Chapitre 7 Les ruines des anciens partie 1

Luna eut beaucoup de difficulté à dormir malgré la fatigue. L'air nauséabond, un lit inconfortable et son estomac vide eurent raison de son sommeil et elle passa la plupart de son temps les deux yeux ouverts. Ce n'est que près du lever du soleil qu'elle réussit enfin à trouver le repos. Mais, celui-ci ne dura pas. Aux premières lueurs du matin, une femme entra dans la petite tente de l'aventurière et elle donna un coup de bâton qui la réveilla en sursaut. L'adolescente ne comprit pas la raison de cette agressivité matinale, mais lorsqu'elle se leva, son hôtesse lui lança une mixture nauséabonde dans un bol. L'invitée regarda son interlocutrice qui, le visage dur, la pointa avec son morceau de bois.

― Mange vite, dit-elle d'un ton agressif. Plus rapidement nous serons débarrassés de toi, mieux ça sera.

― Ne t'occupe pas d'elle, dit Arbol surpris lui aussi de la mauvaise attitude de cet étrange personnage.

― Pourquoi veux-tu te débarrasser si vite de moi?

― Tu n'as pas ta place ici, dit la femme en pesant chacun de ses mots.

― Je ne compte pas rester ici non plus, s'énerva Luna.

L'aventurière renversa le bol et sortit de la petite hutte, fâchée par cette interlocution. La seule chose qu'elle voulait à présent, c'était mettre les voiles et quitter cet endroit sordide. D'un pas assuré, l'adolescente se dirigea vers le centre de la communauté, puis elle s'écria:

― Enfermo, montre-toi! Nous partons!

Cependant, elle n'eut aucune réponse. Sans attendre, la demanderesse cria de nouveau si fort qu'Arbol dut mettre sa main sur son épaule pour lui demander de se calmer. Toutefois, ses cris portèrent leur fruit, Enfermo sortit d'une hutte avec Enojada, un homme puis une femme à ses côtés. La matriarche du village ramassa une poignée de sable noire et la lança sur l'intrus. L'aventurière ne se laissa pas faire. Prise de colère par cet affront, elle ramassa une roche dans ses mains, mais se ressaisit avant de lancer. D'un coup, Enojada la prise de surprise pendant son moment d'hésitation en criant:

― Tu n'as... AUCUN... respect... pour les morts!

L'adolescente resta ébahie par cette affirmation. Un peu confuse, elle demanda:

― Quels morts?

Enfermo s'approcha avec une mine abattue et avoua:

― Rojo n'est pas revenu. Il est... décédé.

Luna ne savait pas quoi dire. Elle voulut crier "C'est certain! Nous ne respirons pas ici!" ou "Vous êtes tellement malades que vous pouvez mourir à tout instant!", mais elle resta muette.

― Vous n'allez pas aux ruines de l'ancien monde, ajouta l'ainée du village. Nous avons perdu trop de membres de notre peuple.

― Ce n'est pas à vous de décider ce que je fais, répliqua Luna en élevant la voix.

― Tu as raison, reprit Enojada. Je ne décide pas pour toi, mais je décide de ce qui est bon pour les miens. Cet endroit est maudit et aucun membre de mon peuple n'y retournera. Essaie donc de retrouver ces ruines sans notre aide!

Prise au dépourvu, Luna s'avança en criant:

― Vous ne pouvez pas laisser tomber notre seule chance de nous sauver de la fin du monde!

― Nous ne pouvons pas empêcher cette fin!

― Oui, nous le pouvons! Je suis prête à partir seule s'il le faut. Je trouverais un moyen. Je trouverais une solution.

― Il n'y a pas de solution à ce problème! Tu devras l'accepter!

― Je n'accepterai jamais! Je me battrai jusqu'à la fin! Je trouverai une façon!

― Alors, vas-y seule! Cherche ces ruines sans guide! Va te faire tuer!

― Bien! J'irais seule!

Arbol resta sans voix face à l'attitude de son hôte. Il ne voulait pas mourir vainement parce qu'il n'avait pas su se renseigner adéquatement. Il devait s'assurer que son hôte ne fasse pas la plus grande erreur de sa vie. Elle ne devait pas se lancer dans une mort certaine. Alors, l'entité spectrale la confronta et il lui dit en la regardant droit dans les yeux:

― Tu dois leur demander comment Rojo est mort. Tu dois aussi montrer du respect. Je sais que ces êtres ne te plaisent pas, mais ils ont tout de même des émotions et ils vivent des événements tragiques. Montre-toi respectueuse de cela.

