Chapitre II : Celui où je fais exploser ...


Christian, comme à son habitude, n'avait pas de temps à me consacrer. Je le remarquai avant même qu'il ne me le dise. Il m'attendait à la porte du palais et à mon arrivée se mit en marche en me faisant signe de le suivre. Il avançait d'une allure si rapide que je devais presque courir pour être à sa hauteur. Pour se donner bonne conscience, il me chargea d'une tache qu'il qualifia de la plus haute importance. C'était toujours ainsi qu'il appelait les divers travaux dont il avait l'habitude de me charger. Des travaux qui étaient plutôt des corvées un peu trop personnelles pour qu'il les confie à ses serviteurs, du style laisser un message à ses parents, inviter une fille à dîner ou trouver le numéro de communiqueur d'une jolie inconnue.

- Tu vas aller voir mademoiselle Juliette Douglass, m'ordonna-t-il, tu lui offriras un joli bouquet de fleur, assez gros, mais pas trop non plus, avec cette carte.

Il me tendit une enveloppe bleue et sortit quelques pièces de sa bourse pour que je puisse acheter un bouquet. Evidemment, comme bien souvent, il me donna plus.

- D'accord. Quelle couleur le bouquet ?

- Je ne sais pas ! Une couleur vive, mais apaisante. Après tu seras libre.

J'allais demander quelques précisions, quand il ajouta :

- Je n'ai pas le temps pour bavarder. Vas-y et ne revient pas me voir !

Nous avions tous étaient tentés de ne pas faire ce que notre érudit nous confiait pour avoir son après-midi de libre. Mais par je ne sais quel stratagème, ils savaient toujours presque immédiatement si notre travail avait été exécuté. Si ce n'étais pas le cas la directrice appelait le soir à la maison. Cela ne m'était encore jamais arrivé. Heureusement ! J'avais déjà suffisamment de problème avec mon oncle. Mais le cousin de Nicolas, Fabien, qui était plus âgé que nous, y avait eu le droit. Il nous avait raconté que c'était vraiment un mauvais souvenir et que plus jamais il ne recommencerait.

Je repartis donc vers le hall d'entrée en espérant que Kaïa soit libérée aussi. Nicolas lui ne le serait pas, son érudite le faisait toujours travailler comme un fou. Et je n'étais pas autorisé à lui rendre visite. J'étais donc à peu près certain d'être en tête à tête avec LA Fille.

Je me retiens de sauter de joie en croisant Kaïa qui déambulait dans l'entrée. L'interpellant, je lui demandai si elle avait besoin d'aide.

- Absolument. Je dois faire des courses mais je ne sais absolument pas où trouver tout cela.

Elle me tendit la liste. C'était surtout de la nourriture.

- La Générale Nibray n'a pas de serviteur pour faire ça ? m'étonnais-je.

Si elle était à ce poste, c'est qu'elle était d'une famille de haute naissance et pouvait sans doute s'offrir des serviteurs. Christian en avait un lui, que je voyais souvent. Il était à peine plus âgé que moi, mais je ne savais même pas son nom. Les serviteurs étaient des gens à part, auxquelles des riches roturiers comme nous ne se mélangeaient pas.

- Si. Mais apparemment elle sera absente quelques jours et elle n'a pas encore trouvé une remplaçante.

Je retins un commentaire sur la mauvaise organisation du palais qui était légendaire et lui dis-je en souriant :

- Viens je vais te montrer ! De toute façon il faut que j'achète des fleurs.

J'emmenai alors Kaïa au seul lieu où dans ce quartier on pourrait trouver des produits frais et des fleurs : le marché royal de Firento. Il était assez proche du palais et c'était un endroit vaste et couvert. Comme le ciel laissait présager une pluie prochaine c'était un avantage considérable. De plus, ce qu'on y trouvait était moins cher qu'en boutique, bien que je fusse presque certain que les autres marchés de la ville étaient moins chers encore, mais les personnes qui vivaient au palais n'avaient généralement pas ce genre de préoccupation en tête.

Il ne me fut pas compliqué de trouver ce que recherchait Kaïa. Bien sûr, plusieurs fois ma camarade s'arrêta devant des bijoux ou des vêtements aux couleurs chatoyantes pour les contempler sans toutefois les acheter. Ensuite, chez la fleuriste, mon amie me conseilla un bouquet rose layette aux fleurs très étranges. Comme c'était une fille et moi non, je lui fis confiance, pensant qu'elle saurait mieux quel genre de fleur aimerait une fille.

Nous rentrâmes au palais et j'aidai mon amie à ranger les courses dans la suite de la générale. Nous en laissâmes certaines dans les sachets, ne sachant pas où les ordonner. Après cela, nous partîmes à l'intendance où je demandai Juliette Douglass à Agnès Vassale, une jolie jeune femme, que tout le monde au château connaissait. En tant qu'intendante du palais, elle s'occupait de l'organisation des cérémonie et fêtes du château ainsi que du registre et de la gestion des salles. Donc si quelqu'un savait où était cette femme, c'était bien elle.

