CHAPITRE 3: Mardi 4 mai /3
Du reste de la soirée, je n'ai pas ouvert la bouche. J'ai gardé les yeux baissés au sol pour éviter de croiser les siens. Elle s'appelait Samantha. Sa voie était douce et son rire rare mais léger. L'atmosphère saturée de son parfum me faisait mal à la tête et la tension entre nous était de plus en plus étouffante.
Dupont m'en voulait mais j'étais incapable de faire quoi que ce soit d'autre que de rester assis le plus loin d'elle.
_ Les pizzas sont prêtes, a t' il soudain annoncé les yeux sur son téléphone.
Aussitôt je me suis senti doté d'une mission de la plus haute importance et j'ai bondi de mon siège.
_ J'y vais !
Dupont m'en a dissuadé d'un regard incendiaire.
_ C'est bon ! Je m'en occupe.
Alors je me suis rassis et un silence lourd est tombé. Chaque seconde était plus douloureuse que la précédente, la tête me tournait et l'air empli de parfum ne m'apportait plus l'oxygène nécessaire.
Qu'est ce qui m'arrivait soudain ? J'ai papillonné des paupières pour me convaincre que ça allait passer.
Prenant ma tête entre mes mains j'ai passé les doigts dans mes cheveux et j'ai observé autour de moi pour me forcer à rester conscient.
La table basse décorée de canettes vides et de papiers gras, la tapisserie aux motifs abstraits, les moutons de poussières qui dansaient sur le sol de béton brut, les détailles du tapis élimé, une vieille guitare dans un coin et l'ampoule de la lampe d'où l'intensité variait.
Il commençait à me devenir de plus en plus difficile de rester conscient, je me sentais partir, mon esprit embrumé et mes paupières lourdes, j'ai fermé les yeux. J'avais tellement besoin d'air...
D'un voix rauque et entrecoupée que je ne reconnaissais pas, j'ai repris la conversation là ou elle avait commencé dans le bus.
_ Sympa tes chaussures.
D'interminables secondes se sont écoulées et j'ai bien cru qu'elle ne répondrait jamais.
Puis doucement dans le silence du sous sol elle a chuchoté.
_ Arrête Matteo.
_ Désolé, ai je murmuré les yeux fermés. C'est d'accord, je t'oubliais. Mais en échange, je veux que tu me racontes ce que je ne sais pas.
Je ne me souviens pas avoir trouvé la force d'ouvrir les yeux pourtant je l'ai fais. Le parfum de Lilas me faisait encore tourner la tête et perdu dans le vert de ses yeux, la douleur était telle qu'elle me déchirait le cœur. Quel était donc son secret ?
Mes yeux me piquaient mais je me forçais à les garder ouverts.
J'en étais où déjà ? ai je pensé.
Je me suis soudain senti extrêmement fatigué et j'ai eu à peine le temps d'avoir peur que je me suis endormi. Mon corps, qui n'en pouvait plus de lutter s'est effondré.
Dans cet étrange sommeil où je me sentais conscient, il m'a semblé heurter le coin de la table, sentir le sang poisser dans mes cheveux et couler de mon front jusqu'à ma mâchoire.
Il m'a semblé qu'elle hurlait mon prénom d'une voix désespérée comme les filles dans les films. Ça me résonnait dans la crane, ça ricochait sur les murs. Puis sont corps m'a paru tomber près du mien, inerte.
Bientôt il ne me semblait plus rien, j'étais de retour dans un passé lointain.
Quel était donc son secret ? J'avais été bête de lui demander ça, je m'en voulais. J'avais juste voulu lui dire qu'elle pouvait se confier, que j'étais là pour elle. Je crois que j'avais été maladroit...
Le tiroir de la caisse enregistreuse a claqué. La recette du jour était bonne.
J'ai dénoué mon tablier vert d'épicier, je l'ai suspendu sur son clou. Dans un tintement la porte grinçante s'est fermée derrière moi.
D'une main j'ai tiré pour que le bois gondolée ferme convenablement et de l'autre j'ai tourné la clef deux tours dans la serrure.
