•𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 𝟐𝟐•
Ce qui me réveilla ne fut pas l'alarme préalablement activée par Edge pour aller en cours, à ça non, loin de là. Si ça avait été le cas, je me serais levée en grognant tout en maudissant l'école. Mais aujourd'hui, je sèche. Alors pourquoi devais-je me réveiller de si bonne heure ?
Non, ce matin, ce qui me fit ouvrir les yeux fut le hurlement d'un gamin dans notre chambre d'auberge, visiblement trop jeune pour aller à l'école, mais suffisamment grand pour gambader et emmettre des bruits bestiaux. Les huit lits émergèrent de leurs mondes oniriques en même temps que moi. Red, s'ayant approprié le matelas en dessous du mien, bien que son poids lui permettait de dormir sur la partie supérieure du lit à étage, grogna et colla son coussin contre son visage. Après lui avoir jeté un regard fatigué, assurée qu'il était bien réveillé, je descendis péniblement par l'échelle pour retrouver mes baskets et mon pull, et fis un effort considérable pour ne pas gifler les deux bambins, dont celui qui criait depuis tout à l'heure pour le simple plaisir de jouer avec son camarade - vue la ressemblance, j'aurais dit des jumeaux - et leur mère, visiblement, se contenta de les insulter sans réellement chercher à les rattraper. Le lit au-dessus d'elle laissa paraître une main qui balança gracieusement un oreiller contre le mur. L'enfant hurleur m'avait bousculé en détalant, se rendant compte du danger imminant des pluies de coussins qui risquait de l'achever s'il restait planté là. Il éclata de rire, rapidement suivi de son compagnon. L'underfellité semblait présent chez tout le monde dès le matin... Cependant, comme pour me contredire, je remarquai que la personne la plus calme de cette pièce était une femme, d'une vingtaine d'année à vue d'œil, qui se contentait de se cacher sous un coussin, peu satisfaite de ce réveil. Pourtant, comme si l'univers entier adorait me contredire même quand il me contredisait déjà une fois, cette-même jeune adulte finit par se lever, cernée, son reste de mascara de la veille tachant le haut de ses pommettes, et s'approcha sans se presser de la petite famille. La claque vola d'elle-même, surprenant la mère qui resta pétrifiée trois petites secondes. Bien sûr cela ne se fit pas sans conséquence, et je dus m'éloigner pour ne pas me faire prendre dans la bousculade. Je rejoignis un lit à étage à l'opposée de la chambre, et de là, bien discrète en hauteur, je la balayai le dortoir d'un regard troublé. Je remarquai que Red n'avait pas bougé d'un pouce. Peut-être qu'il s'était endormi. Peut-être que le coussin contre son visage aura eu raison de lui. Qui sait ?
Il n'était pas le seul monstre ici. Chaque chambre de cette auberge avait une capacité de huit personnes. Nous étions effectivement ce nombre. Parmi nous, ils étaient trois à ne pas être des humains. Red, la femme à la vingtaine (elle avait la peau bleu pâle et une chevelure pastelle) et un homme, très discret, qui avait l'apparence d'un petit bonhomme de feu de braise qui menaçait de tous nous faire exploser si on ne se calmait pas. Sa prise de parole avait d'ailleurs fait pleurer les bambins qui se chahutaient jusque lors.
Une autre femme, humaine, je dirais la quarantaine, à la peau noire comme le charbon, bondit hors de son lit surélevé et tendit ses bras devant elle. Son âme apparut, d'un jaune poussin vif, et ni une ni deux, les petites particules de magie qui s'en émanaient dansèrent autour de ses avant-bras avant de s'ajuster entre ses deux mains pour prendre la forme d'un pistolet.
- Mais vous allez la boucler bande de fumiers de merde ?! J'ai payé pour passer une nuit au calme sous un toit, pas pour participer à une scène de ménage surjouée !!
Le monstre à la chevelure pastelle fit volte-face et, en moins de temps qu'il n'en faudrait, une lance à la texture métallique apparut dans sa paume. Je me collai contre le mur. Le lit où je me cachais devait appartenir au bonhomme de braise. Ce dernier venait de revenir des toilettes, mais semblait plus obnubilé par la bagarre que par moi.
