Sortir de sa zone de confort (3/3)
Auteure : AnyComeback
La nuit
Un hibou, perché sur le pilier gauche du portail, tourna sa tête aux grands yeux myopes vers la droite. Il émit le signal persistant que tous attendaient.
Seule la lune rousse, osa, de loin, illuminer légèrement, de ses reflets rubigineux les demeures de marbre sombres. Une silhouette furtive noire s'éloigna, comblée par sa journée, alors que la nuit agressive venait à peine de tomber.
Les quidams avaient depuis longtemps déserté le lieu. A la lumière d'Hélios, déjà ils fuyaient ce champ des souvenirs. Les bruits de la ville n'osaient perturber le sommeil des habitants de cette adresse maudite. Les bâtiments de marbre érigés à la gloire de quelques défunts dont personne ne se souvenait étaient les seuls témoins de la scène à venir. La brise s'était tue dans l'attente de leur venue.
Un grincement à peine perceptible indiqua le début des festivités.
Sir Eric fut comme souvent le premier à s'exhumer de son repaire. Ses doigts aux ongles longs, tachés de terre, poussèrent et griffèrent la dalle. Lorsque l'ouverture béa suffisamment, il glissa son corps désarticulé à travers l'ouverture laissant s'écouler les habituelles effluves nauséabondes de son logis. Soufflant et ronchonnant, le spectre étira son corps engourdi afin de le réveiller de son immobilité prolongée. Un rayon de lune indiscret laissait entrevoir un habit du siècle dernier en lambeaux et un visage de grimaçant. La créature avança alors, d'un pas saccadé et rythmé. Elle avança ignorant, les ombres, qui ,à leur tour émergeaient de leur sommeil.
Sir Eric, fantôme fusque effrayant, erra entre les tombes longtemps. Il chercha, il tituba. Ses suiveurs bancals et prudents, à moitié courbés, restaient prudemment en arrière, craignant sa colère.
Sa main famélique et griffue s'avança, hésitante et tremblante sur une pierre levée.
La mousse recouvrait les inscriptions vieillies et tarabiscotées. Il les arracha de ses doigts sanglants.
Robert Blake
Un nom. Aucune date.
Le rictus sur les lèvres bleuies de la créature ne peut passer pour un sourire.
Son poing s'abat sur le marbre gris et noir qui se fend sous le choc. La matière pulvérulente s'échappa fluorescente et flotta dans l'air comme avertissant d'un danger nouveau.
Le craquement silencieux de la roche serpentine vomit une nuée de larves verdâtres qui s'enfuirent dans toutes les directions.
Sir Eric attendit, vacillant. Une bave gluante glissait sinueusement depuis ses lèvres carmines vers son plastron fusque. Il se pencha pour guetter l'être qu'il invitait à rejoindre son clan nocturne.
Allongé, Robert dormait encore, malgré les crissements et couinements discrets qui l'appelaient.
Une force soudaine lui ouvrit les yeux. Ses globes vitreux, aveugles tournèrent quelques instants avant qu'il ne se décide à bouger un membre vérifiant sans s'en rendre compte leur mobilité inconcevable.
Il était mort.
Robert s'assit dans sa tombe, humant la terre sombre et pourrissante du cimetière. Il respira les créatures et cela réchauffa son cœur mort. Il n'était plus seul.
Automate parmi les automates, Robert Blake se joignit à la ronde des âmes errantes qui rôdaient sans fin dans les limites du champ sacré. Des heures durant, en silence, ils tournèrent et vadrouillèrent sans but et sans paroles dans l'obscurité.
Puis la lune perdit de sa brillance.
L'ombre à la capuche noire revint traînant derrière elles cinq âmes sanglantes éplorées.
Le hibou voleta sur le pilier jumeau de l'entrée au moment où Helios déploya son premier rayon.
Le brouillard trembla un peu et se déchira.
L'oiseau tourna sa tête vers la gauche et hulula.
Les créatures s'enfouirent pour un nouveau jour de sommeil.
Auteure : Mayarahnee
Le Rituel
Postée sur une large racine, à l'extrémité de la clairière, Pia observait d'un œil critique ses congénères chahuter avec entrain. En d'autres circonstances, un tel déferlement d'insouciance l'aurait simplement crispée, mais cette nuit, alors qu'ils s'apprêtaient à célébrer le rituel qui ferait d'eux des membres à part entière du Peuple d'Ellyriä, Pia bouillait d'impatience et de rage contenues.
─ Détends-toi. Tout va bien se passer.