Il était dix neuf heures trente et la nuit entière était à nous. Les mains dans les poches de mon manteau j'ai souri tout seul passant mes doigts sur les arrêtes des deux tickets de cinéma. J'espère que le film lui plaira. J'ai descendu la rue dans le soleil qui se couchait en shootant dans une pierre. J'espère qu'elle me pardonnera. La pierre roulait, roulait, elle claquait sur les pavées puis elle a disparu dans une bouche d'égout. J'espère que ça ira.
J'ai passé la porte du café le cœur battant et en essuyant mes mains moites sur mon jean. J'ai croisé son regard alors qu'elle descendait les marches de la salle du haut, un plateau de vaisselle sale au bout des doigts et les cheveux lâchés. J'aimais bien son parfum. C'était un parfum de Lilas.
Elle a baissé les yeux quand je me suis approché penaud.
_ Salut...
_ Il faut qu'on parle. Viens, j'ai pas beaucoup de temps, m'a t' elle soufflé d'une voix cassée.
On était ce couple, attablé à la table bancale d'un modeste café populaire. Un mois de relation à peine, c'était notre première dispute et je m'en voulais terriblement de l'avoir fait pleurer. J'étais amoureux.
Silhouette frêle, des mèches folles qui caressaient sa nuque, des mains fines, tremblantes qui couraient délicatement sur le bord de son verre.
Partout on raconte qu'elle souffrirait d'un mal étrange et silencieux. Elle ne le savait pas mais j'avais attrapé exactement le même mal que le sien, seulement de nous deux, seul le mien était le vrai. J'ai retourné mes paumes brunies par les cicatrices d'une ancienne brûlure pour lisser les plies de mon jean d'un geste nerveux. Alors qu'elle ne disait rien, j'ai serré les billets de cinéma dans ma poche.
_ Je suis désolé.
J'avais prononcé ces mots avec délicatesse pour ne pas flétrir d'avantage les pétales de ma fleur fanée pourtant elle n'a rien dit.
Alors qu'elle ne répondait pas, j'ai levé les yeux sur elle mais le regard perdu dans le vague, c'était comme si elle n'avait pas entendu ou peut être pas écouté. J'ai fermé les yeux quelques secondes avant de me reprendre et de chercher son regard avec douceur.
_ J'ai été maladroit, je suis désolé.
Dans un raclement de chaise elle s'est levée. Les yeux baissés, la voix dure, et les larmes dans la voix elle a chuchotée.
_ Arrête ne t'excuse pas. Après le stade futile des premières discussions apparaissent toujours les premières vraies questions. C'est moi qui m'excuse. Je suis désolée, je veux qu'on arrête. J'ai été égoïste de vouloir essayer et je serais égoïste de vouloir continuer.
Je suis devenu tout blanc. Les billets se sont froissés dans mon poings serré pourtant je suis resté de marbre et j'ai attendu. La voix tremblante elle a continué.
_ Je suis un être brisée et j'ai peur de briser la seule personne que j'aime.
J'entendais ce qu'elle me disait, je comprenais, pourtant c'était comme si la gravité de ses mots ne m'atteignait pas réellement. J'ai relevé la tête, surpris comme un enfant de ces mots qu'elle venait de prononcer.
_ Tu m'aimes ?
_ Ce n'est pas la question.
Elle venait de dire qu'elle m'aimait.
Elle avait sur le visage un air grave et moi un sourire idiot.
_ Je veux qu'on arrête... a t' elle répété tout doucement. A l'image de mon existence funambule, notre histoire va se construite de brique et de broque sur un secret...Je ne veux pas te faire de mal.
J'ai relevé les yeux vers elle, le visage soudain grave.
_ Deux secrets, ai je rectifié.
J'ai regardé son masque de glace glisser brusquement pour laisser place à la stupeur.
_ Comment ?
_ Un à toi, un à moi.
J'ai laissé planer un silence en passant mon pouce le long de l'arrête de la table, cette fois c'était moi qui fuyais son regard.
_ T'es pas la seule à avoir des vilains secrets tu sais. Seulement, la différence entre nous c'est que le tien, il peut faire de toi ce qu'il veut. Il décide, il domine, il ordonne, il te tue. Et toi, tu le regardes faire en silence, tu lui laisses carte blanche.
