CHAPITRE 3: Mardi 4 mai /1
Il était 20H01. Ma veste en cuir noir sur les épaules, la capuche de mon sweat rabattue sur ma tête, je trouvais qu'il faisait particulièrement frais pour un soir de mai. Marchant à vive allure, les bras croisés pour me réchauffer, je serrais des dents.
J'étais énervé alors rien n'allait. Une feuille morte collée sur ma semelle, un caillou un peut top rond, un petit trou dans le trottoir, tout était une raison pour jouer avec mes nerfs.
Je détestais ce genre de jour ou j'avais eu tellement de mal à dormir que c'était comme si tous les gens, tous les mots et tous les silences me piquaient.
En fin d'après midi j'étais parti pour une de mes balades sans but. J'avais gagné la ville, j'avais vu la mer, j'avais mangé un beignet et maintenant je rentrais pour ma super soirée chez Dupont.
Pourquoi avais je accepté de sortir déjà? Ah oui, juste parce que j'avais répondu avant de réfléchir.
Ce soir encore plus que n'importe quel autre soir, je n'avais envie de rien.
Ni de parler, ni jouer à Mario brosse sur la télé poussiéreuse de Dupont, ni de manger une pizza froide en buvant de la limonade sans bulle assis sur le canapé défoncé de son sous-sol.
Mais si j'avais annulé au dernier moment, je n'ose imaginer la scène qu'il m'aurait faite. Tout ça pour une fille. Tout ça pour lui arranger un coup. Et moi alors?
Rageur, j'ai pressé le pas sur le trottoir en continuant de ruminer tout ce qui n'allait pas. Tous mes problèmes y sont passés.
Je ne comprenais pas ce qui s'était passé aujourd'hui, tout était allé de travers.
La journée avait pourtant bien commencé. A la perpective de mon emploi du temps allégé par une réunion pédagogique, je m'étais levé de bon pied.
Mon humeur avait commencé à s'assombrir quand j'avais raté mon contrôle d'espagnol. Puis j'étais devenu carrément morose quand, à peine rentré à 10 heures Jinette m'avait fait ses reproches habituels.
Elle voyait très bien que j'allais mal, pourquoi fallait elle qu'elle en rajoute ?
Le partage des taches quotidiennes, était un sujet de dispute récurent entre nous. C'était toujours le même discours, Alyzée aidait à tenir la maison et moi jamais. Je m'étais donc retrouvé forcé à accompagner Jinette faire les courses.
Faire les courses impliquait de prendre le bus alors je m'en étais ravi. C'était plus fort que moi, cette fille m'intriguait. Pourquoi j'étais si nostalgique chaque fois que je la croisais ? Pourquoi ce parfum qui l'accompagnait ?
Le problème c'est justement qu'elle m'intriguait au moins autant que j'avais peur de lui parler. Ça aussi c'était plus fort que moi, je croisais son regard et je restais tétanisé, les yeux au sol en passant devant elle sans la regarder.
Ce matin, arrivé devant l'arrêt « Perrier », celui où elle était montée la première fois, le bus avait ralenti pour ouvrir grand ses portes. Assis coincé entre Jinette et son grand caba j'avais espéré la voir apparaitre. J'étais décidé, j'allais lui parler. Je n'avais aucune idée de quoi dire, mais je m'en fichais.
Mon souhait avait été exaucé. Je l'avais regardé remonter l'allée à la recherche d'une place, mais seulement, passant près de moi, c'est elle qui avait murmuré sans me regarder, sans s'arrêter :
« -Tais toi Matteo, je n'ai rien à te dire. »
J'étais resté interdit, interloqué qu'elle connaisse mon prénom.
J'aurais du lui répondre, lui parler, faire quelque chose. Pourtant j'étais resté muet comme une carpe.
Ça m'énervait de ressasser le passé. De retour au présent, j'ai regardé ma montre sans desserrer la mâchoire. Il était maintenant 20 h 08 et j'arrivais à l'arrêt de bus.
D'un seul coup, je me suis mis à stresser. Et si je la croisais encore une fois ? Tant pis, j'improviserais. Je me suis forcé à ne pas y penser.
De nouveau j'ai jeté un coup d' œil nerveux à ma montre. Plus que deux misérables minutes à attendre à coté de la petite mamie et son cabas à roulette, perdu parmi le nuage de la fumée de cigarette d'un vieux bonhomme et les cris du gamins dans sa poussette que la mère, exténuée, le nez penché sur son téléphone berçait doucement.
De nouveau j'ai maudit tout ce qu'il m'était possible de maudire.
Le bus est arrivé, bondé.
Avec ma grâce naturel je suis monté sans aider la vieille qui se débattait avec ses courses, sans aider la jeune mère avec sa poussette.
Tête baissée j'ai traversé l'allée en quelques enjambées pour rejoindre la dernière place libre. Les yeux au sol, je préparais mon regard le plus noir de type « tu me fais pas chier sinon je t'en colle une » pour le mec bourré que j'allais me farcir pendant le trajet.
Je l'ai immédiatement regretté.
Sur des millier de personnes il fallait que ce soit elle. Elle avait décidé de passer sa vie dans ce bus ou quoi ?
