Chapitre 6 Viejopico partie 3
L'air se mit à manquer et les muscles des aventuriers devinrent durs et douloureux. Le bruit des cailloux qui glissaient sous leurs pas était la seule chose que Luna entendait outre le vent. Son ventre commença à la tenailler à mesure qu'elle devenait de plus en plus étourdie. Pendant un moment, elle pensa s'arrêter, mais son impatience de voir les autres humains la força à continuer. Alors, elle se mit à cracher en espérant faire sortir le mauvais goût qui s'était installé dans sa bouche.
La température diminuait à mesure qu'elle prenait de l'altitude, puis elle aperçut enfin sa destination. Derrière la paroi d'une montagne se dressaient des petites huttes formant, sur un plateau, un cercle autour d'un petit arbre presque mort. Rien de grandiose, rien de splendide comme elle s'attendait. Les huttes n'avaient rien à envier au temple dans lequel l'aventurière s'était réveillée. Au contraire, ceux-ci tenaient à peine debout et le recouvrement était systématiquement déchiré à plusieurs endroits. La fumée noire provenait d'une vaine tentative de produire un feu avec des brindilles.
― Nous y sommes, dit Enfermo en toussant.
Le petit groupe s'approcha des huttes et, au grand désespoir de l'adolescente, elle aperçut un homme plus maigrichon et laid qu'Enfermo. Elle n'en croyait pas ses yeux. Elle ne voulait pas croire qu'Enfermo avait raison. Elle continua sa marche sur les roches noires qui tapissait le sol de cette tribu maudite. En s'avançant, Luna découvrit d'autres humains, les uns plus laids que les autres. Leurs peaux étaient si minces et si tendues qu'ils portaient presque tous des plaies importantes et des cicatrices béantes sur le corps. Leurs habits étaient vieux, sommaires, troués, délavés, semblables à des torchons qui ne servaient qu'à cacher que quelques parcelles de peau. Tout au contraire de Luna qui portait du linge robuste, bien ajusté et arborant des couleurs vives dominées par du bleu. Lorsque ceux-ci aperçurent la jeune femme, tous s'arrêtèrent et l'observèrent. Personne ne pouvait détacher leurs yeux de la beauté de l'aventurière. Cependant, l'envie fit rapidement place à la jalousie.
― Où l'as-tu trouvée, Enfermo? demanda un homme tout rabougri et à la voix rauque.
― Pourquoi est-elle comme ça? demanda une autre.
― Qu'est-ce qu'elle fait là? demanda une femme.
Puis, sortie d'une hutte au loin, une vieille et laide dame s'approcha à toute allure en s'écriant:
― Enfermo! Qu'est-ce que tout cela signifie! Explique-toi!
Cette femme au corps difforme était apparemment une personne d'autorité, car tout le monde se tut à son arrivée. Enfermo bomba son torse maigrichon et se tint la tête le plus droit qu'il le pouvait. À ce moment, Luna comprit que son hôte n'avait pas menti en disant qu'il était un valeureux guerrier parmi les siens.
― Elle était perdue dans le creux de la montagne! dit Enfermo.
― Pourquoi est-elle si belle? demanda un vieil homme au petit corps rempli de verrues.
Les immondes personnages s'approchèrent de l'aventurière et voulurent toucher sa peau, mais la jeune femme les repoussa avec force les faisant tomber. Ceux-ci écorchèrent leur fine peau contre la roche et restèrent au sol à la surprise des membres de la tribu. C'est alors qu'Arbol sentit une rage surgir de sa compagne. Luna réalisait qu'elle avait tort. Elle voyait une réalité qu'elle ne voulait pas accepter. Il restait des humains sur terre, mais ils n'étaient plus ce qu'ils étaient. Une différence prédominante séparait la jeune femme des autres de son espèce. Si leur gloire était réellement perdue telle que craignait l'arbre ancien, cela présageait que la fin du monde pouvait elle aussi être véritable. Toutes ces pensées se bousculèrent dans la tête de la jeune femme qui se sentait choquée d'être traitée comme un objet de convoitise.
― Je peux parler pour moi-même! se fâcha Luna. Je ne suis pas un objet que l'on peut approcher impunément.
― Je suis désolé du comportement de mes compatriotes, avoua Enfermo un peu honteux.
