CHAPITRE 1: Dimanche 2 mai /2
_ Qu'est ce que tu faisais là haut? T'es vraiment aussi long qu'une gonzesse pour te préparer, m'a accueilli ma grand-mère.
Elle a soudain porté la main à sa bouche l'air faussement outré.
_ Quoi? Qu'est ce qu'il y a? me suis je aussitôt exclamé.
_ Oh, Mathilda, tu as oubliée le mascara... s'est elle moquée en battant ridiculement des cils.
Je n'ai rien répondu, las d'esquisser un sourire sincère face à ses répliques habituelles.
_ Bah alors? Petit chaton s'est levé du mauvais pied? a t'elle continué sur un ton plus doux. Je t'ai connu avec plus d'humour que ça.
_ Tu sais, ça va, ça vient... ai je répondu évasivement.
C'était comme si le Matteo d'avant, joyeux, espiègle, blagueur, éternel taquin au sourire ravageur n'existait plus. Pauvre mirage noyé quelque par parmi l'océan de mes angoisses.
J'ai ouvert le placard puis je l'ai aussitôt refermé. Les souris avaient encore grignoté la moitié du paquet de biscottes.
Le silence s'est installé entre nous et je me suis assis à la vieille table en bois. J'avais l'esprit ailleurs et assis sur une chaise grinçante recouverte d'un petit coussin brodé, je tentais d'avaler un chocolat chaud qui me brûlait la gorge à chaque nouvelle gorgée.
Ici tout contrastait avec le caractère blagueur et caricatural de ma grand-mère.
Le tic tac de l'horloge aussi régulier que le coucou, aussi régulier que le son des gouttes de pluies qui s'écrasaient sur la vitre bordée de dentelle jaunie. Il était aussi régulier que les battements de mon cœur et que la respiration de Jean Claude le vieux chat tigré qui somnolait quelque part sur un fauteuil à fleurs.
Dans mon dos, la bouilloire sifflotait un air de musique qui me rappelait ma propre histoire.
Mes parents sont morts un soir d'été piégés dans un théâtre en flammes au beau milieu d'un concert de jazz.
Un incident traumatisant. J'avais quatre ans, l'age de mes premiers souvenirs. Vécu si jeune, le souvenir de cette tragédie reste plutôt flou. Il n'y a plus que des fragments d'image et des sensations perdues dans un passé aussi vaste qu' incertain. Parfois je ne sais même plus si ces instants ont vraiment appartenus à une réalité.
Ce que je peux cependant affirmer avec une fervente conviction c'est qu'ici rien n'avait jamais changé.
Que ce soit l'armée de nains de jardin éparpillée sur la pelouse ou la collection de fèves sur l'étagère de la cuisine. Les chiens de plâtre vernis sur le rebord de la cheminée qui m'avaient vu à toute heure du jour et de la nuit voler du chocolat dans le placard. Les tapisseries des années cinquante aux motifs floraux, l'étrange odeur de renfermé qui flottait dans l'air ou encore les sachets de lavandes dans chaque placard.
Dans cette petite maison qui nous avait accueillie et étreinte de ses grands bras protecteurs, nous, qui étions devenus si brusquement orphelins, c'était comme si le temps ne s'écoulait pas.
Même ma grand mère à l'éternel tablier fleuri qui furetait partout en quête du moindre bibelot à replacer était toujours celle d' il y a treize ans.
Un mètre cinquante six, soixante neuf ans et toutes ses dents, c'était une femme qui affectionnait particulièrement les petites répliques d'un humour acidulé dont elle gardait le secret.
Cultivées dans le jardin de son imaginaire, cueillies un jour de pluie et conservées dans des bocaux de verre prêts à servir d'arme puissante au moment opportun. Jamais elle n'en avait révélé plus sur sa recette.
Ma grand mère aimait par dessus tout les feux de l'amour et collectionner les tupperwares. Les samedis matins où elle avait rendez vous chez la coiffeuse d'en bas de la rue pour enfin connaître tous les ragots de la ville qui avaient poussés dans la nuit.
Elle aimait les parfums qui cocottent et nourrir les chats du quartier, mais seulement les chats parce que le chien des voisins d'en face qui faisait des crottes sur sa pelouse c'était la chose qu'elle détestait le plus.