- Comment tu m'as appelée, connasse ? gronda la peau bleu pâle.
- Tu as très bien entendu...
Le petit être rougeoyant gonfla le thorax pour gagner en masse. Il devint un homme de feu, peut-être plus brûlant que Grillby, d'environ deux mètres. La mère de famille se leva à son tour et activa sa magie. Ses deux fils tremblaient dans leur coin.
Soudain, une main sur ma bouche, mes lèvres se scellèrent. Mon cœur loupa un battement tandis que j'essayais de me débattre de cette prise indésirée.
- Psst, Strawberry, ce n'est que moi... me rassura Red en me chuchotant près de l'oreille, prenant soin de me tirer contre lui pour ne pas qu'on attire l'attention sur nous.
Rendue temporairement muette sous ses phalanges, je me détendis et ramenai mes jambes près de moi pour ne pas les laisser dépasser du matelas.
- Où est ton sac ?
Je pointai le lit à étage qui se trouvait au milieu de la chambre, derrière un même obstacle. Mais le squelette à la fissure sur le crâne ne se donna pas la peine de sauter de matelas en matelas pour le récupérer. Il activa, à la place, une aura rouge faiblement incandescente, et le fit léviter jusqu'à nous. Je serrai mon sac contre moi, et alors qu'un flot de magie s'apprêtait à nous toucher, Red nous téléporta hors de l'auberge, hoquetant de stupeur sur le moment.
Sur le coup, mon sac m'avait échappé des mains et dans un élan de panique, mon crie raisonna dans la plaine. L'orange de l'azure défilait en verticale, et malgré les cotons roses qui flottaient à travers l'aube, moi, attirée par l'attraction terrestre, je tombais. Le sol, bien trop en dessous de moi, semblait s'écrier joyeusement : « ne t'inquiète pas ! Je vais te rattraper ! »
MAIS JE NE VOULAIS PAS QU'IL ME RATTRAPE CE SALE SOL DE MERDE !!!
Red ! Pourquoi n'était-il pas là ? Où est-il passé ?! Pourquoi je tombais et pas lui ??
- REEEEEEEED !!!
Le sol continuait de se rapprochait. Dangereusement. Trop rapidement. Et le choc fut si violent que chacun de mes os se brisa sur le coup.
...
Du moins, ça aurait été le cas si on ne m'avait pas stoppé dans ma chute. Je rouvris les yeux et, le souffle court, les idées confus, je tendis fébrilement mon bras en avant pour caresser l'herbe à quelques centimètres sous mon corps pétrifié. Mon âme était apparue, et au vue de la couleur, de la magie avait été appliquée dessus. Une magie qui m'avait sauvé la vie. D'ailleurs, avant même que je puisse comprendre ce qu'il arrivait, le petit cœur disparut et je retombai lourdement parterre.
- Qu'est-ce que... Red ?...
En levant les yeux, je vis une paire de baskets. Plus haut, je croisai le regard de Red. Il transpirait à grosses gouttes, puis pris d'un fou-rire accompagné de petites larmes, il tomba sur les rotules.
- Désolé, j'ai foiré ma téléportation. J'ai bien cru... J'ai bien cru que je n'arriverais pas à te rattraper à temps...
Sans un mot, sans une réaction, je relevai le menton pour voir le ciel. Le soleil m'éblouit subitement, brisant la chaîne de couleurs chaudes de l'aurore. Le silence planait au-dessus de la plaine. Le village était tout juste visible derrière un champs de blé. Je murmurai pour moi-même :
- J'ai bien cru y passer...
[...]
Edge n'était pas là lorsque nous étions rentrés. Tout avait été laissé à l'abandon. Dans le frigo, de la lasagne avait été préparée et gelait de tristesse dans son coin. Red et moi l'avions réchauffé au micro-onde et en avions fait qu'une bouchée. Même le goût ignoble ne nous dérangeait pas tant nous avions faim.
Une fois rassasiés, notre préoccupation était, à présent, de chercher à savoir à quelle sauce Edge allait nous châtier. Il a dû être inquiet de notre absence cette nuit, même s'il ne le montrerait pas...
