Sortir de sa zone de confort (2/3)
Auteure : Buecherratte_lw
Les cloches de l'église
Nous sommes le 24 décembre. C'est donc aujourd'hui, que je vais faire ce trajet.
Dans les dernières trente années, j'ai pris ce chemin avec différentes personnes et des états d'esprits changeants. Une fois, je suis venue avec tous mes amis, puis les fois d'après avec ma sœur, puis finalement, je venais surtout toute seule, parfois accompagnée par mon fils, ma fille, puis plus-tard, mes petites filles. J'ai toujours préféré venir seule, profiter du calme afin de trier mes pensées. Toutefois cela ne me gêne pas de venir avec mes chères. Cela me fait même plaisir souvent.
Quand j'étais jeune, le trajet me paraissait court et long à la fois. J'avais hâte d'arriver au but, en ralentissant avec chaque pas pour retarder mon arrivée. Aujourd'hui, je connais le chemin par cœur, et je sais qu'il est court, mais long dans l'esprit.
J'observe mon fils sortir mon déambulateur rouge du coffre, puis il m'aide à sortir de sa voiture grise. En famille, nous attaquons la petite montée qui mène à un escalier de douze marches. Chaque année, j'ai l'impression qu'elle devient plus longue, et chaque année, je me dis que c'est peut-être la dernière fois. Au moins, depuis dix ans, le chemin est goudronné, cela facilite mon avancée, même si la neige recouvrant les alentours présente un grand risque de glissade. Entourée de mes êtres chers, j'avance à un rythme régulier. Je sais qu'ils ont ralenti le leur pour s'adapter au mien, et je leur en suis reconnaissante.
Avec difficulté, je monte la première marche grâce à mon fils qui me prête main-forte en tenant mon coude endolori.
Depuis deux ans, j'ai du mal à plier mon genou gauche, pour éviter de tomber, je monte donc d'abord mon pied droit, puis le gauche, puis seulement à ce moment-là le droit sur la prochaine marche. Arrivée en haut de l'escalier, je sens la fatigue m'envahir, mais je me dois de continuer. Je ne peux pas faire demi-tour aujourd'hui !
À notre droite, à notre gauche, de tous nos côtés, j'aperçois les poinsettias rouges en fleurs. En avançant, j'en distingue quelques blancs, cependant avec la nouvelle neige, ils ressortent à peine. Par rapport, les nombreux rayons jaunes provenant de bougies attirent mon regard. Il est encore assez tôt dans la journée, toutefois l'obscurité de l'hiver reste omniprésente malgré les quelques rayons de soleil se reflétant dans la neige. Les éclats de lumière se baladant à travers la multitude de fleurs donnent toujours un air mystérieux à cet endroit, comme si des petites fées étaient passées par ici, pour colorer l'hiver.
Mes yeux sont distraits de mes environs, mais pas mes pieds. Je me laisse guider par ceux-ci. Alors que nous empruntant un embranchement à droite, je remarque que tout le monde a arrêté de parler, même mes deux petites-filles, d'habitude pourtant bien bavardes. Nous sommes proches de notre destination, elles doivent le sentir.
Je sais qu'à la prochaine poubelle rouillée, nous devons tourner une dernière fois à droite. Fatiguée, j'aperçois avec soulagement ce que la plus jeune de notre famille aime appeler le mamibanc. Doucement, en faisant attention de ne pas glisser, je m'assois. Je remarque que la peinture a été refaite, il n'y a pas longtemps, même en quittant mes gants fourrés, je ne risque donc pas de me retrouver avec une écharde.
C'est à ce moment que mes yeux se posent sur mon endroit préféré.
En regardant au-dessus de cette pierre que je connais trop bien, j'aperçois l'ancien bar dans lequel nous avons passé notre premier rendez-vous. Les rayons de lumière transformés par les verres sombres, me rappellent son ambiance chaleureuse qui nous a attirés dans ses bras de nombreuses fois au fil des années.
En froissant les yeux, je me dis que j'arrive même à voir le salon de ma cousine, où je m'étais aperçu que tu avais jeté ton dévolu sur moi. Je me vois encore assise sur son fauteuil vert déjà démodé à l'époque à attendre l'arrivée de son copain pour partir au cinéma. Vous étiez rentrés en même temps, et le regard amusé que le jeune couple échangea, m'informa que cette rencontre avait été planifiée. Finalement, nous n'avions pas vu de film, mais passé la soirée à jouer aux cartes et discuter. Tu ne m'avais posé aucune question, tu t'étais contenté de m'observer avec ce sourire si charmant qui t'appartient. Il s'est définitivement gravé dans ma mémoire.
