+61 - Joséphine
écouter avec du woodkid - where I live - conquest of spaces - the great escape - golden age
Douce ballade dans les bois, sensation d'une frivole liberté. Le vent s'abandonne à ses pieds, souffle dans les feuilles, crie dans les recoins d'une grotte. Les yeux se ferment et laisse la place aux oreilles. Il faut savoir écouter les bruits de la nature. S'élever en même temps que les arbres, doucement, régulièrement. Et puis soudain faire éclore le fruit de la méditation en une explosion de sens.
Ce qui rend la vie plus vivable ne vient que de toutes ses manifestations.
C'est ce que pensait la vieille personne qui marchait ici dans la mousse de la forêt. Un être en communion parfaite avec ce qui l'entourait. Elle avançait du mieux qu'elle pouvait à travers la végétation, clopin-clopant. Ses mains croisées serraient fermement le pommeau de sa canne. Telle une ancienne force de la nature, une flamme qui peu à peu s'endort, elle accomplissait sa marche vers son sanctuaire. Son pèlerinage était difficile et il fallait une grande détermination pour oser demander à ses jambes un si grand effort. Au fond, le sacrifice en valait bien la peine.
Des feuilles tombaient et recouvraient parfois ses épaules, cachant des petites parties de son châle. C'était une écharpe, en vérité. Très abîmée, trouée, des fils sortaient en nombre de leur trame. Mais, incontestablement, elle n'avait pas perdu de son aura pour la vieille dame. Un grand sentiment s'emparait d'elle quand elle passait ses doigts à travers, causant encore plus de trous. Tout cela bien-sûr était hautement symbolique. C'était sa tapisserie du destin à elle. En souriant, elle pensait qu'elle était devenue sa propre Moire. Une réussite en soi.
Elle s'était arrêtée un instant pour repousser les feuilles mortes et ainsi toucher l'étoffe. Un soupir presque heureux était sorti de ses poumons. Ses yeux, elle les rouvrit et observa encore le paysage qui s'offrait à elle. C'était un paradis personnel.
Elle reprit sa marche, avec la même allure. Si quelqu'un, tout près, avait tendu l'oreille, il aurait peut-être entendu le bruit de trois pas frappant le sol, chacun à leur tour. Le son, pur et véritable, de la force.
A l'intérieur d'elle même, elle se sentait fatiguée. Mais brave comme elle était, elle continuait car elle savait qu'il le fallait, pour son propre bien. Son âme en avait besoin comme d'un baume réparateur. Seule cette marche pouvait lui donner ce dont elle avait besoin à présent. La liberté, dans un monde qu'elle ne comprenait plus. L'insouciance, dans un monde où les guerres qu'elle avait livré avaient brisé toute sorte de candeur. Et la sagesse, enfin, dans un monde où tout est si rapide et impulsif. Toutes ces valeurs qu'elle risquaient de lâcher définitivement, si elle ne faisait pas attention. Dans l'agitation de la société, elle sentait son cœur tourbillonner et à force elle en avait la nausée.
De la musique sur son chemin, toutes sortes de chœurs puissants et imposants. Craquements de branche, bruissement de feuilles, pas veloutés de mammifères, piaillements de moineaux, respiration profonde de la nature réunis ensemble. Une grande force qui emplit les poumons, le corps entier, qui fait balancer la tête en arrière.
Toute sa vie, elle a attendu le soleil et maintenant elle peut en ressentir la chaleur à travers la légère canopée. Puisqu'elle savait que la fin arrivait bientôt, qu'elle avait épuisé ses mots, elle pouvait enfin se libérer d'une vie.
Dans ses bras frêles, elle portait un fin bouquet de houx et de bruyère en fleur. Un dernier symbole pour une dernière visite.
Elle se lança presque à l'assaut de la large clairière, son ultime but. Elle écarta les fougères sur son passage, d'une main impatiente. Maintenant qu'elle arrivait, elle se sentait bouillonner de l'envie d'en finir. Elle passa la rangée d'arbre qui la séparait de la lumière.
C'est à cet instant qu'elle ressentit pleinement la grandeur du soleil. Vital, dangereux, chaleureux et destructeur. Elle se permit de le regarder, pour la première fois, comme si elle voulait percer ses couches de gaz jusqu'à son noyau. Une ultime insolence au roi des cieux pour dire que la vie a toujours été en elle, malgré tout. Et aujourd'hui alors qu'elle allait la quitter, elle se sentait plus que jamais humaine. Tout ce qu'elle avait raté se trouvait ici.
Éblouie, elle baissa ses yeux noisettes sur le sol. Elle soupira, c'était bien là. La stèle était simple mais à l'image de son défunt. Deux branches, une de chêne, une de bouleau ornaient le haut de la pierre et une simple phrase était inscrite. Et le jour pour moi sera comme la nuit.
Elle tomba à genou sur la mousse et le bouquet trouva sa place instinctivement à côté des autres, fanés. Elle savait qu'il l'attendait et elle s'en languissait. Le jour était venu pour elle de le retrouver, après tant d'années de séparation. Son dos devenait de plus en plus courbé, elle sentait l'inconnu s'insinuer en elle.
Elle murmurait quelque chose, une litanie, un chuchotement précis.
Demain...
Demain... Dès l'aube.
J'irai par la forêt.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai...
Les yeux fixés sur mes pensées
Sans rien voir au dehors...
Sans entendre aucun bruit.
Non...
Non, mon ami...
J'ai tout ressenti, je t'assure, j'ai tout
r e s s e n t i.
Enfin.
Je suis partie après avoir goûté à tout.
J'ai expérimenté chaque petite chose en ton absence
J'ai ressenti l'adrénaline.
Je pense que je suis pleine de sentiments nouveaux.
J'ai tellement de choses à te raconter
Maintenant, mettons les voiles vers Harfleur.
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