La journée se passa posément. Les émissions télé s'enchaînaient, si bien que plus aucune inquiétude ne nous rongeait tant nous étions obnubilés par « Doctor Sans » et sa cabine téléphonique en forme de bouteille de ketchup qui pouvait le transporter à travers le temps et l'espace. Dans l'appartement, tout était calme. La ville aussi. Et pourtant, il fallait se méfier de l'eau qui dort, comme dirait un vieux dicton...
Parce que ce soir-là, Edge n'était pas dans son état normal. Je l'avais remarqué dès l'instant où il avait ouvert la porte, avec plus de délicatesse qu'à la normale.
- Sup Boss, désolé, Straw et moi sommes partis nous balader hier et...
- Pas grave, répondit sèchement le grand squelette sans nous adresser un seul regard.
Red me jeta un coup d'œil grave que je dus bien rendre.
- Tu en es sûr... ?
- J'ai prévenu ton école, Lhea. Ça va. Mais c'est la dernière fois.
- J'ai quand même séché les cours, tu ne vas pas me gronder ?
Silence.
Nous regardions Edge abandonner son manteau et son écharpe au crochet avec lourdeur.
- Il s'est passé quelque chose ? finis-je par dire pour rompre le malaise.
Il s'arrêta dans ses mouvements, sans nous faire face pour autant. Il passa une main sur son visage en soupirant.
- Il ne s'est rien passé.
Red, jusque là resté en retrait, reprit la parole.
- Bien sûr que si.
Son affirmation, ponctuée d'un regard sans pupille, me fit tressaillir. Je reposai à nouveau les yeux sur mon tuteur. Quelques secondes seulement, parce qu'il s'enferma dans sa chambre. Au même moment, alors que Red se levait pour le rejoindre, son téléphone l'interrompit.
- Merde, il choisit vraiment son moment... maugréa-t-il en décrochant et en s'enfermant sur le balcon.
J'étais donc seule. Sur ce canapé. Et j'avais loupé une trop grande partie de l'épisode de notre série, alors j'éteignis la télévision et sortis le livre de Constantin Brush, à l'intitulé éponyme.
[...]
9 décembre 1819
Les Hommes et les Monstres avaient déjà songé à faire le coïte entre eux, mais pour une raison religieuse, ils se sont silencieusement mis d'accord que le pratiquer serait égale à le faire avec une bête. Monstrophilie. Humanophilie. Punissable par le Seigneur à mauvais escient. Nul n'a le droit, ni le pouvoir d'aller à l'encontre de ces lois. Et pourtant, je ne les avais pas écoutées.
Ce serait mentir si je disais m'en vouloir. Il y a onze mois de cela, lorsque j'ai mise enceinte Heidi, je ne l'avais pas fait pour la science. Ni par curiosité. Je l'ai fait parce que je l'aimais, et que ce faisant, je me suis trouvé une cause pour laquelle me battre. L'ouverture d'esprit. La tolérance. Rien ne semblait plus important à mes yeux à ce moment-là que cet amour.
Aujourd'hui, ma fille a deux mois. Elle a l'apparence d'une humaine, mais l'âme d'un monstre. C'est tout ce qu'il me reste d'Heidi, éteinte durant son accouchement. Encore aujourd'hui je sens mon âme se serrer, mais je tiens bon. Je protégerai notre enfant au péril de ma vie. Je sacrifierai tant de choses pour elle, simplement pour la voir heureuse et en bonne santé. Parfois, je me revois sortir dans le village en criant au voisinage la naissance de ma fille. Cette enfant qu'ils ne désiraient pas, qu'ils maudissaient à tout prix... Je criais alors : « Hé ! Hé ! ma fille est née ! Elle a l'apparence d'un Humain, le Seigneur vous a entendu et a réglé votre angoisse ! »
Les âmes ont tellement de choses à m'apprendre encore. Et celle d'Agnès, ma fille, est un cas qui n'a jamais été vu auparavant. Malheureusement, pour notre sécurité commune, je me dois de clore mon ouvrage et faire en sorte de ne jamais dévoiler mon secret.
Constantin Brush
[...]
Edge était sorti de la chambre. Il avait préparé le repas du soir et nous servit dans un silence de mort.