Luna serra les poings. Elle voulait crier, elle voulait dire à Arbol qu'il avait tort, mais au fond d'elle, elle savait qu'il avait raison. Immobile, elle regarda le petit groupe tandis que la matriarche prit une poignée de sable et le lança de nouveau sur l'aventurière qui accepta le projectile sans perdre la raison. Après un moment d'hésitation, la jeune femme serra les dents, puis elle demanda:

― Je suis désolée pour Rojo... Qu'est-ce qu'il lui est arrivé?

La dirigeante cracha au sol et tourna les talons. Elle ne voulait plus s'adresser à l'intrus. C'est alors qu'Enfermo s'approcha de l'aventurière, puis il dit:

― Ceux qui marchent sans vie ne sont pas nos seuls ennemis. Il y a aussi la grande bouche. C'est un monstre plus grand que les plus grands arbres de la forêt. Muni seulement d'une bouche géante et de deux longues jambes, il avale les hommes et les femmes comme si c'était des insectes. Rojo ne s'est pas méfié. Il a voulu terminer la traduction d'une phrase. Sangre lui avait dit de partir, mais il est resté. Lorsque la grande bouche s'est approchée, Rojo n'a pas eu le temps de rejoindre la montagne verte.

Le teint de Luna devint blême et elle demanda immédiatement:

― Vous me dites qu'il a été avalé tout rond?

― C'est le cas, déplora Enfermo.

― C'est horrible. Je suis vraiment désolée. Mes condoléances à ses proches.

― Merci, dit une femme près d'Enfermo.

Le guerrier du village se tourna, puis il pointa la veuve du doigt en disant:

― Je te présente Cicatriz, l'amour de vie de Rojo.

Luna serra les dents, accablée par son manque de respect devant la personne la plus attachée au défunt.

― Je suis sincèrement désolé. Je ne voulais, en aucun cas, vous manquer de respect. L'homme que vous aimez était très courageux de risquer sa vie dans ces ruines.

― Il l'était, dit la femme le regard au sol.

Malgré sa laideur, Cicatriz réussit à attirer la pitié de Luna à son égard. Rendue mal à l'aise, la jeune femme finit par dire :

― Je suis vraiment désolée et je comprends qu'aucun d'entre vous ne veuille s'approcher de ces ruines après ce qui s'est produit. Toutefois, cela ne m'arrêtera pas. Je vais me rendre à cet endroit ancien en espérant y trouver des réponses.

― Toutes les réponses à nos questions s'y trouvent sans doute, reprit Cicatriz. Si seulement nous avions le temps et si la grande bouche ne nous incommodait pas autant. Nous pourrions tous nous rendre aux ruines et démystifier ce mystère. Si seulement... Rojo était toujours vivant...

Les yeux pleins d'eau, Cicatriz baissa les bras et prit le temps de réfléchir pendant un instant. Elle regarda Enfermo droit dans les yeux, avant de reprendre :

― C'est la fin? N'est-ce pas Enfermo? Si nous ne trouvons pas la solution à notre infertilité, il n'y aura bientôt plus d'humain sur terre.

Le guerrier du village se sentit mal à l'aise et finit par avouer:

― Je le crains, Cicatriz. Nous pouvons passer les derniers jours qu'il nous reste à essayer d'être heureux. Où, nous pouvons-nous battre comme Rojo. Je sais que Enojada ne veut plus que nous retournions aux ruines. Mais, vous savez? Je n'ai plus rien à faire des suggestions de cette vielle bourrique. Elle mourra bien avant moi et elle ne sera pas témoin de la fin. Elle ne sera jamais la dernière femme sur terre tandis que moi... Je ne veux pas être le dernier homme. Je ne veux pas tous vous enterrer et passer mon temps à songer à ceux qui ne sont plus. Je préfère être dévoré par la grande bouche. C'est pourquoi je conduirais Luna jusqu'aux ruines. Mes amis, Sangre, Cicatriz, si vous le voulez bien, venez avec moi.