À la fin de la route, commence la forêt de chênes dans laquelle nous aimions tellement nous balader. Le bruissement du bouquet de fleurs que ma petite fille a apporté me transporte dans ces bois bien-aimés. Le vent glacial remue mes cheveux courts et il me suffit de fermer les yeux pour nous voir nous balader à deux en amoureux.
Alors que je veux m'y éterniser, j'arrive à sa fin où les champs cultivés prennent le dessus sur la nature. Les nombreux chemins de terre les traversants forment un échiquier irrégulier. Le souvenir de nombreuses journées d'été me revient accompagné de cris d'enfants. C'est sur ces passages que nous avons appris à faire du vélo à nos deux enfants. Je me demande bien, si ce grand homme qu'est devenu notre fils, s'en souvient encore.
D'un rapide coup d'œil, je vérifie qu'il est toujours à mes côtés et m'aperçoit qu'il couve des yeux sa plus jeune fille qui s'est assise sur ses genoux demandant toute son attention.
Mon doux sourire est interrompu par le bruit de cloches. Des souvenirs heureux mais aussi douloureux font surface à la pensée de l'église. Cette maison de Dieu où nous nous sommes mariées, où tu participais à toutes les activités proposées, au point même de faire chanter ton aîné peu doué pour la musique, mais où j'ai aussi dû faire tellement d'adieux ces dernières années.
Non, ce n'est pas une impression, j'entends vraiment les cloches !
Elles me font revenir au présent et j'entends mon fils prononcer doucement à mon oreille : "Maman, la messe va bientôt débuter. Il est temps de quitter papa.".
Auteure : BeatriceLuminetdupuy
Tranches de vie.
Comme chaque matin, Achille avait pris place sur le banc de pierre, sous le vieux chêne. Celui-ci avait été planté un siècle avant sa naissance. On pouvait dire qu'il avait grandi à l'abri de son feuillage.
À cette époque, sa mère posait le couffin de paille sur le banc et alors qu'il babillait, elle s'extasiait sur ses joues rondes et roses, qu'elle couvrait de baisers, et ses rares cheveux blonds. Ses sourires ne laissait entrevoir qu'une ou deux quenottes, pas plus grosses que des grains de riz.
Plus grand, il s'était pendu à ses branches, la tête en bas, sa courte toison couleur de châtaigne tombait verticalement en direction du sol et son teint virait au rouge. Ses lèvres se serraient en un unique trait incolore, alors que son nez un peu large palpitait. Ses yeux, ouverts sur l'envers du décor, il se laissait étourdir. Alors, son front plissé par l'effort, se parsemait de perles de sueur qui gouttaient sur le sol herbeux...
Jeune homme, il y avait conté fleurette aux plus jolies filles du pays. Il leur tournait la tête et elles succombaient devant sa haute stature, ses larges épaules, ses longues jambes, ses prunelles de Jais qui brillaient comme des escarboucles. Sa tignasse indisciplinée partait dans tous les sens, Son sourire était irrésistible. Il enlaçait délicatement ses conquêtes de ses bras pourtant forts et leur volait mille baisers...
Quelques années plus tard, il demandait en mariage sa chère Henriette. Vaincu par sa fraicheur, ses éclats de rires, sa façon de lui résister. Pris au piège de ses yeux verts pailletés d'or qui étincelaient dans un visage rond encadré de cheveux roux frisés. Sa vivacité d'esprit, et son physique voluptueux, acheva de le conquérir.
Il l'avait épousé six mois plus tard.
Les années passèrent, les enfants grandirent, les parents prirent de l'âge. Il y eut quelques nuages bien sûr, quelques éclats de voix, personne n'y échappait vraiment. Le garçon s'en alla travailler dans une autre région, puis ce fût le tour des filles. Les cheveux d'Henriette grisonnèrent, blanchirent, quelques rides vinrent parer çà et là, l'écrin de son visage. La beauté de son regard, si lumineux ne se ternissait aucunement, pas plus que l'amour qu'elle éprouvait pour Achille et celui-ci le lui rendait bien. Lui aussi restait robuste, solide, tel le vieil arbre sous lequel ils s'asseyaient tous les deux, lors des longues soirées d'été.