- Boss, sérieux, si tu prétends qu'il n'y a rien, essaie de faire en sorte que ta face le prétende avec toi.
- La ferme Sans.
- Red n'a pas tort, si quelque chose de grave s'est passé, il faut le dire, même si ton frère n'en a rien à carrer.
- Hé ! s'exclama ledit frère en me frappant derrière la tête, ce à quoi je répondis par un coup de poing dans l'épaule.
- Il ne s'est rien passé de grave ! Maintenant mangez !
- Non, parce que si tu tires la gueule, il y a une raison, et cette raison, je ne vais pas la laisser faire !
Red s'était levé, surprenant Edge et moi par la même occasion. Mais son petit frère ne le voyait pas de cet œil-là, aussi, il se leva à son tour et sa voix nous transperça l'âme.
- Rien de grave ne s'est produit ! Mettaton a fait son choix, je ne suis rien ni personne pour l'en empêcher !!
Son aîné se figea. Papyrus, se rendant compte qu'il avait été poussé à bout, baissa la tête et serra la mâchoire.
- Il... a rompu avec toi ?
- ...
- Boss.
- Assieds-toi et mange. Et n'ouvre plus ton clapet.
Impuissant face à ce ton des plus désespéré, Red se rassoit et n'en dit plus un mot.
Quant à moi, je continuais de fixer un point invisible face à moi, incapable de savoir quoi faire à part prendre exemple sur Sans.
[...]
23:02
23 jαɴvιer
Voυѕ αvez 1 ɴoυveαυ мeѕѕαɢe
De : PυrpleFιre
- Tu me manques
De : Voυѕ
- On s'est téléphoné il y a tout juste cinq heures
De : PυrpleFιre
- Cinq heures c'est déjà beaucoup !
- Non en vrai j'avais vraiment envie de te parler
- Je sais que ça ne va pas fort de ton côté, mais j'essaie vraiment de montrer que je te soutiens
- Même si c'est un peu difficile par messages...
De : Voυѕ
- Ouais... C'est de pire en pire...
- Une semaine que mon frère fait comme si tout va bien
- La petite qui enchaîne quintes de toux sur quintes de toux
- Grillby qui s'en tire sans même un procès et qui a repris le bouleau hier
- Mon patron qui me met la pression à cause des heures au bar que je dois rattraper
- La réunion parentale à laquelle je dois assister (Paps travaille à ce moment-là donc je vais être tout seul)
De : PυrpleFιre
- Wow, je ne pensais pas...
- Attends, je croyais qu'on ne devait pas savoir que tu étais le tuteur de la gamine
De : Voυѕ
- C'est une réunion individuelle
- Alphys a prévenu qu'elle prenait rendez-vous avec moi en dehors des horaires avec le titulaire
- Elle a trouvé une excuse, du coup le prof principal va lui donner toutes les informations que je devrais savoir, et c'est elle qui va me les donner
De : PυrpleFιre
- Pourquoi je sens que ça va mal se passer ?
De : Voυѕ
- Heh, ça je ne te le fais pas dire...
- Déjà que la lézarde me déteste, pour en rajouter une couche, son grille-pain sur dix-huit centimètres a plaqué Papyrus parce que « Je ne suis plus sûr de mes sentiments, c'est allé très vite » ou j'sais pas quoi
- Un jour je vais vraiment prendre le malin plaisir à retirer tous ses boulons un à un
De : PυrpleFιre
- Babe
- On ne s'énerve pas
De : Voυѕ
- Ça ne t'a jamais dérangé
De : PυrpleFιre
- Tes pulsions font parties de toi, mais il y a un moment où tu dois savoir que la violence n'est pas la meilleure solution
De : Voυѕ
- Et c'est toi qui me dit ça ?
De : PυrpleFιre
- Je ne dis pas de mal des autres dans leur dos
De : Voυѕ
- Ah parce que maintenant tu dis que je suis le méchant dans cette histoire ?!
De : PυrpleFιre
- NON
- Je n'ai pas dit ça !
- Tu es stressé ces temps, c'est normal ! Tu ne devrais pas tout prendre sur toi, je suis sûr que si tu en parles à ton frère ou la petite, ça devrait t'alléger... Mais ça n'est pas une raison pour piquer tes colères
De : Voυѕ
- Je SUIS un colérique !
