Chapitre 4 L'ancien partie 2

Le chemin des esprits fut facile à suivre, car celui-ci semblait sillonner une ancienne route empruntée par les animaux qui évitaient les embûches de la forêt. Après quelques heures de marche, Luna et Arbol entendirent finalement:

― C'est ici!

La jeune femme s'arrêta et elle ressentit une angoisse. Une peur que ses craintes soient confirmées. Puis, avant de faire un pas de plus, elle balaya cette idée en pensant que c'était impossible. C'est alors qu'elle observa devant elle une rangée d'arbres qui arpentaient une petite rivière. De l'autre côté de celle-ci se trouvait un spécimen surélevé sur un pan de montagne comme s'il était assis sur un trône. Les rayons du soleil éclairaient ce seul et unique individu couvert d'une vieille écorce verte. À l'abri des intempéries et près d'une rivière qui sillonnait ses racines, le vénérable put vivre très longtemps. Son esprit, devenu blanchâtre avec les années, apparu à Luna et il la fixa avec intérêt. Une enveloppe spectral verte, non loin de l'aventurière, dit aussitôt:

― Voici la créature dont nous entendons parler. Une Luna.

― J'ai entendu, dit le vieil arbre d'une voix ternie par l'âge. Ceci n'est pas une Luna. C'est Luna. Luna est son nom. C'est une humaine...

Le mot "Humaine" frappa l'adolescente comme un coup et sa mémoire lui revint. Elle faisait partie de cette race. Pendant un instant elle se remémora un souvenir où quelques hommes et femmes entourés d'enfant passaient du temps ensemble. Cependant, ce souvenir se dissipa aussitôt laissant derrière lui qu'une impression. Rapidement, Luna se mit à traverser la rivière qui ne dépassait pas ses genoux sous le regard surpris de tous. L'esprit blanc resta sans voix lorsque la jeune femme se jeta à ses pieds et essaya de toucher ses mains en demandant avec espoir:

― Qu'est-ce que vous savez?

― Attendez, jeune fille. Vous devriez vous reculer. Je...

L'esprit disparut soudainement, laissant Luna dans le désarroi. Elle regarda Arbol qui resta la bouche béante ouverte.

― Qu'est-ce que j'ai fait? demanda Luna.

L'adolescente paniqua, puis elle laissa tomber ses épaules en voyant qu'elle venait de perdre son dernier espoir de savoir qui elle était. C'est alors que, lentement, l'esprit du vieil arbre réapparut avant de finir sa phrase:

― Suis vieux. C'est pourquoi il vaut mieux ne pas me brusquer.

Prise par surprise, Luna émit un petit cri et recula pour s'assurer de ne pas troubler davantage le vieil arbre.

― Je suis désolée, reprit Luna.

― Ce n'est pas grave. Garde simplement tes distances et je pourrais répondre à toutes tes questions.

― Qui suis-je? Qu'est-ce qui se passe? Où sont les miens?

L'esprit dessina un sourire sur ses lèvres et répondit:

― Je vois que ça tourbillonne dans ta tête. Ça tourbillonne dans la mienne aussi. J'essaie de me souvenir. J'ai vu l'un de tes semblables il y a très longtemps de cela. Si longtemps que la forêt a eu le temps de se renouveler. Les humains passaient par ici et parlaient parfois avec nous. J'étais une jeune pousse à l'époque. Je ne leur parlais pas beaucoup. J'étais trop gêné et inexpérimenté. Cela remonte à si loin. Ils... ils venaient pour une autre raison. Ils ne vivaient pas ici. Ils vivaient loin si je me souviens bien. Ils venaient ici pour un... J'essaie de me souvenir... un... un... un pèlerinage... Ils marchaient ensemble. Une offrande ou... attendez... Cela avait un lien avec les malades et les blessés. Ils leur rendaient hommage. Qu'est-ce qu'ils leur faisaient? Je ne me souviens pas bien. Cela avait lieu sur la plus haute montagne, là où même la végétation ne se rend pas. Il y avait un... un...

― Un temple. Il y a un temple et un tombeau rempli d'eau.

― Un temple. C'est cela! Un temple où les malades et les blessés étaient transportés. Je ne me souviens pas bien ce qu'ils faisaient. Probablement qu'ils honoraient leur départ. Je suis désolé si ma mémoire me fait défaut, mais j'étais très jeune à l'époque et je ne connaissais pas bien les humains. Est-ce que tes semblables auraient fait le pèlerinage à mon insu et ils t'auraient abandonnée là-bas? 

― C'est impossible, dit Arbol. Je vivais sur le chemin menant à la grande montagne. J'y suis depuis un siècle. Les animaux qui bougent vite ne vivent pas aussi longtemps que ça. Il est donc impossible qu'un humain ait transporté Luna dans ce temple sans que j'en ai été averti.

L'esprit blanchâtre regarda autour de lui et se mit à balbutier:

― Tu as raison, ceux qui bougent vite n'ont pas cette longévité. Mais... attends. Les humains vivaient exceptionnellement longtemps pour leur taille. Toutefois, ils ne vivaient pas des siècles non plus. Comment es-tu arrivée là dans ce cas? Peut-être que tu as fait ce pèlerinage il y a des siècles de cela, lorsque j'étais encore qu'une jeune pousse.

