La lumière du liquide doré se reflétait sur le visage de Luna. Celui-ci valsait de gauche à droite à intermittence lente, coulant à petit débit à travers la bassine. L'exploratrice approcha sa paume au-dessus du fluide et elle sentit une chaleur s'en émaner. Les yeux pétillant d'éblouissement sans fin, un soudain réconfort s'empara de la jeune femme à la vue de cette étrange substance. Plus fort qu'elle, l'envie de plonger les doigts dans le réceptacle eut raison de sa prudence. Lorsque l'annulaire effleura la surface du liquide, l'aventurière distingua une matière épaisse et collante comme du sirop. Elle prit une légère quantité du fluide dans ses mains qui glissa lentement entre ses doigts qui devinrent colorés. Elle en reprit une portion dans sa paume, puis elle s'avança vers le seuil de la porte.

Les fantômes avancèrent leurs bras pour attraper la jeune femme sans approcher leurs pieds. Les mains dégoulinantes, l'aventurière secoua le liquide en direction des êtres maléfiques. Une goutte vola dans les airs avant de percuter le torse du mangeur d'âme. Au lieu de passer à travers comme tous les objets, celui-ci resta à sa surface. Le spectre eut un mouvement de recul, puis un vêtement se dessina sur la poitrine de la créature. Un gilet bleu clair d'un textile raffiné. Sans trou ni usure, le tissu semblait neuf comme s'il n'avait jamais été utilisé. Puis, Luna serra les doigts et fit une pichenotte qui projeta une gouttelette au visage de l'un des agents de la mort. D'un coup, le fluide s'arrêta et une joue commença à se distinguer peu à peu comme une goutte de savon faisant fuir de l'huile. Le nez prit forme lentement avant que l'œil rouge caractéristique de ces monstres ne se transforme en regard humain.

L'oeil s'ouvrit comme si la personne prisonnière derrière le fantôme vivait une peur effroyable. La goutte continua son chemin vers la bouche qui essaya de s'entrouvrir. La victime semblait vouloir crier à l'aide. Terrifiée et impuissante devant ce qui lui arrivait, la prisonnière de ce corps demandait pitié. Cependant, la bouche redevint noire, suivit des yeux, du nez et finalement de la bouche. Toutes parties humaines furent cachées pour seulement laisser paraitre le fantôme. Le gilet de l'autre prisonnier avait lui aussi disparu pour refaire place au torse du mangeur d'âme.

Luna prit une grande respiration, les yeux rivés sur les agents de la mort sans savoir vraiment quoi penser de tout cela. Un peu confuse, elle demanda immédiatement:

― Comment est-ce possible?

Elle se retourna lentement en attendant les réponses de l'esprit sacré qui était posé à côté d'Arbol qui, lui, gardait la bouche grande ouverte.

― Bien, vois-tu jeune fille, ce ruisseau a des propriétés extraordinaires. Ce liquide de vie nous provient directement de la terre. Je ne connais pas sa composition. Il y a, bien sûr, plusieurs hypothèses. Certains disent que ce cadeau provient des dieux ou qu'il est offert par la mère Nature. D'autres affirment qu'il provient des âmes défuntes. Finalement, certains pensent que cette substance ne vient pas réellement des entrailles des profondeurs. Qu'un temple construit par les hommes se situe sous nos pieds et que c'est ce bâtiment qui transforme certains matériaux en cette incroyable source. En sommes, personne ne connaît vraiment son origine et cela importe peu. Ce que nous savons, c'est que ce fluide est le carburant des sphères et que ses propriétés lui permettent de repousser les indésirables. C'est grâce à cet élément que la grande bouche, les mangeurs de chair et les fantômes peuvent être repousser par les soleils. Des rivières de cette substance se trouvent à deux endroits, sous mes racines et dans le temple de la création.

― Avec ce liquide dans une gourde, je pourrais garder les fantômes à distance. Cela me permettrait de marcher parmi eux sans être attaqué!

Le grand esprit hésita longuement et finit par dire:

― J'aurais aimé que ce soit aussi simple. Il faudra plus que quelques gouttes pour repousser tes ennemis. Si tu avais une sphère fraichement trempée, tu pourrais profiter de sa protection. Cependant, le soleil que nous avons à notre disposition est trop vieux et trop lourd pour l'utiliser comme bouclier. Il te faudra repousser tes adversaires autrement.

Le grand arbre se gratta le menton en regardant ses racines, puis il en attrapa une grande et rigide. Il l'a fit tomber d'un battement de paupière avant de faire signe à son invitée de la saisir. La jeune femme hésita, puis elle prit la longue racine en se demandant ce qu'elle pourrait faire de cet instrument.

― Trempe-le, ordonna le grand esprit.

Luna mijota l'instrument dans le liquide en or puis le sortit de la bassine. Le morceau de racine garda la couleur de la substance et il se mit à émettre une chaleur adoucissante. L'exploratrice approcha cette arme de son visage pour le contempler, puis elle s'avança vers les fantômes. Ceux-ci ne tentèrent plus de l'attraper, mais ils ne prirent pas la fuite. D'un coup, elle frappa l'épaule d'un agent de la mort qui laissa apparaitre un chandail luxueux. Le liquide continua son effet et se débarrassa de la main mangeur d'âmes qui devint humaine. Ensuite, le visage se dessina en même temps que le torse. Cette fois-ci la malédiction se dissipa davantage que la dernière fois.