Toutefois, la blessure qui tenaillait Luna allait bien au-delà de ce petit délit et cela, seul Arbol pouvait le comprendre. Malheureusement, ce monde, qu'elle espérait être aussi extraordinaire qu'elle l'imaginait se révélait sombre et horrible. Devant ses yeux, elle assistait au dépérissement de l'humain avant que la fin des temps vienne faucher les dernières âmes encore existantes. Cette réalité faisait naître en elle une colère insoupçonnée.
―Vous n'êtes certainement pas les derniers humains! Des gens aussi... aussi...
― Immonde comparés à toi? demanda Enfermo.
― Oui et décevant!
La colère occultait les pensées de Luna qui ne se rendit pas compte du mal qu'apportaient ses insultes. Arbol mit alors sa main sur son épaule en espérant calmer la jeune femme dont les rêves et les espoirs se brisaient, mais ce fut en vain, car la rage en elle était trop grande pour qu'un geste banal puisse la faire taire. C'est alors que la vieille femme de la tribu reprit en demandant:
― Toi, es-tu la dernière de ta tribu?
― Je n'ai pas de tribu. Je n'ai personne et je préfère qu'il en reste ainsi si c'est pour passer du temps avec des gens comme vous.
Le visage de la vieille femme se durcit. Elle soupira, déçue que ses maigres espoirs n'aient été qu'une lueur passagère. Puis, elle reprit la parole et s'adressa directement à Luna avec une voix accusatrice.
― Nous sommes les derniers humains! Tu devras t'y faire. Nous sommes maintenant dans le même pétrin. Tu peux prendre le chemin de la solitude et rejoindre ceux qui marchent sans vie ou tu peux prendre sur toi-même et accepter d'apprendre à nous connaitre. Je me nomme Enojada, je suis la sage de la tribu. Tu es?
L'aventurière resta de marbre en essayant de taire cette frustration qui l'habitait. Avec les dents serrées, elle se résolut à daigner répondre à cette femme qui lui ordonnait de laisser tomber tout espoir de trouver des gens comme elle.
― Mon nom est Luna, pour que vous le sachiez. Si je reste ici, ce ne sera pas longtemps. Je ne tolérais pas de vous voir jour après jour.
Arbol resta surpris que son hôte soit aussi effronté. Pourquoi être aussi méchante? Cela ne lui ressemblait pas. C'est alors qu'il daigna s'ouvrir aux sentiments de Luna. Il n'entrouvrit que légèrement cette porte et dut la refermer aussitôt. Cette colère, c'était un appel à l'aide émotionnel. Mais cela, seulement l'être spectral pouvait le comprendre. Du point de vue externe, Luna était une jeune femme méchante, insolente, choquante et même violente. Avec raison, Enojada se fâcha de la nonchalance de l'invitée et elle reprit sèchement:
―Où iras-tu? Il y a nulle part où aller!
― Je ne sais pas. Loin d'ici. L'air n'est pas respirable et... regardez-vous. Qu'est-ce qui s'est passé?
Offusqués, les membres de la tribu chuchotèrent entre eux d'un air colérique. Toutefois, l'émoi se dissipa rapidement puisque l'intérêt pour la belle et le questionnement qu'elle apportait eut raison de la discorde. C'est alors qu'Enojada leva son bâton en pointant l'aventurière, puis elle reprit d'une voix convaincue :
― C'est la fin! Nous le savons depuis un moment! Pourquoi es-tu comme tu es? D'où viens-tu? Qui es-tu? Ce sont les vraies questions qu'il faut poser.
― Je ne sais pas. Je viens de loin, maugréa Luna.
― Où sont tes parents? Ta famille?
― Je n'ai pas de famille...
― Pas de famille? Tu n'es pas tombée du ciel dans ce cas?
― Non.
― Alors, tu arrives de nulle part et tu te demandes pourquoi les autres sont différents de toi? Tu n'es peut-être pas comme nous après tout. Tu n'es peut-être pas humaine!
Luna arqua les sourcils. Elle n'avait pas pensé qu'elle pouvait ne pas être humaine. Est-ce qu'elle s'était trompée? Est-ce qu'elle faisait partie d'une autre race? "Ce n'est pas possible, l'ancien m'a reconnue. Il m'a confirmé que je suis humaine" pensa-t-elle.
― Je ne crois pas, dit Enfermo à la grande surprise de tous. Elle nous ressemble trop.