Un esprit rouge soupira et il dit:

― Le pauvre, il n'a plus toute sa tête. Il faut prendre ses propos comme un grain de sel. Désolé.

― Ne dites pas cela! dit l'ancien. J'ai toute ma tête! Je vous jure que le soleil doit être réparé!

― Qu'est-ce que vous dites? demanda Luna.

― Il faut réparer le soleil! Tu dois être au courant, humaine.

― N'y prêtez pas attention, reprit l'esprit rouge.

Soudainement, l'ancien fut pris d'un choc et entra en transe comme s'il se souvenait de quelque chose qu'il ne voulait pas oublier dans l'immédiat. Ses mots devinrent égaux et, les yeux perdus dans le vide, il dit:

― Allez voir au-delà du bout du monde. C'est de là que viennent les humains. Un grand arbre, plus vieux que moi pourra vous aider à les trouver. Celui de la plaine fantôme. Ramener les humains pour qu'ils réparent le soleil sinon, la fin du monde passera telle une vague tuant tout sur son passage. Ton étrange apparition, le soleil, la plaine fantôme, qu'est-ce qu'ont fait les humains? Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou. Je ne suis...

Puis l'ancien disparut, trop faible pour continuer de parler. L'esprit rouge qui se tenait tout près soupira et s'approcha du duo pour leur avouer:

― Nous sommes désolés, il n'a pas toujours été comme cela. Il fut une époque où il ne divaguait pas.

Luna garda son regard sur l'ancien et serra la mâchoire, inquiète que l'esprit blanc soit réellement disjoncté. Les propos de celui-ci l'intéressaient, car il était le seul être vivant à avoir vu l'un des siens. S'il avait, bien sûr, vraiment rencontré un humain. Si ces dires se révélaient véridiques, alors des gens vivraient à la lisière du monde. Toutefois, s'il avait raison, cela signifiait également que la fin des temps approchait et que les hommes et les femmes n'avaient pas été vus depuis plusieurs siècles. L'aventurière refusait de croire ces propos au point où ses pensées vinrent à élaborer une hypothèse selon laquelle ceux de son espèce avaient tout simplement migrés vers la lisière de la terre pour une raison externe à cette Armageddon fictive. Cette explication justifiait la méconnaissance des arbres et sa propre existence. Arbol sentit une étrange sensation provenant de son hôte comme si elle voilait son âme. Elle écoutait et pourtant, elle n'entendait que ce qu'elle voulait bien entendre. Sans surprise, il sut ce qu'elle pensait. La seule façon de revoir les siens était de se rendre là où le ciel croise le sol. Décidée d'en savoir davantage sur son identité et sur cette fin du monde, l'exploratrice décida qu'elle ferait le pèlerinage au-delà de l'univers connu de la forêt.

― Où est le bout du monde? demanda Luna.

― Est-ce vraiment ce que tu désires? demanda Arbol.

― Je suis prête à faire tout ce qu'il doit pour retrouver les miens.

Arbol prit un moment pour réfléchir. Il hocha ensuite la tête en ajoutant:

― Tu sais que c'est loin et que le bout du monde est dangereux?

― Comment sais-tu cela? Tu es un arbre, tu n'as jamais bougé de toute ta vie.

― Bien, commença Arbol intimidé. Bien, parce que tout le monde le sait.

― Mais, personne ne l'a vu. Ce n'est pas un argument ça, Arbol. Si l'ancien a raison, les humains se trouvent au bout du monde. C'est là que je dois aller.

― Cela signifie aussi que la fin du monde approche et que d'une façon, c'est la faute des humains.

― Non, dit Luna en tournant la tête. Il se trompe. Du moins sur cette partie. Il n'y a pas de fin du monde et les humains sont là à m'attendre.

― Luna, j'ai bien peur que mes compatriotes aient peut-être raison. L'ancien a peut-être imaginé...

― Non! Les humains sont là-bas.

― Pensez-vous vraiment aller au bout du monde? demanda l'esprit rouge.

― Pouvons-nous y être guidés?

― Je... je crois que oui... Je n'ai seulement... qu'à le demander, hésita l'esprit rouge.

D'un coup, des lueurs d'esprits apparurent et disparurent aussitôt. Luna attendit un instant, puis les esprits lui murmurèrent:

― Par ici...

Luna ne fit que quelque pas avant que l'esprit rouge ajoute:

― L'ancien était très bavard auparavant et il n'avait jamais fait mention des humains. Il n'avait jamais fait mention de la fin du monde ni du soleil avant qu'il atteigne son sixième siècle. Je vous avertis pour que vous ne soyez pas trop déçus lorsque vous arriverez à la lisière du monde.

Luna ignora les conseils de l'être spectral rouge et se mit à suivre le chemin des esprits en obligeant ainsi Arbol à la suivre jusqu'au bout du monde. 

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