CHAPITRE 4: Mercredi 5 mai/ 3


Fébrile, les mains tremblantes, j'ai déplié le mot et j'ai lu.

« Mon amour,

Samedi matin tu es mort.

Aujourd'hui, mercredi 19 mai, je reviens de la crémation de ton corps et je n'ai pas réussi à me relever de la chaise sur laquelle je me suis assise en rentrant. L'après midi entière s'est écoulée et je n'ai vu que le mur blanc de notre cuisine.

Avant que la colère de t'avoir perdu ait raison de moi, je prends le dernier moment de présence qu'il me reste. Je voudrais te parler une dernière fois tant que j'ai encore les yeux sec et le cœur froid.

L'horloge à coucou qu'on avait choisi ensemble m'indique que dans quelques minutes et il sera 19 h 30, l'heure ou tu rentrais toujours du travail.

Alors, me retrouvant seule pour la première fois, je serais certaine que tu ne rentreras pas à la maison ce soir, pour m'embrasser avec ce sourire espiègle que j'aimais tant.

Je t'écris cette lettre sur le bloc note de la cuisine, celui qu'on utilisait pour la liste des courses. Sur ce papier modeste, aujourd'hui avec toute mon humilité, j'aimerais te dire je t'aime.

Toi, qui illuminais mes jours tristes avec ton sourire taquins et tes yeux amoureux, toi qui comblais mes silences pour que je ne sois pas seule, toi qui est resté, même lorsque j'étouffais nos jours heureux.

Sans famille, sans amis, tu étais le seul que j'avais, le seul que j'aimais et pourtant la peur de te perdre me rendait muette. »

Ces mots, je les ai d'abord cru adressés à un autre. J'ai cru que le livreur de fleurs s'était trompé de chambre.

Puis j'ai relu la lettre une deuxième fois, une troisième fois, une quatrième fois pour l'analyser. Elle était écrite d'un seul jet comme si la personne n'avait pas hésité. Mais c'était étrange, cette fin brutale comme si elle n'était pas fini, comme si il en manquait une partie.

C'était la lettre d'une femme pour son mari décédé. Incinéré le 19 mai, j'en ai dédui qu'il était mort le 15.

Ça me faisait bizarre de savoir qu'un homme était mort le jour ou j'étais née. C'était la date de mon anniversaire et lui, c'était la date de sa mort. Et si c'était pour m'annoncer la date de ma mort prochaine ? Non c'était impossible, je partais trop loin...

J'ai relu la lettre une cinquième fois, une sixième fois puis à la septième je ne comprenais plus rien, les mots se mélangeaient, les phrases n'avaient plus de sens. Aujourd'hui nous étions le 5 mai, la date n'était pas encore passée, l'homme ne pouvait pas être encore mort. Ou alors c'était le 15 mai d'une autre année ?

Je ne comprenais pas. En repliant les papiers l'un dans l'autre, un frisson m'a parcouru et j'ai laissé choir ce petit carré blanc sur la table de nuit comme si il me brûlait les doigts.

_ Tu ne sais vraiment pas qui a déposé ces fleurs ? ai je demandé à ma sœur.

J'ai croisé son regard et je n'ai pas compris pourquoi est ce qu'elle me faisait des yeux noir. Qu'est ce que j'avais fait? Pourquoi préparait elle son sac si vite ?

_ Quoi ? Qu'est ce qui se passe ? l'ai je questionné.

L'infirmière entra dans la chambre pour s'adresser à Alyzée.

-Mademoiselle, il est 18 heures, je vais vous demander de sortir, l'heure des visites est terminée.

_ Je partais, lui a répondu ma sœur en passant la bretelle de son sac sur son épaule.

Au dernier moment, elle se retourna vers moi en me fusillant du regard, les yeux brillants de larmes contenues.

_C'est bon, te fatigue pas Matteo. De toute façon j'ai compris que je ne comptais pas pour toi. Tu ne me réponds pas quand je te parle, ça fais dix minutes que je te pose la même question! Je sûre que tu avais oublié que j'étais là.

_ Attend Alysée ! Je suis désolé... ai je tenté de la retenir.

Elle passa la porte sans me regarder et partie sans me répondre.

_ Merde... ai je murmuré.

Voilà, tout ça parce que je ne savais pas communiquer. Chez moi c'était inné ce talent pour blesser.

Après avoir remuer cette histoire dans ma tête pendant toute la soirée, j'avais fini par trouver le sommeil.

***

C'est en plein milieu de la nuit que je me  réveillé, en sursaut et le souffle court. Mon tee-shirt me collait au dos, j'avais les cheveux mouillés par la sueur et je ne savais plus ou j'étais.

Il y avait ce sentiment étrange qui m'habitait, un sentiment inconnu qui me faisait comme un vide au cœur.

J'ai tâtonné autour de moi, sur le drap, au bord de l'oreiller, sur la table de nuit. Je cherchais mon téléphone pour regarder l'heure, la date, l'année. Il n'y avait pas de téléphone.

A l'aveuglette j'ai senti sous mes doigts un papier plié et un verre vide que j'ai manqué de faire tomber tellement je tremblais. Par la porte vitrée la lumière s'est allumée, un chariot roulant est passé dans le couloir, deux infirmières discutaient, puis la lumière s'est éteinte et le relatif silence de l'hôpital est revenu. Je me suis alors redressé tout doucement dans mon lit, contre les oreillers.

Ce n'était pas un cauchemar cette fois ci, c'était plutôt l'absence de cauchemars qui m'avait réveillé.

Il y a encore de cela trois jours, j'aurais tout donné pour qu'il disparaisse de mes nuits, pour qu'il s'efface sans laisser de traces. Aujourd'hui je découvrais que les nuits sans cauchemars étaient des nuits tout aussi traumatisantes.

Voilà deux nuits que mon cauchemar avait disparu et je savais qu'il ne reviendrait plus. J'avais cauchemardé toute ma vie, c'était une part de moi familière. Qui étais je si elle disparaissait? 

J'avais trop chaud, je me suis tourné du coté de la fenêtre, repoussant le drap tout au bout de lit.

Qu'est ce qui allait se passer maintenant ? J'allais mourir ? C'était ça la lettre ? 

Tant pis si c'était ça.

Par la fenêtre mon petit bout de parking était calme. Une voiture reculait en éclairant de blanc la nuit noir. 

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