Chapitre 17 les machines de la mort partie 2

Le temps passa. Le bruit des chaines continua de gronder. Le bruit des flammes bourdonnait dans les oreilles de la jeune femme en détresse. Elle resta longuement sur le dos à regarder les hachoirs monter et redescendre. Elle pensa longuement, sans filtre. Parfois, des larmes coulèrent sur ses joues. Puis, après un temps qu'elle ne pourrait compter, elle finit par dire à Arbol:

― La vie. Elle est comme le hachoir, elle monte, puis elle redescend. Encore et encore. Le cycle de la vie tourne sans arrêt. Mais, toute chose a une fin. N'est-ce pas?

― J'aimerais te dire que ce n'est pas le cas, mais je crains que tu aies raison.

― Je vais mourir, Arbol.

― Pas aujourd'hui, Luna.

― Peut-être pas aujourd'hui, peut-être pas demain, mais un jour. Toute chose a une fin. J'ai une fin. La vie a une fin. Les humains ont une fin. Les arbres ont une fin. Le monde a une fin. Le cycle de la vie commence quelque part et finit par... finir. Rien n'est éternel. Rien ne l'a jamais été. Les mondes vont disparaitre un jour. Des mondes disparaissent tous les jours. Lorsqu'une vie nait, son monde se crée. Lorsqu'elle meurt, c'est la fin de son monde. De son point vue, il y a un début et il y a une fin. Elle peut être douce, elle peut être terrible, elle peut être lente ou rapide. Une chose est sûre, c'est qu'elle sera là un jour. Peu importe comment nous comptons la repousser, elle arrivera tout de même. Elle nous saisit. Nous et nos proches. Nous allons tous y passer l'un de ces jours. Même si nous courons, la fin finit toujours par nous attraper. Arbol, tu vas mourir. Un jour je vais te perdre. Un jour tu me perdras. Tôt ou tard, nous allons nous perdre nous-même. C'est une destinée inévitable. Triste et pourtant toujours présente. Nous sommes là, pensant qu'elle ne nous guette pas, mais elle nous surveille à tout moment. Que l'on soit un mangeur de chair, une grande bouche ou simplement un humain. La fin nous guette. Elle est prête à nous saisir et à nous arracher tout ce qui fait que nous sommes... Nous. Elle nous arrache nos proches, elle nous arrache notre monde. Nous bâtissons nos vies en espérant qu'elle pourra survivre à tous les torrents, mais au fond, ce ne sont que des pièces facilement démontables par la nature elle-même. Tout ce que je croyais acquis à jamais est en fait une illusion. Le mieux que je puisse faire, c'est de rendre ce passage dans l'existence le plus tolérable possible. Non, le plus utile. Le plus charitable. Chacun d'entre nous vit une histoire, vit son monde. Chaque monde a son début et sa fin. Chaque monde est précieux et pourtant, sera ultimement détruit. Est-ce que cette pensée te hante, Arbol? L'inexorable passage du temps qui te poussera à l'état de non-existence?

― Je ne sais pas. Je ne pense pas souvent à ma propre disparition. Toutefois, lorsque j'y pense, je me dis que je ne peux rien n'y faire. Tu as raison, toute chose à une fin. Je crois qu'il faut être prêt à lâcher prise lorsque le moment arrivera. Oui, c'est la fin d'un monde, mais cela n'est peut-être pas complètement un mal. Les vieilles pousses laissent la place aux plus jeunes. Les vieux animaux qui souffrent laissent la place à des jeunes vigoureux. Par contre, lorsque l'on est vivant, il faut chérir chaque moment de nos vies.

― Chérir chaque moment et pourtant savoir lâcher prise. Ce sont deux concepts tellement antagonistes. Comment puis-je saisir chaque instant en sachant qu'ils ont une fin?

― Ce n'est pas la fin qui compte, mais plutôt le chemin. N'est-ce pas? Je dis cela comme ça.

― Pourtant, ce que tu dis fait tellement de sens à mes oreilles. Ce n'est pas la fin, mais le chemin... Comment Arbol? Comment suis-je sensé passé ces machines de la mort?

― Tu as affronté la grande bouche et les peaux grises. Cela n'est qu'un autre obstacle de plus. Toutefois, je dois te faire une confession personnelle, je préférais ne pas avoir à l'affronter. J'aime bien être vivant.

― Moi aussi, Arbol.

― Cependant, je m'étonne à te dire ça puisqu'il y a encore quelques jours, je n'aurais jamais prononcé ces mots, mais je crois que tu dois affronter l'adversité. Il faut passer ces pièges.

― Je ne peux pas, Arbol. Ce n'est pas comme la grande bouche, ni les peaux grises, ni les fantômes. Ces monstres m'ont attaquée et j'étais forcée de prendre la fuite pour survivre. Mon chemin était de m'assurer de rester le plus loin possible de ma fin. Tu me demandes de changer mon itinéraire pour frôler le plus près possible la mort elle-même.

― Dit comme cela, ça me fait très peur. Toutefois, j'ai vu des choses que j'aurais préféré ne jamais voir. J'espère seulement réussir à y mettre un terme. Pour y arriver, il faut courir des risques.

― C'est si difficile, Arbol, dit Luna en sanglotant de nouveau. Je ne suis pas prête à mourir...

Il y eut un long silence pendant lequel Luna se remit à pleurer. Son ami resta décontenancé. Il ne voulait pas mourir lui non plus. Toutefois, il avait fait un deuil que Luna n'arrivait pas à accomplir. Après avoir vécu et vu ce qui se produisait dans les autres mondes, mettre sa vie en péril pour alléger le fardeau des autres lui semblait une décision convenable. Il était prêt à risquer son existence pour sauver les enfants et permettre le passage à Luna dans l'autre monde. 

L'esprit se leva, il passa au-delà des hachoirs, puis il regarda chacun des pièges sous tous les angles possibles. Il les mémorisa. Il les étudia. Si son hôte devait passer ses pièges, elle devait être bien formée. Les pensées d'Arbol finirent par le faire tourner sur lui-même. Il se concentra alors sur son amie qui se tenait là, immobile, la main sous le hachoir. Lorsque la lame tomba, la jeune femme retira son bras.

― Qu'est-ce que tu fais? se fâcha Arbol. Tu aurais pu perdre la main.

― Suis-je prête à perdre mes doigts? Ma main? Puis-je continuer à vivre sans eux? Suis-je prête à faire leur deuil? Si je ne le suis pas, comment puis-je être prête à faire le deuil de ma vie? Perdre ma vie, c'est perdre tous mes membres à jamais. Suis-je prête à perdre ma tête? Puis-je vivre sans elle? Non. Car, je ne peux vivre sans vie. Je serais morte. Puis-je vivre avec l'idée d'être morte? Non... Je serais morte.

― Écoute, Luna. Nous allons tous mourir un jour. La peur de la mort est un concept des vivants. Tu sais, une fois, des vers ont mangé une partie de mes feuilles.

― Ce devait être terrible.

― Pour un vivant, ce l'est. Alors, j'ai laissé tomber toutes mes feuilles. Les vers sont partis. Lorsque mes feuilles étaient au sol, elles étaient sans vie. Elles n'étaient pas malheureuses. Elles ne se sentaient pas seules. Elles n'étaient plus. La mort, c'est comme avant de naître. Nous n'en avons pas conscience. Tu ne regrettes pas les années passées avant ta naissance. Ne regrette pas les années passées après ta mort.

Luna resta impassible. Les mots d'Arbol sonnèrent fort dans sa tête. Elle pensa au début, au milieu et à la fin. Dans tout cela, ce qui était important, c'était que le présent. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top