•𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 𝟐𝟕•

Lorsqu'il regardait son grand frère avec cette blouse blanche et ses lunettes rectangles sur l'arête du nez, il en était fier. Très fier. Parce qu'il l'aimait. Oui, il aimait Sansy du plus profond de son âme. Il l'aimait. Mais il refusait qu'il se fasse ignorer ainsi.

Aussi, lorsqu'il conclut sa lettre d'adieu, il ne put empêcher ses larmes de couler.

Il ignorait combien de temps il partait. Peut-être même... Qu'il ne reviendra pas. Oui, c'était une bonne idée. Mais pour aller où ? Papyrus avait sa petite idée...

Son sac sur l'épaule, il quitta leur petit cocon. Par la fenêtre, oui, comme ça la porte restera fermée. C'était plus sûr. Chaque jour, que quelqu'un soit à la maison ou non, ils s'étaient promis de toujours garder la porte fermée par sécurité. Et puis, dehors, il y avait une échelle qui descendait sur une plateforme métallique. Il ne fallut pas moins de quatre minutes à l'enfant de douze ans pour atteindre le trottoir. Quand il aperçut une première voiture tracer sur l'autoroute, il prit une profonde inspiration et se mit en marche. Dans sa poche, un bout de papier. Il avait eu énormément de mal à trouver l'adresse de leurs parents, ce n'était pas le moment de changer d'avis. Alors Papyrus avança. Il ne connaissait pas très bien les quartiers en dehors de celui qu'il utilisait habituellement pour aller à l'école.

Il crut cependant reconnaître l'orphelinat. C'était le seul de la ville. En passant devant, il aperçut un couple âgé, tenant entre eux une petite fille par les mains. Par estimation elle devait avoir quatre ou cinq ans. Chétive, fébrile, avec des cheveux noirs comme l'onyx fraîchement tressée et la frange callée derrière les oreilles, de façon à ce qu'on puisse voir ses grands yeux, malheureusement, à cause de la distance, Papyrus n'en distinguait pas la couleur. Il l'imaginait avec des yeux bleus. Ce n'était sûrement pas le cas. Mais ce dont il était persuadé, elle vêtait une ravissante robe violette. La fillette avait l'air perdue et marchait sans grande conviction, sans apercevoir l'autre enfant plus âgé qu'elle vingt mètres plus loin. Papyrus, sur le trottoir d'en face, ralentit pour mieux regarder la petite famille. Les parents, bien que classiquement felliens, avaient l'air heureux, d'un bonheur que peu de gens se permettaient. Il fronça des arcades et serra rageusement les poings, avant de détourner le regarder et accélérer. Il n'avait pas besoin de famille. Il n'avait besoin de personne ! On ne pouvait, non, ne devait compter sur personne d'autre que soit !

Il se mit à courir. À courir comme il n'a jamais couru. Et longtemps après, il toucha le bord de la ville. C'était un quartier calme, avec des demeures macabres et sales. Il longea une ruelle étroite et lut attentivement les numéros. L'adresse était la bonne, mais la boîte aux lettres défoncées n'aidait pas. Pourtant, les numéros voisins correspondaient. Le jeune Papyrus leva la tête pour voir le sommet de la maison en briques. Le toit était rouillé et les stores fermés. Il avança. Le jardin, aux herbes sèches, craqua presque sous son poids de coccinelle. Il grimpa les marches et se posta devant la porte d'entrée, à bout de souffle à cause de sa précédente course. Les échardes le menaçaient, aussi, il prit l'initiative d'enfoncer la sonnette plutôt que de toquer. Quelqu'un vint lui ouvrir. Un homme, un squelette, lui ressemblant trait pour trait, fixa devant lui, l'air sombre. Entendant une toux sèche à ses pieds, il baissa la tête et croisa le regard de Papyrus, figé, tenant fermement la lanière de son sac des deux mains.

« Qu'est-ce que tu veux, gamin ? demanda d'une voix infiniment basse son père présumé. »

Papyrus ouvrit la bouche avec peine, dans l'optique de trouver une réponse adéquate. Il avait pourtant formulé mainte et mainte fois la manière de le saluer, mais à présent, il avait le crâne vide. Le charisme de cet homme l'impressionait, et il avait de la peine à se dire qu'ils se ressemblaient.

« Attends, Papyrus ?

- B-bonjour... Monsieur ?

- ... Shonar. Shonar Bangla. »

Le grand squelette ne sut comment réagir, aussi, frôlant la bienséance, il l'invita simplement à entrer, chose que l'enfant eut de la peine à accepter psychologiquement. Il pénétra dans son ancienne demeure familiale, ne reconnaissant absolument rien. Il n'avait que deux ans lorsque lui et Sansy avait fui.

