À la suite de son intrigante découverte au fond de l'étrange temple dans la forêt, la faim et la soif eurent raison de la peur de Luna. Alors, elle fit demi-tour et sortit de la grande pièce circulaire où se situait la curieuse sphère. Elle traversa les couloirs et monta les marches. Ses mains se mirent à trembler aussitôt qu'elle aperçut le gazon. La jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser à la grande bouche qui avait passé si près de la dévorer. D'un coup, elle ferma les yeux et s'imagina le pire. L'immonde créature l'engouffrant d'un coup. Être prisonnière dans sa gorge. Étouffée et comprimée dans l'estomac du monstre sans espoir d'en sortir vivant.

― Luna! s'écria Arbol en la voyant perdre pied. Tu dois te reprendre. Tu dois rester forte.

Les mots n'atteignirent pas son hôte qui n'écouta point. À l'aide des murs autour d'elle, l'exploratrice retint sa chute et commença à prendre de grandes respirations. Aussitôt, son compagnon s'élança pour la soutenir même s'il n'avait pas la force de lever le poids de son hôte. Tout de même, il se mit à lui parler d'une voix rassurante et à fredonner une petite chanson. Avec un peu de temps, Luna finit par reprendre lentement ses esprits, puis elle mit le pied dehors.

― Est-ce que vous êtes là? Est-ce qu'il est là? demanda l'aventurière aux esprits de la forêt.

Il n'y eut aucune réponse.

― Hey! Je sais que vous êtes là. Écoutez-moi, les esprits, est-ce que la grande bouche est là?

Il n'y eut aucune réponse, au début. Par contre, petit à petit, des esprits apparurent et se mirent à contempler la victime du prédateur de la région.

― Où est la grande bouche? Est-il loin?

Les esprits les plus près se tournèrent et demandèrent à leurs compagnons:

― Où est la grande bouche? Est-il loin?

Puis l'esprit suivant porta le message au suivant. Le message se répandit dans toute la forêt tel un murmure porté par le vent. Luna attendit un long moment avant que, de très loin, elle vit une file d'esprit qui apparaissait à mesure qu'un murmure revenait à elle. Tous pointèrent dans la même direction, la réponse arriva enfin à Luna.

― Par là, à 71 829 arbres d'ici.

Luna n'avait aucune idée quelle distances faisaient 71 829 arbres. Toutefois, elle jugea que ça devait être bien assez loin. Alors, elle demanda aux esprits:

― Où puis-je trouver de l'eau?

Les esprits apparurent dans l'autre sens et dirent un à un:

― Par ici.

L'aventurière suivit les esprits jusqu'à une colline presque dénudée d'arbre. Elle y trouva un petit lac et un ruisseau. Non loin de là, elle repéra des petits fruits qu'elle mangea aussitôt qu'elle eut fini de s'abreuver. C'est à ce moment que Luna se tourna et aperçut la grande bouche dépassant la cime des arbres. Sur le coup, le corps de la jeune femme se tendit de frayeur. Cependant, la distance les séparant lui permit de se calmer. Sous un ciel bleu, le duo se mit à observer et à étudier les mouvements de la grande bouche. Le monstre vagabondait à la recherche de nourriture. Il leva ensuite la tête et regarda la montagne verte, puis les ruines.

― Il espère que je sois assez idiote pour retourner là-bas.

― Tu as été assez idiote pour y aller malgré les avertissements d'Enojada, reprit Arbol.

Luna lança un regard furieux sur son ami qui dit simplement:

― Désolé.

Puis, un esprit non loin d'eux s'approcha. Il avait écouté ce court échange et il sentait le besoin d'y mettre son grain de sel. Sans même les saluer ou se présenter, celui-ci leur dit:

― Ils revenaient toujours.

L'aventurière se tourna en fronçant le sourcil, puis Arbol, heureux de tergiverser avec un autre être spectral, demanda:

― Qui?

― Les humains. Ils finissent toujours par revenir. C'est ce que cette grande bouche espère. C'est ce qui retient ce monstre ici.

― Tu crois qu'il partirait si les humains n'essayaient plus de se rendre à la cité oubliée? demanda Luna.

― Comme les autres.

― Les autres?

― Il y en avait plus, avant. C'est pour cette raison que la cité est dans cet état. Le plus loin que je me souviens, les grandes bouches vivaient en groupe et se nourrissaient des humains provenant de la montagne. À mesure que les humains ont commencé à se faire rares, les grandes bouches ont migré. Sauf celui-ci. Il reste dans l'espoir que les humains reviennent en grand groupe. Depuis, il ne mange qu'un humain ici et là.

― Est-ce que tu as vu la chute de la cité? demanda Luna. Est-ce que tu sais comment les anciens ont disparu?

Embêté, l'esprit lui répondit:

― Cela a eu lieu bien avant ma naissance. Au plus loin que nous sommes capable de nous rappeler, la cité était déjà déserte et des humains descendaient de la montagne pour la visiter. Certains pensent que la cité appartenait autrefois aux êtres comme toi tandis que d'autres pensent que c'est l'oeuvre de dame nature.

― Ce n'est pas l'oeuvre de dame nature! Les anciens ont construit cette cité! se fâcha Luna.

― Ce n'est pas moi que tu dois convaincre, mais la forêt en entier. Nous n'avons pas de preuve que cela a été construit par les humains. De plus, construite par les humains ou non, cela n'a plus d'importance. Ce que tu vois est le domaine de cette grande bouche.

La jeune femme serra le gazon, puis elle cracha un juron. Prise de colère, Arbol se sentit obligé d'essayer de la calmer.

― Les réponses ne font qu'amener plus de questions! Pourquoi les anciens ont-ils laissé tomber la ville? Pourquoi y avait-il plusieurs grandes bouches?

― Luna, Luna, calme-toi, dit Arbol en caressant les cheveux dans le vent de son hôte. Nous ne savons pas, mais nous pouvons avoir des doutes. Les anciens ont probablement été chassés par les grandes bouches il y a plusieurs centaines d'années de cela. Depuis, les humains, réfugiés dans la montagne verte essaient de reprendre la cité. Incapable d'accomplir cette prouesse, la cité est devenue ruine et le souvenir des jours où ils y vivaient a disparu.

― Dans ce cas, pourquoi les grandes bouches ont soudainement attaqué? D'où viennent-ils?

― Je ne sais pas Luna. Je ne sais pas. Mais, je sais que nous avançons dans notre enquête. J'aurais voulu que dès le début, tout nous soit révélé par l'arbre ancien, mais la vérité semble plus compliquée que nous le pensions. Je crois surtout que personne ne la connait réellement.

― Sauf peut-être l'arbre de la plaine fantôme. L'arbre le plus vieux du monde. Le seul à avoir vécu assez longtemps pour avoir vu ou entendu ce qui s'est passé.

― C'est notre espoir. Pour l'instant. Toutefois, nous devons tout d'abord trouver un moyen de se rendre jusqu'à lui.

― Pour cela il faut trouver les anciens humains. Mais, ils sont tous morts et ceux qui restent, ne se souviennent de rien.

― Je suis désolé, Luna. Peut-être trouverons-nous un arbre qui pourra nous aider.

― Je l'espère.