CHAPITRE 2: Lundi 3 mai /1

C'était lundi.

Réveil à cinq heure quarante cinq debout à six heure vingt, une tartine de beurre, une compote de pomme, un verre d'eau, ma brosse à dent bleu.

Départ à sept heure vingt, vingt minutes de bus, vingt-cinq quand il pleuvait.

La musique à fond dans les oreilles, la tête posée contre la fenêtre du bus j'observais le paysage brouillé par la pluie. Les sillons formés par les gouttes évoluaient sur la vitre, leurs chemins se croisaient, se décroisaient se mêlaient et se démêlaient.

Pensif, mes yeux s'accrochèrent à une silhouette solitaire qui traversait la route d'un pas rapide. Pressée sans doute, sans parapluie et sans capuche, comme si les caprices de la météo ne l'importunaient en rien. La demoiselle avançait sans se retourner, une cascade de boucles brunes dansaient sur ses épaules.

Derrière elle, une mamie restait figée devant le passage piéton en tirant désespérément sur la laisse de son chient. Un caniche bouclé recouvert d'une cape de pluie transparente. J'ai souri.

Le bus s'est arrêté et les portes se sont ouvertes.

Un homme chauve au long nez est monté. Je l'ai regardé sortir un mouchoir en tissus de sa poche pour tapoter sa narine droite puis gauche avant de s'asseoir et de renifler.

De l'autre coté de la route, la mamie avait finalement réussi à traverser sans se faire écraser et la fille avait disparu.

Quand j'ai tourné la tête, elle venait de réapparaître devant moi. Dans le bus.

Son parfum de Lilas me sembla mystérieusement familier et alors qu'elle cherchait une place libre, nos yeux se rencontrèrent.

Aussitôt j'ai baissé les miens comprenant ainsi tous les gens qui m'avaient un jour dit à quel point la teinte de mes yeux était étrange. Cette fille en avait la réplique exacte.

Quand j'ai relevé le nez, elle avait déjà pivoté sur ses talons.

Dans un élan, j'ai voulu lui dire qu'il y avait une place libre à coté de moi mais brusquement l'autre hémisphère de mon cerveau s'est réveillé et je me suis demandé pourquoi je ferrais ça.

Sans réponse, les mots s'évanouirent dans ma gorge avant même de franchir mes lèvres.

J'ai cru qu'elle allait redescendre les marches, reprendre sa route sous la pluie pourtant, elle s'est arrêtée devant la porte grande ouverte.

_ Mademoiselle, vous montez ou vous descendez ? s'est informé le chauffeur.

Elle ne répondit pas, sans doute parce qu'elle ne savait pas. La porte s'est refermée et le bus a redémarré.

On avait fait le choix pour elle alors elle s'est assise à la première place vide, coté vitre. Comme moi.

La musique dans mes oreilles jouait un air que je n'entendais plus et la tête vide de pensées, je suis resté bloqué sur sa silhouette tout le trajet. Ce n'était pas un coup de foudre, non, c'était un coup du sort.

J'ai baissé les yeux sur ma montre, il était sept heure quarante cinq, vingt cinq minutes les jours de pluie, une nouvelle fois l'exception confirmait la règle.

Dans un crachotement plaintif le bus s'est arrêté devant le lycée, tout le monde se leva en même temps et elle, elle n'était déjà plus là.

Face à ce constat, un sentiment étrange et dérangeant s'est mis à grandir tout doucement. Commençant par mes pieds, puis grimpant le long de mes jambes, il s'est diffusé dans mon buste pour attraper mon cœur.

Me sentant brusquement très vide, debout au milieu du vacarme et de la hâte, je me suis mis à pleurer.

Moi qui n'avais versé de larme que trois fois dans ma vie, timide et honteux je me suis détourné. J'ai essuyé mes joues sans comprendre et j'ai descendu les marches du bus les yeux au sol.

Un peu hors du temps, en m'adossant contre un pilier de béton, j'ai regardé ce lycée qui m'attendait entre ses murs tristes.

J'aurais bien descendu la rue en sens inverse pour laisser derrière moi les grilles maudites de cette prison du savoir.

J'ai fermé les yeux pour continuer de m'imaginer.

J'aurais passé le centre ville à toute allure, j'aurais manqué de me faire écraser en traversant la route, puis j'aurais pilé net pour ne pas entrer en collision avec un petit papi sur le trottoir.

Sous son parapluie il m'aurait lancé un regard étrange mais je l'aurais contourné pour reprendre ma course folle. -Aller champion ! M'auraient criées les mouettes en se battant les miettes d'un croissant.

J'aurais dévalé les marches et je serais descendu sur la plage de la baleine pour regarder la mer. Regarder ces vagues qui ravivaient le picotement douloureux d'un méchant souvenir.

Puis j'aurais traversé la plage pour rejoindre cet immense rocher qui surplombait l'océan. Et de la haut, flirtant avec le danger j'aurais crié tout mon soul.

_ Pardon M'sieur ! s'est excusé un sixième qui venait de me heurter avec son sac.

J'ai ouvert les yeux dans la réalité. Monsieur ? C'était moi ?

Suite du chapitre 2:  A suivre...

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