Gardant un sang-froid fébrile, il dévisagea son parent s'assoir dans un large fauteuil près d'un feu qui lui semblât glacial. Il récupéra son verre de vin sans détacher ses pupilles blanches de son fils cadet.

« Tu as grandi.

- Ça fait dix ans.

- Je sais. »

Il bu une délicate gorgée de son breuvage saignant.

« Comment vas-tu ?

- Tu t'en fiches bien, répondit doucement Papyrus.

- C'est vrai. Et ton frère ?

- Il s'occupe bien de moi, mentit-il. »

Il fit tourner le vin dans son verre, pensif.

« Pourquoi es-tu revenu ?

- Je voulais savoir pourquoi Sans est parti. Je voulais comprendre. »

Son père eut un rictus.

« Lucida !! Ramène toi vieille mégère ! »

Papyrus avait sursauté devant la brusque montée de voix de son père. Il tourna la tête vers la porte d'entrée de la salle de séjour, et vit un squelette s'approcher. Lucida avait les traits fins et si semblables à ceux de Sansy, Papyrus ne pouvait avoir aucun doute sur son identité. Sa magie, d'un bleu-violet fort pâle, formait une nuage de cheveux bouffis qui lui tombaient sous les hanches. Elle avait des égratignures partout mais demeurait bien droite. Elle était magnifique, sa maman. Mais elle souffrait dans ses yeux. Lorsque ses pupilles se posèrent sur Papyrus, elle se figea. Il crut même voir ses jambes trembler sous sa vieille robe recousue de part et d'autre.

« Nous avons un invité. Réchauffe-lui des restes, il doit avoir faim. Pas vrai mon grand ? »

Si Papyrus refusait qu'il l'appelle ainsi, il hocha fébrilement la tête sans bouger de l'entrée.

« Viens t'assoir.

- I-il n'y a qu'un fauteuil.

- Viens sur mes genoux.

- Je suis trop grand pour...

- Je t'ai dis de venir !! »

Il s'étrangla. Lentement, il reposa son sac et s'approcha de son père. Il ne lui fut pas bien difficile de soulever son fils pour le mettre sur son genoux gauche. Puis, sans que Papyrus ne puisse se débattre, Shonar laissa glisser sa main le long des vertèbres du petit. L'enfant trouva cela malsain mais n'osa rien dire de plus de peur de se rattirer les foudres.

Un instant plus tard, Lucida revint dans la pièce, une assiette de lasagnes fumantes dans les mains. Elle gardait la tête basse, comme une esclave. Shonar prit l'assiette et la posa sur son autre cuisse et, après cela, il posa sa main sous la mâchoire de sa femme pour l'approcher de son visage. Leurs souffles s'effleurèrent, quelques secondes seulement, avant qu'il ne la repousse en ricanant, la laissant désemparée et déçue. Papyrus regretta amèrement d'être revenu. Il eut un frisson lorsque son père posa ses doigts dans l'élastique de son pantalon sans l'écarter pour autant.

« Il y a dix ans je te nourrissais encore à la cuillère. Tu n'y vois pas d'inconvénient à ce que je le fasse aujourd'hui. Comme au bon vieux temps, hmmm ? »

Lançant un regard de détresse vers sa mère retrouvée, sans recevoir le moindre signe de vie de sa part, il chercha la force de refuser. Cependant, son père l'encouragea d'ouvrir la bouche tandis que celui-ci approchait la fourchette des dents du plus petit. Son regard resta pétrifié dans celui de son père. Alors, comme aucune réaction ne lui parvenait, il attrapa sa mâchoire et le força à ouvrir la cavité buccale. Papyrus mangea sans résistance, et crut pleurer d'émotions tant les lasagnes de sa mère étaient bonnes sur sa langue. Il aimerait en faire des pareilles, quand ce cauchemar se terminera.

« C'est bon, hein ? ria son père, grassement. C'est cette pute qui a cuisiné. Elle fait jolie à voir et cuisine bien, mais qu'est-ce qu'elle est conne, j'te jure ! Pas étonnant que ton frère s'est enfui pour te protéger de ses mains sales ! »

Il jeta un regard en coin à Lucida, mais elle avait déjà disparu de la pièce. Shonar continua ses moqueries.

« Il était si pitoyable. Juste parce qu'il a appris à parler et à marcher avant les autres enfants du quartier qu'il croyait qu'on le voyait en héros. Mais c'était un enfant comme un autre, qui n'avait rien de spécial à part un stupide handicape magique. Ouais, d'ailleurs, t'a-t-il raconté toutes les fois où il frôlait la mort parce qu'il n'arrivait pas à se défendre face à des enfants de son âge ? Ils avaient cinq ans, ce n'était pas la mer à boire ! Il aurait pu en faire qu'une bouchée, mais il n'était bon qu'à pleurnicher. »

Il lui remit une fourchette dans la bouche, avant de lui effleurer les hanches avec délicatesse.