De : PυrpleFιre
- Je sais que c'est faux, tu t'es montré calme et délicat plus d'une fois...
De : Voυѕ
- Tu ne peux pas l'affirmer
- Tu ne peux pas le savoir
De : PυrpleFιre
- Babe...
De : Vous
- Je vais me coucher, bonne nuit
De : PυrpleFιre
- Hé ! Ne me laisse pas comme ça !
- Babe !
De : PυrpleFιre
- Bordel
- Je suis désolé
De : PυrpleFιre
- Sans
De : PυrpleFιre
- Je ne voulais pas te blesser
De : PυrpleFιre
- Je t'aime...
De : PυrpleFιre
- Tu n'as pas le droit de me faire ça
De : PυrpleFιre
- Je vais tout faire pour que nous puissions nous voir en vrai
De : PυrpleFιre
- Tu verras
De : PυrpleFιre
- Je t'aime vraiment...
[...]
Le vingt-septième jour de janvier s'annonçait ensoleillé malgré la neige qui persistait. Nous étions lundi matin. Ce soir, Red devait passer voir Alphys, mais je savais qu'il ne viendra pas à la réunion parentale individuelle. Déjà cinq jours qu'il restait dans son coin. Edge s'était également retiré du monde. Les repas se faisaient en silence, parfois je lançais un sujet de conversation, mais sans grand résultat. Ce matin, je n'étais pas trop d'humeur. Je ne savais pas quoi faire pour arranger la situation, et personne ne me disait rien. J'évitais Susie comme la peste avec ses histoires de cœur. Lancer et Noelle aussi, par la même occasion.
Ma voisine de banc mastiquait un chewing-gum. Le dinosaure violet ne prenait pas de note. Elle n'en prenait jamais. Elle ne suivait d'ailleurs pas le cours de madame Cree. Lancer, lui, suivait ses explications grammaticales avec passion. Noelle avait une tête de première de classe, inutile de préciser qu'elle en faisait de même. Moi, je voulais juste dormir. Et pourtant, cela ne m'empêchait pas d'observer le banc du duo.
Je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit, le bar a été plus rempli que d'habitude, si bien que tout seul, Red n'arrivait pas à tout gérer. J'ai enchaîné commande sur commande sans me rendre compte qu'il était passé trois heures.
Soudain, la sonnerie retentit. La pause de dix-heures n'était pas un luxe dont je pourrais me passer. Un peu trop à la hâte, je me précipitais jusqu'aux toilettes, m'enfermai dans une cabine, baissai la cuvette, et m'y assis. Mon sac fit obstacle entre ma tête reposée et le mur. Je fermai les yeux en priant pour avoir ces quelques minutes de sommeil. Malheureusement, mon repos ne fut pas de longue durée... La porte grinça et un groupe de filles, au vue du bruit, entra.
- ... En tout cas, ce n'est pas prêt d'arriver...
- Clair.
- Tu devrais quand même essayer !
- Comment ? Ça ne marchera jamais, c'est... C'est insensé. Je suis désolée les filles...
- Non ne t'excuse pas Mel ! On ne choisit pas son coup de foudre, c'est la vie !
- Tu es bien optimiste Dey.
- Contrairement à toi ! Arrête de faire cette tête, tu déprimes Mel !
- Désolé. Mais Mel n'a pas tout à fait tort, déjà ça se voit que ce n'est pas réciproque, on n'a qu'à regarder leur triangle amoureux !
- Ça se voit tant que ça ?
- Euh, ouais, et pas qu'un peu. Noelle qui en pince pour Lancer, Suzie qui en pince pour Lancer, Lancer qui en pince pour les deux, ou personnes...
- Moi je dis, si tu fais bien les choses, Mel, tu devrais y arriver. Ziamsta, décoince-toi un peu et aide-nous à caser Mel ! C'est ta pote oui ou merde ??
