BAKARI: CINQ
Bakari observa longuement sa mère, ses longs cheveux noirs tressés et ramenés en chignon, sa peau de la même nuance d'ébène que la sienne, ses yeux du même brun chocolat que les siens, ses traits bien dessinés qui rappelaient les siens. Ils se ressemblaient tellement que ça faisait mal. Elle les scrutait, le regard rempli de colère et d'une pointe de dégout mal dissimulé.
— Mais qu'est-ce que vous faites ?!
Sisa s'éclipsa discrètement de la pièce, ce que le jeune homme trouva particulièrement lâche. Il répondit calmement :
— On danse.
— Pardon ? Comment ça, tu danses !? demanda sa mère en haussant le ton.
— Je danse parce que j'aime ça, maman, répliqua-t-il avec cette belle voix posée qui faisait sa force.
Ramia M'Boa fronça les sourcils, croisa les bras sur sa poitrine et annonça d'un ton sans réplique, qui blessa Bakari :
— Je te l'ai déjà dit, les garçons ça ne danse pas. Il prit sur lui pour répondre calmement:
— Si, moi je veux danser, et je danserai.
— Jamais ! Tu entends, jamais !, gronda-t-elle. Tu déshonores cette famille !
Bakari reçut chaque mot comme un coup de poing dans le ventre. Il savait bien que Ramia n'accepterait pas son choix. Mais il ne l'aurait jamais crue capable de telles paroles. Il avait presser que cette fois-ci ses révélations passeraient mieux. Il s'en voulu amèrement de toujours croire au Père Noël. Il se força à mettre sa tristesse de côté et à calmer la colère qui germait en lui. Il fixa sa mère droit dans les yeux et déclara :
— Maman, je suis majeur. Je peux faire ce que je veux. Tu n'as pas à me dicter la façon de penser.
Le jeune homme vit les yeux de Ramia se remplir de surprise et d'effroi. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprendrait jamais. Mme M'Boa annonça, détachant chaque syllabe:
— Je te préviens, Bakari, je ne veux pas de ça chez moi. Alors je te l'annonce, ce sera la danse ou moi.
Bakari se figea. Il n'en croyait pas ses oreilles. Il ne voulait pas comprendre ce qu'il venait d'entendre. Les mots refusaient de former une phrase dans sa tête. Il lui fallu près d'une minute pour que le sens des mots raisonnent dans sa tète. Le jeune homme prit le temps de réfléchir cinq secondes supplémentaires et dit, le coeur menaçant de se déchirer :
— Alors ce sera la danse.
Sa mère ouvrit la bouche, stupéfaite, mais ne dit pas un mot. Bakari aurait du être en colère, mais il n'y arrivait pas. Il naviguait à l'aveugle. Le cœur lourd, il murmura :
— Je pense que tu ne veux plus de moi à la maison, alors je pars.
— C'est ça, pars.
« Et dire que nous devons en arriver là. » Bakari n'était même pas surpris au final. Au fond de lui, il avait toujours su qu'il devait se séparer de sa mère pour réaliser son rêve. C'est sans doute ça qui lui faisait le plus mal. Il quitta la pièce dans un état second, partagé entre la tristesse et la réjouissance. Triste de quitter sa famille, mais soulagé d'avoir brisé ses chaînes une bonne fois pour toutes. Il ne se retourna pas. En sortant, il découvrit Sisa en pleurs contre le mur. « Elle a tout entendu. »
— Je ne veux pas que tu partes !, sanglota-t-elle.
— Je ne serai jamais loin, je te le promets. Mais je ne m'épanouirai jamais en restant ici. Tu comprends ?
— Oui... Mais...
Il la coupa en l'enlaçant tendrement. Devoir quitter sa petite sœur le déchirait, mais il n'avait pas le choix.
— Je viendrai souvent te voir !
— Tu as intérêt !
Sur ce, ils se séparèrent et Bakari alla préparer ses affaires.
***
Le soleil était en train de se coucher lorsque Bakari arriva devant le bistrot de Thommy, une valise à la main. Il entra, faisant sonner le carillon. Le chat se précipita sur lui et se frotta à ses jambes. Le jeune homme se baissa pour le caresser, un peu emprunté. Le père de Thommy le salua d'un sourire et d'un signe de tête, occupé à essuyer des verres. Le grand Noir s'approcha et demanda :
— Désolé de vous déranger, mais est-ce que Thommy est là ?
— Oui, bien sûr... Thommy !, hurla-t-il. Il y a un de tes amis qui est là.
Un bruit de porte qui claque retentit et le serveur dévala les escaliers. En voyant Bakari, il sourit et dit :
— Hey ! Salut Bak ! Qu'est-ce qui t'amène ? Je te sers quelque chose ?
Bakari se demanda un instant comment formuler sa requête puis se décida à aller droit au but :
— Je suis parti de chez moi.
— Pardon !?, s'exclamèrent le père et le fils dans un bel ensemble.
— Ma mère ne peut pas accepter mes choix alors elle m'a dit de partir. Mais je ne lui en veux pas. Elle croit en ses convictions.
Le pire c'est que c'était la vérité, il baissa la tête et avoua forçant sa voix à ne pas trembler .
— J'aurais simplement aimé qu'elle fasse une exception pour moi.
Le père de Thommy contourna le comptoir et vint poser sa main sur l'épaule du jeune homme. Il demanda :
— Tu sais où aller ?
— Je pensais essayer de me trouver appart', j'ai quelques économies dues à mon boulot au magasin...
— Viens habiter chez nous le temps de trouver quelque chose de mieux !, scanda Thommy.
Bakari sourit. Il s'était douté que le noiraud réagirait comme ça. Par contre, son père, c'était une autre histoire. Mais il n'avait pas à s'en faire. Carlos Castelli avait un cœur aussi gros que celui de son fils. Il annonça :
— Tu es le bienvenu aussi longtemps que tu le voudras.
— Merci beaucoup, Monsieur, dit Bakari, infiniment reconnaissant.
Il était trop fier pour laisser ses larmes couler, mais elles étaient bien là, suspendu en équilibre précaire sur le bord de ses paupières. « Si seulement maman avait été comme lui... »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top