« Cette enfant n'était qu'un chialeur de pacotille. Mais toi, je l'ai vu au premier regard, Papyrus. Tu es en proie à faire de grandes choses. Peut-être même que ton retour n'est pas le fruit du hasard. »

Papyrus trembla en sentant un léger coup de hanche de la part du grand squelette. Il se leva précipitamment. Shonar, lui, explosa de rire, sans remarquer l'assiette qui s'était renversée sur le tapis.

« Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Tu as peur ?? »

Il se leva à son tour et piégea Papyrus dans un coin de la pièce.

« Ne me déçois pas comme l'a fait Sans, fils. Je l'ai su dès ta naissance que tu étais plus fort que cet étron. Ah ! c'est bien le gosse de sa mère ! Lucida n'a jamais été très futée, mais toi, heureusement, tu as pris de moi. »

Il trembla lorsqu'il sentit la main de son père se poser sur sa joue.

« Reste à la maison, tu verras, tu deviendras plus fort. Toi et moi n'avons besoin de personne d'autre que nous-même, fils. Tu es un Bangla après tout, toi aussi ! Tu as besoin de moi.

- Papyrus Bangla... ?

- C'est ça. Tu es mon fils. »

Il risqua un sourire pour son père. Un sourire peu rassuré.

[...]

Il lui aura fallu un mois entier pour comprendre que le véritable visage de son père ne lui plaisait définitivement pas, bien qu'il s'efforçait d'y trouver du bon. Shonar voulait l'endurcir, lui disait-il. Mais toutes ses traces sur son corps lui faisaient un mal de chien et il en avait marre de se faire traîner du bout de la laisse. Mais cette technique, bien qu'honteusement douloureuse, lui faisait clouer le bec à merveille.

Lucida, toute frêle comme à son habitude, était assise sur une vieille chaise en plastique sur le balcon du troisième étage de l'horrible bâtisse. Elle avait les pupilles dans le vague, la bouche entre-ouverte, comme un poisson hors de l'eau. Elle était belle mais son corps et son esprit malades semblaient faire d'elle un petit légume. Elle ne parlait pas. Il ne savait pas si elle en était capable.

Papyrus s'approcha de sa mère et s'accouda silencieusement contre la barrière. Il n'osa jeter aucun regard sur elle. Il observa, à ses côtés, les dernières traces de l'aurore à travers les gratte-ciels au loin.

Finalement, après quelques longues minutes de mutisme, il décida de le rompre d'une voix faible.

« Sans est étudiant dans un laboratoire. Avec un type qu'il appelle Gaster. Il lui porte une vénération ridicule et m'a complétement délaissé ces dernières années. »

Ses orbites s'ouvrir grand, sans qu'elle ne détache son regard de l'horizon. Le nom de son fils aîné a dû déclencher en elle quelque chose que Papyrus n'arrivait pas à décrire. Aussi, il continua.

« Avec l'argent qu'il a gagné il nous a payé un studio en ville. Il s'occupait bien de moi avant que le travail ne lui prenne tout son temps. J'aimerais... J'aimerais simplement qu'il fasse un peu plus attention à moi...

- S... Sans ? »

Il tourna la tête vers Lucida. Elle fixait toujours la ville, mais avait parlé.

« Oui. Sans. Ton autre fils.

- Où est-il... ?

- ... Je ne sais pas. Je lui ai laissé une lettre pour le mettre au courant de mon départ et je n'ai eu aucun contact avec lui depuis.

- ... Sans... »

Elle sourit doucement. Si doucement que l'on n'aurait pas dit. Elle était vraiment belle.

« Mon fils... »

Papyrus la scruta avec inquiétude avant de s'approcher d'elle.

« Maman, Sans ne reviendra pas. »

Il l'attrapa par les épaules et elle se mit à gémir de désespoir en essayant de se dégager. Elle était instable psychologiquement. Son mari l'avait rendue folle. Cette vie l'avait rendue folle.

« Maman, maman regarde-moi, lui supplia-t-il. Regarde-moi... »

Après plusieurs secondes de lutte, elle posa son regard dans celui de Papyrus et elle s'apaisa instantanément. Délicatement, sa main effleura la joue de son fils.

« Papyrus...

- Oui, c'est moi... sanglota-t-il en posant ses petits doigts sur le dos de la main de sa tendre mère.