Le garçon revint habiter au village. Il ouvrit un petit magasin de fleurs, avec celle qui était déjà sa compagne, et qu'il présenta à ses parents. Elle sut les séduire. Achille la trouva magnifique, cette beauté originaire d'îles ensoleillées. Sa peau d'ébène, ses prunelles foncées, ses lèvres lippues, son corps souple à la démarche dansante. Lui qui n'avait plus regardé d'autres femmes depuis son Henriette, se surprit à penser brièvement : "Ah, si j'avais vingt ans de moins !" Il s'interdit d'aller plus loin.
Le bonheur de son fils le comblait et la jolie Rose devint sa fille. L'année suivante, les jeunes gens donnaient à Henriette et Achille leurs premiers petits-enfants. Des jumeaux au teint caramel.
Les filles restèrent au loin, mais se marièrent aussi. Cinq petits-enfants supplémentaires s'ajoutèrent au bonheur du vieux couple.
Les années s'écoulèrent inexorablement, puis un orage frappa le cœur d'Achille. Henriette tomba malade. L'infection fit fondre sa chair, émacia son visage, assécha ses lèvres et rendit ses cheveux ternes. Même ses yeux si magnifiques n'avaient plus d'éclat. Elle s'éteignit un jour d'avril, les oiseaux chantaient, l'arbre devant la maison éclatait en bourgeon et le ciel était bleu. Il pleuvait dans le cœur d'Achille. Les larmes se répandirent sur ses joues parcheminées, son visage se figea et son sourire, tout comme celui de sa bien-aimée, perdit sa lumière.
Le vieil homme sortit de ses souvenirs, quand une voix s'adressa à lui. Il s'agissait de l'une de ses petites-filles. Elle avait déjà vingt ans. Il tenta de se rappeler son prénom, en vain. Depuis quelques temps, sa mémoire ne lui restituait que les images du passé. Il la contempla, sa peau pain d'épice l'interpella, ainsi que ses yeux sombres et son allure souple. Il sourit et s'exclama : " Tu es la fille de Rose, n'est-ce-pas ? "
Sans se départir de son sourire, elle acquiesça avant d'ajouter : "
Il est l'heure de déjeuner grand-père !" Elle lui offrit l'appui de son bras. Il accepta volontiers, se leva, reprit sa canne en main et doucement, ils prirent le chemin de la maison familiale.
Un vent léger fit frémir les feuilles du vieil arbre, qui avait vu tant d'années défiler. Un rire résonna dans l'air. Achille arrêta sa marche, se retourna lentement. Un vague sourire fendit son visage ridé, son regard brilla, il murmura : "Henriette". Son cœur se mit à danser...
FIN
Auteure : Dragoness_Blue
Survivre
- Où es-tu ?
La voix, chantante, mielleuse, résonnait dans les sous-bois emplis de ténèbres. Le maigre croissant de lune ne parvenait guère à pénétrer dans les profondeurs de la forêt, laissant le sol plongé dans l'obscurité. Les silhouettes des arbres étaient frêles et squelettiques – ils tendaient leurs longs bras crochus, retenant tout être assez fou pour se trouver à leur porter. Entourés d'un épais brouillard ne permettant pas de voir où l'on pose ses pieds, ils surgissaient de nulle part, effrayants, arrachant des bouts de vêtements, des fragments de vie, s'emparant des émotions pour n'en laisser plus qu'une, la peur.
- Où es-tu ?
Telle une procession funèbre, régulière, la voix avançait, portant ces quelques mots toujours plus loin, forçant sa proie à s'enfoncer encore plus profondément dans la noirceur.
Un bruit de chute. Un cri étouffé. Des branches mortes qui craquent. Une course effrénée reprenant précipitamment – tentant vainement de fuir, de survivre. Une minute de plus. Une seconde de répit. Un instant pour récupérer. Avant de repartir, accélérant sans cesse tandis que son poursuivant se rapprochait, un peu plus à chaque moment.
- Où es-tu, ma jolie ?
Sa bouche entrouverte aspirait frénétiquement l'air, elle cherchait à reprendre son souffle, sans jamais en avoir le temps. Ses bras, écorchés, écartaient furieusement les branches pour se créer tant bien que mal un passage. Ses habits, en piteux état, ne la protégeaient plus. Ses jambes, fatiguées, tenaient encore droites, debout, mais pour combien de temps ?
Elle cligna des paupières. Ses yeux peinaient à voir les obstacles, ils ne la guidaient plus que laborieusement. D'un geste las, elle essuya son front couvert de sueur.
- Où es-tu ?
