front dégarni, les joues creuses et les cheveux d'une nuance qu'on aurait pu appeler gris souris. Il posa sur Marie-Edwige un regard bleu glacé, comme pour sonder son âme. La jeune fille frissonna et le détaillant de la tête aux pieds, remarqua qu'il portait un pyjama à carreaux écossais. Sentant la gêne s'emparer de la pièce, Charles-Albert intervint :

- Bonjour, Bertrand-Louis.

Le vieil homme ne répondit pas et hocha vaguement de la tête. Marie-Edwige le trouva tout de suite grossier, mais se força à sourire et à dire :

- Je suis très heureuse de faire votre connaissance, grand-oncle Bertrand-Louis...

- Jeune fille, apprends qu'il faut plus que de belles paroles pour être sincère. Et quand on n'est pas sincère, on se tait !

Ulcérée que quelqu'un puisse la rejeter aussi ouvertement, Marie-Edwige ouvrit la bouche pour répliquer, sentant la colère monter en elle. Mais quelque chose dans le regard de son père l'arrêta. Fronçant les sourcils, il lui fit comprendre que ce n'était clairement pas le moment de faire un caprice. Rose-Marguerite tentait d'alléger l'atmosphère en susurrant :

- Votre maison est bicolette, très chère... Le blanc de la façade rend cette demeure encore plus... euh, accueillante.

Devant l'expression franchement dégoûtée de son grand-oncle, Marie-Edwige ne sut pas si elle devait rire ou pleurer. Soudain, le vieil homme s'activa, se leva et vint se planter devant le père de la jeune fille. Voyant la bouche de son aïeul se tordre en un sourire, elle eut un mauvais pressentiment. « Dieu sait de quoi est capable ce vieux chnoque », se dit-elle avec colère. Elle avait raison de s'inquiéter :

- Mon cher neveu, je ne me trompe pas en affirmant que vous êtes ici dans l'unique but d'assurer à votre fille une part de mon héritage ?

- Pas seulement, mon oncle, mais j'en conviens, c'est effectivement la principale raison de notre visite.

- Alors je vais être clair, reprit Bertrand-Louis, je ne léguerai jamais mon héritage à cette petite prétentieuse !

Marie-Edwige sentit la colère monter en elle, il avait osé la traiter de prétentieuse ! « Moi ! La fille du très estimé Charles-Albert de La Vallière ! Cela ne se passera pas comme ça », ragea-t-elle intérieurement. Son père avait blêmi et la jeune fille laissa éclater sa fureur :

- Pourquoi ? Nous ne sommes peut-être pas assez bien pour vous ?! persiffla-t-elle.

- Oui, exactement ! Je donnerai mon héritage à quelqu'un que j'aurai appris à connaître et à respecter ! Pas à de jeunes bourgeoises qui flatulent dans leur lingerie et qui osent encore demander de l'argent ! L'argent, ça se mérite, tout comme le respect ! Savez-vous comment obtenir mon respect, jeune fille ?!

Marie-Edwige secoua la tête, désemparée, personne ne lui avait jamais parlé sur ce ton, encore moins en présence de son père. Le vieillard reprit, crachant ses paroles comme des champignons vénéneux :

- Il faut que vous secouiez votre royal fessier, que vous fassiez quelque chose de votre vie. Devenez autre chose qu'une mère au foyer qui se croit aristocrate et ne sait rien faire d'autre que piailler et faire les boutiques ou la directrice imbue d'elle-même de la plus grande entreprise de caleçons du pays !

- Sous-vêtements, s'il vous plaît, le coupa Charles-Albert.

- Mille excuses..., rétorqua l'oncle ironiquement, devenez meilleure que ça. Faites quelque chose de vos mains si vous vous en croyez capable et vous aurez peut-être droit à mon respect. Mais avant, vous pouvez aller voir ailleurs si j'y suis!

Choquée, Marie-Edwige mit quelques instants à mettre de l'ordre dans ses pensées et réalisa qu'en plus de l'avoir insultée ouvertement, cet homme avait descendu à la cave l'honneur de son père. Et ça, c'était inadmissible ! La jeune fille se redressa de toute sa hauteur et hurla, oubliant toute politesse :

- Les de La Vallière sont dignes de respect et je vais vous le prouver, vieux bouc ! Faisons un pari ! Demandez-moi ce que vous voulez et je le ferai ! Si je réussis, vous devrez me léguer votre fortune et reconnaître publiquement que vous avez tort !

Le vieil homme hésita un instant puis répondit, une lueur triomphante dans le regard:

- Soit ! Gagnez la coupe annuelle de la Porte du ciel, et je reviendrai sur ma décision. Mais si vous échouez, vous me devrez des excuses, jeune fille !

- Je ne compte pas échouer, ne vous faites pas de souci..., annonça la jeune fille d'une voix ferme.

« Tu vas voir, l'ancêtre, ce qui arrive quand on défie Marie-Edwige Isabelle de La Vallière », pensa-t-elle en tournant les talons.

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