Le Révolutionnaire
Je ne dois rien leur dire. Rien. Même s'ils me font subir les pires horreurs, je ne flancherai pas. Pas cette fois.
J'ouvre les yeux. Je suis assis par terre, adossé contre un mur. Ils m'ont placé dans une pièce blanche, aucune fenêtre, aucune porte visible. Pas de meubles, pas d'horloge. Je comprends soudain. Torture mentale. Pourrais-je résister à la folie ?
Mon regard s'arrête sur les feuilles posées au milieu de la salle, accompagnées de feutres rouges.
Ils veulent que j'écrive le nom de mes acolytes.
Ces feuilles me rappellent mon ancienne carrière d'artiste, et deux doux visages me reviennent en mémoire. Avant que tout ne dérape.
Je serre les poings. Ils m'ont peut-être attrapé mais ils ne tireront rien de moi, pas question ! Je me lève en hâte. Mes mains tâtent mes habits, à la recherche de la poche secrète. Mais ce ne sont pas mes vêtements. Découragé, je laisse retomber mes bras.
Mon précieux cyanure ne me délivrera donc pas de mes souffrances.
Déterminé malgré tout, je me rassois et observe du coin de l'œil les feuilles. Elles ont un autre sens. Elles sont un message, je le sens dans ma chair.
Veulent-ils me rappeler mon passé, et ainsi me faire craquer ? Non ce genre de manigances ne marchera pas.
Si avant, j'étais incapable de supporter la vue du sang, je me suis endurci quand je suis entré dans le rang des opprimés. Farouche, j'ai monté les échelons, mon nom s'est inscrit sur tous les murs, à la peinture rouge.
J'ai un rôle, une mission. Je ne peux pas les abandonner.
Mourir en martyre n'est pas ce que je veux, le gouvernement étoufferait l'affaire.
Non, je dois ressortir vivant de cette pièce. Mon regard est de nouveau attiré vers les copies. Je ferme les yeux. J'attends. J'attends qu'une occasion se présente.
Ma main caresse les hautes herbes et les fleurs sauvages. Un vent puissant balaie les arbres aux alentours et la quiétude du lieu est rompue. Apparaît devant moi une femme sublime dans une robe blanche.
- Laetitia !
Je cours vers elle, tend les bras, mais ils ne traversent que le vide.
- Edward. Les feuilles.
Je me retourne, ma femme me supplie du regard, de me souvenir, de réussir.
- Les feuilles sont la clé.
Mon bras se tend à nouveau vers elle et je gémis.
- Laetitia...je suis désolé, tellement désolé.
Elle dresse une main fantomatique et m'effleure la joue. Ses lèvres essayent de prononcer un mot mais seule une écume rouge en surgit. Horrifié, je recule. Du sang gicle de ses yeux devenus vides et ses lèvres bougent sans qu'aucun son ne jaillisse.
Le cauchemar s'éclate et je me redresse en sursaut. Les dernières images sont ancrées dans ma rétine.
- Les feuilles ! Les feuilles sont la clé !
Je me rue sur les pages et débouche un stylo en hâte. Une certitude s'est imposée dans mon esprit. Tout ce que je dessinerai deviendra réalité.
La pointe du stylo rouge s'arrête à quelques centimètres de la surface. Mais que dessiner ? Le désespoir m'envahit.
Sans réfléchir ma main s'est animée et je relève le stylo. Le dessin, un ours en peluche scintille un instant. Une lumière intense surgit de la feuille et je me cache les yeux, aveuglé.
Le dessin est apparu. La feuille et le feutre se sont évaporés.
En un geste, je saisis la peluche et palpe le nœud rose sur l'une des oreilles. Les larmes me montent aux yeux et je les réprime avec peine. Cet objet me rappelle trop ma fille.
Saisi de rage, je jette l'ours contre un mur. Un bruit sourd retentit et l'objet s'affale au sol.
Je contemple les pages. Mais que dois-je faire ?
Le regard suppliant de ma femme s'impose et je crie de frustration. Je dois trouver ! Je dois m'enfuir et continuer ma mission ! Je dois les venger !
Plus jamais on ne devrait subir la torture ! Plus jamais on ne devrait voir ses proches mourir devant soi, par sa faute ! Tout était de ma faute. Tout.
Le décor tourne autour de moi. Je parviens à grand peine de me retenir à un mur, mais je chute au sol. Ma vision se trouble et mon esprit s'abandonne aux esprits qui le hantent.
