CHAPITRE 8: Samedi 15 mai/ 1





Descendant du bus, mon sac de sport à la main j'ai entamé les deux cent mètres qu'il me restait pour rentrer chez moi.

Pour une raison qui m'échappait, je ne me sentais barbouillé aujourd'hui.

En ce premier jour de week end, j'avais passé l'après midi entière à la salle de boxe en pensant naïvement que la fatigue de mon corps pourrait calmer la suractivité de mon esprit.

Ça n'avait fait qu'empirer mon mal être puisque maintenant, en plus de ressasser inlassablement tous mes soucis, les courbatures naissantes me faisaient souffrir à chaque fois que je bougeais les bras.

Quand j'ai ouvert la porte de la maison, l'odeur familière de cake à la cannelle m'a enveloppée. Laissant tomber mon sac dans le couloir j'ai bifurqué vers le salon.

Alyzée avait tiré les rideaux et dans le noir total, assise à l'envers sur le canapé à fleur elle regardait une série.

Je me suis laissé tomber à coté d'elle en me frottant les yeux.

La tête en bas ma soeur s'est tournée vers moi en étirant les bras derrière elle.

_ Tu fais quoi ce soir?

Aujourd'hui nous étions le quinze Mai et tous les quinze Mai comme à l'accoutumé, c'était mon anniversaire.

Je me suis nerveusement rongé l'ongle du pouce

_ Je sais pas, rien. J'ai pas envi de sortir.

Cette année mon anniversaire c'était la fourmis sur le gâteau, le cheveux sur la soupe, le fil dans le haricot vert, c'était pousser mémé dans les orties. Je n'avais aucune envie de le fêter.

_ Mmmm... ok, a t' elle répondu évasivement de nouveau absorbée par l'écran.

Pour une fois elle avait bien menti et si je n'avais pas tourné la tête à ce moment là pour la voir dissimuler un sourire malicieux, je n'y aurais vu que du feu.

Super, vraiment génial, ai je pensé. Il faut dire qu'une fête surprise ça ne m'emballait pas franchement.

J'ai soupiré en m'enfonçant dans le fauteuil, mais incapable de rester assis à ne rien faire plus de cinq minutes je me suis levé pour sortir du salon.

Dans la cuisine j'ai ouvert le placard pour prendre un verre d'eau. J'ai fais glisser la veste de mes épaules pour la poser sur le dossier d'une chaise et j'ai volé un paquet de gâteau dans le placard.

Ça allait encore faire criser Jinette, elle qui détestait qu'on se serve sans lui demander.

D'ailleurs ça n'a pas tardé, j'allais à peine repartir pour monter dans ma chambre que mon prénom a fusé.

Mes épaules se sont raidis et j'ai posé les gâteaux sur l'évier avant de sortir dans le jardin. Les nains de jardin répartis sur la pelouse m'ont regardé avec leur habituel sourire figé. Je ne comprenais pas ce que Jinette trouvait à ces bonhommes de plâtre qui semblaient se moquer de nous.

Passant sous la tonnelle verdoyante, j'ai chassé une abeille qui me tournait autour du revers de la main puis dans un raclement de chaise je me suis assis à la table, les jambes étendues devant moi.

Dans un silence contemplatif j'ai observé ma grand-mère désherber consciencieusement un petit carré de fleur. La voir si calme m'a détendu et durant un instant le nœud dans ma poitrine s'est dénoué. J'ai eu l'impression de respirer librement pour la première fois depuis longtemps et ça m'a fait un bien fou.

Alors qu'elle ne disait toujours rien, je me suis penché pour mieux voir la petite coccinelle qui se frottait les pattes sur le dossier de ma chaise. Elle avait huit points noirs sur un carapace rouge.

Je l'ai regardé s'envoler en oubliant de faire un vœu et Jinette s'est tournée vers moi.

Les ongles plein de terre elle m'a tendu un minuscule paquet en papier journal qu'elle venait de sortir de la poche de son tablier.

_ C'est quoi ? ai je bêtement demandé en grattant le papier pour déchirer le paquet.

_ C'est pour ton anniversaire, a t' elle répondu doucement.

C'était une fine chevalière en argent. Perdu j'ai relevé la tête vers elle pour chercher l'explication dans ses yeux.

_Ton père l'avait volé dans ma boite à bijou quand il avait ton âge, un peu avant de partir faire son service militaire. Je me rappelle l'avoir cherché partout pendant longtemps puis je m'étais résigné pensant l'avoir égaré. Plusieurs années après je l'ai revu au doigt de ta mère, il en avait fait sa bague de fiançailles. Elle est à toi si tu la veux.

Elle m'a brusquement tourné le dos les mains tremblantes.

_ Il faut que j'y aille, j'ai mon rendez vous chez le coiffeur, a t' elle annoncé d'une voix plate en laissant son tablier sur la table. Sans me regarder une seule fois, elle s'est empressée de quitter le jardin pour disparaître dans la maison.

Ma grand-mère ne raterait un rendez vous chez le coiffeur pour rien au monde mais je savais que celui ci n'était pas la raison de son départ précipité. Ça faisait quatorze ans qu'ils étaient mort mais elle était incapable de parler de mes parents sans se mettre à pleurer. Perdre un enfant devait être aussi dévastateur que de perdre un parent.

J'ai regardé la bague que je tenais toujours entre mes doigts et je l'ai posé sur la table dans un cliquetis. Je n'en voulais pas. Ce cadeau me rappelait trop de souvenirs qui chatouillaient mes larmes de petit garçon. Je sentais mon nez commencer à me piquer, mes yeux devenir troubles et ma gorge se serrer. La tête baissée j'ai serré des dents très fort pour ne pas pleurer.

Je me suis levé avec l'intention de partir mais je suis finalement resté debout, immobile sans savoir ce que je voulais faire de cette bague qui brillait sur la table.

J'ai pensé à la faire disparaître tout au fond de la jardinière, à l'écraser avec une pierre, à la jeter dans la mer. Si Jinette s'en inquiétait je pourrais dire que je l'avais égaré, qu'une pie me l'avait volé ou bien qu'elle était tombée dans le lavabo.

Alors que j'étais perdu dans mon indécision, à quelques pas de là, dans la poche de ma veste mon téléphone vibrait et sur l'écran s'affichait « prépare toi je passe te prendre à 19h30».

Suite du chapitre 8: À suivre...

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