J'attendis qu'elles cessent de papoter mais cela n'arriva jamais. Je pris donc la décision d'activer la chasse d'eau pour de faux et sortis des cabines incognito. Les trois monstres s'arrêtèrent, comme si elles n'avaient pas remarqué qu'elles n'étaient pas seules et en plus de cela, sur écoute. Je fis comme si je n'avais pas entendu leur conversation et me lavai les mains pour de faux. Alors que je pensais m'en sortir sans interrogatoire, l'une des filles, Dey si je m'en réfère à la voix, m'interpela.
- Dis, c'est pas toi la pote à Suzie ?
Je ricanai amèrement en la regardant à travers le miroir face à moi.
- Il faudrait que tu me donnes ta définition d'amitié. C'est laquelle de vous qui est amoureuse de Lancer ?
Elles s'échangèrent un regard surpris, et l'une d'elle, une lapine à fourrure grise avec un collier à clou cuivré, une chemise violine et un jeans sombre, s'empourpra légèrement.
Dey était une lionne avec une petite robe et une chevelure rousse frisée. Elle semblait très sûr d'elle et vue sa carrure, elle devait prendre les combats de récré pour de la rigolade. Elle éclata de rire et, Ziamsta, un fantôme vert pâle avec une frange qui cachait à moitié ses deux yeux vides, sourit légèrement. Ses cernes rouges felliennes ressortaient à merveille, on aurait dit une gothique en pleine puberté, si elle n'avait pas l'air aussi timide.
- C'est pas bien d'écouter les discussions des gens, raya Dey. Mais pour ta gouverne, sache que Mel est lesbienne.
- D-Dey ! T'as pas besoin de le dire comme ça !! s'exclama la concernée en serrant des points, mais les yeux s'embuant de larmes.
- Ça va, s'cuse, mais Lhea est pote avec Suzie, elle pourrait t'aider, pas vrai ?
Le large sourire de Dey me fit plus déglutir que le fait de savoir qu'il était possible d'aimer un monstre pareil.
- En fait, elle est amoureuse de Lancer... tentai-je d'expliquer pour ne pas avoir ça sur le dos encore.
- Tu vas nous aider et faire en sorte que Lancer sorte avec Noelle alors.
Je secouai la tête.
- J'ai déjà accepté un deal pour les en empêcher. Je ne peux rien faire pour vous.
Aussi rapide qu'un fauve adulte, Dey empoigna mon épaule et me placarda contre un mur, me faisant cogner contre le lavabo au passage. Gémissant de douleur, mon premier reflexe fut d'amener mes mains à son avant-bras pour lui griffer le pelage, en vain. Elle serra plus fort sa prise. Derrière elle, ses amies ne bougeaient pas, mais ne semblaient pas plus inquiètes que ça. Elles devaient avoir l'habitude, j'imagine.
Pourtant, et bien que je fusse en position de faiblesse tout le long de notre débat, un couinement de stupeur lui prit au fond de la gorge et elle s'écroula. J'aurai pu entendre les cries de ses deux camarades si elles n'avaient pas été rendues muettes grâce à des tiges végétales qui se seraient enroulées autour de leur tête, tout comme leur amie qui l'avait autour du cou.
Je ne savais pas trop ce qu'il se passait. Je voyais trouble, rouge, comme si une accumulation de rage venait d'exploser. Pour la première fois de ma vie, j'avais sentie quelque chose d'étrange. C'était agréable et non à la fois, comme si mon âme me chatouillait, comme si une magie que je n'avais jamais utilisée crépitait. J'étais incapable d'user de la magie. Mon âme était différente. Elle n'avait aucune couleur. Et pourtant, là encore, c'était toujours le cas. Elle était incolore, mais brillait d'un éclat sauvage que je percevais malgré sa non-matérialisation.
Lorsque je repris le contrôle de mes émotions et de mon corps, les trois filles étaient déjà parties des toilettes. J'étais à genoux sur le carrelage, un déchet parmi le plâtre jonchant le sol. La végétation qui avait attaqué mes camarades n'étaient plus, comme volatilisée, comme n'ayant jamais existée. Pourtant, des petites fleurs avaient poussées autour de moi, dans les fissures des murs et de la plomberie, signe que tout cela était peut-être bien réel. L'eau les arrosait jusqu'à la noyade. Des élèves du couloir se précipitaient pour voir l'état de la pièce.
Je regardai mes mains.
- Wow... Ça, c'était pas prévu...
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