BAKARI: QUATRE
Bakari marchait dans la rue, entre Simon et Yvan qui allaient dans la même direction que lui. Cela faisait maintenant deux semaines qu'ils avaient fait leur première grimpe d'immeuble, depuis ils s'entraînaient tous les deux jours. Depuis sa chute, Yvan avait repris du poil de la bête, mais Bakari le surprenait parfois le regard triste dans le vague, perdu dans ses pensées. Ce qui inquiétait un peu le jeune homme. De plus, Marie-Edwige était d'une humeur massacrante, ce qui n'arrangeait pas les choses. Elle était jalouse du talent de Simon et ne se privait pas de quelques remarques perfides à son insu. Bakari soupira : « Il y a encore du travail... »
Quant à la relation qui reliait les deux garçons qui l'accompagnaient, elle était on ne peut plus simple : inexistante. Ils s'ignoraient royalement. Le silence entre eux était embarrassant. Si Bakari avait été Thommy, il aurait raconté sa vie, ou tenté une blague pour détendre l'atmosphère, mais voilà, Bakari n'était pas Thommy, et le silence s'éternisait.
Ils marchèrent quelques minutes, puis Simon se figea. Il donna un coup de coude au grand Noir et tendit le bras vers une affiche accrochée au mur de l'arrêt de bus. Bakari écarquilla les yeux, sous le choc. Sur l'affiche, une danseuse était figée en plein saut, comme si elle allait s'envoler. Elle était sublime, elle semblait légère comme une plume, gracieuse comme un cygne. Le jeune homme était subjugué. C'était la femme de la rue, c'était celle qui dansait sur le violon. C'était son rêve. C'était sa plus grande défaite. Il balbutia :
— Elle est superbe...
Simon acquiesça vigoureusement et Yvan haussa les épaules. Bakari ne pouvait plus lâcher des yeux la danseuse. Il s'imagina dansant avec elle, faisant des portés. Son cœur battit la chamade. Il s'imagina la musique. Il s'imagina sautant, virevoltant, puis se réveilla. Il devait être réaliste, cette vie-là n'était pas pour lui. Il l'avait laissée filer entre ses doigts, s'envoler au loin, il ne pourrait jamais la retrouver.
Yvan demanda, perplexe :
— Pourquoi vous fixez affiches des heures ?
— Parce qu'elle est belle, souffla Bakari. Le jeune Russe se renfrogna et marmonna :
— Et alors?
— Elle danse aussi, c'est une figure très compliquée, ce qu'elle fait, c'est un grand jeté.
— Comment tu savoir ça ?
Le jeune homme jeta un coup d'œil à Simon, qui haussa les épaules, et reporta son attention sur le blond. Il n'avait aucune envie de lui mentir, mais il redoutait un peu sa réaction. Après tout, Yvan était un féru de musculation et de grimpe, pas vraiment le profil qui pourrait aimer la danse. Bakari rencontra ses yeux bleu ciel remplis de questions et se lança :
— J'ai fait de la danse classique.
— Quoi ? Comment ça ?, demanda son interlocuteur, pointant la danseuse du doigt, abasourdi.
— Non, pas aussi bien, mais oui en quelque sorte.
— Et ça te plaire ?
— Oui, beaucoup, avoua-t-il doucement.
Simon posa une main réconfortante sur son épaule. Bakari regardait le sol, un peu honteux. « Que va-t-il penser ? » Yvan reprit d'une voix forte :
— Alors pourquoi avoir arrêté ?
— Parce que ma mère ne l'a jamais accepté, soupira le géant en relevant la tête.
Ce qu'il vit l'étonna grandement. Le jeune Russe serrait les poings, les yeux pleins de fureur. Il clama :
— Et tu as arrêter ? Je penser que tu étais courageux ! Si tu aimer danser, danse ! Tu as le choix. Toi, tu devoir te battre pour ce que tu vouloir !
Ses yeux se noyèrent dans une grande tristesse que Bakari ne comprit pas.
— Toi tu le pouvoir, moi pas...
Puis il tourna les talons et s'éloigna sans dire un mot de plus, laissant le grand Noir et le petit rouquin bouche bée derrière lui. Bakari frissonna. « Pourquoi ne peut-il pas faire ce qu'il veut ? » Il avait été touché par la détresse du garçon, d'autant plus qu'il ne comprenait pas d'où elle provenait. Mais quelle que soit la situation du jeune homme, elle devait être pire que la sienne. Il réfléchit. Oui, il aimait danser, oui, ça le minait comme pas possible de ne pas pouvoir exercer sa passion. Oui, il allait recommencer à danser. Que sa mère le veuille ou non. Après tout, il était majeur, il avait le droit de faire ce qui lui chante. Bien sûr, il n'abandonnerait pas ses amis, il pourrait faire les deux. Mais il lui faudrait quand même en parler à Marge. « Ça ne va pas être facile, ça. » Il regarda Simon qui lui fit un pouce en l'air en signe de victoire. Le jeune homme sourit. Le rouquin semblait lire dans ses pensées. Il allait danser et cette fois-ci, rien ni personne ne pourrait l'arrêter. C'était une promesse.
***
En rentrant chez lui, une demi-heure plus tard, Bakari tira la boîte de sous son lit et enfila ses chaussons. Ils étaient un peu petits, mais il arrivait encore à les mettre, c'était le principal. Il mit un disque dans le lecteur de sa sœur et commença ses étirements. « Dieu, qu'est-ce que j'ai perdu en souplesse ! », se lamenta-t-il. Puis il fit quelques positions et enchaînements de base, très concentré. Si concentré qu'il n'entendit pas sa sœur rentrer dans sa chambre. Elle l'interpella, étonnée :
— Bakari ? Qu'est-ce que tu fais ?
Il ne sursauta même pas. Il n'avait plus honte.
— Je danse.
— C'est trop cool !, hurla sa sœur en bondissant sur lui.
Bon d'accord, là il sursauta parce qu'elle l'avait pris par surprise.
— C'est génial, tu pourras être mon partenaire, ma meilleure amie sera verte de jalousie !
Bakari sourit, cette idée lui plaisait bien.
Soudain, la porte de la chambre s'ouvrit à nouveau. Mme M'Boa venait d'entrer. « L'heure de la confrontation a sonné », songea amèrement Bakari, le coeur serré.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top