Elle m'a regardé pendant une fraction de seconde et quand elle a fait le lien, très vite elle a tourné la tête vers la vitre.
Je ne savais plus quoi faire. J'ai reculé un peut paniqué, il fallait que je sorte mais les portes s'étaient déjà refermées et les gens bloquaient l'allée. Impossible de faire demi tour.
_ Tu fais quoi gamin ? Pousse toi, a grogné le vieux derrière moi.
Sans plus réfléchir je me suis assis à coté d'elle. J'étais tout raide sur le bout du siège. N'osant tressaillir, je restais tétanisé par ce parfum de Lilas qui me faisait tourner la tête et par la simple chaleur que son corps dégageait.
Après tout, elle avait peut être oublié qui j'étais. Peut être qu'elle m'avait pris pour quelqu'un d'autre ce matin, un autre gars qui me ressemblait et qui portait le même prénom que moi. Je me suis légèrement détendu et j'ai joué la carte de la prudence comme première approche.
Le cou raide, j'ai baissé les yeux sur mes chaussures. A coté de mes pieds, il y avait les siens.
Par miracle elle portait des converses. A la vue de leur couleur blanche délavée je me suis dit qu'elles devaient avoir vécu autant que les miennes.
_ Sympa tes chaussures, lui ai je souri sans la regarder.
Il y a eu un très grand silence puis elle m'a répondu.
_ Tu peux arrêter de me parler ? Déjà que ça me soûle de te croiser tous les jours dans le bus... Maintenant tu t'assois à coté de moi pour me parler de la pluie et du beau temps ? Pourquoi t'es encore là ? Tu me suis ?
_ Quoi ? ai je bégayé.
Finalement non, je crois qu'elle savait parfaitement qui j'étais. Mais comment elle pouvait me connaitre?
_ C'est toi qui me suis, ai je croassé.
_ Tu peux faire comme si on ne se connaissait pas ? m'a elle demandé dans un reproche.
_ Parce qu'on se connaît ? me suis je informé.
Soudain j'ai eu l'espoir d'avoir loupé un truc, d'avoir trouvé l'explication à mon incompréhension.
_ Non ! s'est elle brusquement exclamée comme dans un sursaut d'horreur.
Malgré moi j'ai ri nerveusement sans répondre.
_ Écoute je veux pas d'histoire. Tais toi Mattéo, m'a t' elle répliqué d'une voix dure.
Je me suis soudain tourné vers elle.
_ Pourquoi tu m'agresses ? C'est quoi le problème ? C'est toi qui me parle depuis le début, arrête de me prendre pour un fou, j'ai encore toute ma tête. Et puis comment tu connais mon prénom ?
Le visage tourné vers la vitre pour ne pas me voir et les bras croisés, elle m'a soudain paru bien moins mystérieuse.
_ Tu m'a dis que t'aimais bien mes chaussures, a t'elle répondu après un silence.
Elle ne m'avait même pas écouté.
_ Et alors ? Ce n'est pas une réponse ! ai je répliqué. Ce matin c'est toi qui a commencé.
_ NE. ME. PARLE. PLUS, s'est elle butée.
Comme elle, j'ai joué à celui qui n'entendait pas.
_ Comment tu connais mon prénom ?
Seul le silence a fait échos à ma question alors j'ai décidé de lui parler de tout et de rien jusqu'à ce qu'elle me réponde.
_ Il fait vachement froid ce soir. Tu sais, tout à l'heure je suis passé à coté de la mer, les gens se baignaient ! Sur la promenade des Anglais j'ai donné deux euros à un monsieur qui jouait de la guitare. Il avait l'air gentil, il avait des converses noires. Moi j'ai acheté ma première paire de converse dans l'été de mon CM2. Elles étaient bleu, je les adorais.
J'ai sourie en tournant la tête vers elle pour demander :
_ Tu connais la théorie de la converse ?
Je crois que ça a été les mots de trop. D'un mouvement de cheveux électrique elle m'a lancé un regard meurtrier.
_ Putain mais tu comprends pas ? Tu comprends pas quand on dit non ? C'est quoi ton problème? Tu pouvais pas trouver belles les chaussures de quelqu'un d'autre ? Jamais on doit se connaître, jamais on doit se parler tu m'entends ?
Là elle était vraiment énervée je crois.
_ C'est bon, tu peux juste me dire que je suis pas ton genre, je vais pas me vexer, ai je ironisé.
_ C'est pas ça, a t' elle répliqué soudain plus calme.
_ C'est quoi alors ?
Il y a eu un silence trop long et je savais qu'elle ne répondrait pas.
_ OK. Donne moi une raison et j'arrêterais de te parler, ai je décidé.
Elle ne m'a donné aucune raison et je n'ai jamais été si heureux que quand le bus s'est arrêté à l'arrêt « Perrier ». Une réflexion absurde m'a traversé l'esprit, « Tiens, c'est l'arrêt de cette fille mais c'est aussi l'arrêt de Dupont, peut être qu'ils se connaissent ? »
Sans m' y attarder trop longtemps, j'ai bondi de mon siège avant même que les portes ne soient ouvertes et je suis parti dans la nuit.
Suite du chapitre 3: A suivre...
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