- Papyrus... Ne laisse pas... Sans...

- Il n'a pas besoin de moi, refusa-t-il en secouant la tête, les orbites humides. On n'a besoin de personne...

- Pour moi... Protège... Sans... Il ne survivra pas... Dans ce monde...

- C'est un grand garçon, il a dix-sept ans. Il n'a pas besoin de moi. »

Elle secoua la tête avec vivacité, puis encadra le visage de son fils entre ses deux paumes fragiles.

« Tu es comme ton père... Fort... Intelligent... Magnifique... Mais tu es gentil... Tu es quelqu'un de bien, c'est ce monde qui te perdra si tu lâches prise... Mais Sans est comme moi... Il réfléchit trop avec sa tête, déjà tout petit, il n'a pas hésité pour s'enfuir afin de te protéger... Il a une santé fragile... Je n'ai pas souhaité le rendre comme ça, c'est Dieu qui en a voulu ainsi... Tu es la raison pour laquelle il a pris la fuite... Tu es sa raison de vivre... Comme vous l'aviez été pour moi... »

Il ne l'a jamais entendu parler autant, aussi, il décida de l'écouter en silence, pourtant agité. Lorsqu'elle eut fini, il fut étranglé par un misérable sanglot.

« Non, non maman...

- Fais-le pour moi... Protège ton frère... Aime-le comme je vous ai aimé... »

Elle avait les orbites vides. Il pleurait à chaudes larmes. Il renifla et finit par secouer la tête.

« D'accord. D'accord. Je le ferai. Pour toi. Pour lui. Je le retrouverai si c'est ce que tu veux. »

Rassurée, Lucida reposa ses mains sur ses cuisses et détourna le regard à nouveau pour voir le ciel s'obscurcir. Les derniers rayons de soleil perçaient maladroitement et caressaient langoureusement son visage paisible. Papyrus s'essuya le visage avec le manche de son pull fin et fit face à la porte coulissante du balcon. Son reflet était terne, et bientôt, au fils des secondes, l'absence de luminosité l'effaça complétement. Lorsqu'il ne se vit plus, il posa fébrilement sa main sur la poignée et tourna un dernier regard vers sa mère, forçant un sourire.

Mais son sourire mourut dès lors qu'il vit sa maman debout sur la barrière du balcon. Ses longs cheveux flottaient délicatement sur sa robe légère et son corps maigre.

Ce soir-là, un enfant de douze ans venait de perdre sa mère.

[...]

Il s'y était préparé. Son sac à dos aurait pu contenir tout ce qu'un enfant prendrait avec lui, mais sûrement pas un pistolet volé préalablement à un vieux type bourré il y a plusieurs semaines. Torturé par la peur, la tristesse et la colère, les larmes sèches et l'âme atrocement serrée, Papyrus s'approcha de la chambre de son père. Il était parti se coucher tôt ce soir, car le lendemain il avait d'importantes affaires à régler pour son travail. L'enfant s'approcha de l'adulte, et pointa le milieu de son crâne avec son pistolet.

« Père. »

Tout était trop simple.

« Père, réveille-toi. »

Il voulait être la dernière chose que son père verrait. Il voulait le punir.

« Papa ! »

Shonar ouvrit les yeux en sursaut et fixa la sortie du glock que tendait sur fils. Muet, il ne réagit pas immédiatement qu'il en était la cible.

« Tu as tort, père, on n'a besoin de personne. Ni toi... »

Le monde entier retint son souffle.

La magie sanglante lui gicla en pleine figure.

« ... Ni moi. »

Il laissa tomber son arme et recula jusqu'au mur le plus proche, s'y heurta et tomba. Il avait du mal à respirer, seul dans le noir, la fraicheur de la moelle séchant sur lui.

« Sansy... J-je veux... Je veux rentrer à la maison... pleura-t-il, en boule dans cette pièce poussiéreuse. »

Ce soir-là, un enfant de douze ans venait de devenir orphelin.

[...]

Papyrus fixa impassiblement son frère dormir sur le canapé, la tête de leur petite Lhea sur ses genoux. Elle regardait à demi-éveillée la télévision. Entendant le grand squelette se racler la gorge, l'adolescente bougea lentement pour regarder son tuteur, inquiète.

« Tout va bien, Edge ?...

- ... Oui, ça va. Il est tard, tu as école demain. »

Elle bailla en hochant la tête, tandis que le monstre osseux éteignait la télévision.

L'appartement plongea dans le noir, et comme souvent, bien trop souvent d'ailleurs, dans ce noir, il avait du mal à respirer. Mais il le cacha à merveille à leur fille adoptive.

Après tout, Papyrus était un excellent menteur, n'est-ce pas ?

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