― Et elle nous ressemble si peu! s'écria Enojada. Elle a un corps avec des courbes tandis que nous avons la peau sur les os. Son visage est symétrique. Ses dents sont blanches! Sa posture est droite et sa peau ressemble à celle d'un bébé! Je ne crois pas qu'elle soit des nôtres!
― Je ne veux pas être des vôtres!
Arbol sentit un malaise. Il comprenait qu'elle ne voulait pas accepter que les seuls humains qui restaient sur terre soient des gens qui semblaient être gravement malades depuis des années. Mais tout cela ne justifiait pas son comportement effronté. La jeune femme devait absolument reprendre sur elle et stabiliser ses émotions. Chose facile pour un arbre, mais impossible pour l'humain en détresse dans le feu de l'action.
― Tu devras t'y faire, dit Enfermo. Si nous sommes les seuls humains, alors nous devons nous serrer les coudes pour la fin du monde.
La mention de la fin du monde hérissa les poils de Luna qui ne pouvait tolérer cette vérité. Arbol sentit cette recrudescence de colère, puis il mit à nouveau la main sur l'épaule de l'adolescente et il la regarda dans les yeux. Cette fois, il réussit à apaiser légèrement la jeune femme.
― Demande-leur pour la fin du monde, dit Arbol. Nous aurons le coeur net sur leurs croyances.
Luna détestait entendre ce mot, mais elle accepta. Arbol avait raison. Ce n'était pas parce que plusieurs faisaient mention de cet événement que cela signifiait qu'il allait se produire.
― Pourquoi dites-vous que c'est la fin du monde? demanda enfin Luna.
Le peuple baissa la tête et ce fut Enojada qui prit la parole. Elle ne semblait pas enchantée par ce qu'elle avait à confier.
― Les derniers enfants sont nés depuis des lunes. Nous n'arrivons plus à mettre au monde.
Puis, la vieille femme eut une étincelle dans son regard noir comme du charbon.
― Peut-être pourras-tu nous donner des enfants?
Cette demande mit Luna hors d'elle. Elle ne voulait pas devenir mère du dernier enfant de la terre. Un enfant qui vivrait dans un monde irrespirable bondé d'individus à la santé précaire. Cependant, plusieurs membres de la tribu pensèrent que c'était une bonne idée. Ils pourraient ainsi mourir en paix sachant qu'ils n'étaient pas la dernière génération d'humains et qu'ils avaient tout fait en leur pouvoir pour faire perdurer la race humaine. Cette idée dégouta Luna qui voulait s'enfuir le plus loin de cet endroit.
― Cela ne servirait à rien, la défendit Enfermo. Même si elle donnait vie, cela ne ferait que prolonger notre longue agonie. Ce n'est pas la façon de faire. Sans dire que cela n'empêchera pas l'avancement de ceux qui marchent sans vie sur les flancs de nos montagnes. Ce matin ils étaient plus haut que jamais. Demain, ils pourraient nous surprendre au sommet ici même. Bientôt, nous n'aurons nulle part où nous cacher. Nous devons trouver une solution rapidement et cette solution se trouve dans les ruines de l'ancien monde.
― Arrête avec tes histoires, Enfermo! gronda Enojada. Tu ne trouveras jamais rien dans ces tas de roche. Les anciens n'ont rien légué qui arrêtera la grande fin!
Luna arqua le sourcil, intéressé par ce que venait d'énoncer Enfermo, mais elle n'eut le temps de dire quoi que ce soit qu'un homme l'interrompit en disant:
― Si la fin venait à arriver, rien ne l'arrêtera. Ni les ruines de l'ancien monde, ni le dernier enfant. Cependant, si ceci n'était pas la fin? Y avez-vous pensé? Nous en savons si peu sur le monde. Jusqu'à maintenant, nous ne connaissions pas l'existence de Luna. Une humaine provenant d'un endroit plus loin que nous n'avons jamais été. Je ne veux pas m'opposer à votre grande sagesse, Enojada, mais peut-être est-ce que cette situation a toujours été? Peut-être est-ce un cycle? Que savons-nous outre que nous savons si peu ? Que ce soit sur le passé, que sur le futur.
Cette confession fit réfléchir Arbol qui pointa du doigt l'arbre en fin de vie qui se tenait au centre de la communauté, puis il murmura:
― Lui, il doit savoir.
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