Des hurlements fuitent de la salle adjacente. Affolé, j'essaie de me défaire des liens qui m'emprisonnent à la chaise. Je jette un regard désespéré à mon assaillant, qui affiche un sourire cruel.
- Je vous en supplie, épargnez-les ! Elles n'ont rien fait !
Des pleurs jaillissent de l'autre pièce, et des larmes coulent sur mes joues. L'homme devant moi appuie sa main sur mon épaule sanglante. D'un ton amical, il réplique sur le ton de la discussion :
- Dis-nous juste ce qu'on le veut. Puis on laissera tranquille ta femme et ta fille. Je te le jure.
- Mais je ne sais rien !
Paniqué, j'ai crié et je regrette tout de suite mon action. La main de mon attaquant se retire avec un sursaut de mon épaule et les traits de son visage se durcissent.
- Tu ne veux rien nous dire ? Peut-être qu'elles répondront, elles !
Il fait un signe de tête à son collègue, qui vient de sortir de l'autre pièce. L'homme, à la musculature puissante hoche la tête et prend un couteau dans un étui sur sa cuisse. Il repart d'un pas lourd.
Je me déchaine mais la corde résiste et je ne fais que m'épuiser. Des hurlements se font entendre. Je ferme les yeux, déchiré. Les noms franchissent mes lèvres.
- Georges Harling, Kalie Torth, Jessica Barg, Hugo Jiling.
Mon bourreau s'approche de moi, l'air intéressé. Il m'ordonne de répéter et j'obéis, les dents serrées. Il sourit d'un air approbateur et appelle son associé :
- Luke ! C'est bon, tu peux les tuer, j'en ai fini avec lui.
- Quoi ? Non ! Salaud, tu avais juré !
- Il faut être moins naïf dans la vie mon cher Edward. C'est toi qui as tué ta femme et ta fille en nous révélant les noms. Et ta punition, ça sera de vivre avec cette pensée.
Sa main s'abat sur ma nuque.
Roulé en boule sur le sol, je hurle de toutes mes forces. Mais rien ne s'apaise. Des marteaux martèlent mon crâne et je me traîne jusqu'au milieu de la salle. J'attrape un stylo et dessine le visage présent dans mes souvenirs. Laetitia... Des larmes brouillent ma vue et je lâche le feutre. Sans attendre que le brouillon devienne réalité, j'attrape le dernier marqueur et griffonne cette fois-ci ma fille. Je veux tellement les voir, juste un instant ! Je veux les serrer dans mes bras, et par ce miracle que représentent ces feuilles et ces feutres je le peux !
Mon mal de tête s'intensifie pourtant et j'entoure mon crâne de mes mains.
Le calvaire ne dure que quelques secondes, une petite main s'est posée sur mes cheveux.
- Papa !
Je relève la tête. Lily... telle qu'elle était dans ma mémoire. Ce sourire si innocent ! Transporté de joie je la saisis et la serre contre moi. Mais après quelques instants elle se défait de mon emprise, le regard accusateur.
- Papa...Tu nous as tuées.
Elle rejoint sa mère, qui me dévisage aussi. Je les fixe sans comprendre. Ce ne sont pas ma Lily et ma Laetitia ! Ce ne sont pas elles !
- Tu ne te souviens pas ?
La douleur dans mon crâne explose. Les apparitions devant moi disparaissent en fumée. Alors, tout me revient en mémoire.
Je n'ai jamais été un révolutionnaire. Juste un fou, un tueur. Laetitia ne m'aimait pas. Ne m'avait jamais aimé. Lily n'était pas ma fille.
J'étais prêt à la pardonner, mais elle voulait partir, elle disait que j'étais trop violent. Seulement je ne pouvais pas les laisser s'éloigner de moi. Je voulais les garder, pour l'éternité.
Leur sang a constitué ma dernière œuvre sur un mur blanc.
J'ai été interné dans un asile. Mais je ne voulais pas me souvenir. Je croyais que j'étais un révolutionnaire. Chaque fois je découvrais la vérité mais chaque fois je l'oubliais.
Cette pièce était ma dernière chance pour me rappeler. Sinon, c'était fini.
Les feuilles et les feutres sont bien réels, mais les dessins sont toujours restés sur le papier.
Un panneau secret se déverrouille. Un homme au visage doux entre. Je sais qui il est.
Hugo, mon psychiatre. Son regard fuit le mien et ses doigts s'agitent sur sa blouse blanche.
- Alors ?
Vaut-il mieux mourir en homme bien, ou vivre en monstre ? Je prends une inspiration et vocifère.
- Je ne vous dirai rien, vous entendez ? Rien !
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