Un frisson glacé parcourut son dos, sa sueur froide coula le long de sa vertèbre. Sa respiration se fit encore une fois courte, elle s'élança, trébuchant sur les racines. Il fallait qu'elle trouve de l'aide, mais si elle appelait, il la repérerait et c'en serait fini. Alors elle courait, à en perdre haleine, se blessant sans fin, encore et encore, cherchant une sortie à cette forêt macabre, ne voulant pas que ce lieu devienne son tombeau. Jamais auparavant elle n'avait senti son cœur battre si fort, ses émotions s'emballer autant. Elle avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'elle était entrée dans ce lieu de malheur, elle était incapable de se rappeler des souvenirs positifs, heureux. Il n'existait plus que la peur, que dis-je, la terreur dans son petit corps d'humaine – si fragile. L'effroi la maintenait en vie, la faisait continuer à avancer, toujours plus loin, sans faire de pause. Elle avait bien conscience que si elle s'arrêtait, elle mourait.
- Petit oiseau, où es-tu ?
Seul le bruit de ses pas à elle – irrégulier, pressé – lui parvenait. Pas un volatile ne chantait, pas un animal ne se promenait, pas un souffle de vent ne l'accompagnait. Il n'y avait qu'elle, la proie, et lui, le chasseur.
Ses jambes cédèrent sous elle. Tombant brutalement en avant, elle roula le long d'une pente abrupte, tournant sur elle-même – une fois, deux fois, cinq fois, dix fois. Sa tête heurtait le sol à chaque roulade, brutalement. Des branches lui tailladaient le visage. Ses chaussures aux semelles décollées s'en allèrent, perdues dans les ténèbres. Elle n'avait pas de chaussettes. Et sa descente incontrôlée s'arrêta, abruptement. Elle grimaça, sans un son. Sa tempe saignait, elle sentait son sang chaud couler le long de sa joue.
- Où es-tu ?
Il s'amusait, elle le savait. L'épouvante la prit aux tripes, lui retourna l'estomac. Un goût de bile envahit sa bouche. Hâtivement, elle se releva, voulant repartir le plus vite possible, le distancer, survivre. Un cri lui échappa.
- Je t'ai entendue !
Sa jambe formait un angle étrange. Elle était sûre que ce n'était pas normal. En essayant de la reposer par terre, une douleur insoutenable remonta dans tout son corps, la paralysa – elle l'empêcha de penser, de réfléchir, de respirer. Elle se figea complètement, se mordant brutalement la lèvre jusqu'au sang pour s'empêcher d'hurler. Sa mâchoire lui faisait mal, sa gorge était sèche, ses muscles cruellement tendus, tout en elle l'injuriait, lui disait qu'elle était à bout. Pourtant, son désir de vivre était encore là, plus fort que la douleur, plus fort que l'horreur. Elle fouilla autour d'elle, cherchant un bâton, un appui, une aide, quelle qu'elle soit.
- Je sais que tu n'es plus très loin, petit oiseau blessé.
Non, celui-là ne ferait pas l'affaire. Non, celui-ci était trop petit. Trop grand. Trop lourd. Et celui-là ? Il se cassa en deux dès qu'elle appuya dessus. Il approchait, elle le sentait. Allez, elle devait avancer, ne serait-ce qu'un peu. Il fallait qu'elle aille plus loin, là-bas, fuir jusqu'à ce qu'il ne puisse plus la suivre. D'ailleurs, suivre qui ? Qui était-elle ?
Elle se frappa le front de sa paume. Qu'importe son identité à elle, ce n'était pas le moment de s'interroger. Pour le moment, elle devait fuir. Elle devait survivre. Oui, c'est ça, survivre. Le reste attendrait.
Parfait, ce bâton ferait l'affaire. Se relevant, elle entendit une branche craquée près d'elle. N'hésitant pas un seul instant, elle partit, clopinant aussi vite qu'elle le pouvait malgré la douleur. La souffrance tordait ses traits, son sang coulait de partout, des points blancs dansaient dans sa vision, tellement déplacés dans cette sombre forêt morte. Elle vit une trouée, un espace dégagé entre les arbres. Serait-ce la fin de ces bois, aurait-elle réussi à atteindre la limite des arbres ?
L'espoir fit battre son cœur plus vite. Un sourire se dessina sur ses lèvres, la peur céda la place à la joie. Elle y était, elle allait enfin pouvoir sortir de ce lieu maudit.
Une main glacée se posa sur son épaule. Elle sursauta, son bâton échappa à sa main, faisant un bruit sourd tandis qu'il heurtait durement le sol. Un souffle froid frôla son cou, la faisant frissonner toute entière. Puis une voix, chantante, mielleuse, lui dit doucement à l'oreille :
- Je t'ai trouvée.
