CHAPITRE 2: Lundi 3 mai /3

Quand je suis monté dans le bus, l'odeur de Lilas m'a soulevé le coeur.

Elle était là de nouveau. La « peut être nouvelle voisine de Dupont ».

Je suis passé près d'elle en retenant ma respiration pour m'asseoir tout au fond. Le plus loin possible.

Les yeux baissés sur mes mains, je me demandais si j'étais le seul à sentir cette tension qui grésillait au dessus de nos têtes. Je me demandais si elle savait qui j'étais, si comme moi elle aimait manger les fraises vertes et comment elle s'appelait.

Mentalement je me traitais de tous les noms. C'était peut être la dernière fois que j'avais l'occasion de lui parler et j'étais passé devant elle comme si de rien n'était.

Et si elle ne reprenait plus jamais le bus ? Si un accident survenait ?

J'étais vraiment trop con mais j'avais peur et la peur était une petite chose acide difficile à digérer.

J'ai baissé les yeux sur mes paumes pendant le reste du trajet et quand je les ai relevé, elle était toujours là. Sans comprendre pourquoi, ça m'a soulagé.

Mon sac sur l'épaule, j'ai descendu les marches du bus énervé contre moi même et j'ai shooté dans tous les cailloux qui avaient le malheur de se trouver sur mon chemin.

Cette fois je venais de la quitter et je n'avais pas pleuré.

Mes pensées n'ont cessées de papillonner dans mon esprit sans jamais réussir à se poser sur quelque chose de concret et ça m'agaçait parce que j'aimais marcher en silence.

Arrivé devant les portes du club de boxe, j'ai pénétré dans le hall décrépit qui sentait la transpiration et le renfermé. C'est fou comme cette odeur familière me calmait instantanément.

La plante sèche de l'entrée, le comptoir vide, les coupes et les médailles poussiéreuses dans la vitrine, les photos des champions sur le ring et enfin tout au bout du couloir, les vestiaires vides et froids. Les mêmes depuis trop longtemps.

Quand je suis arrivé dans la salle en respirant cette odeur de cuir et de poussière, j'ai entendu le son des chaines, le coach qui hurlait et j'ai eu l'impression d'être super puissant.

_Poing droit! Poing gauche! Esquive!

De loin Black m'a lancé un regard préoccupé avant de se tourner pour engueuler les petits qui faisaient des roulades sur le ring.

Ce vieil ours me connaissait depuis longtemps. Nos discussions se résumaient à présent par de longs silences lourds de sens.

Il n'avait plus besoin de me demander. Juste un regard, un coup plus fort que l'autre lui suffisait pour deviner la quantité des problèmes que je taisais délibérément.

Rejoignant mon coin habituel, j'ai resserré les scratch de mes gants avec les dents.

Poing droit. Poing gauche. Poing droit. Poing gauche. Esquive. Coup de pied latéral. C'était comme se laisser emporter dans une douce folie.

J'avais commencé à fréquenter le club il y a des années et je n'avais jamais arrêté. Cette vieille salle de boxe était devenu comme un repère de fou coupé du monde.

C'était étrange de se laisser porter par cette danse et ça me faisait presque oublier pourquoi je frappais si fort.

J'avais juste la rage. La seule chose que je voyais c'était ce sac de frappe qui me revenait chaque fois dans la gueule et que je voulais renvoyer toujours plus loin, toujours plus haut.

Il y avait les lumières des néons qui m'aveuglaient, la rigidité de mes poignets, cette brulure dans mes bras et toutes les voix qui se mélangeaient. J'ai eu un haut le cœur qui me fit vaciller sur mes appuis et le sac me percuta l'épaule.

C'était trop tard. Toute ma colère se transformait en larmes et me remplissait les yeux.

Mon corps entier est devenu froid et j'ai arraché mes gants pour les serrer entre mes doigts moites. Sans lever les yeux je m'éloignais en frissonnant vers les vestiaire.

_ Matteo ?

Black m'appelait et je ne voulais pas lui répondre. Je voulais partir.

_ Mattéo ! s'est il énervé. Putain Matteo, reviens là!