Une femme rousse au regard apeuré se découvrit devant Luna. La victime regarda, effrayée, sa main humaine d'un côté et sa main fantôme de l'autre avant de tomber au sol. Exténuée et prise de panique, la prisonnière prit de grandes respirations comme si elle venait de sortir de l'eau. La malédiction continua de se dissiper jusqu'à atteindre ses hanches, ses genoux puis ses chevilles, mais avant de se rendre jusqu'aux pieds, le miracle s'arrêta.

La victime mit une main sur son crâne en montrant des signes de souffrances comme si une intense migraine s'était emparée d'elle. Elle ne fit aucun bruit, aucun son, seulement un rictus de douleur. Puis, la malédiction remonta le long des genoux, des hanches avant de reprendre les épaules et les bras. Le cou se transforma, suivi des cheveux et finalement le visage. Sous le regard apeuré de la prisonnière, la malédiction reprit le dessus et la femme redevint la créature qui dominerait la fin des temps. 

Luna resta sans mots, surprise de ce qu'elle venait d'assister. De la joie et de la peine s'emparèrent de son corps. Pouvait-elle mettre un terme à la fin des mondes? Les humains vivraient-ils dans une effroyable prison jusqu'à la fin des temps si elle échouait? C'était beaucoup d'informations pour l'aventurière qui fit un pas de recul.

― Avec ceci, tu aurais peut-être une chance, s'enquit le vieil arbre.

L'attention se fixa sur le bâton. Jamais elle ne pensait un jour détenir une arme capable de la protéger des fantômes. Remplie d'espoir, Luna fit un petit sourire, puis elle demanda:

― Qu'est-ce que je fais maintenant?

Satisfait de l'attitude de son invitée, le grand arbre lui renvoya un sourire à son tour et s'approcha tranquillement. Tout en faisant signe de bien vouloir s'assoir, l'esprit sacré révéla:

― Tu dois te rendre jusqu'au temple de la création dans la région du Pantéon. Là-bas, tu devrais trouver une interface qui te permettra de tremper une sphère. Assure-toi qu'elle soit de qualité. Ensuite, amène là dans un temple.

― Où se trouve le temple de la création dans le Pantéon?

― Je ne sais pas. Je ne sais pas s'il fonctionne encore non plus. Je ne sais pas pourquoi les sphères sont corrompues. Ce que je sais encore moins, c'est ce que tu y trouveras là-bas.

― Vous voulez que je parte maintenant?

L'esprit émit un petit rire, puis il avoua:

― Bien sûr que non. Prends ton temps. Midi est encore bien loin. Repose-toi et lorsque je t'interpellerai, tu changeras la sphère de Solnacimiento. Trop tôt, les fantômes t'attaqueront. Trop tard, tu manqueras le zénith du soleil et les fantômes prendront ton âme. Je vais t'avertir au bon moment. Pour l'instant, prends du repos.

Sur ces mots, l'esprit sacré disparu laissant seulement Luna et Arbol ensemble. La jeune femme prit de grandes respirations et alla s'assoir entre les racines. Complètement abasourdi, Arbol demanda:

― Allons-nous le faire?

― Nous ne pouvons pas reculer. Pas après le sacrifice de Caballo. Nous avons les réponses à nos questions, mais le mystère n'est toujours pas percé. Sans dire que... Nous avons peut-être l'opportunité de sauver le monde.

― Un monde dans lequel tu ne vivras probablement pas, reprit Arbol. Si nous retournons à Mundovida, tu pourras y vivre jusqu'à la fin de tes jours sans encombre.

― Je ne le fais pas pour moi, Arbol. Je le fais pour les autres, avoua l'aventurière avant d'arquer le sourcil et de demander: as-tu peur? Veux-tu retourner chez toi?

― Je veux juste m'assurer que tu ne tourneras pas les talons en chemin.

― Je ne ferais pas cela. Je suis venu ici avec un but en dépit de ma propre vie. J'ai accepté ce fait il y a longtemps.

Arbol lui fit un petit sourire. En se connectant aux sentiments de son hôte, il fut surpris d'y sentir une large gamme d'émotions. Parfois de la joie, de la fierté, mais aussi un soupçon de peur et d'anxiété. Tout pouvait arriver au Pantéon. Le meilleur comme le pire. Peut-être même que les deux amis seraient séparés comme ils avaient été séparés de Caballo. Cela laissa l'être spectral réfléchir sur ses propres émotions. Ce qu'il cherchait et ce qu'il voulait au fond de lui. Le duo resta silencieux, puis avec le temps qui passa, Luna réussit à trouver le sommeil jusqu'à ce que le grand esprit sacré vienne la réveiller.

― Il est l'heure, dit-il.

La jeune femme se leva d'un coup. Elle ne sentait pas la fatigue puisque son corps n'attendait que ce moment. Elle avait rêvé de son cheminement dans la Pantéon tout au long de sieste. Seulement la pensée de parcourir la plaine fantôme lui donnait froid dans le dos.