Sangre s'approcha et fit une accolade à Enfermo. En les voyant, Cicatriz ne put s'empêcher de se joindre au trio. Luna ravala sa salive en constatant cette fraternité. Elle qui les avait jugés comme des monstres. Ils étaient bel et bien des humains au fond d'eux. Des gens sociaux qui ont besoin les uns des autres, comme elle avait besoin de ne pas se sentir seule.

C'est alors qu'Enfermo fit un petit sourire à son invitée, puis il lui dit:

― Es-tu partante, celle pleine de vie?

L'adolescente lui fit un sourire, puis elle lui répondit simplement:

― Bien sûr, oui, je suis partante. Allons à ces ruines.

Sangre prit les devants et montra le chemin. Enfermo et lui marchaient de la même vitesse, mais ils durent attendre Cicatriz qui se déplaçait plus lentement. La descente fut plus agréable que la montée, car l'air devenait de plus en plus frais. Enfin, l'exploratrice put prendre une respiration sans avoir l'impression d'étouffer. Toutefois, ce ne fut pas une escapade facile pour tout le monde. Les mains de Cicatriz se fendirent et se couvrirent de sang sous la pression des roches qu'elle touchait pour garder son équilibre. La petite femme ne se plaignait pas, mais Luna sentait de l'empathie pour elle. Quel courage et quelle dévotion pouvait-elle témoigner pour garder la tête haute pendant que la fine peau de son corps s'écorchait sur les pentes trop abruptes pour elle.

Tout au long du chemin, Luna entendait les genoux de ses trois compagnons craquer sous leurs pas. Chacun grimaçait, mais aucun ne se plaignait. Toutefois, c'était trop pour l'aventurière. Elle ne pouvait plus entendre ce bruit et voir Cicatriz prendre du retard. Par compassion, l'adolescente s'approcha de la petite femme, puis elle lui barra la route. La veuve leva les yeux pour regarder celle qui bloquait ses pas et c'est à ce moment que l'aventurière se pencha et lui dit:

― Laisse-moi t'aider.

Cicatriz grimaça, puis elle répondit:

― Je n'ai pas besoin d'aide.

― Tu sais que c'est faux. La dernière femme à avoir descendu ici remonte à deux générations. Si tu en avais eu la force, tu aurais suivi Rojo dans ces aventures. Si tu ne l'as pas fait, c'est probablement parce que ce chemin était trop difficile pour toi.

― Ce n'est pas pour ça.

― Alors, pourquoi ne jamais avoir suivi Rojo si tu en avais la force?

Cicatriz devint triste, puis elle avoua en pleurant:

― Si les choses étaient si simples... Mon Rojo, comme il me manque.

― Je suis désolée.

― Ne le sois pas. Il ne faut plus pleurer les morts, dit-elle en essuyant ses yeux mouillés. Car nous ne ferions que pleurer. Rojo n'est qu'un autre à avoir perdu la vie, continua Cicatriz en s'efforçant en vain de dénouer sa voix. Nous... Nous voulions donner naissance à un enfant. Nous espérions. Toutes les femmes espèrent. Maintenant, je suis sans amour. Sans amour, il n'y a pas d'enfant. Sans amour, il n'y a plus rien à perdre.

― Sans avenir, il n'y a plus rien à perdre. Mais, nous allons trouver des réponses et nous allons bâtir un futur, essaya de rassurer Luna.

― Ce que tu dis est beau, dit la veuve en essayant de sécher des larmes.

― Laisse-moi t'aider. Je te prendrais sur mon dos. Cela nous laissera plus de temps aux ruines.

Cicatriz soupira, puis elle s'approcha de Luna pour monter sur son dos. Lorsque l'aventurière regarda devant elle, elle aperçut Arbol qui lui arborait un sourire, fière des actions de son amie. Fière qu'elle ait réussi à taire sa colère démesurée et heureux qu'elle ait muri.

Puis, le groupe continua la descente de la montagne. Ils arrivèrent enfin à la lisière de ce monde. Ensemble, ils traversèrent le drap verdâtre et entrèrent dans un endroit où la nuit était éternelle. Luna leva de nouveau ses yeux et aperçut des milliers d'étoiles. Cet endroit, l'entre-monde, la surprenait toujours, mais elle savait qu'il n'était pas sécuritaire, alors le groupe ne s'y attarda pas. Ils continuèrent de descendre le long de la montagne et ils passèrent à travers un rideau blanchâtre. 

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