Quand j'ai relevé les yeux sur son visage paniqué, la folie de son regard m'a fait peur. Qu'avais je dis ?
_ Je n'ai tué personne ! s'est elle soudain exclamée avec violence.
Elle avait mal compris.
_ C'est pas ce que j'ai dis...
_ C'est pas moi... a t' elle répété en plongeant ses yeux fou dans les miens.
C'est dans ce regard que j'ai compris que ça ne servait à rien de continuer, elle n'entendait pas. Elle était perdu dans son monde.
L'expression de son visage défait m'a immédiatement rappelé cette nuit là. Cette fameuse nuit d'avril il y a un an.
Est ce que j'avais mal compris ? Est ce que c'était la conséquence de mes actes qu'elle payait ? Si c'était le cas, jamais je ne me pardonnerais ce geste tragique qui brûlait encore aujourd'hui mes paumes d'une marque indélébile.
Je suis devenu livide et tremblant.
_ Je sais. On en parle plus, lui ai je répondu rapidement.
Le corps frissonnant j'ai sorti les places de cinéma froissées de ma poche.
_ On est pas obligé d'y aller ce soir, si tu veux aller dans un autre endroit... peut être au restaurant ou au théâtre...
Je me suis brusquement arrêté dans mon élan quand elle a posée une main sur mon avant bras, le regard tendre.
_ Calme toi, tu parles trop vite.
Les trais tirés et le visage fané elle m'a regardé avec ses grands yeux verts remplis de larmes de crocodiles.
_ Je ne sais pas quoi dire. J'espère ne pas me tromper... Si je viens de te quitter et que toi, tu m'invites encore au cinéma... Est ce que ça veut dire que j'ai encore une chance pour que tout recommence ? Et puis après, je suppose que c'est le premier de nous deux qui découvre le secret de l'autre qui aura gagné ?
Elle laissa planer le silence.
_ Si c'est comme ça, le cinéma ce soir je suis d'accord.
Elle a essuyé ses larmes délicatement.
_ Je suis désolée, je sais que tu n'aimes pas voir les gens pleurer.
J'ai baissé les yeux parce que je me trouvais un peu idiot de ne pas savoir quoi faire.
_ Mais pourquoi tu fais rien ? Prend moi dans tes bras ! a t' elle chuchoté.
Nous étions à nouveau ce couple qui s'enlaçait en tremblant pour ne plus penser à ce jour gris qui menaçait toujours de grignoter leur vie.
Les mains encombrées par les cartons de pizzas qui lui brûlaient le bout des doigts, des canettes de sodas qui glissaient dangereusement d'une extrémité à l'autre de la boite, Dupont avait rétabli l'équilibre en tournant son bras pour avoir une meilleur prise. Du pied il avait ouvert la porte du sous sol et s'était arrêté trente secondes pour écouter l'ambiance. C'était un silence d'enterrement.
Dupont a serré des dents énervé par l'attitude de Matteo qui gâchait toute la soirée. Qu'est ce qu'il lui prenait d'être si étrange avec elle ? Ils se connaissaient ? Il était jaloux ? Pourquoi est ce qu'il ne disait rien ?
Toujours immobile en haut des escaliers, il a appelé.
_ Les gars ? Vous pouvez venir m'aider à prendre les pizzas ? J'ai peur de tout faire tomber !
Personne n'a répondu et Dupont a soudain eu un mauvais pressentiment.
_ Les gars ? Vous venez ou quoi ?
Ce silence morbide était étrange. Il semblait annoncer ce genre de blague qui ne faisait rire personne.
Les cannettes de sodas, déséquilibrées roulèrent tout en bas de l'escalier du sous sol.
_ Sérieux vous faites chiez ! a crié Dupont en dévalant trop vite les escaliers.
Quand il a vu les deux corps inertes effondrés l'un contre l'autre il a glissé sur la dernière marche et les cartons de pizzas se sont écrasées par terre.
Ce spectacle qui aurait pu être le dernier vers d'un poème tragique était pourtant le tout premier acte d'une étrange pièce de théâtre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top