Auteure : Em_esse
Le don
— On reprend!
Je roule des yeux en regardant ma mère. Je ne pouvais pas être normale comme les autres, non! Le jour de mes 21 ans, j'ai su que je faisais partie d'un des plus vieilles confréries liées à la magie de San Francisco. Le « don », comme l'appelait ma mère, descendait de mère en fille depuis des générations.
— Dis maman, est-ce que tu m'enverras à Poudlard si je réussis? demandé-je sarcastique.
— Justine, concentre-toi au lieu de dire n'importe quoi.
Plusieurs soupirs plus tard, je répète l'incantation, mais sans vraiment y croire. Pas étonnant qu'il ne se produise rien, quoique les sueurs froides que me procure le regard glacial de ma mère sont plutôt éloquentes. Grande, mince, distinguée, Madeleine portait la quarantaine comme on porte un bijou dispendieux. Dans les faits, ma mère est la seule personne qui me reste et elle a toujours voulu ce qu'il y a de mieux pour moi.
J'ai finalement compris pourquoi il n'y a pas si longtemps. Le pire dans tout ça, c'est que je me suis toujours sentie différente des autres. Plus jeune, j'étais en mesure de prévoir les événements, sans vraiment en comprendre la raison et j'avais aussi la chance, si on peut parler de chance, que les morts viennent me visiter.
— Et tutti quantum celera...
— Tu dois y croire et y mettre du tien Justine!
Pouf... Un petit nuage de poussière retombe doucement sur la table et j'entends ma mère grogner. Je n'ai jamais forcé pour ce don et ce n'est pas aujourd'hui, parce que j'ai 21 ans que j'ai changé d'avis. Ma mère prend une grande inspiration et récite une nouvelle formule :
— Advinem tebre locacious...
Un portail prend lentement forme. À l'intérieur, je vois une douce lumière qui semble diffuser de la chaleur. Ma mère m'invite à y entrer et comme je fais un peu n'importe quoi depuis une heure, je n'ai pas intérêt à la contredire. Je m'avance, y touche à l'aide de mon doigt et celui-ci disparaît de l'autre côté.
— Vas-y Justine, c'est sans danger, me dit ma mère.
— Sans danger, sans danger. Je te signale que la semaine dernière, j'étais encore une jeune adulte normale, réponds-je.
Je me décide à y mettre le pied et comme par magie, je suis happée dans le portail. Contrairement à ce que j'aurais pensé, je n'ai pas peur, tout ce qui m'entoure semble empli de bienveillance. Je sens... des âmes, des âmes chaleureuses qui me sourient.
— Ce sont tes ancêtres, souffle la voix de ma mère.
Je sursaute violemment, ne l'ayant pas entendue arriver. Bercées par la lumière ocre, ces âmes flottent autour de nous et nous regardent en souriant.
— Ton pouvoir vient d'elles Justine, c'est en elles que tu puises ta force.
Mon regard accroche cette pièce lumineuse faite de pierre et étonnamment chaude. Elle est grande et les plafonds sont si hauts que je n'en vois pas la fin. Je suis bien parmi toutes ses femmes, mes aïeules et je sens leur force s'entremêler à la mienne, puis, quelques instants plus tard, je suis de retour à la cuisine avec maman.
— Réessaie maintenant ma chérie, m'encourage ma mère.
Je prends une grande inspiration et me concentre avant de répéter l'incantation.
— Et tutti quantum celera!
Quelques secondes se passent, probablement les plus longues de ma vie et finalement, une constellation d'étoiles étiolées prend forme sur les murs de la cuisine. Maman et moi sommes transportées dans une galaxie créée de toute pièce par mon don.
— Tu vois quand tu t'y mets.
— Ouais, ouais, ouais, c'est bon là, je sais.
Je me concentre encore quelques instants, puis nous revenons doucement dans la cuisine.
— Tu as encore plusieurs choses à apprendre Justine, mais c'est déjà beaucoup mieux.
— T'as fait exprès hein?
— Exprès?
Je lui souris, coquine.
— De me présenter les filles, tu savais qu'en les voyant, ma fibre familiale allait vibrer et que ce serait plus facile pour moi d'y arriver. T'es mesquine en vrai, rigolé-je.
*
Ce soir-là, plusieurs d'entre elles sont venues me visiter en rêve afin de me raconter leur vie et leurs histoires. Chacune, à leur façon, m'ont permis d'évoluer et depuis ce jour, je chéris ce don précieux qui explique ma différence et qui fait que je suis moi.
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