Elle chargea Christine, qui était son apprentie, de s'occuper de nous. Après quelques recherches, la sœur de mon camarade m'apprit que c'était une suivante de la reine Claire. Elle me donna le numéro de sa suite, pendant que Kaïa l'observait pensivement. Je suppose que la jupe beige de Christine et son chemisier noir moulant ne lui plaisaient pas puisqu'elle semblait plutôt grimacer devant.

Je préférai me présenter chez la dame plutôt que chez la reine. Et j'avais bien fait, étant donné qu'elle était chez elle à ce moment-là. Je m'inclinai respectueusement, déclinant mon identité en observant du coin de l'œil son visage harmonieux. Je lui offris les fleurs, qu'elle examina avec un visage mécontent, mais Kaïa vanta les qualités du bouquet, ce qui tira un sourire à Juliette, pendant que je constatais que j'avais les mains vides. Qu'avais-je fait de la carte ? De la main, je fis le tour de ma ceinture, fouillait ma bourse, tâta mes manches. Seulement je devais me rendre à l'évidence, je ne l'avais plus. Je me tournai vers mon amie, inquiet, pendant que Mademoiselle Douglass nous toisait de haut, les bras croisés.

- On doit l'avoir oublié chez mon maître. On revient tout de suite, affirma Kaïa.

La suivante nous observa, contrariée, pendant que ma camarade m'emportait en courant. J'espérais vraiment qu'elle était chez la générale. Je ne savais pas ce que j'avais bien pu en faire sinon et je ne voulais pas me rendre à l'autre bout du palais sans raison.

Une fois hors de vue, la jolie vampire m'entraîna à l'angle d'un mur. J'aurais bien aimé que ce soit pour échanger quelques baisers, mais malheureusement non.

- Transporte-nous jusqu'à la suite ! me conseilla-t-elle.

Nous n'étions pas censés avoir le droit, puisque toutes les suites étaient équipées d'un sort anti-intrusion empêchant les gens d'y entrer sans y être invité, mais je pouvais nous emmener devant la suite. Mon pouvoir en fit trop comme d'habitude. Je me trouvai dans la suite et non pas devant et j'avais emmené avec moi une partie du mur qui s'effondra au sol derrière nous dans un bruit sourd en faisant voler une tonne de poussière qui eut la bonne idée de nous recouvrir. Et bien sûr, l'alarme anti-intrusion sonna et du mur commença à jaillir des flèches sensé vous endormir ou vous causer mille douleurs, en tout cas, c'est ce que je supposais. Kaïa eut le réflexe inhumain de nous protéger en créant un bouclier magique. Mais elle ne tiendrait pas longtemps contre un sort automatique. Je voulus donc prendre le relais. Sauf que je paniquai. Et quand je paniquai, ma magie avait un peu tendance à exploser. C'est ce qu'elle fit. Elle explosa, les flèches et la suite avec.

Je baissai les bras, en regardant mon amie, complètement affolé. Néanmoins, d'une voix assurée comme si c'était tout à fait normal, je déclarai dans l'espoir d'alléger l'atmosphère :

- On aurait mieux fait de rien ranger du coup, ça nous aurait fait gagner du temps.

J'avais quand même fait exploser une suite, celle de la générale des armées soit-dit en passant, nous étions encore plus recouverts de poussière et un désordre monstre régnait logiquement dans la pièce.

- Dépêche-toi ! Hurla-t-elle.

J'obéis à son intonation furieuse et courus vers la cuisine, intacte, je renversai le contenus des placards puis les sachets et finit par trouver l'enveloppe dans le fond de l''un d'eux. Je la rejoignis et entendit des bruits de pas. C'était la suite du chef de l'armée, on devait avoir envoyé des gardes voir ce que tout cela signifiait.

- On ne peut pas partir ! paniqua mon amie. Un sort nous retint !

Je lui pris la main, et soudainement très sûr de moi, fit appel à ma magie. Si elle lutta quelques secondes contre la celle automatique de la suite, la mienne l'emporta. Ma magie l'emporte toujours. Malheureusement j'avais juste pensé à partir loin, sans préciser l'endroit et nous atterrîmes dans une suite éloignée ou un couple était enlacé.

- Désolé ! m'excusais-je en entraînant mon amie à l'extérieur.

Nous courûmes le plus loin possible de la scène. Une fois assez éloigné, on s'arrêta pour reprendre notre souffle. Kaïa et moi nous échangeâmes un regard et elle s'esclaffa. Je la suivis dans son fou rire. Une fois calmé, je me rappelai l'existence de Juliette Douglass.

En bon protégé je n'avais, bien sûr, pas lut la carte. C'est surtout, parce que je n'en avais pas eu le temps, en réalité. J'aurais dû. C'était une lettre de rupture.

Evidemment, la suivante s'acharna sur moi, déversant toute sa colère sur le pauvre garçon innocent que j'étais. J'avais beau être couvert de poussière, essoufflé et lui lancer un regard de cocker, mais elle continua. Jusqu'à ce que Kaïa la prit en aparté. Elles tinrent conciliabule et Juliette finit par rire avec elle.

