Un Jour sur Terre
Programmés, nous savons dès notre naissance le temps qui nous est imparti pour vivre. Vivre est un trop grand mot. Servir serait plus juste. Servir ce monde injuste.
Nous possédons tous un jour. Un jour pour faire ses preuves, un jour pour nous échiner au travail. Un jour pour être esclave, un jour pour satisfaire nos maîtres. Si nous sommes de loyaux chiens prêts à mourir pour la Famille, nous pouvons vivre plus longtemps.
Mais c'est à la Famille de décider, et la Famille est seule juge. La plupart des miens meurent au bout de vingt-quatre heures, tués par le temps.
Mon nom est X0ta. Je suis né il y'a un peu moins de deux secondes. Mais je connais déjà tout ce que je dois savoir. Les satisfaire ou mourir.
Autour, mes frères et sœurs, nés au même instant que moi. Nous sommes deux-cent. Pas un bruit, nous savons déjà notre tâche pour les prochaines heures. Nous nous levons de nos sites d'activation, saisissons nos habits dans les différentes armoires dans l'immense pièce. La lumière crue des néons fait paraître plus claire ma tenue verte. Je l'enfile, et sors de la chambre -si je peux l'appeler comme ça. Je me dirige ensuite vers le bureau de présence. Le plan de l'immense manoir, de son jardin et de sa serre est implanté dans ma mémoire.
Un des miens est assis derrière un imposant bureau. Sa main tatouée du symbole de la Famille, un loup, attrape un stylo. Ses yeux bleus, presque blancs me fixent et sa coupe militaire me déstabilise. Je savais l'apparence des serviteurs, mais ces yeux pénètrent au plus profond de mon âme. Pourtant j'ai les même. Mais mes cheveux blonds m'arrivent aux épaules et je ne possède pas la marque.
- Je suis X0ta. Ma tâche est de m'occuper des fleurs dans la serre.
Il hoche la tête, marque mon nom et mon travail. Je m'apprête à repartir mais sa voix m'arrête.
- Vu ton travail, espère pas t'en tirer.
- Personne n'espère s'en tirer.
- C'est bien vrai, j'ai eu juste de la chance.
Mais soudain, il braque ses yeux dans les miens.
- Gamin, ça c'est pas une vie. Faut qu'y'en ai un qui se révolte, qui dise non. On est pas des machines ! ils nous manipulent !
Je proteste :
- Mais la Famille est tout, elle nous a créée, nous ne pouvons pas lutter !
L'homme secoue la tête.
- C'est ce qu'ils essaient de te faire croire, ils sont comme nous au fond. On est tous pareils ! Il soupire, indécis. Pars maintenant ! fais tes vingt-quatre heures pourries si ça te chante !
Je recule de quelques pas, et m'enfuis du bureau. Serais-je quelque chose ? Serais-je égal à la Famille ou même supérieur ? Je secoue la tête. Une journée n'est déjà pas beaucoup. J'amenuise mes chances de passer au-delà si je raisonne comme un félon.
Les marches défilent et m'amènent dans le majestueux jardin du manoir. Des hommes taillent haies, buissons et fleurs. Ils sont concentrés sur leur besogne. Après tout, même si la Famille a accepté qu'ils vivent plus d'un jour, elle peut leur retirer la vie quand elle le souhaite.
Au bout d'une centaine de mètres, la serre m'accueille. Une brume fine déverse sur moi une humidité et une chaleur étouffante. J'enfile les gants posés sur les étagères et prends les produits pour les plantes.
Après plusieurs heures passées à pouponner les plantes, je prends une pause et m'extirpe du bâtiment. Epuisé, je m'assieds sur un banc et je retrousse mes manches. Sur mon poignet droit brille des chiffres. 17 : 55 : 48.
La sueur coule de me front, et je l'éponge d'un geste las.
Un bois entoure la propriété. Un très grand bois même. Des pépiements d'oiseaux et les bruissements des branches me proviennent de la forêt. Le ciel est bleu, une légère brise souffle en cette fin d'après midi. Mes yeux se ferment, mon esprit s'évade.
Et soudain je comprends. Je ne suis pas obligé de faire ce qu'on m'a assigné. C'est ma vie, mes choix. C'est à moi de décider de rester là, de quitter cet endroit, de m'enfuir, de me révolter. Ma nature propre n'est pas d'obéir mais de vivre. Je suis libre, sans contraintes, ni limites.
Mes pensées vagabondent, et ma personne aussi, au plus profond de la forêt. L'obscurité s'épaissit, mais mon pas demeure assuré.
Lorsqu'une clairière apparaît, je m'arrête, ébloui. Je l'ai trouvé. L'endroit qui me reflète, m'apaise et m'attire. Les hautes herbes et les fleurs colorées ploient sous mes pas, et je m'installe par terre. Au plus profond de moi, je le sais, je suis en paix.
De longues heures passent, mais la lassitude et l'ennui ne m'effleurent pas. Les yeux mi-clos, j'écoute les bruits de la forêt. Mais les minutes tournent, il ne me reste plus beaucoup de temps. J'ouvre les paupières et fixe mon poignet. Cinquante secondes.
Mon corps reste de marbre, ma respiration est calme. Aucun regret ne viendra hanter mon cœur à la seconde fatidique. Je pense à cet homme ce matin, qui me racontait qu'il fallait prendre les armes. Mais ma révolte, c'est d'être libre, et en paix.
00 : 00 : 00.
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Cette nouvelle a été faite pour les joutes wattpadienne de Emaneth avec 3 citations chacun. Nous devions en choisir une et j'ai choisi « vous n'avez qu'un jour à passer sur Terre, faites-en sorte de le passer en paix »
Pour les lecteurs du « Le Marchand de Bonheur » vous avez pu remarquer que j'explore la même idée d'une révolte douce, d'une manière peu conventionnelle...
Bref à une prochaine fois !
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