Ne cherchez plus vous l'avez trouvée, Jinette Millet remplissait à elle seule le clichée typique de la petite grand-mère. Caractérielle, baratineuse, cachottière, et tricheuse aux petits chevaux de surcroît.
Soudain une main s'est posée pour serrer doucement mon épaule et le lait de ma tasse a vacillé.
J'ai fixé mes propres mains aux ongles courts que je trouvais trop grandes pour cette tasse de porcelaine à fleur.
_ Mattéo tu me dirais si quelque chose n'allait pas?
Cette voix légèrement éraillée et chevrotante remplie de toute la tendresse que ma mère ne pourrais plus jamais me donner me faisait instantanément redevenir le petit garçon qu'elle avait bercé.
Habituellement j'adorais parler de mes problèmes à longueur de journée et pourtant de ce cauchemar je n'en avais jamais palé.
Pour gagner un peu de temps et éviter de répondre tout de suite, j'ai baissé les yeux pour observer mes mains posées sur mes genoux.
Mes paumes retournées vers le ciel j'ai minutieusement examiné la gauche puis la droite, chacune marquées de taches brunes comme des brûlures au contour indistinct.
_ Probablement pas, ai je marmonné.
Un lourd soupire qu'elle n'a même pas essayé de dissimuler s'est échappé de ses lèvres.
_ Bien.
Puis sans transition elle a enchaîné en réajustant son tablier.
_ Tu peux aller acheter le pain ? Et n'oublie pas de prendre une cuillère de sirop pour la toux avant de partir.
J'ai brusquement joint mes mains l'une contre l'autre, tache contre tache avant de lever les yeux vers la fenêtre où le ciel ne semblait pas vouloir arrêter de verser toutes ses larmes. Brusquement je me suis redressé et ma chaise a raclé le sol.
_ Oui, t'inquiète pas. J'y vais. A toute!
J'ai passé l'encadrement de la porte et mes yeux ont rencontrés ceux d'Alyzée. Endormie et ébouriffée elle descendait pieds nus l'escalier.
Mine de rien j'ai lacé mes chaussures d'un geste rapide avant d'attraper mon manteau. Alors que je venais de poser la main sur la poignée de la porte la voix de ma sœur a résonné derrière moi en formulant des reproches que je ne voulais plus entendre.
_ Où tu vas ? m'a t'elle demandé avec une pointe d'agacement. Tu fais quoi de toutes ces journées où tu disparais?
J'ai ouvert la bouche pour me défendre mais elle m'a coupé avant que le moindre mot ne puisse en sortir.
_ Ne me sort pas une de tes excuses à deux balles encore une fois! J'ai l'impression de ne plus te voir. Le matin tu t'échappes avant même que je ne me lève et le soir quand tu reviens c'est comme si tu n'étais pas là.
Un silence qui gratte comme un pull de laine s'est installé entre nous pendant qu' elle continuait à me fixer de son regard noir.
Je ne pouvais pas mentir, elle avait raison, je ne passais plus autant de temps avec elle que je ne le faisais avant. Quelque chose s'était brisé entre nous et peut être que c'était à cause de moi.
Jinette a slalomé entre le guéridon et le vase de chine pour s'interposer avec son flacon et sa cuillère de sirop à la main.
_ Aller hop hop hop c'est pas la mer à boire.
Le liquide ambré est difficilement descendu le long de ma gorge et j'ai grimacé pour qu'il ne reprenne pas aussitôt le chemin inverse.
La main toujours posée sur la poignée de la porte j'en ai profité pour esquisser un mouvement de fuite.
_ Mattéo? m'a de nouveau questionné Alyzée une pointe d'espoir dans la voix.
_ Je vais juste à la boulangerie acheter du pain et je reviens, ai je répondu.
Elle a cligné des yeux deux fois signe chez elle d'une grosse colère pourtant elle a détourné le regard en passant l'encadrement de la cuisine.
_ Alors prend moi un croissant, a t'elle répliquée avec dédain.
Je suis resté devant la porte sans rien dire, moi qui était professionnel dans l'art de partir chercher le pain et disparaître jusqu'au soir.
_ Tu peux venir avec moi si tu veux, ai je proposé.
_ C'est bon je te crois. Oublie pas mon croissant.
J'ai souri malgré moi en ouvrant la porte puis en rabattant ma capuche je suis sorti en disant :
_ Tu pourrais dire s'il te plaît !
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