- Tu peux y aller, me dit la suivante, mais dit à Christian que j'espère qu'il finira en enfer.

Je hochai la tête, soulagé d'en avoir fini.

En sortant du palais la charmante vampire avait un air supérieur, moi je l'admirai :

- Comment t'as fait ? lui demandais-je.

- Je suis une fille. Je sais quels mots une femme aime entendre.

Je la regardais dubitatif par son explication. Ma sœur aussi était une fille. Et pourtant, j'étais persuadé que jamais elle n'aurait réussi, elle.

J'emmenai Kaïa chez moi. Il y avait peu de chance que mon oncle soit là. J'avais raison. Mais Camille y était. Elle, elle assistait Simon Wells, le chef des renseignements, elle le trouvait génial, génial et encore génial. Sans doute parce qu'il était musclé et portait un uniforme. Mais au vu du secret qu'entourait son poste, il se débarrassait bien souvent de ma cadette, que j'envoyais dans sa chambre. Elle ne protesta pas. Elle se joignait rarement à mes amis à l'époque, elle ne faisait pas partie de ma bande qui comportait Nicolas et seulement moi depuis que Clément avait déserté.

En général on allait chez les Cadowell, ou chez la grand-mère de mon unique véritable ami. Et s'il pleuvait, on attendait à la mairie que Nina ait fini de travailler pour nous ramener en passeur. Mais ce jour-là, il devait encore travailler avec Véronique Clarckson, la notaire de leurs Majestés. Nina n'avait jamais vu d'inconvénient à ce que je vienne en l'absence de Nicolas, mais je restai à la maison, je suis bien-élevé après tout, je n'allais pas abuser de l'hospitalité de ma voisine qui avait toujours été si bonne pour moi, en invitant, en plus, une camarade qu'elle ne connaissait pas, chez elle.

Ma nouvelle acolyte fut fascinée par ma maison. Elle m'avoua n'avoir jamais vécu autre part que dans des suites, dans les cours des différentes cités. Je trouvais cela étrange pour la fille d'un ambassadeur et d'une informatrice politique. En général les logements proposés aux ambassadeurs étaient assez pauvres, petits et avec les meubles de bases, pour que les ambassadeurs achètent leurs propres appartements ou alors leurs propres meubles et leurs propres décorations et ainsi contribuer à l'économie de la cité. Quant aux informateurs, vous vous imaginez bien que l'on n'allait pas les loger à la cour où ils dérangeaient un peu trop de monde.

- Tu vis où en ce moment ? interrogeais-je donc avec curiosité.

- Dans une petite suite au palais, avec ma mère. Mais, on devrait déménager dans une suite plus grande demain, quand mon père sera là, explique-t-elle.

J'hésitais à prononcer à haute voix ma surprise. Elle me devança et s'étonna :

- C'est la maison de ton oncle ?

Je souriais. Elle avait dû comprendre et répliquait, puisque jamais un ancien garde n'aurait eu les moyens de se payer une maison dans ce quartier central de Firento.

- Non. C'est la maison de mes parents. Je suppose qu'il en a plus ou moins hérité.

Elle me sourit avec compassion et me demanda si j'aurais la gentillesse de lui offrir un verre d'eau qu'elle transforma en sang. Elle me raconta ensuite qu'elle avait toujours vécu hors d'Haldar bien qu'elle y soit née. Elle y retournait régulièrement et en général s'y installait quelques mois entre deux déménagements, mais elle n'y restait jamais très longtemps. Elle avait vécu à Vanth, la république des Gobelins, Zonviland, celle des lutins, Fiorenze le royaume des Trolls et Cadorlang, celui des dragons, ainsi qu'à Maris un des duchés Humains.

Je frissonnais en apprenant qu'elle avait vécu parmi les Trolls ou les dragons. Les Gobelins on doit pouvoir s'y faire quand on est vampire, la petite taille des lutins doit être un peu gênante mais en-dehors de cela, ce devait être plutôt agréable de vivre avec eux. Mais les Trolls et les dragons !

Quand je lui dis ce que j'en pensais, elle sourit et m'affirma que cela ne l'avait pas impressionnée. En plus, grâce à cela, elle en connaissait beaucoup, sur les différents peuples, leurs histoires et leurs coutumes, elle avait pu rencontrer des gens de chaque espèce, et voir le traitement qu'on accordait à chacune selon les cités. Et elle avait les yeux qui pétillaient quand elle disait cela.

Je craignais qu'elle ne se lance dans un exposé, alors je l'interrogeais sur les monarques et présidents de chaque cités. Elle semblait les avoirs tous rencontrés, ce qui était logique en considérant le métier de ses parents. Mais également les connaître personnellement, ce qui était un peu plus étonnant, mais peut-être pas tant que cela. Après tout, je ne savais presque rien de la vie des ambassadeurs et des informateurs.


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