Il criait, pourtant je ne me suis pas arrêté, je savais qu'il ne prendrait pas la peine de courir pour me rattraper. Je savais qu'il en avait marre de me voir nager dans cette détresse silencieuse.

J'ai rejoint les vestiaires et fourré négligemment les gants dans mon sac. Je ne voulais plus penser à rien.

M' accoudant au lavabo j'ai observé mon reflet qui ricochait contre la surface limpide du miroir. C'était étrange. Le garçon qui me faisait face avait deux yeux qui se résumaient à deux flaques vertes, si foncées qu'aucune émotion n'osait plus s'y refléter.

Il avait ce teint pale, presque transparent qui lui donnait plus l'air d'un fantôme que d'un être humain.

C'était pourtant mon reflet. C'était bien moi, dans ce miroir.

J'ai fermé les yeux en serrant des poings contre la céramique du lavabo, j'avais mal d'avoir si peur.

Je saisi mon sac à la volé et la mâchoire tremblante j'ai pris le chemin dans l'autre sens.

Les vestiaires vides et froids, les photos des champions sur le ring, les coupes et les médailles poussiéreuses dans la vitrine, le comptoir vide et la plante sèche de l'entrée.

Les portes de verre claquèrent derrière moi et je me suis demandé combien de temps j'arriverais encore à marcher droit.

Je suis resté de longues minutes assis sous l'abri bus à regarder le vide. Puis quand le bus est arrivé, elle n'était pas là. C'était tant mieux sinon j'aurais commencé à croire qu'elle en était résidente.

Avachi sur mon siège, le regard méchant et la mâchoire contractée, j'ai démêlé mes écouteurs. Un pied sur le siège essuyant littéralement ma semelle sur le tissus, j'ai pensé tant pis, c'est bien fait et j'ai lancé ma playlist.

J'ai passé les dix premières minutes du trajet à appuyer sur la touche « suivant» pour ne plus entendre toutes ces musiques que j'avais déjà trop écoutées. Puis je me suis concentré sur le paysage parce que maintenant les virages et l'odeur de pot d'échappement me donnaient envie de vomir.

Morose, j'écoutais les vibrations de la route et le ronronnement du moteur qui passaient par dessus ma musique.

Quand le bus a ralenti et que la musique repassait dominante, j'ai baissé les yeux sur ma montre qui m'affichait 20H4O. Vingts minutes les jours ou il ne pleuvait pas. C'était la règle.

La télé allumée en fond sonore sur l'émission du soir, je savais que Jinette m'avait attendu.

J'avais à peine posé mon sac et refermé la porte de la maison derrière moi qu'elle s'approchait pour me serrer dans ses bras. Surpris par cette affection soudaine je me suis raidi.

_ Tu rentres trop tard. Je me fais un sang d'encre pour toi tu sais?

Elle s'est mise sur la pointe des pieds pour repousser mes cheveux en me regardant droit dans les yeux.

_ Mon grand garçon... Tu as mauvaise mine, a t'elle constaté l'air contrit.

_ J'ai toujours boxe le lundi soir.

_ Tu as faim ? m'a t'elle demandé en s'éloignant vers la cuisine.

_ Non, merci. Je vais aller me coucher. Bonne nuit.

D'humeur sombre j'ai grimpé les vieux escaliers grinçants quatre à quatre. Arrivé sur le palier, croisant par inadvertance le regard placide de la chanteuse placardée sur la porte fermée d'Alyzée, une boule d'angoisse m'est montée dans la gorge.

Je me suis approché et j'ai levé le poing pour frapper puis je me suis ravisé en reculant. Sur l'immense poster, Billie Eilish de ses lèvres peintes en vert et de ses yeux cerclés de noir semblait me dire de ne pas entrer. Pas maintenant.

J'ai griffonné un mot sur un papier que j'ai glissé sous la porte de ma sœur.

« Samedi, Glace citron pistache ? »

Le lendemain matin, coincé dans le cadre de ma porte, elle avait répondu d'un dessin de smiley qui arborait un sourire jusqu'aux oreilles et des yeux en cœur.

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