Chapitre 18 Le temple de la mort partie 1
Toujours au sol, Luna resta dans ses pensées. Elle regarda de nouveau le mangeur de chair en se posant une question.
― Selon toi, pourquoi est-ce lui?
― Qui?
― Lamentar. Pourquoi n'est-ce pas un autre mangeur de chair? Est-ce que tu crois qu'il est venu ici parce que j'ai parlé du soleil?
― Sans doute.
― Je l'ai mené à sa mort.
― Je crois qu'il était mort au fond de lui lorsque tu l'as rencontré. Il se doutait de ce qui se passait. Il savait qu'il allait se transformer.
― Les peaux grises, au contraire de la grande bouche, sont très conscientes de l'état du soleil. Ils savent où se trouve cet endroit. Ils craignent probablement que l'on ne répare la sphère, constata l'exploratrice.
― C'est ce que je crois aussi. Au lieu de bannir ce lieu, ils l'ont transformé à leur image pour s'assurer que personne n'essaie d'améliorer le sort des humains.
― Ce sont des monstres.
― Je sais.
― Pourtant, ils existent. Même si je souhaite au plus profond de mon coeur qu'ils n'existent pas, ils existent toujours. C'est un fait.
― En effet.
― Arbol, je ne peux pas changer le monde.
― Peut-être qu'au contraire, si tu le peux.
― Comment changer le monde? dit-elle en rhétorique.
― En passant à l'action. Le monde ne se change pas par la seule volonté qu'il change. C'est comme les peaux grises, le vouloir seul ne peut pas les faire disparaitre. Toutefois, les actions... Les bonnes actions le peuvent.
― Mettre ma vie en danger. Affronter la mort en face.
― C'est le coeur de notre quête. Ça l'a toujours été depuis le début. Tu ne le savais peut-être pas, mais c'est un peu ce que tu as toujours cherché. Tu voulais des réponses. Tu voulais retrouver les humains. Voilà où ils sont! Pendant que tu te croyais loin de la fin, eux ils y étaient rendus. Si tu veux rejoindre les humains, tu devras être prête à changer ton itinéraire. Notre chemin passera près de la mort. Peut-être elle nous amènera avec elle. Peut-être serons-nous balancés dans le grand gouffre noir. Ou peut-être allons-nous réussir à en tirer les derniers survivants.
― Tôt ou tard, nous tomberons tous.
― Nous tomberons tous. Mais si nous tombons, tombons de devant et non pas derrière. Je préfère affronter le destin que d'attendre impassible qu'il vienne me chercher. Luna, notre quête nous apporte aux portes de la mort. Si tu veux avoir tes réponses, si tu veux connaitre la vérité, il faudra frôler cette porte. Sinon, tu peux faire demi-tour. Je ne te jugerais pas pour cela. En fait je serais très heureux d'exister encore quelques jours. Tu pourrais probablement vivre une longue vie à la montagne verte. Mais sache que bien avant ta mort, tu seras la dernière de ton espèce sur terre. Puis, le jour où tu décéderas, le reste de la vie mourra peu de temps après. Nous pouvons tout laisser là et partir vivre en solitaire. Nous pouvons abandonner les humains à leur triste destin.
Luna réfléchit un instant. Les larmes ne coulaient plus sur ses joues. Elle dit simplement:
― Je croyais que la vie serait encore longue pour moi lorsque j'ai ouvert les yeux. Je ne me doutais pas que nous étions déjà à la fin. J'ai passé d'une adolescente au début de sa vie à l'humain à la fin de son existence. Vivre dans le déni ne m'aidera pas. Voilà, là où les humains sont rendus. Nous frôlons l'extinction. Que je le veuille ou non, c'est la réalité. Je vois plus clair maintenant, Arbol. Je vais mourir. Cela va arriver. C'est pourquoi le chemin est si important. Je veux des réponses. Des réponses qui me permettront d'aider ceux qui affrontent la fin avec moi. Je veux leur venir en aide.
Pour la première fois depuis très longtemps, Luna se redressa et se leva debout. Elle essuya ses joues, puis elle regarda les pièges. Les haches allaient et venaient. Les hachoirs tombaient et les pieux se levaient. Une triste mélodie macabre synonyme de souffrance et de fatalité. C'est alors qu'Arbol se leva à son tour et tira son hôte de ses pensées en lui disant:
― Je les ai observés. Les peaux grises ont manqué de synchronisme. Il y a un moment pour tout. Il prend du temps à arriver, mais lorsqu'il arrive, tu peux passer le hachoir, puis les haches, puis les lances et te rendre à cet endroit sans problème, dit-il en pointant du doigt une parcelle éloignée du passage de la mort.
― Merci...
― Je t'en prie.
― Arbol. Avant que je ne me lance. Je veux que tu saches que je t'aime. Tu es pour moi, un ami inestimable. Je regrette de t'avoir menacé de te déconnecter. Cela aurait été la pire erreur et le pire châtiment non justifié. J'aurais été un monstre de te faire subir cette condamnation. Par la même occasion, je me serais octroyé les pires souffrances. Merci, Arbol. Merci d'avoir embelli mon chemin. Il aurait été terne sans toi.