L'aigreur étira les lèvres de l'adolescente. Si sa mère ressentait son stress, elle en ignorait la véritable cause. Personne ne savait. Jusqu'à la Lune précédente, Pia elle-même s'interrogeait sur son avenir au sein du Peuple. Et maintenant qu'elle avait conscience de son don, l'avenir lui paraissait plus sombre que jamais.
Le silence tomba lorsque l'Ancien fendit la cinquantaine de membres venus assister au Rituel. Intermédiaire entre le sacré et les mortels, guidé par la déesse elle-même, il dispensait conseils et savoirs auprès du Peuple.
Lorsqu'il atteignit le centre du pentacle dessiné par de minuscules pierres aux reflets bleutés, tous retinrent leur souffle. Nul besoin de discours. Le Rituel, culte ancestral d'Ellyriä, était connu de tous. Chaque année, les enfants célébrant leur seizième anniversaire étaient soumis au regard de l'aïeul. Une question pour chacun. Une réponse sincère exigée. La cession de leur don à la déesse. Et pour l'éternité, leur âme inscrite aux côtés de leurs aînées pour la sauvegarde du Peuple.
Comme le voulait la coutume, l'Ancien appela le premier né. Aussitôt, Cyrius avança jusqu'à la première pointe du pentacle. Son visage respirait l'assurance, mais sa démarche, raide et sèche, arracha à Pia un sourire mesquin.
─ Fils d'Ellyriä, énonça l'Ancien d'une voix claire et puissante, es-tu prêt à soumettre ton esprit ?
Tournant le dos à l'ensemble du groupe, le garçon hocha la tête.
─ Sauras-tu veiller sur tes compagnons, même au péril de ta vie ? enchaîna l'aïeul.
─ Sans hésitation.
Les lucioles minérales traçant le pentacle s'éteignirent, et Pia arqua un sourcil dubitatif. Cyrius l'avait vraisemblablement oubliée dans l'équation. Depuis toujours, il était de notoriété publique que les adolescents ne s'estimaient guère. Ils s'étaient même déjà battus à plusieurs reprises, sous des prétextes aussi futiles que nébuleux, aussi Pia doutait sérieusement que le garçon tente le moindre effort pour la tirer d'un éventuel guêpier.
Si tant est qu'elle ait besoin d'aide. Avec le don qui coulait désormais dans ses veines, elle était persuadée que les tours de passe-passe du petit brun ne lui seraient d'aucune utilité.
Après un temps qui parut interminable, les pierres bleutées se remirent à luire. Des exclamations de joie jaillirent du groupe tandis que les épaules de Cyrius s'affaissèrent de soulagement. À la grande surprise de Pia, il avait réussi l'épreuve.
─ Fils d'Ellyriä, quel don offres-tu au Peuple ? reprit l'Ancien, l'intonation moins grave que précédemment.
─ Les animaux m'obéissent, répondit le garçon en sortant de la poche de son pantalon une adorable créature à la fourrure blanche, avant de la déposer sur le sol terreux.
Aussitôt, l'hermine fila au Nord et disparut derrière les arbres. Cyrius tendit ses bras, ouvrit la main droite alors que le poing gauche demeurait serré. Un couinement aigu résonna dans la forêt et un instant plus tard, daim, sambar, couleuvre, sanglier, dhole, salamandre et chouette firent irruption dans la clairière. Sans crainte, ils traversèrent le groupe et rejoignirent leur maître, encerclant le pentacle.
Pia leva les yeux au ciel. La place de Cyrius était dans un cirque, pas au sein du Peuple.
Mais son mépris n'était visiblement pas partagé par Ellyriä. L'ombre d'un sourire pointant sous les traits burinés de l'Ancien, ce dernier récita les paroles marquant l'entrée du jeune homme comme protecteur du Peuple, puis appela Moira. Bastian. Tomas. L'un après l'autre, les adolescents répondirent aux questions du guide spirituel, offrirent leur don, devinrent adultes aux yeux de tous.
─ Pia !
L'adolescente se crispa. Le moment tant redouté était arrivé. D'ici quelques secondes, tout le monde saurait. La jugerait. Peut-être même que l'Ancien rejetterait son don si particulier.
─ Allez..., souffla sa mère en la poussant avec douceur.
Tendue, Pia s'avança en direction de la dernière pointe du pentacle, et les mots de Cyrius, énoncés la veille au repas marquant la fin de leur enfance, résonnèrent dans son esprit.