― Ne dis pas cela. Je ne sais plus quoi penser. Je suis heureux et embarrassé. Je crois que ce moment m'oblige de t'avouer que tu es pour moi la meilleure amie que j'ai eue en cent ans. Merci de m'avoir permis de voir la vérité. Cependant, je dois couper court à ces ribambelles. Car, tu décolles dans trois, deux, un, COURS!
Luna se jeta sur les pièges en faisant aveuglément confiance à son compagnon. Le hachoir passa juste derrière elle suivi des haches puis des lances. Chacun s'orchestra de façon à laisser passer l'aventurière. Une fois en terrain sécuritaire, Arbol s'assura que Luna ne bougea plus. L'exploratrice s'arrêta et seul son coeur resta en mouvement. Il battait fort dans sa poitrine. Elle resta là, immobile, trop stressée pour reprendre son souffle. Cependant, cela n'alarma pas Arbol qui s'empressa de dire:
― Lorsque je le dis, tu traverses les deux roues qui s'imbriquent l'une dans l'autre. Ensuite tu marches jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de petit trou au sol. Tu attends que les lances sortent, puis tu retournes aux deux roues. Tu laisses les lances sortir et ensuite tu cours jusqu'à la roue qui descend du plafond. Tu te couches au sol à plat ventre et tu ne bouges plus. Lorsque je te le dirais, tu te lèves et tu cours le plus vite que tu peux. Tu m'as compris?
La sueur sur le front, Luna comprenait que si elle se trompait, elle se faisait lentement découper en morceaux et vivrait le moment le plus atroce de son existence en attendant que la mort vienne la délivrer de ce mal. Malgré la peur au ventre, l'aventurière hocha un peu la tête et murmura:
― Oui...
― D'accord, tu y vas dans trois, deux, un, maintenant!
Les deux roues géantes se séparèrent et la sauveuse se mit à courir. Elle passa entre des haches volantes, puis les deux roues et ensuite tous les petits trous. Les lances sortirent derrière elle en frappant entre les deux roues en premier. Luna fit ensuite demi-tour. L'endroit où elle se situait fut dévasté par des lames tranchantes en rotation. Luna recula aux roues et des lances un peu plus loin sortirent de nouveau. Les deux roues approchèrent dangereusement de Luna qui se mit à trembler de peur.
Lorsque les lances redescendirent, l'aventurière se mit à courir évitant de peu d'être broyée par les deux roues qui s'imbriquèrent. Dès que le piège s'ouvrit, les lances sortirent du sol et talonnèrent l'aventurière. Celle-ci leur échappa en passant entre deux scies qui se frappèrent à nouveau.
La roue suspendue au plafond laissa penser à la jeune femme qu'elle était en sécurité et qu'elle avait le temps de traverser ce nouveau piège. Toutefois, elle fit confiance à Arbol. Elle se jeta au sol et au même moment, la roue tomba avec ses centaines de pieux. L'instrument de torture tourna longuement au-dessus de la tête de Luna. Elle faisait un tel bruit que l'aventurière ne pouvait pas savoir quand elle devait se relever. Pour le savoir, elle devait lever la tête, mais cela signifiait qu'elle se faisait découper le crâne si elle se levait trop tôt. Elle resta immobile pendant très longtemps jusqu'à ce qu'Arbol lui dise:
― Cours jusqu'à la fin!
Luna se leva et courut du plus vite qu'elle put. Elle évita des haches, des hachoirs, des scies, des lames, des pieux et des lances qui jaillissaient du sol même. Elle continua de courir et termina le tout en faisant une roulade. Les pièges semblèrent se fermer tous en même temps derrière l'aventurière qui se tourna enfin en criant:
― Je suis vivante... Je suis VIVANTE!
Son compagnon se laissa tomber au sol et émit un long soupir avant de se mettre à rire. L'émotion devait sortir. Il avait eu si peur. Il venait de passer si près de la mort qu'il ne put s'arrêter d'y penser. Il était lui aussi bien vivant. Il se tourna vers son acolyte pour la féliciter, mais elle s'était déjà levée pour reprendre son chemin.
― Qu'est-ce que tu fais, Luna ? Nous venons de survivre le plus terrible piège jamais conçu. Nous avons réussi là où tout le monde a échoué.
― Ne nous réjouissons pas d'avoir survécu là où d'autres ont péri. Je dois me dépêcher.
L'être spectral arqua le sourcil, intrigué par l'attitude intrépide de son amie. Il se leva lui aussi et se connecta avec son hôte. Il ressentit son urgence d'agir. Clairement, elle ne croyait pas qu'elle avait déjà gagné. Elle savait que ce ne serait pas la dernière fois que sa vie passerait à une mèche de la mort. Arbol comprit alors qu'il y avait quelque chose de changé en elle. Luna venait de passer à l'acceptation.
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