« Ellyriä devait être ivre le jour de ta naissance. Tu vas être la première personne de toute l'histoire à te présenter sans don le jour du Rituel. Faut vraiment être culottée. Ou stupide. T'es stupide, Pia ? »
La jeune fille serra les poings. Chez la plupart, le don s'éveillait dès la prime enfance. Pour d'autres, il fallait attendre les tout premiers signes de l'adolescence. Pia était l'exception. D'abord prise en pitié, puis moquée, le Peuple avait fini par la considérer comme une anomalie loufoque de leur système. Tolérée, mais sans intérêt.
Angoissée à l'approche du Rituel, Pia avait interrogé l'Ancien, lequel avait promis que l'absence de don ne serait pas rédhibitoire à son intégration au Peuple. Mais c'était avant, alors que son pouvoir sommeillait encore. À présent...
─ Fille d'Ellyriä, es-tu prête à soumettre ton esprit ?
─ Oui.
─ Face à l'Ennemi, sans espoir d'en réchapper, qui du nourrisson, de l'Ancien ou de toi-même sauverais-tu ?
Pia se détendit. Si elle avait craint de devoir exposer un pan vulnérable de sa personnalité, la question de l'Ancien appelait une réponse des plus évidentes.
─ Un nourrisson ne saurait se débrouiller seul. L'Ancien n'a pas le pouvoir de défendre Ellyriä. Je me sauverai, moi.
─ Fille d'Ellyriä, quel don offres-tu au Peuple ? sourit le vieil homme alors que les pierres luirent plus intensément.
Des ricanements diffus parvinrent à ses oreilles. Face à elle, l'expression torve de Cyrius la défiait tandis que son hermine furetait sans discontinuer dans son champ de vision. L'adolescente pinça les lèvres, occulta l'assemblée. Ses doigts fourmillèrent d'énergie, une boule de chaleur gonfla dans sa poitrine.
Sans crier gare, l'hermine stoppa sa course, et un fin rictus étira les lèvres de Pia avant qu'elle ne murmure, provocante :
─ La mort.
Auteure : Failariel_Luinwe
Maux de cœur
— Rends-le-moi s'il te plaît! Je t'en supplie, j'en ai besoin!
Un homme tambourine à la porte d'une maison en rangée, au bout d'une allée bétonnée, alors que les passants déambulent en évitant de trop l'observer dans son esclandre. Un couple change de trottoir pour éviter de subir les foudres du désespéré, qui, n'obtenant pas de réponse, porte un regard voilé sur l'ensemble de la rue normalement tranquille. Sur le balcon d'en face, une vieille femme secoue la tête, dégoûtée, et rentre chez elle à petit pas. Elle ne veut pas faire l'objet d'un tel vol à son tour; elle préfère appeler la police.
C'est ce qu'il y a de mieux à faire quant on est témoin d'une telle ignominie. Un voisin sorti pour entretenir son jardin s'assoit, impassible, alors que l'homme éploré brise une vitre pour rentrer récupérer ce qui devrait lui revenir.
— Tu devrais rentrer, déclare la voix douce de sa femme derrière lui.
— J'aimerais l'aider.
— C'est impossible.
— Je sais.
Devant la maison cambriolée, des gens s'attroupent. Nathan décide de s'avancer malgré les imprécations de sa femme. Il sait qu'elle s'inquiète pour lui. Lorsqu'il est question d'amour, les gens ont tendance à perdre la tête, mais il a envie de s'approcher. C'est instinctif, viscéral.
Dans la foule, il entend les murmures des badauds.
— Qu'est-ce qui se passe? demande l'un.
— Elle ne veut pas lui rendre son coeur.
— Ah, les jeunes maintenant, ils ne font pas attention, hein. On dirait qu'ils savent pas rationer, grommelle un vieil homme à son voisin. On se croirait en 2020, avant la Grande Découverte.
Nathan soupire, dégoûté par son impuissance, dégoûté de voir les policiers descendre de leur véhicule pour investir les lieux. À l'abri des regards, il sort sa propre jauge, pleine. Il préférait ce temps éloigné où l'amour était encore immatériel. Aimer, c'était compliqué, mais c'était aussi plus simple. Puis quelque part en 2021, des recherches avaient prouvé qu'il était possible de jauger l'amour au moyen d'un petit appareil non invasif, un petit vase gradué, semblable à un thermomètre scintillant, lequel avait été commercialisé dans un temps record.
Parti, l'amour inconditionnel.
Parti, l'amour passionnel.
Désormais, l'amour est calculé au point près, dans cette jauge appelée "coeur". Le gouvernement favorise l'échange des coeurs dans les cérémonies depuis des années, comme gage d'amour, en se contentant de gérer les esclandres qu'engendre ce genre de séparation violente.
Nathan regarda l'homme être emmené, menotté, jusqu'à la voiture de police, où on le força à entrer entre deux sanglots.
— Rends-moi mon coeur! C'est le mien!
La portière se referme, la voiture s'éloigne, les gens se dispersent. Bouleversé, Nathan arpente les rues, les mains dans les poches. Il n'est pas marié avec sa petite amie, et en raison d'une mauvaise expérience antérieure, il garde toujours son coeur sur lui. Même si au début elle était vexée, Vanessa a compris avec le temps que ce n'était pas personnel.
Les slogans qui pullulent sur les affiches publicitaires le long de son itinéraire tendent à lui donner raison : "Prenez soin de votre coeur, il est fragile."
Juste à côté, d'autres affiches font la promotion d'une agence de recouvrement : "Coeur brisé? Venez le faire réparer." Les jauges ne peuvent être réparées que par des spécialistes.
Nathan s'arrête devant une boutique spécialisée en affaires du coeur : jauges plus grandes, ou en format de voyage, amour supplémentaire pour les malheureux comme celui ayant été emporté au poste de police... il y a de tout pour plaire aux amoureux avides.
Cela dit, l'amour s'achète au prix fort.
Le marché est florissant depuis si longtemps maintenant que plus personne ne sait ce que c'est que d'aimer sans compter, voire même qu'il fut un temps où l'amour était gratuit.
Dépassant le complexe pour rejoindre la ruelle, Nathan regarde de tous bords avant d'y disparaître. Il ressent un serrement dans sa poitrine chaque fois qu'il vient ici, entre deux et trois fois par semaine.
Il n'a pas le choix.
Au fond, il frappe à une porte en métal. Une petite trappe s'ouvre.
— C'est pour quoi?
— Un don.
— Je vois pas de quoi vous voulez parler.
— L'amour est infini.
Silence.
— Combien?
— Trois-quart.
Nathan colle son coeur sur la porte, à la hauteur d'un petit lecteur, et le laisse se vider jusqu'au quart, là où il maintient le niveau depuis des mois. Il repart le coeur plus léger, conscient que s'il n'a pas pu aider son voisin ce matin, il aidera un autre infortuné dans le besoin.
Auteure : DerenWriter
La lune seule pour témoin
— Aram... Je crois qu'il vaudrait mieux que tu ne viennes plus me voir à partir de ce soir.
— Pourquoi dis-tu ça ?
Devant la tête basse et mutique de la jeune femme, le sillon entre ses sourcils se creusa un peu plus. Il venait de comprendre.
— C'est à cause de ton clan, n'est-ce pas ?
Elle acquiesça tristement, les bras croisés sous sa poitrine.
— Tu ne dois pas t'en faire pour moi, Erin. Je suis un traqueur, j'ai reçu une excellente éducation militaire. Je saurais me défendre s'ils m'attrapent.
— Non, s'il te plaît-
— Cesse donc de te tracasser ! Je me fiche éperdument des risques que je peux encourir ! Je-veux-te-voir et ça, rien ni personne ne pourra m'en empêcher.
— Aram... souffla-t-elle avec peine.
— Allons, suis-moi, lui dit-il d'une voix douce tout en se saisissant de ses deux mains.
— Où ça ?
— Si tu arrives à me suivre, tu verras bien, fit Aram avec un clin d'œil taquin.
— Dois-je te rappeler que tu t'adresses à une elfe-noire ‽ ironisa Erin. Je suis bien plus rapide qu'un elfe, alors que dire pour un être humain ?
— Ah ouais... ? Ben c'est c'qu'on va voir ! lança le jeune homme sur un ton de défi en se mettant aussitôt à courir.
Surprise autant qu'amusée par son attitude enfantine, elle marqua un temps d'arrêt et rit doucement avant de s'élancer derrière lui. Étonnamment, il parvint à la semer tel qu'elle le perdit rapidement de vue dans les sentiers rocheux.
— Aram... ? héla-t-elle, légèrement inquiète.
Mais devant l'unique réponse du silence, elle réitéra ses appels tout en escaladant agilement de hautes roches. Une fois qu'elle fut arrivée au sommet, la lune se leva, illuminant la crête des montagnes au loin, et argentant la surface de l'eau en contrebas. Avec un certain soulagement, elle aperçut une silhouette se découper sur le disque lunaire.
Il était là, debout au bord du vide, parfaitement immobile, les orteils en surplomb des rochers. Rien ne bougeait hormis sa chemise de lin, dont le tissu se tendait et se relâchait au rythme de sa respiration haletante.
Après quelques secondes, Aram se tourna vers elle, lui offrant un sourire chaleureux et sincère. Les joues légèrement empourprées, Erin s'approcha de lui pour attraper délicatement la main qu'il lui tendait. Elle était chaude et incroyablement douce, – en dépit des heures d'entraînements qu'elle essuyait chaque jour. De son autre main, le jeune homme lui saisit la taille et vint doucement l'attirer contre lui. Erin le laissa faire, docile et vint poser sa main libre sur son épaule robuste. Ils entamèrent alors quelques pas de danse timides sous la bienveillance de l'œil lunaire, en rythme avec la symphonie des bruits nocturnes. Leurs tournoiements appelèrent bientôt une fine brise, chargée des effluves et des senteurs de la sylve environnante, qui s'amusa un moment à jouer dans leurs sombres chevelures avant de les laisser en intimité.
Après une énième valse, ils s'arrêtèrent enfin à quelques mètres du rebord de la falaise. Doucement, Aram se pencha en avant et susurra à l'oreille pointue d'Erin :
— Prête ?
Ses yeux en amende, bleu émaillé de vert, la fixèrent si intensément qu'elle en perdit ses mots. La bouche légèrement entrouverte, sa seule réponse ne fut qu'un petit hochement de tête, mais suffit à soutirer au jeune homme un tendre sourire.
— À trois, murmura-t-il, avant de lancer le décompte sur la même verve. Un... Deux... Trois !
Ils s'élancèrent à toute allure, mains jointes, jusqu'à ce que le sol se dérobe sous leurs pieds. Durant les quelques secondes de leur vertigineuse descente, ils eurent la sensation grisante de voler. Enivrés par la vitesse, ils se laissèrent aller au plaisir du vent qui s'engouffrait dans leurs vêtements et dans leurs cheveux, les empêchant presque de respirer alors qu'ils hurlaient leur joie. Le sifflement de l'air fut bientôt couvert par le rugissement de l'eau pénétrant dans leurs oreilles.
Les pieds d'Erin furent les derniers à toucher le fond et elle mit un moment avant de remonter à la surface. Lorsqu'elle sortit enfin la tête de l'onde, faisant voler des milliers de perles d'eau glacées, elle aspira de profondes goulées d'air nocturne. Tout en cherchant Aram du regard, elle écarta de ses mains les quelques mèches mouillées collées sur son front et ses tempes. La lueur de la lune miroitait sur les parois de calcite humides. Sentant soudain quelque chose tapoter son épaule, elle se retourna vivement et vit un Aram tout grimaçant. Tous deux pouffèrent avant d'éclater en un rire complice et libérateur. Une fois calmés, elle lui jeta un coup d'œil, semblant attendre une réponse à une question muette.
— Je t'aime, Erin.
À ces mots, elle ouvrit de grands yeux surpris. Il semblait aussi bien lire dans ses pensées qu'elle dans les siennes. Erin sourit et lui répondit en murmurant :
— Moi aussi... Moi aussi, je t'aime, Aram.
Alors, lentement, afin de ne rien perdre de ce magique instant, ils comblèrent la distance qui les séparait. Bientôt, leurs lèvres s'effleurèrent et leurs souffles s'entremêlèrent. Leurs bouches se rencontrèrent finalement dans un tendre baiser enflammé de passion.
Lorsque enfin ils se détachèrent l'un de l'autre, essoufflés, mais heureux, Aram vint doucement saisir la tête d'Erin entre ses mains pour coller son front au sien. Il pouvait sentir son haleine, douce et suave, caressée ses narines au rythme cadencé de sa respiration. Et puis, d'une voix très basse, comme s'il avait voulu lui confier un secret, il demanda :
— Erin... Accepterais-tu de passer le restant de ma vie à mes côtés ?
Elle seule savait ce que cela impliquerait. Mais peu lui en importait. Si l'union de son cœur à celui d'Aram devait la priver de ce privilège qu'était l'immortalité, elle ne reculerait pas ! Car, après tout, l'éternité sans amour n'en valait pas la peine... Alors, elle prononça ces quelques mots avec toute la véhémence de son âme :
— Oui, je le veux !
Et la lune seule put témoigner de la passion éternelle qui les lia tous deux cette nuit-là.
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